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Full text of "L’avant-guerre; études et documents sur l’espionnage juif-allemand en France depuis l’affaire Dreyfus"

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LÉON    DAUDET 


L'AYANT-GUERRE 


i 


ÉTUDES   ET   DOCUMENTS 


SUR 


1  /RSPIONNAOE    JUIF- AT ,l,EMAND 

EN   FRANCE 

DEPUIS    L'AFFAIRE    DREYFUS 


I 


Deuxième     lirac/c 
SEPTIÈME    MILLE 


NOUVELLE  LIBRAIRIE  NATIONALE 

11,  RUE  DE  MÉDICIS  -  PARIS 

MCMXIII 


BRANDEIS  UNIVERSITY 
LIBRARY 


given  by 

BRANDEIS  UNIVERSITY 

NATIONAL  WOMEN'S  COMMITTEE 


Dedicated  to  the  support  of  the  University  Libraries 


L'AVANT-GUERRE 


DU   MÊME   AUTEUR 


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La  Lutte ^  ^'oj- 

M  Mésentente 1  vol. 

.e  Lit  de  Procuste 1  vol. 

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,a  France  en  alarme 1  vol. 

,e  pays  des  Parlemenieurs 1  vol. 


LÉON    DAUDET 


LAVANT-GUE 


ÉTUDES   ET   DOCUMENTS 

SUR 

L'ESPIONNAGE    JUIF-ALLEMAND 

EN   FRANCE 
DEPUIS    L'AFFAIRE    DREYFUS 


Deuxième    tirage 

SEPTIÈME  MILLE 


NOUVELLE  LIBRAIRIE^  NATIONALE 

11,  RUE  DE  MÉDICIS  —  PARIS 


MCMXIIÏ 


//  a  été  tiré  de  cet  ouvrage  un  exemplaire  sur 
Japon  et  vingt-quatre  exemplaires  sur  vergé  d'Arches 
numérotés. 


"uws  drotts  de  traduclion,  de  repro- 
'iiction     et    d'adaptation    réservés. 


CHARLES    MAURRAS 


SUN    AMI 


LÉON  DAUDET 


0^  Ci  1 B  o 


AVANT-PROPOS 


Quarante -deux  ans  ont  passé  depuis  Vheure  funeste 
où  Bismarck,  à  la  suite  d'une  guerre  tnalheureuse  et 
grâce  à  l'intervention  du  niétèciue  génois  Gambetta^ 
sut  nous  imposer  ce  régime  républicain  que  nous 
subissons;  quarante-deux  ans  pendant  lesquels  le  Juif 
et  VAllemand  ont  pu  accomplir  patiemment,  silen- 
cieusement, sans  être  inquiétés,  leur  travail  de 
pénétration  chez  nous.  Il  a  fallu  les  humiliations  sans 
précédent  de  Tanger  et  d^Agadir,  la  campagne 
acharnée  meyiée  par  TAction  Française  depuis  dix- 
huit  mois  —  début  :  le  2i  Septembre  1910  —  pour  que 
nos  compatriotes  prissent  enfin  conscience  du  danger. 

A  Vheure  actuelle,  le  péril  est  devenu  pour  tous  si 
évident  cpie  certains  quotidiens,  plus  particulièrement 
dévoués  aux  intérêts  de  la  République,  ont  cru  oppor- 
tun d'amorcer  une  campagne  de  diversion  contre 
l'envahissement  des  produits  '*  Made  in  Germany  ". 

Le  but  manifeste  de  cette  contrefaçon  est  de  dé- 
tourner Vattention  du  point  de  vue  exclusivemem 


VIII  AVANT -PROPOS 

national,  qui  est  le  nôtre,  pour  la  fixer,  Vkypnotiser 
sur  la  concurrence  comynerciale. 

Les  dangers  que  présente  la  concurrence  commerciale 
allemande  ne  nous  échappent  pas,  mais  il  est  évident 
qu'il  faut  aller  d'abord  au  plus  pressé,  àVesseyitiel.  Or 
une  campagne  dirigée  uniquement  contre  les  perturba- 
tions économiques  que  la  concurrence  étrangère  doit 
apporter  sur  notre  marché  ne  s'appuie  pas  sur  un 
terraiyi  aussi  solide  que  celle  que  nous  entreprenons 
ici.  On  peut  lui  objecter,  en  effet,  qu'il  est  impossible 
d'empêcher  nos  prolifiques  voisins  de  chercher  des 
débouchés  pour  leurs  produits  et  de  remplir  les  cadres 
laissés  vides  par  la  diminution  progressive  de  la  na- 
talité française.  Aussi  ne  nous  attaquerons-nous  à 
l'envahissement  commercial  qu'au  seul  point  de  vue 
de  sa  répercussion  sur  la  Défense  nationale.  Cet 
intérêt  supérieur  doit  rallier  autour  de  nous  tous  ceux 
qui  ont  à  cœur  de  conserver  intact  notre  patrimoine 
national  :  la  France.  Sur  ce  terrain-là,  nous  so7nmes 
inébranlables  et  résolus  à  aller  jusqu'au  bout. 

Nous  allons  montrer  comment,  sous  le  couvert  du 
régime  républicain,  V Allemand,  guidé  par  son  fourrier 
le  Juif,  qu'il  s'appelle  Weyl,  Dreyfus,  Ullmo  ou 
Jacques  Grumbach,  a  su  trouver  en  France  toutes  les 
facilités,  toutes  les  complicités,  toutes  les  trahisons 
même,  qui  lui  ontperm,is  de  supplanter  yio s  natioyiaux 
dans  les  diverses  branches  du  commerce  et  de  Vin- 
dusirie  intéressant  la  défense  nationale  ;  comment  il 
a  pu  se  rendre  ainsi  maître  de  notre  blé,  de  notre  fer, 
de  notre  or  et  occuper,  sous  le  couvert  d'opérations  en 
apparence  légales,  les  points  stratégiques  les  plus 
importants  du  pays,  ses  centres  ou  ganglions  ner-, 
)eux,  ses  nœuds  vitaux. 
De  telle  sorte  qu'au  ynoïnent  d'une  déclaration  de 


AVANT-PROPOS  IX 

guerre,  à  Vheure  grave  et  peut-être  prochaine  où  il 
nous  faudra  tout  abandonner  et  courir  à  la  frontière 
pour  faire  face  aux  armées  du  roi  de  Prusse,  ses 
fidèles  sujets,  nos  hôtes  de  la  veille,  iyistallés  en  nom- 
bre imposant  dans  nos  villes,  dans  nos  cainpagnes, 
dans  nos  ateliers,  dans  nos  usiyies,  dans  nos  adjni- 
nistrations,  pourront  en  toute  tranquillité,  à  Vabri  de 
nos  lignes  de  combat,  saboter  ici  même  nos  travaux 
de  défense  et  paralyser  ou  retarder  nos  efforts. 

La  docwtnentation  irréfutable,  les  faits  précis  que 
nous  produisons  prouveront  aux  esprits  les  plus 
sceptiques,  qu'aurait  dû  pourtant  rendre  clairvoyants 
la  cruelle  expérience  de  1870y  la  nécessité  de  notre  cri 
d'alarme. 

La  responsabilité  du  désastre  qui  nous  menace 
incombe  uniquement  aux  institutions  démocratiques. 
Elles  nous  ont  livrés  au  Juif.  Elles  ont  arraché  toutes 
les  barrières  qui  pouvaient  s'opposer  à  ses  progrès. 
Elles  ont  désorganisé  la  famille,  la  magistrature, 
Varmée,  en  im  mot  ce  qui  constituait  Vossature  mé/7ie 
de  notre  pays. 

Connaissant  la  cause  de  nos  m,aux,  il  faudra  bien 
conclure  à  sa  destruction  et  au  rétablissement  du 
gouvernement  national,  traditionnel,  héréditaire,  au- 
dessus  des  partis,  seul  capable  de  rendre  la  France 
aux  Français. 

Le  principe  même  d^ un  gouvernement  démocratique 
et  parlementaire  lui  interdit  d'apporter  un  remède 
à  Vespionenvahissement  juif -allemand,  à  VAvant- 
Guerre. 

Ce  n'est  pas  avec  une  simple  digue,  comme  disent 
yios  libéraux,  qu'on  pourra  désormais  arrêter  le  flot 
irrésistible. 

Limiter  le  nombre  des  étrangers,  les  mettre  sous  la 


X  AVANT- PROPOS 

surveillance  de  la  iwlice?  Impossible.  Il  faudrait 
appliquer  cette  mesure  à  des  gens  comme  le  m^inistre 
de  V Intérieur  du  cabinet  précédent,  à  ce  Steeg,  fils  d'un 
pasteur  allemand  qui  n'a  jamais  pu  faire  la  preuve  de 
sa  naturalisation  française. 

Celui-ci  ne  pousserait  sans  doute  pas  Vaudace 
jusqu'à  réclamer  ouvertement  la  protection  du  Kaiser  ; 
mais  il  n'en  serait  pas  de  même  des  milliers  de 
nationaux  allemands  qu'une  telle  loi  gênerait  aux 
entouymures,  et  qui  auraient  vite  obtenu  de  leur 
empereur  l'envoi  de  quelque  nouvelle  "  Panther  " 
dans  les  eaux  de  nos  ports  devenus  à  m^oitié  alle- 
mands. ' 

La  situation  actuellef  si  elle  se  prolonge,  est  donc 
sans  issue. 

De  deux  choses  l'une  :  ou  yious  laisserons  l'Allemand 
et  son  compère  le  Juif  continuer  à  nous  traiter  en 
pays  conquis,  à  nous  m,enacer  daris  notre  héritage 
moral,  dans  nos  biens,  dans  nos  vies  même,  et  nous 
serons  absorbés,  dévorés  en  pleine  paix,  sans  com- 
battre     ou   nous   nous   révolterons   contre  tant 

d'humiliations  accumulées  et  rejetterons  l'étranger 
hors  des  frontières,  mais  alors  ce  sera  la  guerre. 

Sommes-nous  donc  un  peuple  fini,  et  devons-7ious 
nous  laisser  mourir  ? 

En  dehors  des  nombreux  clients  du  régime  alimen- 
taire dont  ils  vivent  parfois  grassement,  et  qui 
constituent  le  gros  de  l'armée  républicaine,  il  y  a  des 
Français  qui  considèrent  la  situation  dans  laquelle 
nous  nous  débattons  comme  la  conséquence  fatale  de 
notre  ancienneté  dans  le  Monde.  Nous  devons,  selon 
eux,  céder  la  place  aux  peuples  jeunes  jjIus  énergiciues, 
mieux  armés  pour  la  lutte. 

Les  faits  donnent  heureusement  chaque  jour  un 


AVANT -PROPOS  XI 

démenti  formel  à  ce  poncif  funeste,  à  ces  affirmations 
mal  fondées. 

L'ardeur,  le  courage,  Vinitiative,  Vingéniosité  dont 
témoignent  nos  aviateurs  sont  une  preuve,  entre  maille 
autres,  que  notre  race  n'a  perdu  aucune  de  ses  qualités 
traditionnelles. 

D'autres  veulent  bien  reconnaître  que  nous  ne 
sommes  inférieurs  que  par  le  nom.hr e.  Certes,  on  ne 
peut  nier  cette  crise  fatale  de  la  natalité  française. 
Mais  on  doit  en  faire  remonter  la  responsabilité  aux 
institutions  démocratiques. 

Bien  loin  d^enrayer  le  nrial,  ces  institutions  l'ag- 
gravent en  détruisant  peu  à  peu  toutes  les  garanties 
tutélaires  à  Vabri  desquelles  la  famille  française  a  jadis 
prospéré.  Elles  tendent  systématiquement,  autom^a- 
tiquement,  à  isoler  Vindividu  de  tout  groupement,  de 
ses  soutiens  naturels,  pour  en  faire  l'esclave,  la  chose 
du  premier  acheteur  de  bulletins  de  vote  venu. 

Ces  institutions  antiphysiques  encouragent  le  divor- 
ce en  faisant  voter  la  loi  du  juif  Naquet.  Elles 
s'ingénient  à  rendre  chaque  jour  plus  lourdes  les 
obligations  et  les  charges  du  chef  de  famille^  accablé 
d'impôts,  de  vexations,  et  dont  Vautorité  est  battue  en 
brèche.  On  lui  conteste  même  le  droit  priynordial  de 
donner  à  ses  enfants  une  éducation  de  son  choix  ! 

Les  théories  malthusiennes  sont  enseignées  ouverte- 
ment et  le  gouvernement  le  tolère.  Il  protège  les 
faiseuses  d'anges. 

Son  origine  élective  le  contraignant  à  centraliser 
pour  pouvoir  vivre,  il  attire  dans  les  centres  urbains, 
dans  les  usines,  toutes  les  forces  vives  des  campagnes. 

Loin  de  la  vie  au  grand  air,  où  la  collaboration 
contiiiuelle  unit  les  membres  d'une  même  famille,  oit 
les  enfants  sont  une  source  de  richesse,  ces  énergies 


XII  AVANT- PROPOS 

se  brisent  au  contact  de  Vexistence  déprimante  des 
villes,  existence  étroite,  malsaine,  qui  enlève  tout  son 
charme  au  foyer,  où  Vhomme,  et  bien  souvent,  la 
femme  ne  rentrent  que  le  soir  énervés  par  la  fatigue 
ou  Valcool,  hargneux,  hostiles.  L" agriculteur ,  aban- 
donné à  ses  seules  forces,  se  désespère  dans  cette 
alternative  de  faire  appel  à  la  naiyi-d' œuvre  que  lui 
offre  l'étranger  ou  d\ib amidonner  sa  terre,  bien  souvent 
guettée  par  celui-ci. 

Aces  inaux,  le  gouvernement  républicain  croit  avoir 
trouvé  un  remède  souverain  :  la  naturalisation  à  jet 
continu.  Il  fabrique  des  faux  Français  à  coups  de 
décrets.  Mais  une  décision  administrative  peut-elle 
donner  à  tétranger  ainsi  étiqueté  Français,  un  sang 
e  un  esprit  de  chez  nous?...  L'État  républicain 
réserve  même  U7i  traitement  de  faveur  à  ces  faux 
Français,  aiuiom  de  V Humanité  et  de  la  Fraternité  des 
peuples. 

D\in  sectarisme  farouche  à  Végard  des  Français  de 
race,  cet  Etat  se  montre  d'une  tolérance  sans  bornes 
pour  les  métèques  et,  en  particulier,  pour  les  Allemands. 
Ce  n'est  pas  sans  une  certaine  stupéfaction  qu 
M.  Schoeji,  docteur  es  lettres,  professeur  de  VU- 
niversité,  constate  dans  la  Revue  Alsacienne  quel 
accueil  chaleureux  nous  faisons  à  nos  vainqueurs 
de  1870. 

Cette  tolérance  le  stupéfie,  et  il  lui  rend  un  hommage 
ironique  : 

«  Je  ne  crois  pas,  dit-il,  qu'il  y  ait  au  7nonde  une  autre 
«  cité  {Paris)  de  kvigue  non  allema^ide  qui  offre  autant 
«  de  ressources  aux  Allemands  que  la  capitale  de  la 
«  France.  » 

«  La  presse  allemande  jouit,  en  France,  de  la  même 
liberté  que  la  presse  française.  Or,  le  but  avoué  de  cette 


AVANT- PROPOS  XIII 

presse  est  de  défendre  les  droits  et  la  politique  des 
Allemcnids  installés  en  France.  » 

Les  Sociétés  allemandes  laïques  et  religieuses  sont 
nombreuses  et  florissantes  ;  «  il  faudrait  plusieurs  pages, 
«  dit  M.  Schoen,  rien  que  pour  énumérer  toutes  celles 
«  qui  existent  actuellement  en  France  ». 

Ces  lignes  ont  été  écrites  en  1909.  Mais,  depuis 
quatre  ans,  il  serait  intéressant  de  savoir  dans  quelle 
proportion  le  nombre  desdites  sociétés  s'est  accru  chez 
nous.  C'est  une  invasion  faite  avec  méthode,  diaprés 
un  plan  nettement  défini.  Ceux  qui  Vont  conçu  savaient 
parfaitement  c[ue  rien  ne  devait  plus  contribuer  que 
ces  sociétés  à  resserrer  les  liens  des  Allemands  entre 
eux,  sur  tout  le  territoire  de  la  France.  Par  leur 
attachement  et  leur  fidélité  à  la  pjcUrie  allemande,  ces 
sociétés  sont  toutes,  à  des  degrés  divers,  les  c/iam- 
pions  du  germanisme  en  France.  Cela,  on  le  sait,  on 
le  compre7id  chez  nous  et  même  {je  cite  textuellemeyit 
fauteur,  qui  ne  peut  manquer  de  m^anif ester  sa  stupé- 
faction, en  écrivant  cette  phrase  en  caractères  spéciaux) 
«  et  même  le  gouvernement  de  la  République  va 
«  jusqu'à  l'approuver,  tant  il  sait  se  placer  au  point 
«  de  vue  des  étrangers  qui  viennent  lui  demander 
«  l'hospitalité  ». 

Mais  où  la  «  tolérance  »  du  Gouvernement  français 
est  encore  plus  re7narc[uable,  c^est  dans  le  domaine  de 
l'enseignement,  car  ici,  elle  vajusquà  créer,  en  faveur 
de  la  colonie  allemande,  des  exceptions  aux  lois  généra- 
les qui  régissent  V enseigneme^it  en  France. 

Le  fait  le  plus  frappant  est  Vexistence,  en  plein 
Paris,  d'une  école  allemande,  gratuite,  ouverte  à  tous 
les  enfants  qui  veulerit  faire  leurs  études  élémentaires 
en  allemand.  Peu  importe  c^ue  leurs  parents  soient 
d'origine  française  ou  allemande.  «  L'histoire  de  cette 


XIV  AVANT-PROPOS 

a  école,  dit  M.  Schoeiiy  est  extrêmement  intéy^essante 
«  et  prouve  que,  même  après  V envahissement  du 
«  territoire,  la  France  ne  s'est  pas  départie  de  sa 
«  tolérance  traditionnelle.  Cette  école  est  mieux  ins- 
ictallée  que  la  plupart  des  écoles  françaises  ».  Les 
bancs  viennent  d'Allemagne  et  les  professeurs  aussi, 
naturellement. 

Uallemand  est  enseigné  comme  langue  fondamen- 
tale, comme  langue  maternelle.  Le  français  g  devient 
la  langue  étrangère.  Lliistoire  est  enseignée  au  point 
de  vue  allemand.  Ce  qu'on  apprend  à  aimer  aux  jeunes 
élèves,  c'est  V Allemagne,  la  patrie  allemande,  Vempe- 
reur  allemand. 

«  Malgré  la  loi  française  qui  interdit  absolument 
«  tout  châtiment  corporel  in  fligé  aux  élèves ,  la  discipline 
«  de  l'école  est  la  discipline  allemande. 

«  Même  exception  aux  lois  générales  pour  cec^uiest 
m  delà  direction  et  des  professeurs  de  Vécole  allemande. 
«  Les  lois  françaises  veulent  que,  pour  avoir  le  droit 
«  d'ouvrir  une  école  dans  notre  pays,  on  soit  Français 
«  et  qu'on  ait  passé  des  examens  français,  plus  ou  moins 
(!  élevés  selon  le  but  de  Vécole.  Or,  voici  U7X  grand 
«  établissement  scolaire,  qui  est  dirigé  uniquement  par 
«  des  Allemands  et  dont  les  professeurs  n'ont  que  des 
ft  grades  étrangers  et  éprouvent  des  difficultés 
«  sérieuses  à  s'exprimer  en  français.  Par  respect  pour 
«  l'âme  allemande,  par  déférence  pour  la  colonie  gér- 
ai manique,  on  permet  à  un  comité  allemand,  à  des 
«  maîtres  allemands,  ce  qu'on  ne  permettrait  pas  à 
«  un  prêtre  français  qui  voudrait  ouvrir  une  école  à 
«  Paris.  » 

Ce  n'est  pas  tout.  Non  seulement  le  gouvernem^eni 
de  la  Réfjubliciue  accorde,  en  dépit  de  nos  règlements 
scolaires,  une  entière  liberté  d'action  à  la  direction  et 


AVANT -PROPOS  XV 

aux  professeurs  de  Vécole  allemande  en  question,  mais 
encore  il  encourage  et  récompense  ceux  qui  sojit  à  la 
tête  de  cet  établissement. 

A  Voccasion  du  jubilé  de  l'école,  en  1908  {1858-1908), 
le  ministère  des  Affaires  étrangères  a  nommé  M.  A... 
chevalier  de  la  Légion  d'honneur.  Le  conseil  de  Vordre 
n'ayant  pu  être  réuni  à  temps  pour  confirmer  la 
nom,ination  avant  la  fête,  on  n'attendit  pas  la  réunion 
suivante f  conformément  aux  règlements,  pour  pouvoir 
remettre  les  insignes  au  nouveau  chevalier,  le  jour 
mênne. 

Voilà  donc  un  cas  où  Vun  de  nos  m,i7iistres,  pour 
témoigner  sa  sympathie  à  une  colonie  étrangère,  va 
jusqu'à  créer  une  exception  aux  usages  les  mieux 
établis  et  aux  règlements  les  plus  formels  ! 

Mais  il  est  une  association  dont  l'existence  à  Paris 
surprendra  encore  davantage. 

On  connaît  la  célèbre  Société  allemande  appelée 
ce  Flottenverein  »,  et  chacun  sait  qu'elle  a  pour  but 
d'assurer  la  prépondérance  de  la  marine  allemande 
sur  toutes  les  mers  du  globe  et  d'employer  tous  les 
moyens  pour  faire  uyie  concurrence  acharnée  à  la 
flotte  anglaise  et  à  la  flotte  française. 

Eh  bien,  cette  association,  qui  est  dans  le  domaine 
des  choses  maritimes  Véquivalent  d'une  «  Kriegerve- 
rein  »  dans  le  domaine  de  la  guerre  continentale^  cette 
gigantesque  ligue  de  combat  a  une  fdiale  en  France. 
Créée  en  1902,  cette  fdiale  n'a  pas  tardé  à  gagner  de 
nombreux  partisans  et  a  déjà  reçu  les  félicitations 
officielles  de  personnages  politiques  très  en  vue  dans 
la  mère  patrie.  Son  titre  est  :  «  Flottenverein  Paris 
Zweigverband  des  Hauptverbandes  Deutscher  Flotten- 
vereine  im  Auslayide  ».  Ce  n'est  donc  cp.Cune  branche  de 
la  grande  société  allemande.  Et  cette  société  ne  se 


XVI  AVANT- PROPOS 

cache  pas  ?  —  Non,  «  forte  de  son  droit  sur  une  terre 
de  liberté  »,  elle  se  montre  au  grand  jour. 

«  Est-il  possible  de  pousser  plus  loin  la  toléraîice  ?» 
—  dit  M.  Schoen.  — Évidemment  non,  mais  pratiquée 
jusqu'à  ce  point,  cette  prétendue  tolérance  s'appelle 
trahison.  Et  7iul  ne  s'en  étonnera,  du  reste,  quand  nous 
aurons  expliqué  comment  le  gouvernement  de  la 
République  a  confié  la  surveillance  et  le  contrôle  des 
étrangers  au  juif  Jacques  Grumbach. 


PREMIERE    PARTIE 

LES    AUXILIAIRES 

DE    L'AVANT-GUERRE 


CHAPITRE    PREMIER 


UN   AUXILIAIRE    DE   L'AVANT-GUERRE 


LE    JUIF    JACQUES    GRUMBACH 

Fonctionnaire  du  gouvernement  allemand  au  ministère 
de  l'Intérieur  Jrançais. 


Il  est  évident  que,  sans  la  complicité  ouverte  ou 
tacite  des  autorités  chargées  de  la  surveillance  des 
étrangers  en  France,  il  serait  matériellement  impos- 
sible à  ceux-ci  de  pénétrer  et  de  s'installer  en  maîtres 
chez  nous. 

L'accroissement  effrayant  et  continuel  de  leur 
nombre,  le  sans-gêne  avec  lequel  ils  s'imposent  car- 
rément, sans  dissimuler  leur  nationalité,  ne  sauraient 
échapper  à  Jacques  Grumbach,  sous-directeur  au 
Ministère  de  l'Intérieur,  chef  du  deuxième  bureau  de 
la  direction  générale  (police  générale  et  contrôle  des 
étrangers),  dont  Alphonse  Humbert  eut  déjà  l'occa- 
sion d'entretenir  la  Chambre  dans  la  séance  du 
28  mai  1900.  Ce  Jacques  Grumbach  est  juif,  bien 
entendu,  il  est  même  cousin  par  alliance  de  Mathieu 


l'avant- GUERRE 


Dreyfus,  frère  de  l'incontestable  traître  juif  x\lfred 
Dreyfus,  auteur  du  Bordereau,  lequel,  selon  son  propre 
aveu,  ((  livrait  des  documents  à  l'Allemagne  pour  en 
avoir  d'autres  en  échange  ».  Il  est  le  neveu  d'un 
autre  juif  d'espionnage,  Emile  Weyl,  chassé  jadis  du 
Ministère  de  la  Marine  par  M.  de  Mahy.  Ce  Weyl 
eut  l'audace  de  faire  à  la  grande  Française  M""^  Edmond 
Adam  un  procès,  lequel  tourna  à  sa  confusion  et  fut 
du  plus  saisissant  intérêt,  car  il  contenait  en  germe 
bien  des  événements.  Ces  titres  devaient  offrir  toutes 
garanties,  non  pas  à  la  France,  mais  à  tous  les 
Baumann,  Himmelsbach,  etc..  et  autres  champions 
de  l'Allemagne  dont  Jacques  Grumbach  est  le  meil- 
leur introducteur  et  protecteur. 

Les  attributions  du  bureau  de  ce  juif  comprennent 
en  particulier  :  le  contrôle  et  la  police  des  étrangers 
(déclarations  de  résidence  des  étrangers  ;  arrêtés 
d'expulsion  ;  permis  de  séjour  ;  avis  sur  les  demandes 
d'admission  à  domicile,  de  naturalisation  et  de  réin- 
tégration dans  la  qualité  de  Français)  ; 

La  Sûreté  nationale  (surveillance  des  frontières,  du 
littoral,  des  arsenaux,  des  établissements  militaires 
et  maritimes,  des  voies  de  communication,  des  ca- 
naux et  voies  navigables,  des  places  fortes  et  camps 
retranchés,  des  postes  de  la  télégraphie  sans  fil. 
Rapports  avec  le  Ministère  de  la  Guerre  et  le  Minis- 
tère de  la  Marine,  pour  les  questions  intéressant  la 
défense  nationale). 

Cette  énumération  officielle  semble  vraiment  un 
défi  porté  au  pays.  Il  n'y  a  pas,  en  effet,  un  des 
objets  de  la  surveillance  éventuelle  de  Jacques 
Grumbach  qui  n'abrite  un  ou  plusieurs  agents  de 
l'espionnage  allemand.  Quelques-uns  de  ceux-ci  sont 
décorés  de  la  Légion  d'honneur.  D'autres  sont  con- 


UN   AUXILIAIRE    DE    l' AVANT-GUERRE  5 

seillers  au  commerce  extérieur.  Presque  tous  sont 
bien  en  cour,  ont  obtenu  les  sourires,  les  faveurs, 
les  prébendes  et  des  postes  importants  du  gouverne- 
ment de  la  République.  Tranquillement  installés  sur 
notre  territoire,  exerçant  cyniquement,  ouverte- 
ment, ou  sous  un  masque  branlant,  leur  métier  d'en- 
nemis dans  la  place,  ces  juifs  allemands  occupent 
avec  la  complicité  souriante  de  Jacques  Grumbach, 
chargé  de  les  surveiller,  les  points  stratégiques  de  la 
frontière.  Ils  encombrent  le  littoral.  Ils  ont  un  port 
en  eau  profonde,  sous  prétexte  de  mines  souterraines, 
à  Diélette,  à  deux  pas  de  Cherbourg.  Ils  ont  un 
centre  d'espionnage  à  Monaco,  avec  ramifications  à 
Toulon.  Ils  ont  installé  ici  et  là  des  postes  de  télé- 
graphie sans  fil,  destinés  à  capter  et  embrouiller  les 
communications  de  la  défense  nationale  aux  arse- 
naux et  aux  navires. 

C'est  à  la  faveur  de  cette  fiction  légale  qu'on 
appelle  naturalisation  que  le  juif  Jacques  Grumbach, 
souverain  en  la  matière,  a  pu  installer  sur  notre  sol 
une  nuée  de  pirates  et  d'espions,  réclamant  même  et 
obtenant  un  privilège  sur  les  nationaux. 

Le  nombre  des  naturalisations  a  augmenté  d'une 
manière  saisissante,  surtout  depuis  1896.  Alors,  en 
effet  qu'elles  s'élevaient  à  38M00,  en  1896  (chiffres 
officiels),  on  en  comptait  65.000  en  1901,  90.000  en 
IdOQ  etIW.OOO  en  1911.  C'est-à-dire  que  de  1896  à 
1911  le  nombre  des  étrangers  (principalement  Juifs 
et  Allemands)  campés  chez  nous  à  la  faveur  de  cette 
fiction  légale  a  augmenté  de  quatre-vingt-deux  mille. 

Cette  augmentation  s'explique  par  l'affaire  Dreyfus 
qui  commence  à  exercer  ses  ravages  en  1897  et  les 
poursuit  jusqu'en  1912.  La  statistique  officielle  ne 
donne  pas  —  et  pour  cause  —  le  pourcentage  des 


6  l'avant-guerre 

Juifs  et  des  Allemands,  mais  il  est  formidable.  Il  faut 
qu'on  le  dise  :  l'affaire  du  traître  Alfred  Dreyfus  a  eu 
comme  premier  résultat  une  véritable  invasion,  la 
formation  chez  nous  d'une  Anti-France. 

C'est  de  là  que  date  l'accaparement  juif  dans  toutes 
les  branches  commerciales,  théâtrales,  journalis- 
tiques, artistiques... 

C'est  de  là  que  date  l'espionenvahissement  métho- 
dique des  Allemands  et  juifs  allemands  préparant 
ce  que  j'appelle  :  U Avant-Guerre^. 

Sur  tout  le  réseau  économique,  industriel,  financier, 
une  expropriation  lente  s'opère  peu  à  peu,  qui  éli- 
mine l'élément  français  au  bénéfice  de  l'élément 
pseudo-français  ou  anti-français.  Il  n'y  a  presque 
plus  aucune  avenue  dans  aucun  métier,  aucune  pro- 
fession qui  ne  soit  occupée,  commandée,  souvent  bou- 
chée par  un  ou  plusieurs  naturalisés. 

Cette  invasion  a  profondément  modifié  déjà  les 
conditions  de  la  vie  en  société  dans  une  grande  ville 
comme  Paris.  Elle  a  avili  la  presse,  tenue  par  sa 
publicité  au  respect  des  envahisseurs,  avili  égale- 
ment les  transactions  commerciales  et  industrielles, 
jadis  conduites  en  France  avec  une  droiture  et  une 
probité  qui  ne  se  retrouvent  plus  que  dans  les  rares 
maisons  ayant  échappé  au  joug  étranger.  Elle  a 
même  avili  les  foules,  moins  spontanément  vibrantes 
et  communicatives,  quand  elles  ne  sont  pas  enca- 
drées et  conduites,  qu'il  y  a  seulement  une  quinzaine 
d'années. 

Quant  à  ceux  de  ces  métèques  qui  ont  dû,  à  leur 
corps  défendant,  participer  dans  une  mesure  déri- 
soire au  service  militaire,  souvent  interrompu  d'ail- 

1.  La  presse  allemande  m'a  fait  l'honneur  de  traduire  ce 
mot  nouveau  par  Vorkriég. 


UN   AUXILIAIRE    DE    l'aVANT-GUERRE  7 

leurs  par  une  désertion  ou  une  maladie  opportune, 
ils  ont  apporté  au  régiment  leur  état  d'esprit,  leur 
sourde  révolte,  leur  naturelle  «  anti-France  ».  Ils  ont 
certainement  contribué  pour  une  grande  part  à  la 
poussée  antimilitariste,  si  contraire  à  notre  tempéra- 
ment national,  qui  a  sévi  de  1897  à  1910  et  de  haut 
en  bas,  des  seigneurs  juifs  aux  milieux  ouvriers. 

L'envahissement  allemand  ne  laisse  rien  au  hasard. 
Il  n'agit  que  d'après  un  plan  scientifiquement  étudié. 
Nous  avons  vu  comment  il  s'assurait  près  du  pouvoir 
un  appui,  une  complicité.  Les  nationaux  allemands 
ne  s'installent  en  France  qu'en  connaissance  de 
cause,  après  s'être  assuré  des  ressources  offertes  par 
le  territoire  envahi.  Le  grand  organe  de  renseigne- 
ments Schimmelpfeng  vient  à  point  pour  rendre  un 
si  précieux  service  à  l'espionenvahissement. 

C'est  donc  la  maison  d'espionnage  allemand 
Schimmelpfeng  —  sous  le  couvert  de  renseignements 
industriels  et  commerciaux  —  que  nous  allons  main- 
tenant étudier. 


CHAPITRE    II 


L'AGENCE  SCHIMMELPFENG 


M.  Henri  Schoen,  de  la  Revue  Alsacienne,  à 
qui  nous  avons  emprunté  quelques  passages  caracté- 
ristiques de  son  intéressant  ouvrage  sur  «  les  Ins- 
titutions allemandes  en  France  »,  n'avait  point  cité 
l'agence  Schimmelpfeng  au  nombre  de  celles  dont 
le  gouvernement  républicain  encourageait  le  déve- 
loppement par  sa  coupable...  tolérance. 

En  1909,  en  effet,  l'existence  de  cette  agence  devait 
lui  être  inconnue.  Au  cas  contraire,  il  n'eût  certes 
pas  manqué  de  manifester  une  fois  de  plus  quelque 
étonnement  de  voir  opérer  en  plein  Paris  un  institut 
de  ce  genre.  Comme  nous  le  verrons  au  cours  de 
cette  étude,  la  «  Schimmelpfeng  »  centralise  tous  les 
renseignements  commerciaux,  industriels,  financiers, 
géographiques  et  militaires  qui  permettent  aux  Alle- 
mands et  aux  juifs  allemands  de  s'aboucher  entre 
eux,  de  s'entr'aider  et  aussi  de  s'installer  là  où  il  y  a 
quelque  chose  de  français  à  défaire,  quelque  chose 
d'allemand  à  faire. 

Ce  n'est  qu'en  1910  que  l'existence  d'une  organi- 


l'agence  schimmelpfeng 


sation  de  ce  genre  fat  révélée  au  public  français  par 
M.  Pierre  Mareuilles.  A  cette  époque  parurent  en 
effet,  sous  sa  signature,  dans  le  Gil  Blas  d'Henri  de 
Noussanne,  trois  articles  des  plus  précis  mais  où 
l'institut  n'était  toutefois  pas  désigné  par  son  nom, 
ce  qui  enlevait  une  grande  partie  de  son  intérêt  à 
cette  révélation. 

Or  à  cette  date  l'agence  avait  déjà  plus  de  vingt 
ans  d'existence. 

D'aucuns  s'étonneront  qu'elle  ait  pu  vivre  ainsi 
pendant  tant  d'années  à  peu  près  ignorée,  sauf  des 
commerçants  et  industriels  qui  avaient  affaire  à  elle. 
Il  n'y  a  là  pourtant  rien  de  très  surprenant.  Pour 
des  esprits  non  avertis  et  que  n'avait  pas  encore 
mis  en  éveil  la  connaissance  des  faits  indéniables 
d'  «  espionenvahissement  »  dévoilés  par  la  suite,  son 
fonctionnement,  la  nature  même  de  ses  opérations 
ne  devaient  pas  particulièrement  attirer  l'attention. 
Mais  tout  change  à  la  lumière  des  faits  et,  en  cette 
année  1913,  la  lecture  du  rapport  de  janvier  1901  pu- 
blié à  cette  date  par  l'agence  Schimmelpfeng,  et  dont 
le  contenu  devait  sembler  alors  assez  terne,  prend 
une  saveur  extraordinaire. 

C'est  en  quelque  sorte  un  plaidoyer  pro  dorao  où 
sont  entassés,  non  sans  habileté,  tous  les  arguments 
jugés  susceptibles  d'attirer  à  la  boîte  allemande  les 
sympathies  françaises. 

Il  importe  d'en  étudier  les  grandes  lignes,  d'en 
dégager  les  idées  directrices  avant  d'exposer  le  rôle 
réel  de  cette  agence  qui  dissimule,  sous  le  masque 
ingénieux  du  renseignement  commercial,  de  savants 
travaux  d'espionnage. 

Lorsque  l'agence  Schimmelpfeng  s'est  installée  en 
France,  elle   ne  possédait  aucun  document  sur  les 


10  l'avant-guerre 

commerçants  français.  Que  fit-elle?  Elle  confec- 
tionna un  questionnaire  extrêmement  complet  qu'elle 
remit  aux  intéressés  en  les  invitant  à  y  répondre  (un 
Qui  êtes-vous  ?...).  C'est  la  méthode  habituelle  aux  Al- 
lemands. Plusieurs  de  nos  industriels  et  commer- 
çants se  soumirent  bénévolement  à  ce  procédé  et 
fournirent  sur  leur  compte  personnel  des  détails  qui, 
bien  entendu,  furent  enregistrés  sans  aucun  contrôle. 

Cette  méthode  permit  à  Schimmelpfeng  de  donner 
l'impression  d'une  organisation  très  importante  et  de 
s'imposer  comme  agence  de  renseignements  com- 
merciaux. 

Ce  sont  ainsi  des  commerçants  français,  des  indus- 
triels français  qui  ont,  sans  le  vouloir,  aidé  l'agence 
allemande  à  s'implanter  en  France. 

Une  fois  installée,  elle  s'y  maintint  et  consolida  sa 
situation  encore  peu  définie.  Elle  adressa  aux  patrons 
et  directeurs  d'établissements,  de  comptoirs,  de  mai- 
sons de  commerce,  de  bureaux  de  mines,  de  forges, 
le  questionnaire  suivant  qui  fait  de  chaque  maison 
française  l'espionne,  la  dénonciatrice  de  ses  concur- 
rentes : 

Messieurs, 

<(  Il  résulte  de  nos  recherches  que  la  situation  de  la 
maison  sus-indiquée  vous  est  connue.  —  [Une  fiche 
portant  le  nom  et  Vadresse  de  cette  maison  est  jointe 
au  questionnaire.]  —  Nous  prenons  donc  la  liberté  de 
vous  questionner  à  ce  sujet. 

«  Notre  loyauté  nous  imposant  le  devoir  de  sauve- 
garder scrupuleusement  les  intérêts  de  ceux  sur  les- 
quels nous  devons  renseigner,  —  en  effet,  l'agence 
Schimmelpfeng  a  une  peur  terrible  des  procès,  comme 
nous  le  verrons  par  la  suite,  —  nous  espérons  que  vous 
voudrez  bien  nous  aider,  en  nous  éclaircissant  dans  la 
mesure  qui  vous  paraîtra  convenable. 


l'agence  schimmelpfeng  11 

«  En  vous  assurant  de  notre  entière  discrétion,  nous 
vous  remercions  d'avance  de  tout  ce  que  vous  voudrez 
bien  nous  communiquer,  et  vous  présentons,  mes- 
sieurs, nos  salutations  distinguées. 

((  Institut  W.  Scliimmelpfeng. 

«  (Dép*...) 

«  Prière  de  répondre,  au  verso  de  ce  formulaire,  ou 
sinon  de  rappeler  dans  les  lettres  la  maison  sus- 
nommée et  son  adresse  exacte.  » 

Et  voici,  maintenant,  le  verso  de  ce  «  formulaire  »  : 

«  1°  Que  savez-vous  sur  les  antécédents,  la  carrière 
commerciale  et  les  qualités  personnelles? 

«  2''  Quel  est  votre  avis  sur  la  situation  de  fortune 
actuelle  et  les  résultats  qu'obtient  la  maison? 

«  3''  Pouvez-vous  nous  dire,  d'après  votre  propre  ex- 
périence, comment  les  paiements  sont  effectués? 

«  4°  Lorsqu'il  s'agit  d'un  agent  : 

«  Est-il  apte  et  prudent  dans  le  choix  de  la  clientèle*? 

«  Est-il  chargé  de  vos  encaissements?  » 

Certains  commerçants  s'étonnèrent  bien  de  la 
«  hardiesse  de  ces  enquêtes  sur  leur  propre  situa- 
tion ».  Chez  les  uns  cela  provoqua  une  colère  vio- 
lente, chez  les  autres  un  certain  ébaliissement  qui  se 
traduisait  par  la  phrase  typique  :  «  Alors,  vous  en- 
verrez à  vos  abonnés  ce  que  nous  vous  dicterons?  » 
Mais  peu  à  peu  ces  difficultés  s'aplanirent  et  c'est 
avec  satisfaction  que  notre  agence  constatait,  dans 
son  rapport  de  1901,  que  ces  deux  catégories  dimi- 
nuaient «  dans  une  très  heureuse  mesure  ».  «  Nous 
pouvons  dire,  aujourd'hui,  »  s'écriait-t-elle,  «  que 
nous  avons  réussi  à  nous  assurer  la  sympathie  de 
tous  les  milieux  sérieux  et  vraiment  éclairés  du 
commerce  français.  » 


12  l'avant-guerre 

Et  pourtant,  dès  cette  époque,  les  commerçants 
auraient  dû  trouver  fort  suspecte  cette  énergie  avec 
laquelle  l'agence  repoussait  une  responsabilité  maté- 
rielle «  qu'il  serait  insensé  d'exiger  de  nous  »,  osait- 
elle  écrire  sérieusement  dans  son  rapport.  Et  qu'y 
aurait-il  là  de  si  extraordinaire?  Le  gouvernement 
républicain  a  toujours,  il  est  vrai,  montré  une  sur- 
prenante indulgence  en  faveur  des  étrangers  ;  mais 
il  semblerait,  pour  le  moment  du  moins,  prématuré 
de  vouloir  les  soustraire  à  toutes  les  conséquences 
de  leurs  actes. 

L'institut  Schimmelpfeng  n'est  pas  de  cet  avis 
et  se  demande  avec  une  certaine  indignation  «  com- 
ment il  se  fait  qu'il  ne  se  soit  pas  encore  produit  un 
mouvement  réformateur  dans  la  jurisprudence  fran- 
çaise en  ce  qui  concerne  le  renseignement  commer- 
cial honnête,  dont  le  libre  fonctionnement  devrait 
jouir  de  la  protection  légale  ». 

Tout  porte  à  croire  que  cette  protection  lui  a  été 
largement  accordée  depuis  1901,  car  l'institut 
Schimmelpfeng  a  pris  aujourd'hui  une  extension  co- 
lossale et  il  a  maintenant  en  France  des  succursales 
à  Bordeaux,  Lyon,  Marseille,  etc. 

A  propos  de  «  cette  question  si  grave  de  la  respon- 
sabilité »  le  rapport  de  1901  précise,  d'après  l'exposé 
remis  à  la  Chambre  de  commerce  de  Vienne  (Au- 
triche), les  rapports  essentiels  sur  lesquels  doit  por- 
ter l'activité  de  l'agence.  Nous  verrons  par  la  suite 
avec  quelle  fantaisie  ce  programme  est  appliqué  : 

«  1°  Le  renseignement  est  fourni  en  vertu  d'un 
contrat  qui  contient  la  condition  expresse  que  l'ins- 
titut n'est  pas  responsable  des  conséquences  d'une 
disposition  quelconque  prise  par  l'abonné,  et  que  ce 
dernier  renonce  à  tout  recours  contre  l'institut  en 


l'agence  schimmelpfeng  13 

cas  de  dommage  provenant,  selon  lui,  d'erreurs  ou 
de  fautes  d'auxiliaires  {clause  de  non  garantie)  ; 

2°  Le  renseignement  n'est  pas  fourni  publique- 
ment ni  dans  le  but  d'être  répandu  au  gré  de  celui 
qui  le  reçoit,  mais  est  uniquement  destiné  à  l'usage 
personnel  de  ce  dernier  et  communiqué  sous  la  con- 
dition expresse  d'une  discrétion  absolue  {clause  de 
confidence)  ; 

3<*  Nous  fournissons  seulement  des  renseigyiements 
sur  la  situation  des  personnes  qui  usent  du  crédit 
commercial  et  qui,  par  ce  fait  même,  incitent  à  ce 
qu'on  se  renseigne  sur  elles; 

4°  Nous  ne  fournissons  des  renseignements  que 
sur  demande  et  contre  la  promesse  que  la  cause  et  le 
but  de  la  demande  ont  un  intérêt  purement  commer- 
cial; 

5°  Nous  fournissons  des  renseignements  en  vertu 
d'un  contrat  dans  lequel  il  est  entendu  que,  pour  des 
honoraires  modérés  payés  par  l'abonné,  nous  ne  pre- 
nons nullement  rengagement  de  lui  fournir  une  infor- 
mation complète  et  encore  moiyis  que  cette  informa- 
tion soit  composée  de  faits  certains. 

Nous  ne  faisons  que  transmettre  ce  que  nous  avons 
pu  apprendre  par  nos  recherches,  forcément  limitées, 
dans  les  milieux  commerciaux.  » 

Il  ressort  donc  de  cet  exposé  que  l'activité  de 
l'agence  devait  se  porter  exclusivement  sur  le  rensei- 
gnement COMMERCIAL  hounêtc.  De  l'étude  de  son  fonc- 
tionnement il  ressort,  au  contraire,  que  le  renseigne- 
ment commercial  (quand  il  ne  porte  que  sur  des 
questions  qui  n'ont  rien  à  voir  avec  un  commerce 
quel  qu'il  soit),  que  le  renseignement  commercial, 
dis-je,  soi-disant  ho7inête  est  tout  bonnement  un  pré- 
texte malhoyinête. 


14  l'ava-nt-guerre 

Le  rôle  de  l'institut  Schimmelpfeng  est  double  : 

Le  rôle  avoué  consiste  à  fournir  au  premier  de- 
mandant, pour  une  somme  assez  modique,  des  ren- 
seignements commerciaux;  mais  l'autre,  le  rôle 
caché,  consiste  à  fournir  au  peuple  allemand  deux 
ordres  de  renseis'nements  : 

1^  Industriels  et  commerciaux; 

2""  D'État,  ou  plus  exactement  d'éventualité  de 
guerre. 

Il  semble  bien  du  reste  que  quelques  commerçants 
soupçonneux  aient  entrevu  vaguement  ce  que  dissi- 
mulait le  renseignement  commercial.  On  pourrait  du 
moins  le  supposer  si  l'on  en  juge  par  l'âpreté  avec 
laquelle  le  rapport  de  1901  s'élève  contre  ceux  qui 
s'entêtent  à  qualifier  ses  travaux  «  d'occultes,  de  té- 
nébreux ».  N'accuse- t-on  pas  l'institut  d'avoir 
presque  des  affinités  plus  ou  moins  avouées  avec  la 
police?  Le  monde  est  si  méchant. 

Aussi,  pour  se  défendre  contre  tous  les  pièges  que 
l'on  veut  lui  tendre,  l'agence  Schimmelpfeng  a-t-elle 
cherché  des  appuis  solides,  des  garants  et  elle  les  a 
trouvés,  semble-t-il,  à  en  juger  par  les  remerciements 
qu'elle  adresse  aux  Chambres  de  Commerce,  aux 
corporations  industrielles  et  commerciales,  à  des 
commerçants  et  des  industriels  «  dont  le  précieux 
concours  ne  lui  a  pas  fait  défaut  ».  Fort  de  ces 
appuis,  l'institut  allemand  déclare  «  continuer  son 
«  œuvre,  convaincu  qu'il  est  de  servir  loyalement  les 
«  intérêts  du  commerce  intérieur  et  extérieur  de  la 
«  France  ». 

Voilà,  n'est-ce  pas,  un  noble  désintéressement. 
Faut-il  que  nous  ayons  l'esprit  mal  fait  pour  ne  pas 
nous  sentir  émus  à  la  lecture  de  cette  patriotique 
tirade!  C'est  que  nous  avons  aujourd'hui  le  sentiment 


l'agence  schimmelpfeng  15 

très  net,  la  certitude  que  tout  ceci  n'était  que  men- 
songe, et,  patriotes  avertis,  nous  voulons  jeter  bas  le 
masque  de  cette  agence  allemande  dangereuse. 

Située  boulevard  Montmartre,  à  Paris,  l'agence 
Schimmelpfeng  est  en  relations  constantes,  d'une 
part,  avec  ses  succursales  des  principales  villes  de 
France,  de  l'autre,  avec  son  siège  central  à  Berlin. 
Si  M.  Van  der  Donk,  —  auquel  on  prête  une  origine 
hollandaise  —  est  directeur  du  bureau  de  Paris,  le 
directeur  général  pour  la  France  est  M.  Bosschaertz  *. 
D'ailleurs  tout  passe  sous  le  contrôle  directorial  de 
MM.  Hans  et  Richard  Schimmelpfeng,  seuls  maîtres 
en  droit  et  fait.  Il  y  a  quelques  années,  un  M.  Karl 
Klee  était  directeur  du  bureau  de  Paris.  En  1907,  il 
fut  nommé,  par  le  Ministère  du  Commerce  français, 
conseiller  du  commerce  extérieur  de  la  France  !  C'est 
ainsi  que  l'agence  berlinoise  Schimmelpfeng  entra 
ouvertement  dans  les  conseils  du  gouvernement  de 
la  République. 

Comme  nous  le  voyons,  elle  est  solidement  instal- 
lée dans  la  place,  et  à  l'ombre  du  pavillon  français 
elle  va  pouvoir  opérer  en  toute  tranquillité. 

De  quelle  valeur  est  donc  le  renseignement  com- 
mercial fourni  par  cette  maison  ainsi  privilégiée? 

De  toute  évidence  ce  ne  peuvent  être  que  de  vagues 
ragots  et  des  racontars  de  quartier,  de  fournisseurs, 
de  domestiques  ou  de  concierges.  S'ils  étaient  sérieux 
et  détaillés,  ces  renseignements  «  difficiles  à  se  pro- 
curer )),  comme  dit  le  traître  Dreyfus  dans  le  Borde- 

1.  M.  Bosschaertz  est  lui  aussi  conseiller  du  commerce 
extérieur  de  notre  pays.  De  sorte  qa'il  semble  que  ce  titre  soit 
attaché  à  la  fonction  même  de  directeur  de  l'Institut  Schim- 
melpfeng. Il  serait  intéressant  de  savoir  comment  et  par 
quelles  relations,  à  la  suite  de  quelles  démarches  on  obtient 
ce  titre  si  envié. 


16  l'avant- GUERRE 

reau,  coûteraient  fort  cher  et  le  prix  modeste  de  l'a- 
bonnement  deviendrait  aussitôt  suspect.  En  outre,  de 
semblables  enquêtes,  capables  de  nuire  extrêmement 
si  leur  résultat  était  nettement  défavorable  à  des 
firmes  commerciales  et  industrielles,  exposeraient  à 
des  réclamations,  à  des  poursuites  en  dommages  et 
intérêts  parfois  formidables  et  nous  avons  vu  avec 
quel  soin  cette  prudente  agence  tient  à  dégager  com- 
plètement sa  responsabilité  matérielle.  D'où  néces- 
sité de  ne  fournir  à  la  clientèle  que  des  espèces  de 
devinettes,  d'approximations  qu'on  aura  ensuite  à 
vérifier,  parmi  lesquelles  on  devra  se  reconnaître 
tant  bien  que  mal. 

Cette  sorte  de  renseignement  ne  justifierait  pas  un 
pareil  déploiement  de  comptoirs,  de  personnel  très 
coûteux.  Aussi  est-il  bien  entendu  que  la  Schimmel- 
pfeng  ne  fait  pas  ses  frais  et  que,  limitée  à  ses  seules 
ressources  et  à  ses  seuls  bénéfices,  elle  ne  tiendrait 
pas  longtemps.  En  effet,  chaque  renseignement  ordi- 
naire obtenu  coûte  en  moyenne  à  l'agence  1,50  à 
2  fr.  Je  ne  parle  pas  ici  des  renseignements  importants 
et  (c  difficiles  à  se  procurer  »  qui  peuvent  être  payés 
des  20,  30,  et  100  francs  et  davantage.  Le  même 
renseignement  ordinaire  est  vendu,  aux  abonnés,  de 
1  fr.  10  à  1  fr.  25,  exception  faite  pour  certains 
d'entre  eux.  On  aura  une  idée  de  l'importance  de 
l'agence  Schimmelpfeng  quand  on  saura  qu'un  éta- 
blissement de  crédit  comme  la  Société  Générale  lui 
demande  des  renseignements  par  paquets  de  dix 
mille  à  la  fois. 

Comme  nul  n'ignore  les  facilités  qu'ont  les  établis- 
sements de  crédit  pour  se  documenter  directement 
sur  la  solvabilité  de  leur  clientèle,  on  est  en  droit  de 
se  demander  si  de  telles  commandes  ne  constituent 


l'agence  schimmelpfeng  17 

pas  une  espèce  de  subvention  à  Schimmelpfeng,  ou, 
si  vous  préférez,  une  sorte  d'assurance,  de  garantie 
contre  les  risques  de  mauvais  renseignements,  con- 
cernant cette  fois  les  établissements  de  crédit  eux- 
mêmes. 

Mais  la  vérité  est  que  la  maison  Schimmelpfeng 
est,  au  vu  et  au  su  de  tout  son  personnel,  subven- 
tionnée par  les  chambres  de  commerce  allemandes, 
sinon  par  le  gouvernement  allemand.  Il  n'est  rien  de 
plus  naturel.  Les  services  qu'elle  peut  rendre,  tant  au 
point  do  vue  commercial  et  industriel  allemand  qu'à 
un  autre  point  de  vue,  sont  certainement  considé- 
rables. 

Et  c'est  là,  nul  ne  peut  plus  le  nier,  sa  véritable 
raison  d'être. 

Nous  venons  de  montrer,  en  effet,  que  le  rensei- 
gnement commercial  n'est  qu'un  prétexte  et  l'on 
voudra  bien  nous  accorder  que  ce  n'est  évidemment 
pas  pour  rendre  service  au  commerce  français  que  la 
Schimmelpfeng  est  ainsi  subventionnée  par  une 
nation  rivale  et  ennemie. 

Son  but  réel  et  caché  est  de  fournir  aux  maisons 
commerciales  et  industrielles  allemandes  le  moyen 
d'envahir  à  bon  escient  et  avec  le  moindre  risque 
d'insuccès  le  marché  français.  C'est  ici  qu'intervient 
l'esprit  méthodique  et  patient,  le  sens  du  développe- 
ment particulier  au  Germain. 

Chaque  branche  du  commerce,  de  l'industrie,  de 
la  production  agricole,  des  extractions  minières,  de  la 
prospection  du  sous-sol,  a  fait  l'objet  d'une  enquête 
approfondie  et  exacte  portant  sur  :  ^ 

l''  Le  lieu  ;  la  description  exacte  de  la  région,  de 
son  climat,  de  ses  moyens  de  communication,  de  sa 
population,   de    ses    ressources   pécuniaires,    de    sa 


18  l'avant-guerre 

teneur  en  éléments  autochtones  et  étrangers,  de  ses 
représentants  au  Parlement,  de  leur  situation  de  for- 
tune et  de  leur  entourage  ; 

2°  Le  nombre  d'ouvriers  et  d'employés,  que  com- 
porte le  commerce  ou  l'industrie  en  question  ;  leurs 
aptitudes;  leurs  salaires; 

3°  Les  frais  généraux  ; 

4**  Le  mode  de  fabrication,  d'extraction,  les  pro- 
cédés nouveaux  mis  à  l'étude,  etc.  ; 

5°  La  production  journalière,  mensuelle  et  an- 
nuelle; les  hauts  et  les  bas,  la  courbe  en  un  mot  de 
cette  production; 

6°  Les  matières  premières; 

7°  Les  marques  de  fabrique; 

8°  Le  prix  de  revient; 

9"  Le  prix  de  vente,  etc. 

Un  ancien  employé  de  l'agence  Schimmelpfeng 
i.ous  a  écrit  à  ce  sujet  :  «  Les  fiches  de  renseignements 
sont  collationnées  dans  des  cartons,  groupées  par 
villes,  et  le  simple  dépouillement  d'un  de  ces  cartons, 
gros  comme  un  petit  Larousse,  vous  donnera  'en  une 
heure  plus  de  renseignements  qu'il  ne  vous  en  faut 
pour  évaluer  les  ressources  détaillées  d'une  ville  de 
20.000  habitants.  Or,  notez  bien  ceci,  les  doubles  de 
tous  les  renseignements  établis  sur  des  maisons  de 
quelque  importance  sont  expédiés  immédiatement  à 
Berlin  oit  ils  sont  groupés,  »  11  y  a  là  en  somme  un  ser- 
vice de  fiches  ethnographiques,  régionales,  commer- 
ciales et  industrielles  des  plus  ingénieux,  qui  corres- 
pond par  certains  points  à  l'admirable  système  de 
fiches  anthropométriques  inventé  par  le  grand  Ber- 
tillon.  On  peut  s'imaginer  facilement  de  quelle  utilité 
seraient  des  renseignements  si  précis  au  cas  où  les 


l'agence  schimmelpfeng  19 

armées  allemandes  pénétreraient  à  nouveau  sur  le 
territoire  français. 

Ainsi  savamment  documenté  sur  les  ressources  de 
toute  nature  du  pays  occupé  par  ses  armées,  l'enva- 
hisseur saurait  où  s'approvisionner  de  tous  les  pro- 
duits convoités  :  grains,  bétail,  chevaux,  four- 
rages, etc. 

Et  si  par  une  fatalité  que  nous  ne  saurions  envisager 
sans  une  profonde  horreur,  nous  étions  encore  une 
fois  vaincus,  notre  ennemi,  exactement  renseigné  sur 
les  ressources  de  l'épargne  française,  désormais  n'hé- 
siterait pas  à  nous  imposer  une  indemnité  de  guerre 
formidable  et  cette  fois  savamment  calculée,  qui 
viderait  dans  ses  fourgons  tous  les  pauvres  bas  de 
laine  de  nos  populations  françaises  si  laborieuses  et 
si  économes.  On  sait  quels  regrets  Bismarck  ressentit 
de  n'avoir,  en  1871,  exigé  de  la  France  qu'une  indem- 
nité dé  5  milliards,  qui  lui  semblait  pourtant  colos- 
sale au  moment  de  la  signature  du  traité  de  Franc- 
fort, et  quelle  fut  sa  stupéfaction  de  la  voir  si  rapi- 
dement payée,  tant  nous  avions  hâte  de  voir  notre 
territoire  enfin  délivré. 

Grâce  à  la  Schimmelpfeng,  les  Allemands  pourraient 
hausser  à  coup  sûr  leurs  exigences.  On  pouvait  lire, 
en  effet,  le  16  septembre  dernier,  dans  le  Figaro 
(enquête  Bourdon)  ces  paroles  sincères  de  l'Allemand 
Alfred  Kerr,  directeur  de  la  revue  Pan,  un  des  polé- 
mistes les  plus  considérables  d'Outre-Rhin  : 

«  La  perspective  d'une  nouvelle  campagne  ne 
«  rebute  personne.  On  s'en  entretient  sans  émoi,  on 
«  suppute  le  profit  :  l'anéantissement  de  la  France, 
«  une  indemnité  de  guerre  de  vingt-cinq  milliards, 
((  car  on  se  rappelle  que  la  dernière  fois,  vous  avez 
«  vraiment  payé  trop  facilement.  Et  l'on  se  frotte  les 


20  l'avant-guerre 

«  mains.  Vous  souriez?  C'est  que  vous  ne  connaissez 
«  pas  l'Allemagne  d'aujourd'hui.  C'est  un  pays  de 
«  marchands;  ce  qui  y  domine,  c'est  l'amour  du 
«  gain;  gagner  de  l'argent,  être  riche,  on  n'y  a  pas 
«  d'autre  idéal.  » 

Malheur  au  peuple  qui  ne  comprendrait  pas  de 
tels  avertissements.  Je  dis  cv  au  peuple»,  car  le  gou- 
vernement de  la  République,  uniquement  occupé  de 
l'électoral  et  de  ses  dépendances,  est  incapable  de 
les  comprendre. 

Pour  en  revenir  à  la  Schimmelpfeng,  nous  dirons 
que  le  bureau  des  renseignements  n'a  pas  disparu  en 
France,  bien  qu'il  ait  été  supprimé  officiellement  au 
ministère  de  la  Guerre  par  les  amis  et  protecteurs 
du  traître  Alfred  Dreyfus.  Il  est  tenu  par  Schim- 
melpfeng, voilà  tout,  et  il  fonctionne  contrôles  Fran- 
çais. 

En  effet,  il  débarque  chaque  jour  à  Paris  des  repré- 
sentants de  maisons  allemandes  qui  vont  tout  droit  à 
l'institut  Schimmelpfeng  et  se  font  remettre  immé- 
diatement contre  un  bon  prix  —  ils  ne  lésinent 
point  —  chacun  selon  sa  spécialité,  la  liste  de  tous 
les  clients  de  la  concurrence  française  et  la  liste  de 
ces  concurrents  français  eux-mêmes.  Fort  de  ces 
excellents  tuyaux,  le  représentant  allemand,  très 
souvent  juif,  se  présente  à  la  clientèle  avec  une 
tranquille  assurance,  l'entortille  et  enlève  l'affaire  à 
moins  de  frais.  Ainsi  se  trouvent  supplantées  et 
ruinées,  sans  même  avoir  eu  le  temps  de  faire  «  ouf  !  », 
des  maisons  françaises,  naguère  prospères,  et  qui 
faisaient  vivre  un  grand  nombre  d'ouvriers  et  d'em- 
ployés français. 

Voici  un  exemple  emprunté  aux  articles  de  Pierre 
Mareuilles. 


l'agence  schimmelpfeng  21 

«  Il  y  a  quelques  années,  il  y  avait  à  Troyes  une 
industrie  très  prospère,  celle  des  fabricants  de  mé- 
tiers pour  la  bonneterie;  de,  l'aveu  des  gens  de  la 
partie,  la  concurrence  étrangère  ne  pouvait  lutter 
avec  la  production  de  ces  fabriques.  Un  jour,  deux 
ingénieurs  allemands,  agents  d'une  firme  de  Dussel- 
dorf,  s'engagèrent  comme  simples  ouvriers  chez  l'un 
de  ces  fabricants  de  métiers,  puis  passèrent  chez  un 
autre,  enfin  firent  un  stage  chez  chacun  des  fabri- 
cants de  la  région.  Un  jour  ils  disparurent,  mais 
alors,  chacun  de  ces  fabricants  s'aperçut  que  ses 
modèles,  ses  dessins  avaient  été  copiés  et  l'on  apprit 
alors  la  qualité  de  ces  deux  ouvriers  si  habiles.  Bien- 
tôt la  firme  allemande  pour  laquelle  ils  avaient  agi 
présenta  dans  la  région  troyenne,  où  l'industrie  delà 
bonneterie  est  très  répandue,  des  modèles  de  métiers 
copiés  sur  les  modèles  français,  en  un  mot  des  con- 
trefaçons habiles  que  la  loi  ne  pouvait  atteindre. 
Après  cette  firme,  ce  fut  le  tour  d'autres  maisons 
allemandes,  en  sorte  qu'aujourd'hui,  la  presque 
totalité  des  métiers  de  bonneterie  est  fournie,  dans 
la  région  troyenne,  par  les  Allemands,  et  lés  fabri- 
cants français  doivent  se  contenter  des  réparations.  » 

Voici  donc  dans  une  région  bien  déterminée,  une 
industrie  jadis  très  prospère  et  faisant  vivre  un  bon 
nombre  d'ouvriers  qui,  aujourd'hui,  est  en  complet 
marasme. 

Mais  comment  la  Schimmelpfeng  obtient-elle  en 
France  des  renseignements  si  précieux? 

A  l'aide  d'une  armée  de  démarcheurs  habiles,  éprou- 
vés, attachés  les  uns  à  la  maison  de  Paris,  les  autres 
aux  succursales  des  provinces,  qui  procèdent  tantôt 
en  démontrant  aux  enquêtes  que  c'est  leur  avantage 
de  se  soumettre  à  l'enquête,  tantôt,  suivant  les  têtes, 


22  lVvant-guerre 

par  une  demi-intimidation  ;  et  très  rares  sont  les  mai- 
sons de  commerce  qui  osent  envoyer  promener  les 
agents  de  la  maison  Schimmelpfeng.  La  terreur 
d'une  mauvaise  fiche  est  pour  elles  le  commencement 
de  la  sagesse.  Mais  la  Schimmelpfeng  ne  se  contente 
pas  de  cela.  Elle  centralise  tous  les  documents  que 
lui  fournissent  en  France,  avec  l'évidente  complai- 
sance de  l'État  français  : 

1«  Certains  greffiers  des  tribunaux  de  commerce  ; 

2"*  Certains  greffes  des  justices  de  paix  ; 

3""  Certains  huissiers; 

4°  Certains  commerçants,  espérant  ainsi  —  par 
l'espionnage  de  leurs  concurrents  —  s'immuniser 
contre  les  mauvais  renseignements  de  Schimmel- 
pfeng; 

5*»  Certains  instituteurs  et  secrétaires  de  mairie. 

C'est  ainsi  que  les  plus  récentes  enquêtes  de  l'a- 
gence Schimmelpfeng  portèrent  sur  la  production  du 
blé  en  France,  l'industrie  des  machines  d'imprimerie 
françaises  et,  enfin,  la  soie  et  les  tissages  lyonnais. 

Or,  il  est  clair,  qu'avec  ces  renseignements  indus- 
triels et  commerciaux,  d'autres  renseignements  d'un 
autre  ordre  sont  obtenus. 

Il  est  avéré,  en  effet,  qu'il  existe  à  l'agence  trois 
ou  quatre  employés  allemands  ou  juifs  qui  surveillent 
le  travail  de  coUationnement  et  de  classement  de 
leurs  camarades  et  qui  sont  chargés  de  recueillir  et 
de  soustraire  à  la  curiosité  de  ceux-ci  les  pièces 
particulièrement  intéressantes,  notamment  celles 
qui  concernent  les  officiers  de  l'armée  française, 
surtout  dans  les  garnisons  de  l'Est.  Ces  pièces,  et  en 
général  tout  ce  qui  a  un  caractère  d'intérêt  poli- 
tique, sont  immédiatement  soumises  à  la  direc- 
tion de  Paris,  laquelle  les  transmet  à  la  direction 


l'agence  schimmelpfeng  23 

de  Berlin.  Ce  qu'elles  deviennent  une  fois  à  Berlin, 
il  n'est  pas  nécessaire  d'être  grand  clerc  pour  le 
deviner. 

Nous  n'étonnerons  personne  en  disant  que  l'agence 
Schimmelpfeng  s'honore  d'avoir  ici  même,  à  Paris,  la 
clientèle  allemande  la  plus  sérieuse,  la  plus  haut  pla- 
cée. 

Comme,  dans  tous  les  sujets  les  plus  graves,  il 
faut  toujours  une  note  ironique,  la  voici  : 

On  sait  aujourd'hui,  de  source  certaine,  que,  dans 
le  même  temps  que  l'agence   Schimmelpfeng  pro- 
cédait  à   cette    quête    secrète    de    renseignements 
commerciaux,    «   militaires   et  sentimentaires   »,  — 
comme   eût  dit  le   prince  de  Ligne,  —  auprès  de 
complaisants    dresseurs   de   fiches,    notre   délicieux 
Vadécard  recueillait,    pour    le    ministre    mouchard 
André   et   pour   les   Percin  de  son    entourage,  des 
renseignements  analogues  auprès  des  mêmes  indi- 
vidus. Que  ce  soit  pour  le  compte  de  l'Allemagne^ 
que  ce  soit  pour  le  compte  du  Grand-Orient,  ce  sont 
toujours  les  mêmes,   en  effet,    qui   ont  le  goût  et 
les   aptitudes  pour   ce   genre   de  travail  occulte  et 
discrédité.    Le  pire  châtiment  du  mouchard,    c'est 
qu'il  est  exposé  à  servir  d'espion.   Il  lui  est  difficile 
de  prévoir  l'utilisation  ultérieure  de  son  mouchardage. 
C'est  ainsi  que,  des  mêmes  officines  radicales  etjudéo- 
m,açonniques  —  de  1900  jusqu'à  aujourd'hui  —  s'en- 
volèrent des  fiches  de  délation  militaire,  établies  en 
double,    qui    prenaient    aussitôt    deux    directions   : 
Vune,  par  Schimtnelpfeng,  vers  Berlin;   Vautre,  par 
le    Grand-Orient,  vers    le    ministère    de    la  Guerre 
françaiSy  rue  Saint- Dominique  y  à  Paris.  Le  «.   Co- 
rinthe  et  Carthage  »  d'André  avait  ainsi  sa  réplique 
au  cabinet  prussien. 


24  l'avant- GUERRE 

Il  est  impossible  crimaginer  rien  de  i')lus  atroce,  ni 
de  plus  complet.  Cette  collaboration  de  Schimmel- 
pfeng  et  de  Vadécard  dans  la  même  besogne,  — 
patriotique  quant  à  Schimmelpfeng,  anti-patriotique 
quant  à  Vadécard,  —  collaboration  voulue  de  toute 
éternité  par  les  affinités  de  la  maçonnerie  pour  le 
juif  et  du  juif  pour  l'Allemand,  cette  collaboration 
de  l'espion  et  du  mouchard  définit  et  symbolise  à 
jamais  l'œuvre  de  la  République  contre  la  Patrie. 

Il  est  très  intéressant  de  se  rendre  compte  de  la 
façon  dont  les  délateurs  des  loges  devenaient,  plus 
ou  moins  sciemment,  des  espions  au  service  de  l'Alle- 
magne. Les  officiers  français,  leurs  camarades,  qu'ils 
mouchardaient  ainsi  sont  bien  vengés  par  cette  cons- 
tatation. 

Au  moment  où  fut  dévoilé  le  scandale  des  fiches 
—  grâce  à  l'énergie  et  à  la  ténacité  de  Gabriel  Syve- 
ton  —  le  personnel  de  l'Institut  Schimmelpfeng  ne 
fut  qu'à  moitié  surpris  de  constater  que  les  princi- 
paux informateurs  de  Vadécard  étaient  en  même 
temps  les  plus  zélés  correspondants  de  Schimmel- 
pfeng. Un  grand  nombre  de  ceux-ci,  pris  d'une  frousse 
intense  et  prévoyant  l'indignation  de  leurs  compatrio- 
tes, le  jour  où  le  pot-aux-roses  complet  serait  décou- 
vert, se  hâtèrent  d'adresser  leur  démission  à  l'a- 
gence du  boulevard  Montmartre,  ce  qui  n'alla  pas 
sans  causer  une  perturbation  profonde  dans  tous  les 
services.  Le  directeur  du  bureau  de  Paris  à  cette 
époque,  M.  Karl  Klee,  depuis  conseiller  du  commerce 
extérieur  en  France,  n'était  pas,  lui  non  plus,  très 
rassuré.  On  ne  savait  pas  comment  les  choses  allaient 
tourner.  Si  l'opposition  prenait  le  pouvoir...  Si  on 
ordonnait  des  perquisitions  chez  les  fichards  et  les 
francs-mouchards...  Si  l'on  trouvait  chez  eux  la  preuve 


l'agence  schimmelpfeng  25 

de  leurs  relations  avec  l'agence  Schimmelpfeng... 
C'eût  été  le  désastre.  Pendant  deux  mois,  ce  furent 
des  alertes  continuelles  dans  les  bureaux  du  boule- 
vard Montmartre.  On  saisit  le  prétexte  d'un  agran- 
dissement pour  entasser  les  archives  —  comprenant 
déjà  plus  de  six  cent  mille  dossiers  (!)  —  dans  de 
vastes  caisses.  Il  n'y  avait  plus  qu'à  clouer  et  à 
mettre  en  lieu  sûr. 

De  plus,  il  fut  défendu  expressément  aux  rédacteurs 
chargés  du  service  de  la  province,  et  jusqu'à  nouvel 
ordre,  de  continuer  à  demander  leurs  renseignements 
aux  fonctionnaires,  greffiers  de  justice  de  paix,  secré- 
taires de  mairie,  huissiers,  etc..  On  ne  devait  plus 
s'adresser  momentanément  qu'à  des  commerçants 
choisis,  de  préférence  abonnés  de  la  maison. 

Enlin,  une  circulaire  confidentielle  de  1905  inter- 
dit de  répondre  aux  demandes  de  renseignements 
concernant  : 

1*  Les  officiers,  même  en  congé  ; 

2°  Les  fonctionnaires  ; 

3°  Les  journaux  et  les  journalistes. 

La  circulaire  spécifiait  que  les  rédacteurs  de  l'a- 
gence ne  devraient  dorénavant  tenir  aucun  compte 
des  opinions  politiques  prêtées  par  les  correspondants 
aux  personnes  sur  lesquelles  des  renseignements  se- 
raient demandés.  Un  pareil  luxe  de  recommanda- 
tions et  de  précautions,  à  la  suite  du  scandale  des 
Fiches,  prouve  surabondamment  qu'avant  ledit  scan- 
dale, les  renseignements  fournis  par  l'Institut  Schim- 
melpfeng n'étaient  pas  exclusivement  industriels  et 
commerciaux. 

L'eussent-ils  été,  le  seraient-ils  demeurés  que  leur 
nocivité,  au  point  de  vue  français,  n'en  demeurerait 
pas  moins  redoutable.  Témoin  cette  maison  allemande 


26  l'avant- GUERRE 

de  la  région  lyonnaise  avec  qui  on  eut  une  petite  dif- 
ficulté et  à  qui  la  Schimmelpfeng  écrivit  :  «  J'espère 
«  que  nous  marchons  d'accord,  sinon  je  serai  forcé  de 
«  communiquer  votre  procédé  aux  bureaux  de  ren- 
«  seignements  belges  et  allemands  qui  me  sont 
«  connus.  » 

Un  ex-abonné  de  Schimmelpfeng  eut  les  yeux 
ouverts  sur  les  agissements  du  fameux  Institut  par 
une  campagne  de  discrédit,  fort  habile  et  sournoise, 
contre  deux  banques  d'ailleurs  très  honorables  qui 
avaient  le  tort  de  soutenir  le  commerce  d'exportation 
locale.  «  On  était  en  droit  de  se  demander  s'il  n'y 
«  avait  pas,  dans  ces  menées,  une  tactique  voulue  dont 
«  les  résultats,  désastreux  pour  nos  maisons  d'expor- 
((  tation,  eussent  largement  profité  aux  maisons 
«  d'exportation  allemandes.  » 

Un  autre  m'exposa  comment  Schimmelpfeng  invite 
ses  abonnés  à  jouer  le  rôle  de  guillotinés  par  persua- 
sion :  «  J'étais  abonné,  comme  beaucoup  de  mes 
«  confrères,  depuis  plusieurs  années,  quand  je  reçus 
«  une  circulaire  m'invitant,  dans  mon  intérêt,  à 
«  envoyer  moi-même  ma  propre  fiche  boulevard 
«  Montmartre,  avec  détails  sur  ma  personne,  ma 
«  situation  de  fortune,  mon  industrie,  ses  résultats, 
o:  les  capitaux  dont  je  disposais,  le  nombre  de  mes 
((  ouvriers...  Naturellement  je  n'ai  rien  envoyé  du 
«  tout  et  je  n'ai  pas  tardé  à  cesser  mon  abonnement.  » 

Quelques  commerçants  et  industriels,  ainsi  amorcés, 
puis  traqués,  cèdent  à  la  crainte,  soient  qu'ils  aient 
un  naturel  enclin  à  la  timidité,  soit  qu'ils  aient 
entendu  parler  des  représailles  et  vengeances  possi- 
bles de  l'institut  Schimmelpfeng. 

Je  connais  l'histoire  d'un  fabricant  que  de  mauvais 
renseignements  avaient  presque  acculé  à  la  ruine, 


l'agence  schimmelpfeng  27 

qui,  d'abord,  s'était  fâché,  puis  composa  et  préféra, 
en  fin  décompte,  devenir  l'abonné  de  sespersécuteurs. 

Dans  une  autre  occasion  —  il  s'agissait,  cette  fois, 
d'un  commerçant  des  environs  de  Paris,  —  comme 
celui-ci  exigeait  une  forte  indemnité,  on  lui  dépêcha 
un  concurrent  allemand  qui  s'installa  à  côté  de  lui  et 
lui  copia  ses  modèles.  Les  histoires  comiques  ou 
dramatiques,  de  soumission  ou  de  révolte  des  indus- 
triels et  commerçants  français  sont  si  nombreuses,  que 
le  chapitre  Curiosités  du  rapport  annuel  de  l'Institut, 
eût-il  cinq  cents  pages  de  petit  texte,  ne  suffirait  pas 
à  les  contenir.  Ajoutez  à  ceci  que  les  dossiers  concer- 
nant les  personnes  —  et  même  leur  vie  privée  —  en 
dépit  de  la  circulaire  de  1905,  ne  manquent  pas  à 
l'agence  et  qu'un  de  ses  directeurs,  il  y  a  une  dizaine 
d'années,  pouvait  se  targuer  publiquement  d'être 
mieux  documenté  sur  la  plupart  de  nos  hommes 
politiques  que  le  Préfet  de  Police  lui-même .  Ce  n'est 
pas  beaucoup  dire,  il  est  vrai. 

Cependantqu'elleprocède  ainsi  vis-à-vis  des  commer- 
çants et  industriels  français,  l'agence  Schimmelpfeng 
a  un  questionnaire  encore  plus  précis,  qu'elle  met  à 
la  disposition  des  commerçants  et  industriels  allemands 
installés  en  France  et  notamment  du  juif  allemand, 
décoré  de  la  Légion  d'honneur,  Lucien  Baumann, 
directeur  des  Grands  Moulins  de  Corbeil.  Ce  Baumann 
est,  bien  entendu,  un  des  principaux  clients  de 
l'agence  Schimmelpfeng. 

Chaque  fois  qu'un  employé  de  l'agence  Schimmel- 
pfeng prend  un  renseignement  pour  Lucien  Baumann, 
il  pose  les  questions  suivantes  sur  chacun  des  bou- 
langers que  ses  moulins  fournisseîit 

1°  Combien  occupe-t-il  d'ouvriers  ? 

2°  Travaille-t-il  lui-même  au  fournil  ? 


28  l'avant-guerre 

3"*  Combien  emploie-t-il  de  sacs  de  farine  par  jour? 

Il  est  bien  entendu  que  les  Grands  Moulins  de 
Corbeil  ne  sont  pas  les  seuls  à  recevoir  des  rensei- 
gnements de  la  Schimmelpfeng.  Les  moulins  Vilgrain 
et  Simon,  de  Nancy,  sont  également  ses  clients.  Ceux- 
ci,  demeurés  français,  n'ont  toutefois  rien  de  com- 
mun avec  les  sociétés  judéo-allemandes  que  nous 
poursuivons  par  mesure  de  salubrité  nationale.  Il  im- 
porte de  ne  pas  confondre.  Nous  extrayons  du  numéro 
de  V Action  Française  du  mardi  19  novembre  1912  les 
lignes  parues  sous  la  signature  de  notre  collaborateur 
F...  et  qui  corroborent  ce  que  nous  avons  essayé  de 
dégager  ici,  à  savoir  qu'en  dehors  de  l'intérêt  commer- 
cial il  est  un  motif  plus  puissant  qui  pousse  Schim- 
melpfeng à  se  faire  le  fournisseur  de  certaines  maisons 
de  commerce  et  en  particulier  des  grands  moulins  de 
Nancy. 

Nous  venons  de  voir  que  Lucien  Baumann,  de 
Corbeil,  recevait  des  fiches  de  renseignements  de 
Schimmelpfeng.  Il  les  payait  à  raison  de  3  fr.  50 
l'une. 

«  Eh  bien,  les  moulins  de  Nancy,  également  abon- 
nés de  l'agence  Schimmelpfeng,  reçoivent  des  ren- 
seignements établis  exactement  comme  ceux  adressés 
à  Lucien  Baumann,  mais  eux,  ne  les  paient  que  un 
franc  dix. 

c(  C'est  cette  différence  de  prix  qui  nous  a  donné 
l'éveil,  car  si,  des  deux  clients  de  Schimmelpfeng, 
l'un  devait  être  privilégié,  c'était  évidemment  Lucien 
Baumann,  compatriote  de  Schimmelpfeng,  et  non  la 
maison  française  n'ayant  aucune  attache  avec  la 
clique  juive-allemande. 

«  Comment  expliquer  cela? 

((  On  ne  peut  l'expliquer  que  d'une  seule  façon   : 


l'agence  schimmelpfeng  29 

c'estque  Schimmelpfeng,  ayant  un  intérêt  puissant 

A  SE  renseigner  SUR  LA  SITUATION  DE  TOUS  LES  BOU- 
LANGERS DE  LA  RÉGION  FRONTIERE,  c'eST-A-DIRE  DES 
DÉPARTEMENTS      DE       LA      MeURTHE-ET-MoSELLE,       DES 

Vosges  et  de  la  Meuse,  devait,  pour  justifier  ses 

RECHERCHES  ET  SES  ENQUÊTES,  s'aSSURER,  n'iMPORTE 
A  QUEL  PRIX,  LA  CLIENTELE  DE  LA  SEULE  MAISON  SE 
TROUVANT  EN  RELATIONS  d'aFFAIRES  AVEC  TOUS  CES 
BOULANGERS. 

«  Cette  exp]  ication  est  la  seule  logique  et  acceptable  ; 
nous  avons  tenu,  cependant,  à  nous  procurer  des 
preuves  indéniables  de  son  exactitude.  D'abord,  il 
sera  très  facile  de  montrer  qu'en  fournissant  au 
prix  de  1  fr.  10  l'un  ses  renseignements,  Schimmel- 
pfeng fait,  au  point  de  vue  commercial,  une  affaire 
désastreuse. 

«  Premièrement,  cette  somme  minime  de  1  fr.  10 
n'entre  pas  tout  entière  dans  son  coffre-fort,  puisqu'il 
accorde  au  courtier  qui  a  traité  avec  la  maison  Vil- 
grain  et  Simon,  une  commission  de  dix  pour  cent  ; 
ce  courtier  reçoit  en  outre  un  traitement  fixe  de 
200  francs  par  mois. 

«  D'autre  part,  nous  avons  démontré  naguère  que 
chacun  des  renseignements  établis  par  Schim- 
melpfeng, lui  revient,  l'un  dans  l'autre,  à  1  fr.  75  ou 
2  francs. 

«  Comment,  dans  ces  conditions,  peut-il  s'en  tirer  ? 

«  Pour  résoudre  ce  problème,  il  n'y  avait  guère 
qu'un  moyen  :  pénétrer  dans  l'antre  de  Schim- 
melpfeng et  étudier,  dans  ses  archives  mêmes,  quel- 
ques-uns des  dossiers  qui  y  sont  sévèrement  gardés 
et  surveillés.  Nous  avons  pu  accomplir  cette  tâche  et 
nous  venons  aujourd'hui  mettre  sous  les  yeux  de  nos 
lecteurs  un  des  renseignements  types   de  l'agence 


30  l'avant -GUERRE 

Schimmelpfeng.  Ce  sont  les  copies  de  ces  renseigne- 
ments qui  sont  adressées  aux  clients. 

«  Voici,  à  titre  d'échantillon,  un  des  nombreux  ren- 
seignements adressés  aux  moulins  Vilgrain  et  Simon  : 

«  X...,  boulanger  à  S...  {Vosges) 

«  X...  a  repris  de  son  père,  il  y  a  une  dizaine  d'an- 
nées, cette  bonne  petite  boulangerie  de  campagne 
qui,  depuis  plus  de  cinquante  ans,  a  toujours  été 
tenue  par  des  membres  de  la  famille. 

«  Il  est  honnête,  intelligent  et  travailleur  ;  il  est 
bien  secondé  par  son  fils,  qui  travaille  avec  lui  au 
fournil;  sa  femme,  aidée  par  un  domestique,  s'occupe 
des  livraisons. 

«  La  maison  possède  une  bonne  clientèle  rurale  ; 
elle  emploie  environ  dix  gros  sacs  de  farine  par 
semaine. 

«  X...  passe  pour  posséder  une  bonne  aisance  en 
dehors  de  son  commerce  et  ses  paiements  s'effectuent 
correctement. 

«  R.  868,  22.5.12. 

1.  Vilgrain  et  Simon 

2.  Berlin.  » 

«  Quelques  mots  d'explication  au  sujet  des  anno- 
tations qui  suivent  le  texte  du  renseignement.  868, 
c'est  le  numéro  du  rédacteur  qui,  d'après  les  textes 
des  correspondants,  a  établi  le  renseignement;  suit 
la  date  à  laquelle  le  renseignement  a  été  rédigé  *. 
Au-dessous,  les  noms  des  clients  à  qui  le  renseigne- 
ment a  été  transmis.  Or,  nous  avons  pu  constater 

1.  Numéro  et  date  ont  été  modifiés  par  notre  collaborateur. 

[Note  de  V auteur.) 


l'agence  schimmelpfeng  31 

que  tous  les  renseignements  fournis  à  la  maison 
Vilgrain  et  Simon,  tous,  sans  exception,  ont  été, 
comme  celui  qui  précède,  envoyés  également  à 
Berlin. 

«  Nous  avons  donc  le  droit  de  dire  que  l'opération 
commerciale  réalisée  avec  la  maison  Vilgrain  n'est 
qu'un  prétexte,  une  simple  précaution  destinée  à  justi- 
fier les  agissements  de  Schimmelpfeng.  Il  doit  fournir 
à  l'état-major  allemand  et  à  Vintendance  des  rensei- 
gyiements  précis;  il  faut  que  les  Allemands  sachent 
exactement  sur  quelle  qua^itité  de  farine  et  de  pain 
pourra  compter  V armée  d'iywasion  lors  de  la  prochaine 
guerre.  Rien  déplus  simple  :  on  se  fait  demander  ces 
renseignements  par  la  maison  Vilgrain  et  Siinon  qui  y 
précisément,  en  a  besoin  ;  on  les  lui  cède,  non  pas  à 
prix  coûtant,  mais  à  perte  ;  à  la  rigueur  on  les  lui 
donnerait  même  gratuitement  ;  le  principal^  c'est  que 
Vopération  d'espionnage  soit  couverte,  masquée  par 
uyie  opération  comm,erciale  en  apparence  licite.  » 

Voilà  avec  quelle  habileté  procèdent  les  tenanciers 
de  l'agence  Schimmelpfeng. 

Pour  terminer,  un  simple  détail. 

Nous  avons  appris  que,  depuis  moins  de  six  mois, 
Lucien  Baumann  a  demandé  à  Schimmelpfeng  trois 
renseignements  sur  la  maison  Vilgrain  et  Simon. 

Des  enquêtes  ont  été  faites  simultanément  à  Paris 
et  à  Nancy.  Dans  cette  dernière  ville,  les  correspon- 
dants chargés  par  Schimmelpfeng  de  l'enquête  con- 
cernant les  moulins  Vilgrain  et  Simon,  ont  reçu 
un  «  formulaire  »  contenant  les  instructions  sui- 
vantes : 

«  La  situation  financière  de  la  maison  ci-dessus 
indiquée  est  connue  de  nous  ;  nous  désirons  simple- 
ment savoir  si,  à  votre  connaissance,  un  changement 


32  l'avant-guerre 

important  ne  s'est  pas  récemment  produit  ou  n'est 
pas  sur  le  point  de  se  produire  dans  cette  maison.  » 

Les  personnes  qui  nous  ont  communiqué  ces  ren- 
seignements se  demandent  si  Lucien  Baumann  ne 
songerait  pas  à  mettre  la  main  sur  les  moulins  de 
Nancy.  Déjà  maître  des  approvisionnements  de  la 
capitale,  qu'il  peut  affamer  à  son  gré,  il  lui  serait 
tout  aussi  facile  de  jouer,  à  Nancy,  le  même  rôle 
qu'à  Corbeil.  Là-bas  comme  ici,  il  peut  compter  sur 
le  concours  des  capitalistes  juifs  et  sur  la  monstrueuse 
inertie  de  notre  gouvernement. 

Et  pourtant,  Lucien  Baumann,  c'est  l'approvision- 
nement de  Paris.  C'est  de  lui,  nous  allons  le  voir, 
que  dépendra,  au  moment  de  la  mobilisation,  la  solu- 
tion de  la  si  grave  question  de  l'alimentation  de  la 
capitale.  C'est  donc  un  assez  puissant  seigneur  juif 
allemand  pour  que  l'on  étudie  de  près  son  intéres- 
fjante  personnalité  et  le  rôle  prépondérant  et  fatal 
qu'il  pourrait  être  appelé  à  jouer,  le  cas  échéant, 
dans  notre  pays. 


CHAPITRE    III 


LUCIEN   BAUMANN 


LES  GRANDS  MOULINS  DE  CORBEIL  DITS  "  PETITE  PRUSSE  " 
ET    LE    JUIF-ALLEMAND    LUCIEN    BAUMANN 


La  question  du  ravitaillement  de  Paris  en  temps 
de  guerre  est  une  de  celles  qui  devraient  préoccu- 
per au  premier  chef  un  gouvernement  national. 

Il  est  de  toute  évidence  qu'un  aliment  de  première 
nécessité,  tel  que  le  pain,  ne  doit  jamais  faire  défaut 
dans  une  agglomération  d'habitants  aussi  considérable 
que  Paris. 

Paris  affamé,  on  l'a  déjà  malheureusement  vu,  c'est 
l'émeute  à  coup  sûr  et  à  bref  délai.  Or,  au  moment  où 
toutes  les  forces  devraient  être  tendues  vers  les  fron- 
tières envahies,  les  discordes  civiles  ne  seraient  pas 
faites  pour  faciliter  la  tâche  des  arptiées  en  contact 
avec  l'ennemi . 

Il  faut  donc  multiplier  les  garanties  nécessaires  au 
J?on  fonctionnement  du  service,  si  compliqué  même 

% 


34  L*AVANT-GUERRE 

en  temps  de  paix,  du  ravitaillement  de  la  capitale. 
La  première  garantie  que  l'on  doive  exiger,  c'est 
que  ses  rouages  ne  soient  pas  faussés  par  des  mains 
étrangères,  c'est  que  les  produits  de  première  né- 
cessité soient  entre  les  mains  de  vrais  Français  de 
France.  Même  si  les  directeurs  de  ces  services 
d'approvisionnement  étaient  les  plus  braves  gens  du 
monde,  recommandés  et  appuyés  par  des  person- 
nages importants,  le  fait  qu'ils  seraient  de  nationa- 
lité allemande,  devrait,  surtout  dans  les  circons- 
tances critiques  actuelles,  les  amener  à  se  retirer 
immédiatement. 

Vis-à-vis  de  ceux  qui  occupent  de  tels  postes,  le 
moindre  soupçon  est  encore  de  trop. 

Nul  n'ignore,  à  l'heure  actuelle,  l'importance  des 
Grands  Moulins  de  Oorbeil.  Considérable,  en  effet, 
en  temps  de  paix,  elle  le  serait  bien  davantage  en 
temjos  de  guerre,  car  c'est  d'eux  que  dépend  en 
majeure  partie  l'approvisionnement  de  Paris. 

Si  nous  ouvrons  V Annuaire  des  Sociétés  par  actionSy 
nous  y  voyons  que  la  Société  des  Grands  Moulins  de 
Corbeil  a  pour  objet  :  le  commerce  et  l'industrie  de 
la  minoterie  en  général;  l'établissement  des  Grands 
Moulins  établis  à  Corbeil  et  connus  sous  le  nom 
d'Anciens  établissements  Darblay  et  Déranger,  la 
création,  l'achat,  la  vente,  l'exploitation  de  tous  autres 
établissements  et  usines  de  même  nature  et  toutes 
opérations  et  participations  de  commerce  ou  d'indus- 
trie se  rattachant  aux  grains,  fécules  et  autres 
produits  analogues. 

Les  Grands  Moulins  de  Corbeil  sont  les  plus 
importants  de  France.  Leur  production  quotidienne 
est  de  6.500  quintaux.  La  farine  fabriquée  en  une 
journée  suffit  à  produire  610.000  kilogs  de  pain,  ce 


LUCIEN   BAUMANN  35 

qui  représente  la  nourriture  journalière  d'un  million 
de  personnes. 

Ils  rayonnent  sur  toute  la  France.  Ils  ont  des 
agences  dans  toutes  les  villes,  des  agents  un  peu 
partout.  C'est  donc  là  une  véritable  puissance  dans 
l'industrie  de  la  meunerie  et,  étant  donné  l'aliment 
de  première  nécessité  que  ces  moulins  fabriquent, 
il  serait  du  devoir  du  gouvernement  de  s'opposer  à 
ce  que,  à  la  tête  de  la  société  qui  les  dirige,  se  trouvât 
un  Lucien  Baumann,  administrateur-délégué. 

Mentionnons,  tout  de  suite,  que  Lucien  Baumann, 
avant  d'occuper  ce  poste  aux  Grands  Moulins  de  Cor- 
beil,  s'occupait  avec  son  frère  des  Illkirche  Mûhlen- 
werke,  moulins  situés  àlllkirch,  bourgade  à  sept  kilo- 
mètres de  Strasbourg. 

Or  Lucien  Baumann  est  juif  et  juif  allemand. 

La  question  de  sa  nationalité  fut  posée  dès  le  début 
de  la  nouvelle  société  à  l'assemblée  des  actionnaires. 
On  lit  en  effet  dans  la  Vie  financière  du  samedi  4 
mars  1905  : 

4  mars  1905  : 

Compte-rendu  de  rassemblée  générale  ordinaire  et 
extraordinaire  des  Grands  Moulins  de  Corbeil. 


{Discussion  sur  les  frais  trop  considérables  occasion- 
nés par  les  directeurs  et  administrateurs) 

Un  Actionnaire.  —  Vous  avez  présenté  tout  à  l'heure 
un  nouveau  candidat,  M.  Baumann.  On  vous  a  demandé 
quelques  renseignements  sur  lui  ;  je  vous  prierai  d'en 
donner.  Veuillez  me  dire  qui  il  est  et  ce  qu'il  a  fait. 

M.  Wallut  (administrateur).  —  C'est  bien  simple  :  M. 
Baumann  est  Alsacien. 


36  l'avant-guerre 

Le   même   actionnaire.  —  Allemand  ou  Français  '? 
(Bruit.) 

M.  Wallut.  —  M.  Baumann  est  né  dans  un  moulin, 
car  son  père  était  meunier  à  Strasbourg. 

Il  a  été  élevé  dans  le  moulin  de  son  père.  M.  Bau- 
mann a  donc  acquis,  en  matière  de  meunerie,  une  com- 
pétence tout  à  fait  spéciale. 

Ensuite,  il  est  devenu  associé  de  son  oncle,  puis 
directeur  de  la  Société  Baumann  frères.  Cette  Société 
possède  à  l'heure  actuelle  à  Strasbourg  un  moulin  tout 
à  fait  remarquable  à  tous  les  points  de  vue.  Ce  moulin 
est  excessivement  important,  puisqu'il  broie  actuelle- 
ment 2,400  quintaux  de  blé  en  24  heures.  C'est,  à  mon 
avis,  le  moulin  le  mieux  monté  d'Europe.  Vous  voyez 
que  M.  Baumann  nous  est  précieux  à  tous  égards. 

Le  même  actionnaire.  —  Je  retiens  ceci,  que  M. 
Baumann  est  un  meunier,  qu'il  a  un  ou  des  moulins 
très  importants  en  Allemagne,  et  qu'il  est  notre  con- 
current. 

On  voit  qu'à  cette  époque,  l'honorable  M.  Wallut 
était  un  chaud  partisan  de  M.  Lucien  Baumann.  Il 
serait  intéressant  de  savoir  si,  depuis  lors,  son  juge- 
ment ne  s'est  pas  modifié.  Mais  ce  qui  est  encore  plus 
curieux,  c'est  le  débat  suivant,  tel  qu'il  nous  est 
rapporté  dans  La  Vie  Financière  du  17  avril    1905  : 

Séance  du  16  avril. 

Un  actionnaire.  -  On  nous  a  demandé  pourquoi 
M.  Baumann  était  à  la  tête  de  l'administration  des 
Grands  Moulins  de  Corbeil,  et  comment  il  se  faisait 
qu'il  pût  y  avoir  ici  un  Allemand,  ex-soldat  allemand^ 
dit-on,  membre  de  la  municipalité  de  Strasbourg,  et 
propriétaire  de  moulins  allemands. 

M.  Baumann  ne  joue  évidemment  pas  ici  le  rôle  de 
terre-neuve,  venu  pour  sauver  une  société  qui  tombe. 
C'est  un  intérêt  de  spéculation  qui  le  guide. 

Mais  il  y  a  un  fait  beaucoup  plus  grave.  Si,  malheu- 


LUCIEN    BAUMANN  37 

reusement,    une   guerre    éclatait   entre   la   France    et 
l'Allemagne,  que  deviendrait  M.  Baumann  ? 

Vous  savez  que  les  Grands  Moulins  de  Corbeil  appro- 
visionnent une  partie  de  Paris.  Il  est  facile  de  faire  des 
provisions  de  grains  et  de  farine.  Que  ferait  M.  Bau- 
mann ?  Resterait-il  Français  pour  servir  les  intérêts 
des  actionnaires  ? 

Un  autre  actionnaire.  —  En  matière  d'industrie,  il 
n'y  a  pas  de  nationalisme.  Amenez-nous  des  Russes  et 
des  Japonais,  pourvu  qu'ils  nous  donnent  des  dividendes. 

Il  est  dommage  que  le  nom  de  cet  actionnaire  si 
patriote  n'ait  point  passé  à  la  postérité.  Certainement, 
en  prononçant  ces  paroles,  il  a  dû  se  croire  un  homme 
très  fort.  Le  jour  où,  la  guerre  étant  déclarée,  les 
Grands  Moulins  passeraient  instantanément  aux 
mains  de  l'autorité  militaire  allemande,  —  les  colla- 
borateurs de  M.  Lucien  Baumann  ayant  aussitôt 
revêtu  leurs  uniformes  —  ou  bien,  paralysés,  cesse- 
raient de  moudre,  cet  homme  très  fort  s'apercevrait 
qu'il  a  proféré  une  énorme  bêtise...  Mais  écoutez  la 
fin  ; 

M.  Wallut.  —  M.  Baumann  est  Alsacien.   11  est  né 

Français.   Ses  parents  avaient  des  établissements  en 

Lorraine  et  il  est  resté,  comme  beaucoup  d'autres,  en 

Alsace. 

Un  actionnaire.  —  Il  n'a  pas  opté. 

M.  Wallut.  —  Il  avait  trois  ans. 

L actionnaire.  —  Depuis,  il  a  eu  vingt  ans  et  il  aurait 
pu  devenir  Français. 

Quelque  temps  après  l'installation  définitive  de 
M.  Lucien  Baumann,  il  y  eut  des  tiraillements  au  sein 
des  actionnaires  des  Grands  Moulins  de  Corbeil, 
certains  se  plaignant  d'être  frustrés  au  bénéfice  du 
fonds  de  réserve.  Au  cours  de  la  séance  agitée  de 


38  l'avant- GUERRE 

l'assemblée  générale  du  13  avril  1908,  un  des  plus 
anciens  membres  du  conseil  d'administration,  l'hono- 
rable M.  J...,  fit  les  intéressantes  déclarations  sui- 
vantes : 

Enfin,  ne  me  sentant  pas  capable  de  donner  aux 
Moulins  de  Corbeil  l'impulsion  nouvelle  qu'il  leur  fallait, 
je  suis  allé  demander  à  des  gens,  de  mes  amis,  M.  V..., 
ici  présent,  votre  vice-président,  M.  B...,  qui  est  empêché 
d'assister  aujourd'hui  à  l'assemblée  pour  raison  de  santé, 
d'entrer  au  conseil  d'administration.  Je  vous  rappellerai 
que  ces  messieurs  sont,  en  Belgique,  synonymes  de 
probité  et  d'honneur.  C'est  moi  qui  les  ai  introduits  au 
conseil  d'administration,  et  j'espère  que  les  actionnaires 
ne  me  paieront  pas  d'ingratitude. 

MM.  V....  et  B....,  qui  sont  gens  d'honneur  et  de  pro- 
bité, sont  allés  trouver  un  de  leurs  amis,  particulière- 
ment compétent  en  matière  de  meunerie,  M.  Baumann, 
votre  directeur  actuel etc.. 

Ainsi  donc,  d'après  Monsieur  J...,  c'est  à  la  Bel- 
gique que  nous  sommes  redevables  de  l'introduction 
de  la  juiverie  allemande  dans  les  Grands  Moulins  de 
Corbeil  dont  dépend  l'approvisionnement  de  Paris. 
Ce  processus  n'est  pas  unique. 

A  la  suite  de  la  campagne  que  nous  avions  entre- 
prise depuis  plusieurs  mois  contre  le  formidable 
danger  de  confier  la  direction  des  Grands  Moulins 
de  Corbeil  à  un  étranger,  M.  le  sénateur  Le  Breton 
intervint  au  Sénat,  le  mardi  25  juin  1912.  Cette  in- 
tervention amena  de  la  part  de  M.  Fernand  David, 
alors  Ministre  du  Commerce,  l'affirmation  que  M.  Lu- 
cien Baumann  n'était  pas  étranger  :  «  Le  Directeur 
de  la  société  dont  vous  parlez  est  Français  »,  dit-il. 

Il  fallait  au  ministre  Fernand  David  une  stupé- 
fiante audace  pour  qu'il  osât  faire  une  semblable 
réponse. 


LUCIEN    BAUMANN  39 

Lucien  Baumann  appartient  à  une  famille  juive 
allemande,  quelques-uns  disent  d'origine  badoise, 
campée  en  Alsace  depuis  plusieurs  générations. 

La  réponse  faite  par  l'actionnaire  en  1905  à  l'as- 
semblée générale  du  16  avril  et  la  prévision  des  diffi- 
cultés à  venir  incitèrent  Lucien  Baumann  à  «  devenir 
Français  ».  Il  alla  trouver  son  compatriote  Jacques 
Grumbach,  allié  du  traître  juif  Alfred  Dreyfus,  neveu 
de  l'espion  juif  Emile  Weyl  et  chargé  par  le  gouver- 
nement de  la  République  du  contrôle  et  de  la  police 
des  étrangers,  de  la  sûreté  nationale,  au  deuxième 
bureau  de  la  direction  générale  au  ministère  de  l'In- 
térieur. A  la  suite  de  démarches  sans  doute  compli- 
quées, car  elles  demandèrent  un  certain  temps*, 
l'acte  de  dénationalisation  attestant  que  Lucien  Bau- 
mann avait  cessé  de  posséder  la  nationalité  d'Alsa- 

1.   Ces    formalités    ont  été  simplifiées  par  la  création  des 

bureaux  de  naturalisation.  Le  nombre  des  étrangers  qui  vivent 

liez  nous  et  les   facilités  qu'ils  ont  à  revêtir  la  nationalité 

française  devaient  faire  naître  ces  fabriques  de  «  citoyens  deux 

fois  français  ». 

On  relève  que,  de  1867  à  1889,  la  moyenne  annuelle  des 
naturalisations  était  de  458  ;  depuis  1889,  elle  est  de  5,968 
Pour  la  seule  période  1910-1911,  on  en  a  compté  13,430. 

Un  dernier  convoi  de  plus  de  treize  mille  étrangers  a  donc 
porté,  l'année  dernière,  le  nombre  total  de  ceux-ci  en  France 
à  cent  vingt  mille.  Et  ce  nombre  n'est  plus  exact,  à  l'heure 
actuelle,  car  la  période  1911-1912  nous  aura  valu,  sans  aucun 
doute,  un  contingent  i^lus  considérable  encore  que  la  précé- 
dente. 

On  sait  que  le  gouvernement  a  ordonné  une  plus  grande 
sévérité  dans  la  surveillance  des  étrangers.  Cette  mesure,  de 
l'application  de  laquelle  nous  avons  quelques  raisons  de 
douter,  concerne  naturellement  les  étrangers  non  naturalisés. 
Mais  croit-on  que  ces  derniers  soient  les  seuls  dangereux?  Et 
n'y  aurait-il  pas  une  lourde  erreur  à  s'hypnotiser  sur  la  vertu 
de  cet  acte  administratif  qui  s'appelle  la  natm^alisation. 

Mais  revenons  à  ces  fameux  bureaux  de  naturalisation  dont 
nous  avons  signalé  plus  haut  la  création.  Naturellement  les 


40  lAvANT-GUERRE 

cien  lui  fut  délivré  par  la  préfecture  de  Strasbourg 
en  date  du  15  juin  1907,  à  l'effet  de  sa  réintégration 
dans  la  qualité  de  Français  en  vertu  de  la  loi  du 
26  juin  1889  et  par  application  de  l'article  18  du 
Code  civil. 

Cette  formalité,  réclamée  par  le  rôle  d'adminis- 
trateur des  Grands  Moulins  de  Corbeil,  n'empêchait 
nullement  Lucien  Baumann  de  demeurer  Allemand 
comme  devant.  En  effet,  d'après  la  loi  allemande,  la 
qualité  d'Allemand  ne  se  perd  jamais,  d'où  l'adage 
«  Semel  Germanus  semper  germanus.  »  Le  projet  de 
loi  Delbruck,  du  nom  du  secrétaire  d'État  allemand 

tenanciers  de  ces  officines  font  une  abondante  réclame.  Voici 
la  reproduction  d'une  affiche  apposée,  par  les  soins  de  l'un 
d'eux,  sur  les  murs  de  Lj'^on  : 

AVIS   AUX   ÉTRANGERS 

NATURALISATION 

MM.  les  Étrangers  qui  désireraient  devenir  Citoyens  Fran- 
çais, feront  bien  de  profiter  des  facilités  accordées  par  les  Loîs 
sur  la  Nationalité  de  1889  et  1893,  et  de  s'adresser  au 

BUREAU  DES  NATURALISATIONS 
DIRIGÉ  par  J.- Alfred  CHILD 

Expert-traducteur  juré  près  les  tribunaux,  auteur  du  «  Manuel 
de  Naturalisation  française  «,  1,  rue  Constantine  (au  premier), 
LYON,  de  1  heure  à  4  heures  ou  de  6  heures  à  7  heures  du 

soir. 

(Si  Von  écrit,  Indiquer  la  profession,  Vârje  et  depuis  com- 
bien de  temps  on  habite  la  France  sans  interruption  et  si 
on  est  marié  ou  non.) 

Prompte  exécution  de  toutes  les  formalités  exigées  pour  la 
naturalisation  des  Etrangers. 

On  fait  venir,  légaliser  et  timbrer  les  Actes  de  l'Etat  Civil 
français  et  étrangers.  —  Lettres  de  Commerce  (Abonnements). 
—  Traduction  officielle  de  tous  actes,  pièces,  jugements,  pro- 
têts, etc.  —  Formalités  pour  la  constitution  de  Sociétés  «  Li- 
mited ». 


LUCIEN   BAUMANN  41 

qui  l'a  présenté  au  Reichstag,  le  23  février  1912,  dit 
formellement  à  ce  sujet  : 

Il  est  vrai  que  nous  reconnaissons  qu'il  y  a  des 

CAS  où  UN  CITOYEN  ALLEMAND  SE  TROUVANT  A   l'ÉTRAN 
GER  POURRAIT  AVOIR  UN  INTÉRÊT  A  ACQUERIR,   A  COTÉ 

DE  LA  VIEILLE  NATIONALITÉ,   une  ^nouvelle 

NATIONALITÉ,  ET  QUE,  TOUT  EN  POSSÉDANT  CETTE  DER- 
NIERE, IL  POURRAIT  EN  MÊME  TEMPS  REPRÉSENTER 

UTILEMENT  LES  INTÉRÊTS  DE  SA  VIEILLE 
PATRIE.   Pour  faire  face  a  cette   éventualité, 

NOUS  AVONS,  DANS  LA  NOUVELLE  LOI,  UNE  DISPOSITION 
DÉCLARANT  QUE  CEUX  QUI  AURONT  DEMANDÉ  ET  OBTENU 
LA  NATIONALITÉ  DANS  UN  PAYS  ÉTRANGER,  MAIS  EN  ONT 
PRÉALABLEMENT  AVERTI  LES  AUTORITÉS  COMPÉTENTES 
DE  LEUR  PAYS  ET  EN  ONT  OBTENU  l' AUTORISATION, 

NE  PERDENT  PAS  LA  NATIONALITÉ  ALLE- 
MANDE. 

Voilà  qui  est  carré.  Voilà  qui  est  net.  Soyez 
certains  que  Lucien  Baumann  avait  préalablement 
averti  les  autorités  compétentes  de  son  pays,  ou 
mieux  que  les  autorités  compétentes  de  son  pays  lui 
avaient  elles-mêmes  donné  le  conseil  de  se  «  faire 
Français  »,  de  «  devenir  Français  ».  M.  Fernand 
David,  ex-ministre  du  Commerce,  est  un  bien  grand 
ignorant,  s'il  ne  connaît  pas  la  loi  Delbruck.  Il  est 
un  bien  grand  coupable,  si,  la  connaissant,  il  ose  faire 
la  réponse  qu'il  a  faite  à  M.  le  sénateur  Le  Breton. 

M.  Fernand  David  n'avait  qu'à  demander  à  son 
collègue  du  Ministère  de  la  Guerre,  si  Lucien  Bau- 
mann, «  devenu  Français  »  dans  une  intention  très 
DÉTERMINÉE,  uc  figurait  pas  sur  une  certaine  liste  de 
personnages  à  surveiller  et  à  arrêter  dès  la  première 
heure  de  la  mobilisation,  liste  qui  aurait  survécu  à 
la  destruction,  par  les  amis  du  traître  Dreyfus,  du 


42  l'avant-guerre 

Bureau  des  Renseignements.  Payant  d'audace  et 
sentant  la  situation  intenable,  le  juif  allemand  Lu- 
cien Baumann  écrivit  à  M.  le  sénateur  Le  Breton  la 
lettre  suivante  : 

Corbeil,  le  26  juin  1912. 
Monsieur  le  Sénateur, 

Je  lis  dans  le  Journal  Officiel  d'aujourd'hui  que, 
dans  la  séance  d'hier,  vous  avez  déclaré  à  la  tribune  du 
Sénat  que  la  Société  des  Grands  Moulins  de  Corbeil 
était  placée  sous  la  direction  d'un  étranger,  on  dit 
même  d'un  officier  de  la  Land\Yehr  allemande. 

Comme  cette  allégation  me  vise  personnellement,  la 
vérité  m'oblige  à  la  rectifier  d'une  façon  très  nette. 

Né  à  Strasbourg  en  1867,  de  parents  français,  j'ai  dû, 
après  1870,  rester  avec  ma  famille  dans  mon  pays 
natal;  mais,  sur  ma  demande,  j'ai  obtenu,  en  1907,  ma 
réintégration  dans  la  nationalité  française. 

Je  suis  donc  Français,  et,  non  seulement  je  n'ai  jamais 
été  officier  allemand,  mais  encore  je  suis,  depuis  ma 
réintégration,  soumis  aux  lois  militaires  françaises,  fai- 
sant partie  de  la  classe  1907. 

Veuillez  agréer,  Monsieur  le  Sénateur,  l'expression 
de  mes  sentiments  distingués. 

Signé  :  Lucien  Baumann. 

Je  faisais  remarquer  le  lendemain  que  Lucien 
Baumann,  étant  juif,  né  de  parents  juifs,  n'avait 
aucun  droit,  en  aucune  circonstance,  au  titre  de 
Français. 

Mais  j'entrai  dans  sa  fiction  de  «  juif  égale  fran- 
çais »,  et  je  posai  à  ce  juif  les  questions  que  voici  : 

1°  Si  Lucien  Baumann  est  si  Français  que  ça, 
comment  a-t-il  attendu  de  1870  à  1907  —  c  est-à-dire 
trente-sept  ans  —  pour  demander  sa  réintégration? 
N 'a-t-il  pas  précisément  attendu  d'être  délié  de  toute 
obligation  militaire  réelle  en  France? 


LUCIEN   BAUMANN  43 

2°  Comment  peut-il  se  faire  que,  sujet  allemand 
de  1870  à  1907,  il  ait  échappé  à  la  conscription  alle- 
mande? IL  EST  IMPOSSIBLE  QU'iL  n'aIT  PAS  ACCOMPLI 
SON  SERVICE  MILITAIRE  EN  ALLEMAGNE  ; 

S""  Sa  réintégration  dans  l'armée  française  en  1907, 
à  Vâge  de  quarante  ans  —  c'est-à-dire  dans  la  réserve 
de  la  territoriale^  —  est  une  mauvaise  plaisanterie. 
Dans  quel  corps  français,  en  effet,  satisfait-il  à  cette 
illusoire  obligation  militaire? 

Je  concluais  : 

«  On  saisit  ici  sur  le  vif  l'aplomb  phénoménal  de 
«  cet  agent  juif-allemand  qui  combine  toutes  choses 
«  pour  «  se  faire  Français  »,  de  façon  que  cette  na- 
«  turalisation  à  la  Grumbach  ne  comporte  pour  lui 
if.  aucune  obligation  militaire  en  France,  alors  que 
«  forcément  il  avait  dû  remplir  son  obligation  mili- 
«  taire  en  Allemagne  !  Juif  de  naissance,  Allemand 
«  de  choix,  puis  «  Français  »  par  nécessité,  soldat 
«  allemand,  réserviste  de  la  territoriale  française, 
«  cet  agent  de  l'étranger  qui  nous  affame,  nous  me- 
«  nace  et  essaie  de  nous  jeter  de  la  poudre  aux 
«  yeux,  en  attendant  de  nous  tirer  du  plomb  dans 
R  le  corps,  est  complet.  » 

Ces  considérations  étaient  exposées  et  ces  ques- 
tions étaient  posées  dans  le  numéro  de  VAction 
Française  du  28  juin  1912.  Il  n'y  fut  fait  aucune  es- 
pèce de  réponse  par  le  principal  intéressé.  Or,  peu 
de  temps  après,  nous  recevions  la  lettre  suivante  que 
nous  adressait  quelqu'un  de  très  compétent  : 

Monsieur  le  rédacteur  en  chef, 

Dans  le  numéro  de  ï Action  Française  du  28  juin  1912, 
vous  avez  reproduit  une  lettre  du  sieur  Lucien  Baumann 
adressée  à  M.  le   sénateur  Le  Breton.  M.  Baumann  y 


44  l'avant-guerre 

déclare  que,  né  à  Strasbourg  en  1867,  il  a  obtenu  en  1907 
sa  réintégration  dans  la  nationalité  française  et  que, 
depuis  lors,  il  est  soumis  aux  lois  militaires  françaises, 
faisant  partie  de  la  classe  1907. 

Dans  les  commentaires  dont  vous  faisiez  suivre  cette 
lettre,  vous  observiez  que  M.  Baumann,  réintégré  dans 
l'armée  française  en  1907,  à  l'âge  de  quarante  ans,  était 
classé  dans  la  réserve  de  l'armée  territoriale. 

Voulez-vous  me  permettre  de  vous  signaler  qu'il  y  a 
là,  de  votre  part,  une  légère  erreur?  Ce  que  vous  dites 
serait  vrai  si  nous  étions  encore  sous  l'empire  de  la  loi 
de  recrutement  du  15  juillet  1889,  laquelle  disposait,  dans 
son  article  12,  que  «  les  individus  devenus  Français  par 
voie  de  naturalisation,  réintégration  ou  déclaration  faite 
conformément  aux  lois,  sont  portés  sur  les  tableaux  de 
recensement  de  la  première  classe  formée  après  leur 
changement  de  nationalité  »,  mais  (<  ne  sont  assujettis 
qu'aux  obligations  de  service  de  la  classe  à  laquelle  ils 
appartiennent  par  leur  âge  » . 

Mais  la  loi  du  21  mars  1905  a  modifié  ces  dispositions. 
Son  article  12,  après  avoir  ordonné,  comme  celui  de  la 
loi  de  1889,  l'inscription  des  naturalisés  ou  réintégrés 
sur  les  tableaux  de  recensement  de  la  première  classe 
formée  après  leur  cliangement  de  nationalité,  ajoute,  en 
effet  : 

•<  Les  individus  inscrits  sur  les  tableaux  de  recense- 
ment en  vertu  du  présent  article...  sont  incorporés  en 
même  temps  que  la  classe  avec  laquelle  ils  ont  pris  part 
aux  opérations  du  recrutement.  Ils  sont  tenus  d'accom- 
plir le  même  temps  de  service  actif,  sans  que  toutefois 
cette  obligation  ait  pour  effet  de  les  maintenir  sous  les 
drapeaux...  au  delà  de  leur  vingt-septième  année  révolue. 
Ils  suivent  ensuite  le  sort  de  la  classe  avec  laquelle  ils 
ont  été  incorporés.  Toutefois,  ils  sont  libérés  à  titre  défi- 
nitif à  l'âge  de  cinquante  ans  au  plus  tard.  •> 

Il  suit  de  là  que  le  sieur  Lucien  Baumann,  réintégré 
dans  la  nationalité  de  Français  en  1907,  à  l'âge  de  qua- 
rante ans,  a  été  incorporé  en  même  temps  que  la  classe 
1907,  mais  dispensé  de  service  actif.  11  suit  le  sort  de 
cette  classe,  laquelle,  incorporée  en  1908,  a  été  libérée 
en   191U  et  versée   dans  la  réserve  de  l'armée  active. 


LUCIEN    BAUMANN  45 

M.  Baumann  fait  donc  partie  de  la  réserve  de  l'armée 
active,  et  y  restera  jusqu'à  sa  libération  définitive,  en 
1917,  car  à  cette  époque  la  classe  1907  sera  encore  dans 
la  réserve  de  l'armée  active. 

Cette  classe  1907  doit  faire  cette  année  même  sa  pre- 
mière période  de  23  jours.  M.  Baumann  va  donc  revêtir, 
s'il  ne  l'a  déjà  fait,  l'uniforme  français. 

Veuillez  agréer,  Monsieur  le  rédacteur  en  chef,  l'ex- 
pression de  mes  sentiments  les  plus  dévoués. 

Un,  commandant  de  reeruiemeni 
en  retraite. 


D'après  ceci,  le  juif-allemand,  délégué  aux  Grands 
Moulins  de  Corbeil,  à  l'approvisionnement  de  Paris 
par  le  gouvernement  allemand,  a  dû  revêtir  l'uniforme 
français  pour  une  période  de  23  jours.  Voici  Lucien 
Baumann  à  cheval  sur  deux  devoirs  militaires,  puis- 
que, comme  nous  l'avons  expliqué,  sa  naturalisation 
française  et  même  sa  parodie  de  service  militaire 
français  à  l'âge  de  quarante  ans  ne  Verupêchent  nulle- 
tnentj  aux  termes  de  la  loi  allemande,  de  denfieurer 
un  bon  et  fidèle  sujet  allemand.  Ainsi  donc,  dès  la 
première  heure  de  la  mobilisation,  habillé  d'un  uni- 
forme mi-parti,  français  à  droite,  allemand  à  gauche, 
un  casque  à  pointe  négligemment  fiché  sur  son  képi 
de  soldat  de  deuxième  classe,  M.  Landwehr-Réserve 
Lucien  Baumann  aurait  toute  facilité  de  saboter, 
d'une  main  solide,  «  zum  befehl  »,  la  première  mino- 
terie de  France,  de  façon  à  affamer  Paris. 

Non  content  d'avoir  fait  marcher  pour  sa  défense 
le  ministre  du  Commerce  Fernand  David,  le  juif-alle- 
mand Lucien  Baumann  fit  encore  donner  en  son  hon- 
neur le  président  du  Conseil  d'administration  des 
Grands  Moulins  de  Corbeil,  M.  Benjamin  Rossier, 
qui  tint  le  discours  suivant  à  l'assemblée  générale 


46  l'avant-guerre 

d'octobre  1912  {L'Information  du  dimanche  27  octo- 
bre 1912). 

Messieurs, 

Permettez-moi  d'ajouter  quelques  paroles  au  rapport 
de  votre  conseil  d'administration. 

Nous  désirons  en  effet  adresser  aujourd'hui,  devant 
tous,  un  témoignage  reconnaissant  à  M.  Lucien  Bau- 
mann,  pour  la  façon  intelligente  et  expérimentée  dont  il 
a  su  prendre  en  mains  la  défense  de  vos  intérêts,  depuis 
le  jour   où  il  a  été  appelé  à  rénover   les   Moulins  de 

Corbeil. 

La  situation  prospère  qu'il  a  réussi  à  leur  reconquérir 
lui  a  attiré  des  attaques  aussi  violentes  qu'injustifiées. 
On  l'a  traité  d'étranger,  et  on  a,  par  déduction,  présenté 
votre  Société  comme  une  minoterie  à  la  solde  de  l'Alle- 
magne. 11  est  nécessaire  de  protester  hautement  contre 
de  pareilles  allégations.  M.  Baumann,  né  à  Strasbourg 
en  1867,  a  réclamé  sa  réintégration  de  Français,  quand, 
après  avoir  réorganisé  votre  entreprise,  il  consentit  à 
quitter  sa  ville  natale  et  la  haute  situation  qu'il  y  occu- 
pait, pour  se  consacrer  à  la  direction  des  Grands  Mou- 
lins de  Corbeil,  affirmant  ainsi  qu'il  était  Français  par 
le  cœur  autant  que  par  la  naissance. 

Quant  à  votre  Société,  ce  n'est  pas  à  vous.  Messieurs, 
que  nous  aurions  à  déclarer  qu'elle  est  une  Société  émi- 
nemment française;  française  par  ses  origines,  française 
par  ses  actionnaires,  française  par  son  conseil  d'admi- 
nistration, française  par  son  personnel,  française  par 
toutes  les  ressources  qu'elle  est  prête  à  mettre  au  ser- 
vice du  pays  à  son  premier  appel. 

Mais  nous  avons  tenu  à  proclamer  ici  ces  vérités  que 
vous  connaissez  tous,  afin  que  vous  soyez  assurés  que, 
sans  nous  laisser  émouvoir  par  d'injustes  polémiques, 
M.  Baumann  et  nous,  nous  continuerons  à  remplir, 
comme  par  le  passé,  notre  devoir  de  mandataires,  sou- 
cieux de  contribuer  à  la  prospérité  de  votre  Société,  et 
certains  de  justifier  ainsi  la  confiance  que  vous  voulez 
bien  nous  témoigner. 

Cette  apologie  du  juif  allemand  Lucien  Baumann 


LUCIEN    BAUMANN  47 

est  d'une  bouffonnerie  cynique.  Si  quelqu'un,  en  effet, 
était  peu  qualifié  pour  délivrer  un  pareil  certificat 
de  civisme  français,  c'était  certainement  M.  Benjamin 
Rossier. 

Premièrement,  M.  Rossier  n'est  pas  Français  mais 
Suisse.  De  plus,  en  tant  qu'émanant  du  président  du 
Conseil  d'administration  des  Grands  Moulins  de  Cor- 
beil,  son  attestation  forcément  intéressée  n'a  aucune 
espèce  de  valeur.  M.  Rossier  est  également  adminis- 
trateur délégué  de  la  Banque  suisse  et  française  et 
chacun  connaît  les  attaches  allemandes  de  ladite 
Banque  suisse  et  française,  laquelle  fait  les  affaires 
des  Grands  Moulins  de  Corheil  et  est  en  étroites  et 
constantes  relations  d'affaires  avec  elle.  Il  suffit  de 
consulter  la  liste  des  personnalités  composant  le  Con- 
seil d'administration  de  l'une  et  l'autre  Société  pour 
s'en  convaincre. 

Enfin  ce  n'est  pas  devant  une  assemblée  d'action- 
naires et  par  la  voix  d'un  président  du  Conseil  d'ad- 
ministration que  Lucien  Baumann  eût  dû  répondre 
indirectement  à  nos  accusations.  C'est  devant  l'opi- 
nion publique. 

Lucien  Baumann,  malgré  ses  défenseurs  mala- 
droits, eût  dû  être  deux  fois  suspect  au  gouvernement 
français  en  sa  double  qualité  de  juif  et  d'Allemand. 

Or  il  n'est  pas  le  seul  de  sa  race  aux  Moulins  de 
Corbeil  et,  malgré  les  affirmations,  sans  valeur  du 
reste,  de  M.  Rossier,  nous  persistons  à  affirmer  que 
le  haut  personnel  de  ces  moulins  était  tout  récem- 
ment encore  peuplé  de  juifs  et  de  sujets  allemands 
ou  suisses  allemands.  Les  créatures  de  Lucien  Bau- 
mann y  foisonnent. 

Mais,  dira-t-on,  s'il  est  en  effet  déplorable  qu'un 
établissement  de    cette    importance   soit    entre  les 


48  l'avant-guerre 

mains  d'un  Allemand  en  temps  de  paix  *,  il  n'est 
pas  douteux  qu'en  temps  de  guerre  ses  services 
seraient  réquisitionnés  par  l'autorité  militaire.  Telle 

1.  Dans  une  seule  journée  Lucien  Baumann  a  pu  provoquer 
impunément  une  hausse  de  trois  francs  par  quintal  de  blé.  Le 
résultat  a  été  de  faire  monter  immédiatement  le  prix  du  pain 
de  5  centimes  le  demi-kilogramme. 

Décidé  à  provoquer  une  crise  sur  le  blé  au  début  de  l'été  1912, 
mais  devinant  que  son  rôle  serait  dénoncé  et  flairant  que  des 
questions  lui  seraient  posées  par  des  actionnaires  récalcitrants, 
il  racheta  à  tour  de  bras  ses  propres  actions  des  Moulins  de 
Corbeil  comme  un  homme  qui  aura  besoin  à  un  moment  donné 
de  tenir  complètement  la  Société  dont  il  est  ladministrateur- 
délégué. 

Le  14  février  1912,  Lucien  Baumann  faisait  acheter  35  ac- 
tions ; 
Le  15,  il  en  faisait  acheter  84; 
Le  17,  il  en  faisait  acheter  20  ; 
Le  20,  il  en  faisait  acheter  13  ; 
Le  21,  il  en  faisait  acheter  41  ; 
Le  22,  il  en  faisait  acheter  4  ; 
Le  23,  il  en  faisait  acheter  34  ; 
Le  26,  il  en  faisait  acheter  45  ; 
Le  27,  il  en  faisait  acheter  35; 
Le  28,  il  en  faisait  acheter  21; 
Le  29,  il  en  faisait  acheter  2. 

Ces  achats  se  poursuivaient  pendant  tout  le  mois  de  mars. 
Le  16  mars,  Lucien  Baumann  faisait  acheter  100  actions  d'un 
coup  et,  le  19,  il  en  faisait  acheter  51.  Dans  l'intervalle,  il  ne 
vendait  pas  un  seul  titre. 

Cependant  les  Journaux  qui  se  disent  patriotes  taisaient  le 
nom  et  le  cas  de  Baumann. 

Seul,  à  la  Chambre,  le  socialiste  Lauche  a  osé  tenir  le  dis- 
cours suivant  :  «  Ce  sont  les  grands  meuniers  qui  ont  spéculé 
à  la  hausse,  en  accaparant  le  blé,  et  vous  ne  les  frappez  pas. 
Vous  les  connaissez  pourtant  bien.  Il  y  a  le  directeur  des 
Moulins  de  Corbeil.  C'est  ce  meunier,  un  Allemand,  qui 
détient  le  blé.  Que  feriez-vous  en  cas  de  conflit  international, 
vous  qui  vous  dites  patriotes?  Les  Moulins  de  Corbeil  ont  joué 
à  la  hausse  et  ont  étranglé  le  marché.  En  même  temps  ils 
vendent  la  farine  à  un  prix  qu'aucun  petit  meunier  ne  peut 
offrir.  Il  y  a  là  une  manœuvre  abominable  qui  consiste  à  faire 
monter  le  prix  du  blé  et  à  ruiner  le  petit  commerce.  » 


LUCIEN    BAUMANN  49 

est  sans  doute  l'intention  du  gouvernement.  C'est 
alors  aussi  que  risque  d'intervenir  le  sabotage  pa- 
triotique allemand,  dès  que  sera  apposé  sur  les 
murs  le  décret  de  mobilisation.  L'envahissement 
allemand  en  temps  de  paix  permet  ce  sabotage  sys- 
tématique en  temps  de  guerre,  facilite  la  destruction 
des  magasins  d'approvisionnement  et  des  travaux 
d'art,  lignes  de  chemins  de  fer,  communications  télé- 
graphiques, aqueducs,  viaducs,  ponts  et  forteresses. 
L'armature  industrielle  de  notre  pays  a  fait  d'im- 
menses progrès  depuis  1870-1871.  Ces  progrès  eux- 
mêmes  nous  exposent  davantage  aux  entreprises  de 
l'envahisseur,  soit  qu'il  anéantisse  et  disloque  nos 
ouvrages,  soit  qu'il  se  contente  d'éteindre  les  feux, 
de  pervertir  ou  de  supprimer  le  combustible.  On 
conçoit  ainsi  l'intérêt  qu'a  l'Allemand  à  se  glisser, 
dès  à  présent,  dans  ce  que  j'appellerai  nos  œuvres 
vives,  à  se  faire  notre  fournisseur  en  pain  blanc  d'ali- 
mentation humaine  ou  en  pain  noir  d'alimentation 
industrielle,  —  c'est-à-dire  en  charbon  —  de  façon  à 
pouvoir,  au  moment  voulu,  et  sur  un  simple  signal 
de  Berlin,   nous   affamer  de   toutes  les  manières. 

Cependant  une  note  publiée  par  V Intransigeant  ouvre  un 
jour  singulier  sur  les  procédés  employés  par  le  juif  allemand 
Lucien  Baumann  «  pour  neutraliser  d'avance  la  grande 
presse  ». 

«  Il  a  fait  fabriquer  par  sa  minoterie  un  produit  quelconque, 
«  une  farine  semblable  à  toutes  les  farines,  mais  qu'il  a  ma- 
«  nufacturée  sous  forme  de  petites  boîtes  destinées  à  être  ven- 
«  dues  au  détail.  Et  sous  prétexte  d'annoncer  ce  produit,  les 
«  représentants  de  M.  Baumann  vont  se  présenter  dans  les 
«  grands  journaux,  offrant  des  budgets  importants  de  publi- 
«  cité  aux  rédacteurs  pour  ce  produit  à  tancer. 

«  On  comprend  bien  qu'il  n'y  a  Jà  qu'un  prétexte.  Mais  dès 
«  que  les  Moulins  de  Corbeil  auront  ainsi  mis  le  pied  dans  les 
«  divers  organes  de  la  grande  presse,  ils  estiment  qu'ils  s'en 
«  seront  faits  des  amis.  » 


50  l'avant-guerre 

Je  suppose  qu'à  l'instant  où  l'autorité  militaire 
française  réquisitionnera  les  Grands  Moulins  de  Cor- 
beil,  ceux-ci  explosent  pour  une  cause  inconnue  — 
à  la  façon  d'un  simple  cuirassé  de  Toulon  —  ou,  par 
une  intervention  également  inconnue,  se  trouvent  dé- 
traqués et  incapables  de  moudre  avant  deux  ou  trois 
mois,  une  des  pièces  détachées  allemandes  essen- 
tielles à  leur  fonctionnement  manquant  comme  par 
hasard.  Il  sera  trop  tard  alors  pour  maudire  le  mé- 
chant destin  et  réunir  une  commission  d'enquête.  Dût 
Lucien  Baumann  s'arracher  les  cheveux  de  déses- 
poir, le  mal  sera  fait  et  irréparable.  La  ville  de  Paris 
sera  affamée.  Je  sais  bien  que  Lucien  Baumann  cher- 
chait récemment  à  acquérir  des  moulins  de  la  région 
du  Nord  très  connus.  Mais  ceux-ci  ne  suppléeraient 
point  en  ces  heures  critiques,  à  la  paralysie  acciden- 
telle, si  inopportune  ou  si  opportune  —  selon  qu'on 
l'envisage  de  l'un  ou  de  l'autre  côté  de  la  frontière  — 
des  Grands  Moulins  de  Corbeil. 

Ces  moulins  sont  outillés  et  organisés  de  telle 
façon  qu'en  un  quart  d'heure  ils  puissent  devenir  inu- 
tilisables. Cette  constatation,  au  dire  des  techniciens, 
serait  extrêmement  facile  à  faire,  si  on  pouvait  les 
visiter.  Mais  depuis  quelques  mois  surtout,  ces  éta- 
blissements d'utilité  publique,  et  que  chacun  a  inté- 
rêt à  contrôler,  sont  préservés  «  à  l'allemande  », 
c'est-à-dire  comme  une  forteresse,  contre  la  curiosité 
des  visiteurs  français  ^ . 

Néanmoins  nous  savons  que  l'outillage  est  alle- 
mand. Il  est  identique  à  celui  des  Grands  Moulins 
de  Strasbourg  installés  d'une  façon  grandiose  et  stra- 
tégique à  Sporeninsel.  Il  en  est  de  même,  assure-t-on, 

1.  L'huile   des  machines  provient  également  de  la  m     on 


LUCIEN    BAUMANN  51 

du  comité  technique.  Au  jour  de  la  mobilisation, 
si  une  pièce  de  rechange  manquait,  et  si  Ton  s'adres- 
sait au  fournisseur  d'Outre-Rhin,  il  est  bien  évident 
que  la  réponse  serait  :  «  Mille  regrets.  Nous  ne  pou- 
vons vous  fournir  cette  pièce.  Le  gouvernement  de 
notre  pays  l'interdit  absolument.  » 

Donc  le  gouvernement  serait  dans  l'impossibilité 
de  faire  fonctionner  les  Moulins  de  Corbeil  faute  de 
pièces  de  rechange.  Que  deviendrait  alors  cette  fa- 
meuse réquisition? 

En    attendant,    M.    l'administrateur-délégué    des 

allemande  Stern-Sonneborn  comme  en  témoigne  la  commande 
suivante  passée  par  Lucien  Baumann  : 

GRANDS  MOULINS  DE  GORBEIL 

Anciens  établissements  Darblay  et  Déranger 

Fondés  en  1830. 

Société  anonyme  au  capital  de  douze  millions  entièrement 

versé. 

Siège  social 

A 

Corbeil  (S.-et-O.) 

Adr.  Télég.  :  Corbellum-Corbeil. 
Téléphones  :  74-82-83-84-85. 

Corbeil,  4  juillet  1912. 

Société  anonyme  Stern-Sonneborn. 

Rue  Victor-Hugo 
Pantin  (Seine). 

Nous  avons  bien  reçu  votre  honorée  du  3  courant.  Nous 
avons  remplacé  l'huile  Titania  de  la  turbine  à  vapeur  par  de 
l'huile  Gloria,  le  30  juin,  et  avons  immédiatement  remarqué 
une  différence  de  température. 

Au  palier  de  butée  comme  au  palier  de  côté  régulateur,  la 
température  de  sortie  de  l'huile  était  65°  centigrades  avec 
l'huile  Tilania;  elle  est  actuellement  à  55°. 

Il  est  vrai   qu'il  faut  tenir  compte  de  l'état  de  propreté  du 


52  l'avant-guerrb 

Grands  Moulins  de  Corbeil  s'entraîne  en  temps  de 
paix  à  ruiner  les  meuniers  français. 

Le  procédé  habituel  consiste  à  forcer  la  main  aux 
acheteurs  pour  des  quantités  de  farine  supérieures  à 
leurs  besoins,  en  leur  laissant  espérer  un  crédit  pro- 
portionné à  l'importance  de  l'achat.  Puis,  quelque 

réfrigérant  qui  vient  d'être  nettoyé,  mais  il  est  toutefois  cer- 
tain que,  môme  avec  un  réfrigérant  envasé,  la  température  ne 
dépassera  pas  57  à  58'  centigrades. 

En  ce  qui  concerne  l'huile  blanche  pour  transmissions,  nous 
avons  remarqué  encore  un  abaissement  de  température,  mais 
n'avons  encore  rien  pu  noter  comme  consommation. 

A  vous  hre,  veuillez  agréer,  Messieurs,  nos  salutations 
empressées. 

Le  chet  du  service  technique. 

Illisible. 

Grands  Moulins  de  Corbeil. 
P.  P»"  de  l'administrateur-délégué, 

Illisible. 

En  s'adressant  ainsi  à  un  compatriote,  notre  homme  a  toutes 
chances  pour  être  bien  servi.  Mais  rien  ne  prouve,  par  contre, 
que  la  Société  allemande  Stern-Sonneborn  apporte  le  même 
soin  dans  la  fourniture  de  l'huile  destinée  au  scmce  des 
automobiles  de  l'armée  française.  C'est  elle  en  effet  qui  a  été 
choisie  par  le  Ministère  de  la  Guerre,  comme  en  témoigne  cet 
extrait  du  prospectus  de  la  Société  : 

MINISTÈRE 
DE   LA    GUERRE 

Après  un  concours  sécère,  tant  technique  que  pratique, 
32  concurrents  ont  été  éliminés  et 

l'Huile  Sternoline-Ossag 

a  été  SEULE  retenue  comme   remplissant  toutes   les  condi- 
tions requises  :  elle  est  donc  adoptée  exclusivement  pour  le 

SERVICE   DES   AUTOMOBILES  DE    l'aRMÉE   FRANÇAISE 

Ajoutons  qu'en  Allemagne  le  gouvernement  vient  de  décré- 
ter que  les  carburants  des  automobiles  militaires  seraient 
dorénavant  un  monopole  d'Etat  ! 


LUCIEN    BAUMANN  53 

temps  après,  Lucien  Baumann  et  ses  agents  refusent 
ou  restreignent  le  crédit  et  attaquent  les  boulangers 
et  les  courtiers  qui  ont  donné  dans  leur  panneau. 
D'où  une  série  de  litiges  qui  représentent,  pour  les 
petits  boulangers,  la  lutte  du  pot  de  terre  contre  le 
pot  de  fer.  Les  Grands  Moulins  de  Corbeil  font  par 
ailleurs  une  concurrence  acharnée  aux  meuniers 
français.  Ils  vendent  leur  farine  a  des  prix  très 

RÉDUITS,  CHOSE  ÉTONNANTE,  CAR  ILS  ONT  DES  FRAIS 
DOUBLES  :  TRANSPORT  DU  BLÉ  AUX  MOULINS  ;  TRANSPORT 
DE  LA  FARINE  SUR  LES  MARCHES. 

Lors  des  inondations  de  1910,  Lucien  Baumann 
augmenta  sa  farine  de  six  ou  sept  francs  par  gros 
sac  (150  kilogs),  au  moment  précis  où  les  boulangers 
consentaient  d'énormes  sacrifices  pour  venir  en  aide 
aux  populations.  Voilà,  pour  un  «  Français  de  la 
quarantaine  en  1907  »,  du  patriotisme  bien  entendu. 
Jugez  un  peu  de  ce  que  Lucien  Baumann  eût  fait 
s'il  était  demeuré  sujet  et  soldat  allemand  ! 

Le  2  octobre  1912,  ÏHuniimiité  signalait  un  nou- 
veau coup  de  Bourse  de  Lucien  Baumann  qui  se 
serait  livré,  d'après  elle,  à  une  opération  singulière  : 

«  L'opérateur  principal — je  n'hésite  pas  à  le  nom- 
mer —  est  un  personnage  que  ses  précédents  exploits 
en  Bourse  ont  déjà  rendu  notoire  :  c'est  M.  Bau- 
mann, directeur  des  Grands  Moulins  de  Corbeil.  Un 
peu  avant  trois  heures,  un  de  ses  représentants  à  la 
Bourse  a  déclaré  :  «  Je  prends  et  je  donne  à  30,65.  » 
C'était  là  l'étranglement  classique  du  découvert, qui, 
la  base  de  liquidation  étant  27,90,  devra  donc  payer 
une  prime  de  2,75  par  quintal.  Le  bénéfice  réalisé 
par  les  haussiers  serait,  dit-on,  considérable.  » 

Le  fait  qu'une  minoterie  joue  à  la  hausse  n'est 
évidemment  pas   banal,  mais  il  s'agissait  là  d'une 


54  L*AVANT-GUERRE 

spéculation  à  laquelle  aurait  été  mêlée  la  Banque 
Suisse  et  Française,  autrement  dit  la  banque  des 
Grands  Moulins  de  Corbeil. 

Il  était  naturel  que  les  deux  sociétés,  ayant  des 
administrateurs  communs,  eussent  partie  liée  dans 
un  coup  de  ce  genre.  Or  il  est  de  notoriété  publique 
que,  selon  l'expression  de  la  Revue  Financière  des 
Deux  Mondes,  la  Banque  Suisse  et  Française  est 
<(  une  caudataire  de  la  Deutsche  Bank  », 

Il  y  aurait  une  étude  des  plus  curieuses  à  faire  sur 
les  procédés  masqués  d'intermédiaire  et  de  substitu- 
tion qu'emploie  ainsi  la  finance  allemande  pour 
capter  et  malaxer  et  faire  servir  aux  visées  alle- 
mandes l'or  français.  Certaines  maisons,  d'apparence 
française,  ne  sont  que  des  agences  allemandes  qui 
drainent  impudemment  nos  capitaux.  Tout  cela,  en 
attendant  le  grand  projet  d'introduction  des  valeurs 
allemandes  à  la  Bourse  de  Paris,  desideratum  non 
seulement  de  toute  la  finance  juive,  mais  encore  de 
tous  les  parlementaires  français  du  clan  des  Ya, 
éminents  jetons  de  présence  dont  quelques-uns  se 
donnent  comme  de  fougueux  patriotes. 

Pour  en  revenir  à  la  Banque  Suisse  et  Française 
des  Grands  Moulins  de  Corbeil  et  de  Lucien  Bau- 
mann,  apprenez  que  : 

Sous  l'inspiration  de  la  finance  teutonne,  cette  Gret- 
chen  hybride  a  constitué  un  organisme  bizarre  qui  vient 
d'être  baptisé  sous  le  nom  de  Société  Financière  Fran- 
çaise. Cette  Société  a  été  créée,  le  13  juin  dernier,  au 
capital  de  six  millions  de  francs,  divisé  en  1.200  actions 
de  5.(^00  francs.  On  notera,  en  passant,  le  chiffre  parti- 
culièrement élevé  du  pair.  C'est  la  méthode  allemande. 

Inutile  de  dire  que  la  nouvelle  entreprise  n'a  de  fran- 
çais que  le  nom.  Il  suffît  de  lire  attentivement  ses  sta- 
tuts pour  voir  que  le  mot  «  étranger  »  y  figure   aussi 


LUCIEN    BAUMANN  55 

souvent  que  le  mot  n  français  »,  la  dernière  signification 
ne  servant  que  de  paravent. 

Or,  cette  Société,  qui  ne  compte  pas  encore  trois 
semaines  d'existence,  vient  d'avoir  l'aplomb  de  deman- 
der l'appui  de  capitaux  français  en  vue  d'un  grand 
emprunt  de  cinq  millions  de  francs,  en  10.000  obliga- 
tions de  500  francs  4  1/2  0/0  qui  seraient  émises  au  prix 
de  470  francs. 

Que  valent  de  pareils  titres? 

Pour  s'en  rendre  compte,  il  suffit  de  méditer  sur  les 
observations  suivantes  : 

1°  L'objet  de  la  Société  Financière  Française  est 
extrêmement  vague,  et  cela  à  dessein,  parce  que  son 
véritable  but,  qui  est  de  venir  en  aide  à  des  industriels 
ou  à  des  commerçants  allemands  gênés  dans  leurs 
ati'aires,  ne  pouvait  être  avoué  publiquement; 

2°  Le  Conseil  d'administration  ne  renferme  aucune 
personnalité  de  marque  ; 

3*^  Les  formalités  exigées  pour  un  appel  au  crédit  en 
France  n'ont  pas  été,  en  réalité,  observées.  La  loi 
exige,  en  effet,  la  publication  d'un  premier  bilan.  Or, 
celui-ci  ne  paraîtra  que  le  30  juin  1913,  donc  un  an 
après  la  tentative  d'émission  à  laquelle  on  procède 
actuellement  ; 

4°  Les  obligations  ne  reposent  sur  aucune  garantie, 
car  c^est  un  leurre  de  proclamer  gravement  que  ces 
titres  ont  comme  garanties  le  capital  et  les  prêts  con- 
sentis par  la  Société. 

On  se  garderait  bien  de  déclarer  que  les  prêts  en 
question  seraient  garantis  par  une  hypothèque  au  profit 
des  obligataires.  Dès  lors,  ils  n'ont  comme  sûreté  que 
les  brouillards  de  la  Sprée  ou  du  Neckar  ; 

5°  Fait  significatif  :  ni  la  Banque  de  Paris,  ni  le  Cré- 
dit Lyonnais,  ni  la  Société  Générale,  ni  aucun  de  nos 
grands  Etablissements  de  crédit  n'ont  ouvert  leurs  gui- 
chets à  la  souscription.  Ce  silence  équivaut  à  une  con- 
damnation. 


Conclusion  :    Les    Grands    Moulins    de    Corbeil, 
Lucien  Baumann,  la  Banque  Suisse  et  Française,  la 


56  l'avant-guerre 

Société  Financière  Française,  tout  cela  n'est  qu'une 
même  pompe  allemande  à  plusieurs  pistons  qui 
aspire  l'or  et  fait  monter  le  cours  du  blé.  Ces  sociétés 
allemandes  arborent  le  titre  de  «  françaises  »,  simple 
mesure  de  prudence  pour  écarter  les  soupçons  des 
patriotes  peu  clairvoyants,  et  agitent  avec  frénésie 
sur  leur  tête  notre  pavillon  national  afin  de  couvrir 
leurs  menées  diverses. 

Dans  quelle  autre  nation  civilisée  une  telle  situa- 
tion serait-elle  tolérée? 

Imagine-t-on  un  minotier  français  installé  aux 
portes  de  Berlin,  susceptible  d'affamer  Berlin  en 
vingt-quatre  heures  en  cas  de  guerre  et  s'amusant, 
en  temps  de  paix,  à  faire  la  disette  par  l'agio- 
tage? 

C'est  cependant  ce  qui  se  passe  chez  nous  trait 
pour  trait.  Le  gouvernement  de  la  République  nous 
impose  une  servitude  sans  exemple. 


DEUXIEME   PARTIE 

LA  DÉFENSE  NATIONALE 

TRIBUTAIRE  DE   L'INDUSTRIE 

ALLEMANDE 


LA  DEFENSE  NATIONALE  TRIBUTAIRE 
DE    L'INDUSTRIE    ALLEMANDE 


Ce  qui  se  passe  pour  le  pain  à  Corbeil  se  passe 
également  pour  le  charbon,  ce  pain  noir  de  l'indus- 
trie, dans  nos  forts  de  l'Est.  Avant  d'exposer  l'extra- 
ordinaire situation  qu'a  faite  de  ce  chef,  à  ces  forts, 
le  gouvernement  de  la  République,  je  tiens  à  rappe- 
ler encore  que,  de  1899  à  1905,  le  grand  État-Major 
allemand  ne  fut  plus  considéré  par  nos  gouvernants 
que  comme  une  réserve  de  témoins  éventuels  à  la 
décharge  et  en  faveur  de  Dreyfus.  Il  importait  donc 
de  mécontenter  le  moins  possible  ces  témoins,  de 
faire  tomber  une  à  une  devant  eux  toutes  les  barrières 
de  la  Défense  Nationale.  On  verrait  après...  On  a  vu. 


CHAPITRE    PREMIER 

DANS  NOS  FORTS  DE  L'EST 

LE  CHARBON  ET  L'OUTILLAGE  SONT 

FOURNIS  PAR  DES  ALLEMANDS 


LE    CHARBON 


Nous  venons  de  voir  qu'un  Lucien  Baumann,  juif- 
allemand  «  naturalisé  »  à  40  ans,  aurait  toutes  facili- 
tés pour  affamer  la  capitale  et  désorganiser  une 
grande  partie  du  marché  français,  au  moment  d'une 
déclaration  de  guerre.  De  même  les  compagnies  alle- 
mandes qui  fournissent  de  charbon  allemand  nos  forts 
de  l'Est,  pourraient  à  ce  moment  critique,  soit  en 
cessant  leurs  approvisionnements,  soit  en  pratiquant 
un  sabotage  méthodique  du  produit  livré,  contraindre 
ces  forts  à  une  inaction  dont  les  conséquences 
seraient  désastreuses. 

Si  incroyable  que  le  fait  puisse  paraître  aux 
aveugles,  qui  ont  encore  conservé  quelques  doutes 
sur  la  malf aisance  du  régime,  la  situation  est  la  sui- 
vante :  Nos  forts  de  l'Est  reçoivent  leur  charbon  de 


62  LAVANT-GUERRE 

fournisseurs  allemands,  auxquels  le  gouvernement 
français  accorde  même  des  facilités  qu'il  refuse  à 
nos  nationaux.  L'outillage  de  ces  mêmes  forts  est 
également  allemand. 

Nul  n'ignore  quel  rôle  capital  joue  la  question  du 
charbon  dans  l'industrie  moderne.  Le  charbon  est 
aussi  utile  que  le  fer  et  il  est  actuellement  hors  de 
doute  que  si  nous  voulions  interdire  à  l'Allemagne  de 
continuer  à  s'approvisionner  chez  nous  de  minerai  de 
fer  nous  irions  rapidement  à  un  conflit  armé  avec 
notre  voisine.  Sans  charbon,  sans  fer,  l'industrie  ne 
peut  vivre  et  sa  ruine  entraînerait  fatalement  et  à 
bref  délai  celle  d'un  État  aussi  essentiellement 
industriel  que  l'État  allemand. 

Mais  si  cette  question  du  charbon  est  appelée  à 
jouer  un  rôle  vital  dans  l'industrie  en  temps  de  paix, 
ce  rôle  n'est  pas  moindre  dans  l'industrie  de  la  guerre. 

Si  le  charbon  donne  la  vie  à  toutes  ces  puissantes 
machines  qui  distribuent  la  chaleur,  la  force,  la 
lumière,  c'est  aussi  grâce  à  lui  que  nos  arsenaux 
s'emplissent.  Sans  lui  nos  vaisseaux  seraient  des 
corps  sans  vie.  Sans  lui  nos  forts  de  l'Est  ne  pour- 
raient plus  faire  entendre  les  puissantes  voix  dont 
retentiront  un  jour  peut-être  proche,  les  échos  de 
nos  frontières.  Il  faut  donc  que  ces  sentinelles  vigi- 
lantes soient  largement  approvisionnées. 

C'est  le  premier  devoir  d'un  gouvernement  d'y 
tenir  la  main  et  aussi  d'exercer  sans  relâche  une 
surveillance  continuelle  sur  la  qualité  du  charbon 
livré.  Cette  fourniture  doit  être  entourée  de  toutes  les 
garanties  possibles. 

La  première  devra  être  demandée  à  la  nationalité 
du  fournisseur.  Il  faudra  s'adresser  avant  tout  à  un 
fournisseur  français.  L'État  pour  son  industrie  mili- 


DANS    NOS    FORTS    DE    l'eST  63 

taire  ne  peut  agir  comme  un  simple  particulier  qui, 
lui,  a  toujours  le  droit  de  rechercher  les  conditions 
financières  les  plus  avantageuses. 

Même  si  ses  nationaux  demandaient  pour  leur  four- 
niture un  prix  plus  élevé  que  celui  offert  par  la  con- 
currence étrangère,  l'Etat  ne  devrait  pas  hésiter  à 
l'acceptt^r.  C'est  son  intérêt  certain. 

En  s'adressant  à  son  ennemi,  dont  le  devoir 
patriotique  est  l'opposé  du  sien,  l'Etat  commet  un 
véritable  crime  contre  la  Patrie. 

C'est  de  ce  crime  que  se  rend  coupable  notre  gou- 
vernement quand  il  approvisionne  nos  forts  les  plus 
importants,  les  plus  menacés,  à  l'aide  d'un  combus- 
tible fourni  par  notre  ennemi  éventuel.  Il  les  expose 
ainsi,  pour  le  jour  de  la  déclaration  de  guerre,  soit  à 
la  paralysie,  soit  au  sabotage.  Car  le  charbon  fait 
partie  de  l'outillage  du  fort  et  de  son  approvisionne- 
ment au  même  titre  que  le  pain  est  la  base  de  l'ali- 
mentation. Le  charbon  est  indispensable  aux  dyna- 
mos actionnant  les  grosses  pièces  de  siège.  Il  est 
indispensable  à  la  forge,  à  l'atelier  de  réparations.  Il 
est  indispensable  au  chauffage.  Le  fort  sans  charbon 
est  frappé  d'inanition.  Il  n'a  pas  d'autre  alternative 
que  de  se  faire  sauter  lui-même  ou  de  se  rendre  à 
l'adversaire. 

Parmi  les  principaux  fournisseurs  du  charbon  uti- 
lisé dans  nos  forts  de  l'Est,  se  trouvent  deux  firmes 
allemandes  : 

1*"  La  maison  Hansen  et  Neuerburg  de  Sarrebrûck* 
dont  l'agent  à  Nancy  serait  un  juif  du  nom  de  P...  ; 

1.  Dès  l'apparition  dans  VAetion  Française  de  nos  pre- 
mières notes  sur  la  germanisation  par  le  combustible  des 
forts  français  dans  la  région  de  l'Est,  c'est-à-dire  au  mois  de 
décembre  1911,   alors  que  les  principaux  journaux  de  Paris, 


64  l'avant-guerre 

2®  La  compagnie  des  mines  de  la  Houve,  dont  le 
siège  est  à  Strasbourg,  1,  rue  du  Faisan,  qui  compte 


même  patriotes,  jugeaient  inutile  de  signaler  à  leurs  lecteurs 
que  la  plupart  de  nos  forts  de  l'Est  étaient  approvisionnés  de 
charbon  allemand,  notre  confrère  Hubert  Baill}'  nous  apportait 
sa  contribution  dans  les  lignes  suivantes  : 

«  La  maison  allemande  Hansen  et  Neuerburg  a  son  siège  à 
Paris,  3,  rue  de  La  Boëtie,  et  des  succursales,  notamment  à 
Sarrebrûck  et  à  Nancy. 

«  Le  directeur  de  la  succursale  de  Nancy  se  nomme  Mau- 
rice Madère. 

«  Indépendamment  de  la  maison  Hansen  et  Neuerburg,  les 
forts  et  camps  retranchés  du  7*  corps,  tels  que  Belfort,  Lan- 
gres,  Epinal,  sont  alimentés  en  charbon  par  MM.  Chatel  et 
Dollfus,  de  Belfort,  et  ceux-ci  fournissent  exclusivement  du 
charbon  allemand. 

«  Ajoutons  que  Chatel  et  Dollfus  fournissent  aussi,  toujours 
exclusivement  de  charbons  de  provenance  allemande,  un 
grand  nombre  d'administrations  publiques  de  la  région,  le 
lycée  de  Vesoul,  pour  nous  borner  à  un  seul  exemple. 

«  Nous  nous  bornons  pour  aujourd'hui  à  ces  indications 
précises,  que  le  Ministère  de  la  Guerre  ne  démentira  pas.  « 

On  m'affirme  —  de  source  sérieuse  —  que  l'un  des  deux 
propriétaires  de  la  maison  allemande  Hansen  et  Neuerburg, 
laquelle  approvisionne  en  charbon  allemand  plusieurs  de  nos 
forts  de  l'Est,  serait  consul  d'Allemagne  à  Charleroi.  Le 
renseignement  est  à  vérifier  sur  place.  S'il  était  exact,  il  en 
résulterait  que  ce  personnage  officiel  allemand  aurait  accès, 
comme  fournisseur  de  l'État  français,  dans  nos  forts  français! 

On  m'assure  aussi  que  la  maison  allemande  Hansen  et 
Neuerburg,  de  Sarrebriick,  aurait,  avec  la  Compagnie  du 
Gaz  à  Paris,  un  contrat  qui  lui  assurerait  le  monopole  de  la 
vente  du  coke  aux  industriels  abonnés  de  ladite  Compagnie. 
Quand  une  autre  maison  se  présenterait  chez  ces  industriels 
pour  leur  proposer  du  coke,  il  serait  répondu  :  «  Impossible. 
Nous  devons  nous  fournir   chez  Hansen  et  Neuerburg.   « 

On  raconte  encore  que  pendant  la  crise  franco-allemande  de 
l'été  de  1911  on  pouvait  voir,  dans  la  gare  de  Neufchâtcau, 
des  soldats  français  en  unijorme,  déchargeant  du  charbon 
d'un  wagon  tout  Jîambant  neuf  portant  les  aigles  alle- 
mandes. Ce  charbon  était  destiné  aux  ouvrages  français, 
tf  Spectacle  honteux  »  et  symbolique.  Venez  donc  nier,  après 
cela,  que  le  gouvernement  de  la  République  soit  bien  celui  de 
l'étranger  ! 


DANS    NOS   FORTS    DE    l'eST  65 

dans  son  conseil  de  surveillance  M.  H.  d'Olsinger 
et  le  baron  de  Stûcklé,  et  qui  a  pour  directeur 
M.  Uhry. 

Ceci  n'est  d'ailleurs  qu'un  point  secondaire.  Ce  qui 
est  inouï,  invraisemblable  et  scandaleux,  &est  que 
ces  fournitures  de  charbon  allemand,  livré  par  des 
maisons  allemandes  à  nos  forts  de  VEst,  aient  été 
ohteriues  par  adjudication. 

Si  nous  ouvrons  le  cahier  des  clauses  et  conditions 
générales  imposées  aux  titulaires  de  tous  les  marchés 
relatifs  au  département  de  la  Guerre  (du  16  février 
1903)  à  la  page  9,  article  25  :  «  Provenance  des  four- 
nitures » ,  on  lit  ceci  ; 

Sauf  exceptions  prévues  dans  le  cahier  des  charges 
spéciales,  les  matières  et  denrées  livrées  doivent  être 
d'origine  française,  ou  provenir  des  colonies  françaises 
ou  des  pays  de  protectorat.  Les  effets  et  objets  doivent 
être  de  confection  ou  de  fabrication  française,  ou  avoir 
été  confectionnés  ou  fabriqués  soit  dans  les  colonies 
françaises,  soit  dans  les  pays  de  protectorat.  Le  titulaire 
du  marché  aura  à  justifier  de  l'origine,  toutes  les  fois 
qu'il  en  sera  requis. 

Je  n'ai  pas  besoin  de  m'étendre  longuement  sur  la 
nécessité  absolue  d'une  telle  précaution,  dont  on  re- 
trouve la  trace  dans  tous  les  cahiers  des  charges 
spéciales.  En  voici  un  exemple  pris  au  hasard,  dans 
le  cahier  des  charges  des  ateliers  de  construction  de 
Lyon  : 

Article  12.  —  Les  charbons  doivent-  provenir  exclu- 
sivement des  mines  françaises.  Les  briquettes  peuvent 
être  obtenues  avec  des  matières  de  provenance  étran- 
gère, pourvu  qu'elles  aient  été  fabriquées  dans  des 
usines  françaises. 


6Ç  l'avant-guerre 

Mais  depuis  quelques  années,  les  cahiers  de 
charges  spéciales  laissent  là-dessus  une  étrange  lati- 
tude. J'ai,  par  exemple,  sous  les  yeux  celui  du  20^ 
corps  d'armée,  du  i®""  avril  1911  au  31  mars  1912. 
J'y  lis  à  l'article  3  :  Coyiditions  de  provenance  : 

Par  exception,  les  combustibles  de  provenance  étran- 
gère seront  admis  dans  les  livraisons  à  faire  dans  les 
places  ci-après,  pourvu  qu'ils  remplissent  les  condi- 
tions de  qualité  énumérées  à  l'annexe  1  du  cahier  des 
charges  communes  et  du  présent  cahier  des  charges 
spéciales...  Toutefois,  les  adjudicataires  ne  pourront 
livrer  des  combustibles  de  provenance  étrangère  qu'au- 
tant que  cette  provenance  aura  été  nettement  spécifiée 
dans  leur  soumission. 


Suit  une  énumération  des  places  ainsi  consacrées 
au  combustible  allemand  et  à  des  adjudicataires  qui 
ne  sont  autres,  évidemment,  que  les  agents  des  mai- 
sons allemandes  :  Baccarat,  Bourlémont,  Frouard, 
Lunéville,  Manonviller,  Nancy,  Neufchâteau,  Pagny- 
la-Blanche-Côte,  Pont-à-Mousson,  Pont- Saint- Vin- 
cent, Rambervillers,  Saint-Nicolas-du-Port  et  Toul... 
C'est,  comme  on  le  voit,  assez  coquet. 

Il  serait  fort  intéressant  de  savoir  quelle  influence 
est  intervenue  au  ministère  de  la  Guerre,  pour 
annihiler  une  clause  et  condition  essentielle,  et  même 
nationale,  au  bénéfice  des  mines  allemandes  de  la 
Houve  et  de  la  firme  allemande  Hansen  et  Neuer- 
burg.  Le  bon  marché  relatif  des  charbons  allemands 
ne  saurait  être  une  explication.  En  effet,  en  admet- 
tant que  les  mines  et  houillères  françaises  du  Nord 
et  du  Pas-de-Calais  fassent  des  prix  plus  élevés  que 
les  compagnies  allemandes,  il  existe  une  multitude 
de  firmes  françaises  ayant  en  mains,  par  marchés 


DANS   NOS    FORTS    DE    l'eST  67 

réguliers,  des  charbons  allemands  susceptibles  d'être 
livrés,  même  par  adjudication,  à  de  bons  prix  pour 
les  intérêts  de  nos  forts.  Ces  maisons,  au  point  de 
vue  de  la  défense  nationale,  offriraient  toutes  les 
garanties.  En  cas  de  guerre,  elles  pourraient  très 
bien  prévoir,  dans  leurs  contrats,  des  remplacements 
de  charbons  allemands  par  des  charbons  de  mines 
françaises,  avec  lesquelles  elles  travaillent  égale- 
ment. 

En  d'autres  termes,  il  y  a  deux  choses  dans  un 
contrat  :  la  livraison  et  le  livreur.  Non  seulement,  le 
gouvernement  français,  quand  il  s'agit  des  forts  de 
l'est,  accepte,  au  mépris  du  cahier  des  charges 
générales,  la  livraison  allemande  ;  mais  il  accepte 
encore,  sans  nécessité,  le  livreur  allemand. 

Demandons-nous  maintenant  ce  qui  se  passerait  au 
moment  de  la  déclaration  de  guerre  :  à  la  page  14, 
article  38  de  la  même  brochure  bleue  du  ministère 
de  la  Guerre,  on  lit  ceci  : 

Sauf  indications  contraires,  contenues  dans  les  cahiers 
des  charges  spéciales,  le  cas  de  guerre  ne  dégage  pas 
l'entrepreneur  des  obligations  qu'il  a  contractées.  Tou- 
tefois, si  les  conditions  du  marché  ont  été  profondé- 
ment modifiées  du  fait  de  la  guerre,  l'entrepreneur  est 
admis  à  réclamer  au  ministre,  sauf  recours  au  Conseil 
d'Etat,  soit  la  résiliation  pure  et  simple  du  traité,  soit 
le  paiement  d'une  indemnité  équitable. 

De  deux  choses  l'une  :  ou  la  firme  Hansen  et 
Neuerburg  et  la  compagnie  des  mines  de  la  Houve 
continueraient,  en  cas  de  guerre  franco-allemande, 
d'approvisionner  de  charbon  nos  forts  de  l'Est.  Ou 
elles  rompraient  le  contrat  et  cesseraient  leurs  livrai- 
sons. 


68  L*AVANT-GUERRE 

Dans  le  premier  cas,  je  n'ai  pas  à  insister  sur  le 
danger  de  confier  à  l'adversaire  en  armes  l'approvi- 
sionnement en  charbon  de  nos  forts.  C'est  comme  si 
un  particulier  confiait  les  clés  de  sa  maison  à  son 
pire  ennemi  et  le  chargeait  d'aller  faire  ses  provisions 
de  bouche.  On  voit  d'ici  les  conséquences.  La  firme 
Hansen  et  Neuerburg,  les  mines  de  la  Houve  se  trou- 
veraient dans  la  cruelle  nécessité  ou  bien  de  trahir 
l'Allemagne,  en  livrant  de  l'excellent  combustible 
aux  forts  français  de  l'Est,  ou  bien  de  tromper  la 
France  en  lui  livrant,  pour  sa  défense  immédiate,  un 
mauvais  charbon  i.  Dans  la  crise  de  tension  politique 
et  économique  précédant  la  déclaration  de  guerre,  la 
même  redoutable  alternative  se  poserait  quant  au 
stock  de  réserve.  J'imagine  les  angoisses  par  les- 
quelles ont  dû  passer  MM.  Hansen  et  Neuerburg  et 
les  mines  de  la  Houve,  pris  entre  leurs  obligations 
professionnelles  et  leur  devoir  national,  pendant 
la  récente  période  d'alarme  juillet-août-septembre 
1911  2. 

1.  Comme  illustration  aux  risques  que  fait  courir  l'emploi 
du  charbon  étranger,  un  correspondant  me  communiquait  la 
note  suivante  :  «  Vers  la  fin  de  la  guerre  de  Sécession,  les 
Confédérés  aux  abois,  bloqués  de  toutes  parts  par  les  escadres 
fédérales,  s'avisèrent  de  laisser  capturer  par  l'ennemi  un 
navire  chargé  de  briquettes  de  charbon.  Naturellement  les 
fédéraux  s'en  servir  pour  chauffer  leurs  navires  de  guerre. 
Or,  certaines  de  ces  briquettes  étaient  bourrées  de  poudre. 
Des  explosions  se  produisirent  dans  les  chaufferies,  et  certains 
navires  furent  immobilisés  pour  longtemps.  » 

Ceci,  c'est  le  péril  n"  2,  par  sabotage  direct.  Le  péril  n'  1, 
par  refus  de  livraison  du  combustible,  par  la  faim  noire,  est 
à  la  fois  plus  banal  et  plus  menaçant. 

2.  Ecoutez  ceci,  qui  est  d'hier  et  que  m'affirment  des  per- 
sonnes bien  renseignées.  Dès  le  début  de  la  dernière  tension 
diplomatique  au  sujet  du  Maroc-Congo,  le  gouvernement 
français  demanda  à  la  maison  Clément-Bayard  un  dirigeable 
neuf.  D'autre  part,  comme  il  y  en  avait  en  service  plusieurs 


DANS    NOS    FORTS    DE    l'eST  69 

Dans  le  second  cas, —  rupture  brusque  du  contrat, 
—  je  laisse  à  penser  le  désarroi  que  causerait  dans 
l'approvisionnement  en  combustible  de  nos  forts,  sur 
la  zone  la  plus  menacée,  ce  changement  soudain  de 
fournisseurs,  au  moment  de  la  mobilisation  !  Une 
pareille  mesure  équivaudrait  au  désarmement  de 
plusieurs  de  nos  forts  de  l'Est,  dès  le  début  des  hos- 
tilités. 

Pendant  qu'on  chercherait,  au  milieu  du  trouble 
général,  à  s'approvisionner  ailleurs,  en  toute  hâte, 
les  colonnes  allemandes  passeraient  tranquillement 
sous  des  forts  français  aux  feux  éteints. 

La  raison  se  refuse  vraiment  à  admettre  que  les 

de  son  système,  on  lui  donna  l'ordre  de  mettre,  le  plus  tôt 
possible,  des  pièces  de  rechange  à  la  disposition  de  l'autorité 
militaire. 

Parmi  les  organes  essentiels  du  dirigeable  sont  les  radia- 
teurs. Ceux  qu'on  utilise  sur  les  Bayard  sont  de  fabrication 
allemande.  Clément  avisa  le  fournisseur.  La  réponse  aurait 
été  :  «  Le  gouvernement  allemand  nous  interdit  absolument 
de  vous  faire  la  livraison.  »  C'est  alors  qu'on  aurait  eu 
recours  aux  services  de  la  maison  française  Grouvclle- 
Arquimbourg. 

De  toutes  façons,  le  gouvernement  allemand  serait  dans  son 
rôle  en  faisant  cette  réponse,  car  c'est  être  dupe  que  de 
donner,  de  ses  propres  mains,  fût-ce  sous  forme  de  pièces 
détachées,  des  avantages  à  son  ennemi  éventuel. 

Mais  vous  conviendrez  que  ce  qui  s'est  produit  pour  des 
radiateurs  pourrait  très  bien  se  produire  pour  le  charbon  de 
nos  forts  de  l'Est.  Que  deviendraient  ceux  de  ces  forts  qu 
sont  les  clients  de  la  maison  Hansen  et  Neuerburg  ou  de  la 
Compagnie  de  la  Houve,  le  jour  où  la  tension  s'accentuant 
entre  la  France  et  l'Allemagne,  ces  firmes  allemandes  leur 
déclareraient  :  «  Le  gouvernement  allemand  nous  interdit 
absolument  de  vous  faire  la  livraison.  »  Il  est  bien  probable 
que  les  intendants  militaires  des  régions  menacées  regrette- 
raient amèrement  alors  leur  folle  confiance  et  les  exceptions 
«  en  faveur  du  combustible  de  provenance  étrangère  «  de 
leurs  cahiers  des  charges  spéciales.  Mais  hélas!  il  serait  trop 
tard. 


70  l'avant-guerre 

pouvoirs  publics,  qui  devraient  être  compétents  en  la 
matière,  n'aient  pas  entrevu  et  même  violemment 
pressenti  les  inconvénients  si  graves  que  présente- 
rait en  temps  de  paix  la  fourniture,  par  des  maisons 
allemandes,  du  charbon  de  nos  forts  et  ses  dangers 
terribles  en  cas  de  guerre. 

On  ne  voit  guère  qu'une  raison  possible  :  l'éco- 
nomie *.  Il  résulte  de  mon  enquête  qu'en  effet,  les 
maisons  allemandes  livrent  leur  charbon  allemand  à 
des  prix  plus  ba-s  que  ne  le  livrent  les  maisons 
françaises,  auxquelles  l'autorité  militaire  aurait  un 
intérêt  national  à  s'adresser.  Il  s'agit  précisément 
de  savoir  si,  dans  ce  cas,  cet  intérêt  national  ne 
prime  pas,  et  de  beaucoup,  l'intérêt  tout  court.  Il 
s'agit  aussi  d'envisager  si  ces  bas  prix,  ces  «  jorix  de 
sacrifice  »,  consentis  par  les  maisons  allemandes,  en 
cas  de  fourniture  aux  forts  français  de  l'Est,  ne  sont 
pas  suspects,  s'ils  ne  sont  point  recommandés  ou 
commandés  par  le  gouvernement  allemand,  désireux 
d'avoir  ainsi  la  main  sur  nos  défenses  de  frontière  et 
de  pouvoir,  à  la  mobilisation,  les  paralyser  instan- 
tanément. Le  fait  qu'une  pareille  question  peut  s'im- 
poser au  patriotisme  justement  vigilant  et  inquiet 
est  de  trop,  P^emarquez  bien  ceci  :  quand  la  maison 
Fried  Krupp  a  besoin  pour  ses  canons  de  minerai 
français,  elle  s'adresse  à  M.  Thyssen,  conseiller 
privé  de  l'empereur  Guillaume  II,  possesseur  et  ex- 
ploiteur des  mines  du  Calvados  et  de  la  Manche. 
Quand  nos  forts  de  l'Est  ont  besoin  de  combustible, 
non  seulement  celui-ci  est  allemand,  mais  encore  il 
est  livré  à  nos  forts  par  des  firmes  allemandes.  Du 

1.  Nous  avons  vu  que  celte  raison  ne  .saurait  être  prise  au 
sérieux.  Quand  l'intérêt  national  est  en  jeu  il  est  de  bonne 
politique  de  ne  pas  lésiner  sur  les  prix. 


DANS    NOS    FORTS    DE    L*EST  71 

côté  allemand,  on  est  garanti.  Du  côté  français,  on 
ne  l'est  pas. 

J'arrive  à  la  question  d'intérêt  matériel,  de  prix 
de  transport,  qui  sert  d'excuse  à  l'intendance  mili- 
taire française,  —  de  mauvaise  excuse,  —  pour  ger 
maniser  en  combustible  nos  forts  de  l'Est  et  risquer 
ainsi,  soit  le  sabotage,  soit  l'extinction  des  feux  au 
moment  de  la  mobilisation.  L'un  de  mes  correspon- 
dants explique  la  chose  avec  beaucoup  de  clarté. 
Je  lui  cède  ici  la  parole  :  «  Par  exemple,  pour  la 
«  place  de  Neufcliàteau,  le  transport  de  dix  tonnes 
«  venant  du  Nord  français  est  environ  de  100  francs, 
«  tandis  que  celui  de  dix  tonnes  de  la  vSarre  est  d'en- 
«  viron  89  francs.  Pour  Nancy,  la  différence  est 
a  encore  plus  forte  en  faveur  des  houilles  alleman- 
((  des.  Comme  prix  d'achat,  les  houilles  du  Nord 
c(  sont  plus  chères  que  celles  de  la  Sarre.  Seulement, 
a  la  qualité  des  ciiarbons  français  est  bien  supé- 
«  rieure.  Ils  sont  moins  flambants  et  donnent  plus 
«  de  chaleur. 

«  Le  plus  surprenant,  c'est  que  nous  avons,  en 
«  Lorraine  française,  des  gisements  de  houille  très 
(f  importants  et  que  l'on  ne  peut  exploiter,  en  raison 
«  des  difficultés  que  soulève  l'État  français.  On  dirait 
«  que  le  gouvernement  français  favorise  Ventrée  des 
«  houilles  allemandes^  en  imposant  des  charges  exa- 
«  gérées  aux  Français  qui  voudraient  exploiter  les 
«  gisements  de  la  Lorraine  française.  » 

C'est  ici  le  moment  de  faire  remarquer  que  le  kar- 
tel  allemand,  —  institution  d'État,  sous  le  contrôle 
du  gouvernement  de  l'Empire,  —  favorise,  par  tous 
les  moyens,  l'exportation  du  combustible  allemand. 
Notamment,  il  majore  le  prix  de  vente  au  consom- 
mateur allemand,  ce  qui  lui  permet  de  livrer  à  très 


72  l'avant-guerre 

bas  prix  à  la  clientèle  étrangère.  Ce  procédé,  com- 
mun à  beaucoup  de  kartels  allemands,  est  d'ailleurs 
emprunté  aux  trusts  américains.  D'autre  part,  les 
tarifs  des  chemins  de  fer  allemands  sont  sensible- 
ment inférieurs  aux  nôtres.  Enfin,  tout  combustible 
destiné  à  l'exportation  bénéficie  encore  d'une  forte 
réduction  sur  ces  tarifs.  Or,  en  vertu  des  fameuses 
«  conventions  scélérates  »  établies  en  1884,  par  le 
juif  Raynal,  les  charbons  étrangers  introduits  en 
France  sont  admis  à  voyager  sur  tous  nos  réseaux, 
aux  tarifs  de  leurs  pays  d'origine.  C'est  ainsi  qu'un 
wagon  de  charbon  du  bassin  de  la  Ruhr,  expédié  à 
Paris,  paie  moins  de  transport  qu'un  wagon  expédié 
de  Lens  ou  d'Anzin. 

Nous  retrouvons  ici  le  processus  habituel  :  d'un 
côté,  —  du  côté  gouvernemental  français,  —  aban- 
don, négligence,  trahison  des  intérêts  les  plus  évi- 
dents du  pays  et  de  l'industrie  nationale.  De  l'autre, 

—  du  côté  gouvernemental  allemand,  —  effort  d'ex- 
pansion et  de  pénétration  nationales  sur  toute  la 
ligne. 

Non  contente  de  ces  avantages,  l'Allemagne  n'hésite 
pas  à  se  servir  de  la  fraude,  —  vraisemblablement 
de  complicité  avec  l'Etat  français  qui  ferme  les  yeux, 

—  pour  faciUter  encore  ce  qu'on  appelle  «  l'invasion 
noire  »,  l'invasion  du  pain  noir  de  l'industrie.  J'ai 
sous  les  yeux  une  lettre  de  voiture  ayant  servi  au 
transport  d'un  wagon  de  charbon  allemand.  L'expé- 
diteur est  le  directeur  d'une  mine  appartenant  à  un 
très  haut  personnage  de  l'Etat  allemand.  Ce  wagon 
de  charbon  a  profité  d'un  tarif  de  faveur  dit  «  pour 
la  troupe  ».  L'expression  «  pour  la  troupe  »  est  por- 
tée, en  toutes  lettres,  sur  la  feuille  de  routage.  Or, 
il  y  a  fraude,  car  la  station  destinataire,  —  Four- 


DANS    NOS    FORTS    DE    l'eST  73 

mies-Nord,  —  ne  possède  pas  de  troupes,  et  le  wa- 
gon était  tout  bonnement  destiné  à  un  marchand  qui 
en  a  pris  livraison.  Il  parait  que  ce  procédé  est  cou- 
rant. Il  montre,  en  tout  cas,  à  quel  point  les  Alle- 
mands se  gênent  peu  chez  nous. 

Le  correspondant  que  je  citais  tout  à  l'heure  ajou- 
tait :  «  En  réalité,  l'économie  faite  par  l'État  fran- 
A  çais,  en  acceptant  les  houilles  allemandes  pour  les 
«  besoins  de  notre  défense  nationale,  n'est  pas  con- 
«  sidérable.  Il  serait  même  difficile  de  soutenir  qu'il 
«  y  ait  intérêt  matériel  à  accepter  ces  houilles  sou- 
«  vent  pierreuses,  qui  demanderaient  tout  au  moins 
«  une  surveillance  constante  et  des  analyses.  Car  il 
«  n'est  pas  du  tout  certain  qu'elles  répondent  aux 
«  conditions  des  cahiers  des  charges.  » 

Si,  maintenant,  élargissant  la  question,  nous  nous 
plaçons  au  point  de  vue  de  l'avenir  des  mines  et  des 
charbonnages  français,  nous  y  trouvons  un  autre 
sujet  d'inquiétude.  L'invasion  méthodique,  continue 
et  favorisée  du  combustible  allemand,  en  s'accen- 
tuant,  amènera  bientôt  une  paralysie  de  toute  la 
production  houillère  française.  Le  fléau  du  chômage, 
qui  commence  à  se  manifester  sur  maint  carreau  de 
mine,  ira  s'aggravant,  avec  son  cortège  d'émeutes  et 
de  troubles  économiques.  Ici,  comme  en  d'autres  cir- 
constances^ c'est  à  la  guerre  civile  entre  Français 
qu'aboutit  l'envahissement  allemand. 

Il  est  bien  entendu  que  le  gouvernement  français 
serait  armé  pour  résister  à  cet  envahissement,  s'il  le 
voulait.  Il  n'aurait  —  comme  la  loi  l'y  autorise  — 
qu'à  frapper  le  charbon  allemand  d'un  droit  com- 
pensateur au  montant  des  primes  dont  il  bénéficie 
dans  son  pays  d'origine.  Mais  il  y  a  quelque  ironie  à 
parler   de   ce  moyen,    alors   que   le  gouvernement 


74  l'avant-guerre 

républicain  donne  précisément  une  prime  au  char- 
bon allemand,  quand  il  s'agit  des  forts  de  la  fron- 
tière. 

La  vérité  est  que,  pour  avoir  la  paix,  et  aussi  par 
cupidité,  le  gouvernement  de  la  République  n'a 
cessé,  surtout  depuis  l'affaire  Dreyfus  et  la  sup- 
pression du  bureau  des  renseignements,  de  concéder 
à  l'Allemagne  tous  les  avantages  qu'elle  a  voulus, 
en  fournitures  d'Etat  industrielles  et  commerciales, 
même  et  surtout  intéressant  la  défense  nationale,  en 
concessions  minières,  en  privilèges  aux  compagnies 
maritimes,  etc.,  etc..  C'est  ainsi  que  l'appétit  de 
notre  puissante  voisine  s'est  encore  accru  en  man- 
geant. 

Hier,  c'était  le  Congo,  qu'elle  engloutissait.  De- 
main,  ce  sera  l'introduction  des  valeurs  d'Etat  alle- 
mandes sur  le  marché  de  Paris  qu'elle  exigera  d'un 
ton  belliqueux.  Après -demain,  ce  sera  l'établisse- 
ment d'un  véritable  Gibraltar,  sinon  à  Cherbourg,  au 
moins  aux  environs,  à  Diélette,  par  exemple.  Nous 
en  arriverons  ainsi  à  payer  rançon,  à  être  démem- 
brés, dépecés  en  pleine  paix  apparente,  comme  après 
une  guerre  désastreuse. 

Voilà  donc  nos  forts  approvisionnés  en  charbon 
allemand  par  Hansen  et  Neuerburg  et  les  mines  de 
la  Houve,  autrement  dit  à  la  merci  du  combustible 
allemand.  Mais  ce  n'est  pas  tout.  Ils  sont  encore  à 
la  merci  de  V outillage  de  transport  allemand.  Vienne 
la  guerre  ils  pourront  tout  comme  les  Grands  Moulins 
de  Corbeil,  être  frappés  en  quelques  heures  de  para- 
lysie. 

C'est  en  effet  à  la  firme  allemande  Orenstein  et 
Koppel  (Arthur  Koppel  de  Berlin)  que  nos  forts  de 
l'Est,  notamment  Belfort,  Toul,  Saint-Mihiel  et  Ver- 


DANS    NOS    FORTS    DE    l'eST  75 

dun,  demandent  la  fourniture  d'un  type  de  locomotives 
chargées  de  faire  le  service,  au  dire  de  Koppel  lui- 
même,  sur  le  tracé  de  nos  forts.  Ces  locomotives  à 
essieu  breveté  permettent  aux  roues  motrices  de  s'ins- 
crire dans  de  très  fortes  courbes,  à  cause  du  nombre 
de  ces  roues,  malgré  la  puissance  relative  que  ce  bre- 
vet permet  de  leur  réserver.  La  principale  référence 
allemande  de  ces  locomotives  Koppel  est  l'adminis- 
tration de  la  Guerre  pour  les  forts  de  la  Lorraine  an- 
nexée. Leur  principale  référence  française  est  la 
clientèle  de  nos  forts  de  l'Esté.  La  mise  en  route  et 
les  essais  de  ces  machines  sont  effectués  par  les  re- 
présentants et  mécaniciens  de  Koppel,  lesquels  ont 
ainsi  toutes  facilités  pour  l'inspection  périodique  de 
nos  forts  de  l'Est.  Il  est  superflu  d'ajouter  que  toutes 

1.  La  Société  Orenstein  et  Koppel  affectionne  d'une  manière 
toute  spéciale  les  terrains  militaires.  Ne  lisait-on  pas,  en  effet, 
dans  le  Matin  du  5  juin  1912,  les  lignes  suivantes  : 

«  Sur  le  plateau  de  Satory,  à  Versailles,  au  centre  de  l'or- 
ganisation  défensive  et  des  approvisionnements  de  guerre 
d'une  partie  importante  du  camp  retranché  de  Paris,  la  cons- 
truction d'une  voie  ferrée  militaire  a  été  depuis  peu  commen- 
cée pour  desservir  les  ouvrages  fortifiés  et  les  magasins.  Tout 
le  travail  de  la  voie,  en  partie  en  déblai,  est  effectué  par  une 
puissante  machine  excavatrice  à  vapeur,  véritable  monument, 
provenant  de  la  maison  A.  Koppel,  de  Spandau.  Les  diffé- 
rentes parties  de  cette  machine  ont  été  un  beau  jour  déposées 
sur  le  plateau,  dans  un  très  grand  nombre  de  caisses  volumi- 
neuses venant  directement  de  Prusse.  Des  Allemands  sont 
venus  ensuite  procéder  au  montage  et  à  la  mise  en  marche, 
toujours  en  plein  milieu  d'un  terrain  militaire,  où  opèrent  à  la 
fois,  chaque  jour,  une  commission  des  poudres,  une  commis- 
sion de  réception  de  mitrailleuses,  de  cartouches,  etc.,  etc., 
sans  parler  de  tous  les  divers  établissements  militaires  qui 
sont  situés  sur  le  même  terrain.  » 

Le  plus  fort  c'est  que  la  machine  en  question  portait  en 
grosses  lettres  l'indication  de  sa  provenance  allemande.  Mais 
nous  n'en  sommes  plus  à  nous  étonner  du  sans-gêne  alle- 
mand sous  l'œil  bienveillant  de  nos  gouvernants. 


76  l'avant-guerre 

les  pièces  de  rechange  nécessaires  aux  réparations 
viennent,  comme  pour  les  Grands  Moulins  de  Corbeil, 
directement  d'Allemagne. 

Mais  qu'est-ce  donc  que  cette  fameuse  Société 
Orenstein  et  Koppel  à  laquelle  nous  sommes  rede- 
vables de  ces  magnifiques  locomotives  si  complai- 
santes, si  roulantes  en  temps  de  paix  mais  qui  le 
seraient  sans  doute  moins  si  l'empereur  Guillaume 
nous  déclarait  la  iruerre? 

Cette  société  allemande,  comme  son  nom  l'indique 
assez  clairement,  a  fusionné  en  1911  avec  la  société 
des  chemins  de  fer  à  voie  étroite  Decau ville. 

Les  personnalités  compétentes  en  la  matière  s'ac- 
cordent à  reconnaître  que,  en  temps  de  guerre  ces 
très  ingénieux  petits  chemins  de  fer  Decauville,  que 
tout  le  monde  connaît,  auraient  une  importance  con- 
sidérable. On  les  installe  avec  facilité.  On  les  trans- 
porte aisément  d'un  point  à  l'autre.  Pour  toutes  les 
besognes  de  transport,  ds  suppléeraient  avec  avan- 
tage la  traction  par  chevaux,  et  chacun  sait  que  la 
raréfaction  de  notre  cavalerie,  —  raréfaction  augmen- 
tée par  les  récents  achats  en  chevaux  de  l'Allemagne, 
—  est  une  des  préoccupations  du  ministère  de  la 
Guerre.  Au  jour  de  la  mobilisation,  les  Decauville 
auraient  en  particulier  ce  double  rôle  : 

i°  Transporter  les  matériaux  de  défense  dans  les 
places; 

2*"  Alléger  les  convois  et  transports  de  l'ar- 
rière. 

C'est  à  ce  titre  que  nous  nous  occupons  de  la 
nouvelle  firme  allemande  qui  a  fusionné  avec  Tan- 
cienne  société  Decauville,  car,  nous  n'envisageons 
dans  ces  études,  que  les  compromis,  industriels  ou 
autres,  qui  ont  un  intérêt  quant  à  la  Défense  Natio- 


DANS    NOS    FORTS   DE    l'eST  77 

nale.  Même  ainsi  délimité,  le  champ  demeure  assez 
vaste  et  menaçant . 

Voici  d'abord,  d'après  V Annuaire  des  Sociétés  par 
actions  en  quoi  consistait  la  Société  Nouvelle  des  Eta- 
blissements Decauville  aîné  : 

Capital: 4  millions  de  francs  divisés  en 40,000  actions 
de  100  francs  entièrement  libérées.  —  Obligations  : 
5,000  de  50O  fr.,  4  0/0  remboursables  de  1898  à  1942. 

Durée  :  50  ans,  du  31  décembre  1894. 

Objets  :  Exploiter  les  établissements  industriels  de 
Corbeil  (Seine-et-Oise)  connus  sous  le  nom  de  «  Etablis- 
sements Decauville  aîné  »,  ceux  du  Val-Saint-Lambert, 
commune  de  Seraing  (Belgique)  et  ceux  de  Petite- 
Synthe,  près  Dunkerque  (Nord),  avec  la  clientèle  et 
l'achalandage  y  attachés,  ainsi  que  tous  brevets, 
marques  de  fabrique,  immeubles,  matériel,  marchan- 
dises, droits  de  toute  nature,  etc.,  en  dépendant,  le  tout 
provenant  de  la  liquidation  de  la  Société  des  Établisse- 
ments Decauville  aine;  construire  du  matériel  de  che- 
min de  fer,  dit  a  chemin  de  fer  Decauville  »  ou  autre; 
construire  tous  objets  et  machines  se  rattachant  au  ma- 
tériel de  chemin  de  fer  fixe  ou  roulant  à  voie  étroite  ou 
normale;  construire  et  vendre  rails,  locomotives,  chau- 
dières, machines  à  vapeur,  excavateurs. 

Voici  maintenant  un  extrait  de  rapport  qui  de- 
mande à  être  lu  avec  soin. 

Orenstein  und  Koppel- Arthur  Koppe] 
Aktiengesellschaft,  Berlin 


Résultats  de  l'exercice  ayant  pris  Jîn 
le  31  décembre  1910. 


RAPPORT    DU    CONSEIL   D  ADMINISTRATION 

Les  statuts  de  notre  Société  devront  être  modifiés  en 


78  L*  AVANT-GUERRE 

vue  de  la  communauté  d'intérêts  avec  la  Lûbecker 
Maschinenbau  Gesellschaft,  de  Lûbeck,  et  la  Société 
Nouvelle  des  Etablissements  Decauville  aîné  de  Paris, 
ainsi  que  de  notre  participation  éventuelle  à  d'antres 
entreprises. 

Ce  qui  a  donné  naissance  à  cette  communauté  d'inté- 
rêts, c'est  que  les  trois  établissements  se  complètent 
d'une  façon  tout  à  fait  rationnelle;  chacun  d'eux  aura 
donc  avantage  à  ce  que  la  concurrence  avec  les  deux 
autres  soit  évitée  dans  la  mesure  du  possible  et  que 
tous  trois  adoptent  la  même  ligne  de  conduite.  Nous 
vous  indiquons  ci-après,  dans  la  mesure  compatible 
avec  les  intérêts  de  notre  Société,  les  points  principaux 
des  accords  que  nous  avons  conclus,  accords  dont  la 
mise  à  exécution  est  subordonnée  à  votre  approbation. 

L'accord  passé  avec  la  Lûbecker  Maschinenbau 
Gesellschaft,  etc.. 

Uaecord  que  nous  avons  conclu  pour  une  durée  de 
vingt  ans  avec  la  Société  Nouvelle  des  Établissements 
Decauville  aîné  doit  être  soumis  à  l'assemblée  géné- 
rale de  cette  Société  qui  se  tient  au  mois  de  juin;  la  con- 
currence très  vive  qui  régnait  entre  nous-mêmes  et  cette 
firme,  qui  existe  depuis  1853,  dans  les  pays  latins  et  aussi 
hors  d'Europe,  devait  naturellement,  à  la  longue  faire 
naître  le  besoin  d'un  accord  entre  les  deux  parties.  Par 
une  répartition  rationnelle  des  débouchés,  nous  avons 
supprimé  les  inconvénients  de  cette  concurrence  ;  en 
outre,  les  commandes  que  la  Société  Decauville  s  est 
engagée  à  nous  faire  assurent  à  nos  ateliers  une  grande 
activité  d'une  façon  permanente. 

Comme  le  précédent,  cet  accord  n'a  pas  pour  but  la 
hausse  des  prix  de  vente;  il  tend  surtout  à  augmenter 
la  capacité  productive  des  deux  contractants  et  à  réduire 
sensiblement  leurs  frais  généraux. 

Pour  rendre  plus  étroite  la  communauté  d'intérêts 
existant  entre  les  deux  Sociétés  et  pour  donner  plus  de 
force  aux  bonnes  relations  qui  les  unissent,  il  a  été 
convenu  qu'elles  participeraient  à  tour  de  rôle  aux 
bénéfices;  d'autre  part,  il  sera  procédé  à  un  échange 
d'actions  et  les  deux  Sociétés  auront  des  administrateurs 
communs. 


DANS   NOS    PORTS    DE    l'eST  79 

Société  nouvelle  des  Établissemeuts  Decauville  aîné. 


Assemblée  générale  extraordinaire 
du  24  juin  1911 


RESOLUTIONS 

1"  RÉSOLUTION.  — L'assemblée  générale  extraordinaire, 
après  avoir  entendu  les  explications  du  conseil  d'admi- 
nistration relatives  au  projet  d'un  accord  à  conclure 
avec  Orenstein  und  Koppel-Arthur  Koppel  A. -G., 
approuve  les  bases  dudit  projet  etdécide  en  conséquence 
que,  etc.. 

Si  Ton  veut  connaître  les  sentiments  francophiles 
de  cette  société  Koppel,  avec  laquelle  ont  fusionné 
les  établissements  Decauville,  on  peut  savourer  ces 
quelques  lignes  extraites  du  numéro  du  4  février  1910, 
du  Berliner  Morgen  Post  alors  que  la  France  était 
dévastée  par  les  inondations  et  que  les  témoignages 
de  sympathie  lui  venaient  de  partout  : 

Orenstein  und  Koppel-Arthur  Koppel,  Berlin. 

Nous  apprenons,  de  source  bien  informée,  que  la 
Société  Orenstein  und  Koppel  de  Paris  tirera  profit  des 
inondations  en  France,  dont  les  dégâts  s'élèvent  à  plu- 
sieurs centaines  de  millions,  parce  qu'il  y  aura  un 
besoin  considérable  de  chemins  de  fer  portatifs  et  exca- 
vateurs, pour  la  restauration  des  chemins  de  fer,  canaux. 

Mais  le  plus  étrange  c'est  ceci  :  d'après  un  rensei- 
gnement puisé  à  bonne  source,  la  société  Koppel  aurait 
été  exclue  des  fournisseurs  de  la  Marine  française  à 
la  date  du  23  mars  1910*.  Charbon  allemand,  outil- 

1.  D'un   article  paru   dans  V Action  Française,   le  17  juin 


80  l'avant-guerre 

lage  allemand,  c'est  complet.  Si  la  guerre  éclatait 
demain  entre  la  France  et  l'Allemagne,  on  se  demande 
avec  angoisse  ce  qui  se  passerait  dans   des  forts 

FRANÇAIS  DE  LA  FRONTIERE,  ALIMENTÉS  EN    COMBUSTIBLE 

1912,  SOUS  la  signature  de  notre  collaborateur  Pierre  Dumou- 
lin, nous  extrayons  les  lignes  suivantes  : 

«  Léon  Daudet  rappelait  que  cette  Société  aurait  été  exclue 
en  1910  des  fournisseurs  de  la  marine.  Des  renseignements, 
qui  nous  parviennent,  nous  affirment  que  cette  mesure,  si  elle 
a  été  prise,  n'était  point  la  première  dont  ait  été  frappée  la 
firme  Orenstein  et  Koppel. 

En  effet,  dès  1903,  la  Société  Orenstein  et  Koppel  étant 
chargée  d'importants  travaux  pour  le  compte  du  ministère  de 
la  Marine  ;  on  aurait  découvert  que  deux  ingénieurs  de  cette 
maison  étaient  des  officiers  allemands  qui  mettaient  à  profit 
leur  présence  à  Cherbourg  et  les  facilités  que  leur  donnait  la 
conduite  des  travaux  pour  se  livrer  à  l'espionnage.  On  n'au- 
rait pas  ébruité  l'affaire,  et  l'on  se  serait  contenté  de  recon- 
duire à  la  frontière  les  deux  officiers.  A  la  suite  de  ces  faits, 
le  ministre  de  la  Marine,  bientôt  imité  par  son  collègue  de  la 
guerre,  aurait  exclu  de  ses  soumissions  la  maison  Orenstein 
et  Koppel. 

Que  firent  alors  ces  industriels?  —  toujours  d'après  nos 
renseignements  —  une  manœuvre  pourtant  assez  grosse 
pour  qu'un  gouvernement  vigilant  ne  s'y  trompât  point.  L'un 
des  associés,  M.  Arthur  Koppel,  se  retira  de  la  maison 
Orenstein  et  Koppel,  et  s'installa,  sous  son  nom,  rue  de 
Londres.  Un  an  s'était  à  peine  écoulé  que  M.  Koppel  avait 
retrouvé  les  faveurs  des  ministres  de  la  Guerre  et  de  la  Marine 
et  leurs  plus  importantes  commandes. 

Cela  dura  jusqu'en  1908,  date  à  laquelle  l'interdiction  qui 
pesait  sur  la  maison  Orenstein  et  Koppel  fut  levée.  Arthur 
Koppel  ferma  aussitôt  ses  bureaux  de  la  rue  de  Londres  et 
reprit  sa  place  dans  l'ancienne  firme  qui  fut,  de  nouveau 
admise  à  soumissionner  pour  les  travaux   du  gouvernement. 

Le  tour  était  joué,  mais  il  n'est  personne  qui  ne  trouvera 
étrange  le  système  bénin  d'exclusions  momentanées  dont  le 
gouvernement  se  sert  vis-à-vis  d'un  groupe  reconnu  aussi 
dangereux  pour  les  secrets  de  notre  défense  nationale.  Et  il 
apparaît  bien,  d'ailleurs,  qu'Orenstein  et  Koppel  utilisent 
cette  mansuétude.  Ils  ne  négligent  rien  pour  s'assurer  l'exclu- 
sivité des  constructions  de  chemins  de  fer  à  voie  étroite  et  des 
travaux  s'y  rattachant.  Ils  ont  réussi  à  faire  servir  à  leurs 
fins  la  Société  Decauville.   On  dit,   maintenant  qu'ils  tentent 


DANS  NOS  FORTS  DE  l'eST  81 

ALLEMAND  PAR  DES  MARCHANDS  DE  CHARBON  ALLEMANDS 
ET  MUNIS  EXCLUSIVEMENT  DE  LOCOMOTIVES  DE  TYPE 
ALLEMAND,  EXÉCUTÉES,  LIVRÉES,  REPAREES  PAR  DES 
CONSTRUCTEURS  ALLEMANDS. 

d'acquérir  une  des  rares  compagnies  qui  puissent  leur  faire 
concurrence  et  dont  le  siège  est  en  Bourgogne. 

Cette  dernière  opération,  si  elle  réussit,  nous  met,  pour  les 
travaux  ci-dessus  indiqués,  comme  pour  les  travaux  de  ter- 
rassement, dans  les  ports  et  près  des  forts,  à  la  merci  d'une 
compagnie  allemande  déjà  soupçonnée  —  pour  ne  pas  dire 
plus,  —  de  faits  d'espionnage.  » 


CHAPITRE    II 


NOTRE  AÉRONAUTIQUE 

EST  TRIBUTAIRE  DE  L'ALLEMAGNE  POUR 

LA  FOURNITURE  DE  L'HYDROGÈNE 

DE  NOS  DIRIGEABLES  ET  CELLE  DES  APPAREILS 

DE  TÉLÉGRAPHIE  SANS  FIL 

DE  NOS  AÉROPLANES 


DIRIGEABLES 


La  tactique  de  l'air  est  à  Tordre  du  jour.  Il  semble 
prématuré  de  discuter  les  avantages  respectifs  des 
dirigeables  et  des  aéroplanes  en  temps  de  guerre. 
Dans  le  doute,  qui  tient  au  manque  de  preuves  directes, 
il  est  clair  que  le  gouvernement  allemand  a  intérêt  à 
suivre  de  très  près  nos  progrès  dans  Tune  et  l'autre 
fabrication  et  à  se  ménager  —  du  côté  des  dirigea- 
bles, comme  du  côté  des  aéroplanes  —  des  possibilités 
d'intervention,  de  mainmise,  soit  par  sabotage  n"  1, 
soit  par  sabotage  direct. 

Il  existe,  à  quelques  kilomètres  de  Compiègne,  une 
usine  allemande  de  produits  chimiques,  qui  prend  en 


NOTRE    AÉRONAUTIQUE  83 

ce  moment,  comme  d'ailleurs  la  plupart  de  ses  simi- 
laires, un  développement  considérable.  L'Allemagne 
a,  depuis  quelques  années,  monopolisé,  en  quelque 
sorte,  le  commerce  de  la  droguerie  et  des  spécialités 
pharmaceutiques  à  la  mode.  Elle  inonde  le  monde  de 
ses  poisons.  La  liste  complète  de  ceux-ci  tiendrait  des 
pages  et  des  pages.  L'Allemagne  est,  d'ailleurs,  le 
pays  par  excellence  de  l'intoxication  chronique,  et 
l'on  ne  connaît  pas  encore  en  France,  Dieu  merci, 
comme  au  delà  du  Rhin,  des  villages  entiers  de  mor- 
phinomanes !  L'intoxication  chronique  offre  cet  avan- 
tage —  purement  commercial  —  de  faire  à  la  fois 
la  fortune  des  droguistes,  qui  vendent  le  poison, 
et  des  sanatoria,  où  on  en  déshabitue  les  malades. 
Mais  ceci  est  un  autre  sujet  qui  mériterait  une  étude 
de  fond. 

Donc,  et  pour  en  revenir  aux  environs  de  Compiè- 
gne,  cette  usine  allemande  emploie  un  personnel  de 
fabrication  entièrement  allemand.  Seuls,  les  manœu- 
vres sont  du  pays.  Elle  est  dirigée  par  un  Hollandais 
M.  Vis.  Elle  est  la  propriété  d'une  Société  anonyme 
dite  Société  industrielle  des  Produits  chimiques,  dont 
le  siège  social  est  10,  rue  de  Vienne,  à  Paris. 

Si  j'ouvre  V Annuaire  des  Sociétés  par  Actions,  je 
vois  que  cette  Société  industrielle  des  Produits  chi- 
miques a  été  fondée  au  capital  social  de  deux  mil- 
lions cinq  cent  mille  francs,  divisés  en  2.5U0  actions 
de  1.000  francs,  entièrement  libérées.  Les  titres 
sont  au  porteur  et  non  cotés.  La  durée  est  de  50  ans, 
depuis  1896.  Elle  a  pour  objet  : 

La  création  d'une  ou  de  plusieurs  fabriques  de  produits 
chimiques,  soit  en  France,  soit  à  l'étranger  ;  prise  ou 
cession  d'intérêt  dans  d'autres  sociétés  ;  l'acquisition, 
l'exploitation  de  tous  procédés  de  fabrication,  brevets 


84  l'avant-guerre 

et  licences  ;  l'acquisition  de  tous  terrains  et  immeubles  ; 
le  commerce,  la  vente  et  l'achat  de  tous  produits  et 
tous  brevets,  procédés  et  appareils  relatifs  à  leur 
fabrication  et  à  leur  emploi. 

Le  conseil  d'administration  était  récemment  en- 
core ainsi  composé  :  Mem^bres  :  MM.  H.  de  Glenck, 
J.  Stroof,  E.  de  Bondelli,  J.-C.  Ertel,  Ch.  Kœchlin, 
H.  Oswald,  Th.  Plieninger,  Ch.  Schlumberger,  Vis- 
cher. 

L'usine  fabrique,  entre  autres,  énormément  de 
dérivés  chlorés.  Dernièrement,  elle  s'est  mise  à  la 
fabrication  du  chloroforme  et  elle  approvisionne  ac- 
tuellement de  ce  produit  les  principales  drogueries 
parisiennes.  Elle  est  située  dans  la  commune  de  La 
Motte-Breuil,  dans  une  position  stratégique,  à  l'en- 
trée de  la  forêt  de  Compiègne  et  presque  au 
confluent  de  l'Oise  et  de  l'Aisne.  Elle  est  gardée 
comme  une  forteresse.  Personne  ne  peut  y  pénétrer, 
et  on  ne  délivre  même  jamais  aucune  autorisation  aux 
personnes  étrangères  aux  services.  Nous  avons  déjà 
eu  l'occasion  de  remarquer,  à  propos  des  Grands 
Moulins  de  Corbeil,  dits  «  Petite  Prusse  »,  que  c'est 
là  une  coutume  constante  des  installations  allemandes 
en  territoire  français.  Alors  que  nos  administrations, 
usines,  maisons  de  commerce  sont  ouvertes  à  tout 
venant,  les  Allemands  campés  en  France,  avec  l'auto- 
risation et  la  protection  du  gouvernement  français, 
verrouillent  jalousement  portes  et  fenêtres.  Ils  se  bar- 
ricadent. 

Sachez  maintenant  qu'à  La  Motte-Breuil,  plusieurs 
de  nos  dirigeables  sont  construits  et  font  leurs  essais. 
Le  parc  aérostatique  est  contigu  à  l'usine  allemande. 
Celle-ci  produit,  comme  déchet,  d'immenses  quanti- 
tés d'hydrogène.  Elle  avait  fait  récemment,  soit  à 


NOTRE    AÉRONAUTIQUE  85 

Clément-Bayard,  soit  à  l'Etat,  des  offres  exceptionnel- 
lement avantageuses  pour  la  fourniture  de  l'hydro- 
gène destiné  au  gonflement  de  nos  dirigeables.  Ces 
OFFRES  ONT  ÉTÉ  ACCEPTÉES.  Quoi  de  plus  tentant,  en 
effet,  que  de  s'approvisionner  à  bon  marché  et  à  sa 
porte  même  ?  Vous  retrouverez  ici  l'ingéniosité,  la 
présence  perpétuelle  et  l'opportunité  du  fournisseur 
allemand...,  qualités  réelles,  mais  auxquelles  il  est 
imprudent  de  se  livrer. 

Quand  nos  dirigeables  rentrent  au  parc,  après  une 
sortie,  et  quand  l'opération  est  un  peu  difficile,  on 
voit,  spectacle  touchant,  les  ouvriers  allemands  de 
l'usine  allemande  prêter  leur  concours  à  nos  sapeurs 
du  génie,  pour  la  réintégration  des  ballons  au  bercail  ! 
La  situation  est  donc   la  suivante  :  Nos  dirigeables 

MILITAIRES  SONT  CONSTRUITS  A  La  MoTTE-BrEUIL,  A 
DEUX  PAS  d'une  fabrique  DE  PRODUITS  CHIMIQUES  ALLE- 
MANDE. C'est  elle  qui  les  fournit  d'hydro(}ène.  Les 
Allemands  connaissent  a  fond  toutes  les  instal- 
lations DU  parc  aérostatique  *. 

Je  laisse  à  mon  lecteur  le  soin  de  tirer  de  cette 
constatation  les  conséquences  qu'elle  comporté,  non 
seulement  en  temps  de  mobilisation,  mais  encore  en 

1.  Cette  usine  ne  fournit  pas  seulement  d'hydrogène  le 
parc  aérostatique  de  La  Motte-Breuil. 

Exemple  :  Maubeuge  est  devenu,  depuis  quelques  mois,  un 
centre  très  important  d'aéronautique.  Un  dirigeable,  leDupuy- 
de-Lôme,  et  huit  aéroplanes  garnissent  son  parc  aérostatique. 
Or,  le  Dupuy-de-Lôme  est  alimenté  en  hydrogène  par  nos  vieilles 
connaissances  de  l'usine  de  La  Motte-Breuil,  succursale  de 
rElektron-Chemische  de  Griesheim-Bitterfeld.  Cet  hydrogène 
arrive  ici  en  tubes  et  il  est  incontestable  que  l'usine  de  La 
Motte-Breuil,  chargée  officiellement  de  cette  fourniture, 
demeure  en  mesure  de  saboter,  à  distance  et  a  son  heure,  le 
dirigeable  de  Maubeuge,  comme  il  lui  serait  facile,  au  mo- 
ment de  la  mobilisation,  de  saboter  ceux  de  La  Motte-Breuil. 
(Pierre  Dumoulin,  Action  Française  du  8  février  1913.) 


86  l'avant-guerre 

cas  de  simple  crise  diplomatique.  En  outre,  le  risque 
d'incendie  des  hangars  et  des  ballons  —  même  avec 
les  meilleures  intentions  du  monde  —  n'est  pas  petit 
dans  le  voisinage  d'une  fabrique  de  produits  chimi- 
ques. Sans  compter  le  sabotage  possible  de  la  fabri- 
cation de  l'hydrogène  et  de  la  canalisation  qui  la 
complète. 

Une  fourniture  d'hydrogène  impur  peut  en  effet 
détruire  complètement  un  dirigeable.  Or  la  chose  se 
serait  produite  à  La  Motte-Breuil  où  une  enveloppe 
de  dirigeable  aurait  été  mise  hors  d'usage  par  la 
faute  de  l'hydrogène  *. 

Remarquez  que  ce  scandale  de  la  livraison  des 
dirigeables  français  à  une  usine  allemande,  —  sous 
prétexte  d'hydrogène  —  peut  avoir  des  conséquences 
désastreuses.  Je  lis,  dans  la  Technique  moderne, 
une  conférence,  d'ailleurs  fort  claire  et  très  bien  faite, 
de  M.  Camille  Matignon,  professeur  au  Collège  de 
France,  sous  la  présidence  de  M.  le  général  Roques, 
inspecteur  permanent  de  l'aéronautique  militaire. 
Cette  conférence  du  mercredi  27  décembre  1911 
traite  De  la  préparation  de  Vhydrogène  pour  les  be- 
soins de  Vaéronautique  militaire.  On  y  trouve  une 
description  des  divers  procédés,  deux  cartes  de  la 
répartition  des  usines  à  hydrogène  en  France  et  dans 
la  région  parisienne.  On  y  lit  les  lignes  suivantes  : 

La  Société  des  usines  de  Giiesheim,  près  de  Franc- 

fort-sur-le-Mein,   qui,  la  première,   a   mis  au  point  un 

procédé  fonctionnant  régulièrement  par  la  préparation 

électrolytique  de    la   soude,  a  commencé,  dès   1899,  à 

I    recueillir  une  partie  de  son  hydrogène. 

I  1.  M.  Vis,  directeur  de  l'usine  allemande  ne  nous  a  rien 
répondu  quand  nous  avons  publié  ce  renseignement  dans 
V Action  Française. 


NOTRE   AÉRONAUTIQUE  87 

D'après  le  rapport  du  professeur  Graebe,  les  usines 
de  Griesheira  ont  livré  aux  consommateurs  les  cubes 
d'hydrogène  suivants  : 

1899 12.200  met.  c. 

1900 50.000  -- 

1901 70.000  — 

1902 100.000  — 

1903 125.200  — 

1904 145.800  — 

1905 185.200  — 

1906 157.200      — 

1907 242.400  — 

1908 311.000  — 

1909 610.000  — 

Et  un  peu  plus  loin  : 

En  France,  la  Société  industrielle  des  produits  chi- 
miques, qui  exploite,  depuis  longtemps,  à  La  Motte- 
Breuil,  dans  TOise,  les  procédés  de  Griesheim,  s'est 
préoccupée,  en  1910,  de  faire  les  installations  néces- 
saires pour  recueillir  tout  ou  partie  du  million  de  mètres 
cubes  d'hydrogène  qu'elle  produit  annuellement. 

L'hydrogène,  capté  dans  un  réseau  de  tuyauterie, 
subit  une  épuration  avant  de  se  rendre  au  gazomètre  de 
1.500  mètres  cubes.  Un  ventilateur  chasse  l'hydrogène 
du  gazomètre  et  le  conduit  dii-ectement  dans  la  manche 
du  ballon. 

Une  autre  partie  de  l'hydrogène  est  comprimée  à 
150  atmosphères,  dans  des  tubes  contenant  7  mètres 
cubes.  Par  son  usine  génératrice  de  gaz  léger,  La 
Motte-Breuil  est  appelé  à  devenir  un  véritable  port 
aéronautique  où  pourront  se  faire  au  robinet  des  gon- 
flements faciles  et  rapides  et  où  des  wagons,  chargés  de 
bouteilles  d'hydrogène  comprimé,  attendront  l'ordre  de 
départ  pour  s'en  aller  assurer  le  ravitaillement.  M.  Clé- 
ment a  déjà  fait  construire,  à  700  mètres  de  l'usine,  un 
liangar  aux  dimensions  imposantes,  qui  peut  abriter 
deux  de  ses  grands  dirigeables  de  7.000  à  8.000  mètres 
cubes  et  qui  est  alimenté  en  hydrogène  par  une  con-^ 
duite  souterraine  venant  directement  de  l'usine. 


88  l'avant-guerre 

Voilà  qui  est  gai  !  Pour  que  la  fête  fût  complète,  il 
faudrait  que  les  wagons  chargés  de  bouteilles  d'hy- 
drogène fussent  fournis  par  la  société  allemande 
Orenstein  et  Koppel  (ex-société  Decauville). 

Si,  au  jour  de  la  mobilisation,  ces  chemins  de  fer 
ne  fonctionnaient  pas,  si  la  conduite  souterraine 
était  bouchée,  si  l'hydrogène  impur  détruisait  les 
enveloppes  des  dirigeables,  M.  Clément  et  le  général 
Roques  s'arracheraient  les  cheveux.  Mais  il  serait 
trop  tard. 

Je  répète  :  pourquoi  l'aéronautique  militaire  ne 
demande-t-elle  pas  son  hydrogène,  soit  à  des  sociétés 
de  construction  aéronautique  sévèrement  contrôlées, 
soit  à  des  usines  militaires?  Il  est  fou  de  mettre  une 
force  nouvelle  comme  celle-là  aux  mains  de  l'en- 
nemi, à  la  disposition  de  l'ennemi.  Cela  est  aussi  fou 
que  d'accepter  comme  combustible,  dans  les  forts  de 
la  frontière,  du  charbon  allemand  livré  par  des  firmes 
allemandes  * . 

1.  Pendant  ce  temps,  on  lit  dans  le  Matin,  à  propos  de  la 
première  sortie  du  dirigeable  monstre  L-/,  à  Friedrichshafen  : 

L'ÉQUIPAGE  EST  COMPOSÉ  DE  MARINS  FORMÉS  AU  SERVICE 
DES  DIRIGEABLES. 

Le  SECRET  LE  PLUS  ABSOLU  EST  GARDÉ  AU  SUJET  DE  l'aR- 
MEMENT  DU  BALLON.  On  SAIT  SEULEMENT  QU'iL  POSSÈDE  UNE 
MITRAILLEUSE. 

Le  secret  de  nos  dirigeables,  hélas  !  est  certainement  moins 
bien  gardé  au  parc  de  La  Motte-Breuil,  où  l'hydrogène  de  nos 
ballons  est  fourni  par  la  Société  Industrielle  des  Produits 
Chimiques,  simple  succursale  de  la  Griesheim-Elektron. 

D'un  CÔTÉ,  DU  côté  allemand,  secret  absolu. 

De   l'autre,    du   côté  français,    proximité   du   parc   de 

DIRIGEABLES   ET    DK    l'USINE    ALLEMANDE.     CANALISATION    d'hY- 
DROGÈNE    ALLEMAND.    PROMISCUITÉ    DU    PERSONNEL    ALLEMAND 

DE    LA    Société   Industrielle   et     du    personnel    français 
d'aérostation  militaire. 

Quel  contraste,  quel  scandale  !  Quel  Français  patriote  ne 
serait  frappé  de  stupeur  et  d'indignation! 


NOTRE   AÉRONAUTIQUE  89 


LA  PRESSE  REPUBLICAINE 
AU  SECOURS  DE  L*USINE  ALLEMANDE  DE  LA  MOTTE-BREUIL 


Les  révélations  précédentes  sur  le  parc  aérosta- 
tique de  La  Motte-Breuil  et  l'usine  de  produits  chi- 
miques allemande,  sa  voisine,  qui  fournit  nos  diri- 
geables d'hydrogène,  ont  paru  dans  plusieurs  numé- 
ros de  V Action  Française  quotidienne  du  mois  de 
janvier  1912. 

Elles  ont  ému  la  presse  républicaine  de  l'Oise, 
moins  prudente  que  celle  de  Corbeil  qui  n'a  pas  osé 
souffler  mot,  à  ma  connaissance,  de  notre  étude  sur 
Lucien  Baumann  et  ses  Grands  Moulins  de  Corbeil 
dits  «  Petite  Prusse  ». 

Les  principaux  journaux  de  la  région  dont  dépend 
La  Motte-Breuil  sont  :  notre  excellent  et  vaillant  con- 
frère le  Réveil  de  VOise,  organe  royaliste,  donc  natio- 
naliste intégral,  et  qui  combat  avec  nous  l'espion- 
nage juif-allemand;  la  Dépêche  de  VOisCy  organe 
de  l'ex-député  Butin,  lequel  défend  éperdument  la 
très  suspecte  installation  de  La  Motte-Breuil  et  le 
Hollandais  Vis,  directeur  de  la  Société  chimique 
Elektron  de  Griesheim  Bitterfeld  ;  la  Gazette  de 
l'Oise,  organe  républicain,  lequel,  plus  habilement, 
d'un  ton  quasi  officieux  et  en  prétextant  l'intérêt 
régional  (!),  se  porte  aussi  au  secours  des  fournis- 
seurs allemands  d'un  hydrogène  destiné  à  des  diri- 
geables   français;    enfin,    le    Progrès    de    l'Oise  ^, 

1.  11  convient  de  citer  ici  une  note  comique  du  Progrès  de 
l'Oise  (numéro  du  dimanche  24  novembre  1912).  Ce  journal  est 
de  ceux  qui  prirent,  au  début,  contre  moi  la  défense  de  la 
maison  allemande,  jusqu'au  moment  où  les  preuves  accumu- 


90  l'avanï-guerre 

organe  libéral.  Il  est  intéressant  de  voir  l'intérêt 
allemand  ainsi  soutenu  et  représenté  par  deux 
journaux  du  régime  que  Bismarck  implanta  chez 
nous. 

La  Dépêche  de  VOise  déclare  qu'elle  a  pour  M.  Vis, 
directeur  de  cette  usine,  «  une  particulière  estime  », 
ce  qui  n'a  rien  à  voir  avec  la  question.  Elle  ajoute 
que  les  habitants  de  La  Motte-Breuil  sont  très  con- 
tents de  cette  usine,  point  de  vue  électoral  qui  prouve 
simplement  leur  manque  de  renseignements  ou  de 
clairvoyance.  Nous  sommes  là  pour  leur  ouvrir  les 
yeux.  Elle  conclut  : 

Tout  cela  ce  n'est  que  propos  enfantins.  L'Usine  de 
La  Motte-Breuil   n'est  pas   plus   allemande  que  bien 

lées  du  péril  qu'elle  faisait  courir  à  nos  dirigeables  fermèrent 
la  bouche  à  ce  bon  républicain.  Savourez-moi   ça  : 

«  Trosly-Breuil.  —  Une  nouvelle  école.  —  M.  Vis,  direc- 
«  teur  de  l'usine  de  produits  chimiques  de  La  Motte,  vient  de 
«  mettre  gracieusement  à  la  disposition  de  la  commune  de 
«  Trosly-Breuil,  pour  y  installer  une  nouvelle  école  de  gar- 
ce çons,  un  local  spacieux  qu'il  a  fait  aménager  et  (^ui  com- 
«  prend  un  beau  matériel  scolaire. 

«  M.  Vis  a,  en  outre,  pris  à  sa  charge  le  traitement  du 
«  maître  que  l'administration  académique  a  désigné. 

«  De  son  côté,  M"""  Vis  a  tenu  à  offrir  un  mobilier  personnel 
«  pour  l'instituteur. 

«  Cette  nouvelle  école  a  été  inaugurée  lundi  dernier,  dans 
«  l'intimité,  par  M.  Deciry,  maire  de  Trosly-Breuil,  et  M.  Co- 
«  chet,  le  sympathique  inspecteur  primaire  de  Compiègne.  » 

Non  seulement  l'usine  de  La  Motte-Breuil  fournit  de  l'hy- 
drogène à  nos  dirigeables.  Elle  fournit  encore  du  mobilier  à 
nos  instituteurs  1  Timeo  Germanos  et  doua  fer  entes.  Si  le 
Progrès  de  VOise  m'objecte  que  M.  Vis  est  Hollandais,  je  lui 
réphquerai  tout  aussitôt  qu'il  agit  pour  le  compte  des  Alle- 
mands et  que  son  usine  n'est  qu'une  succursale  de  I'Elektron 
de  Griesheim  Bitterfeld^  en  relations  étroites  avec  l'usine 
Merck,  installée  comme  par  hasard  au  Pont  de  Moscou  à 
Montereau..  Qu'est-ce  que  M.  Merck  et  madame  vont  bien 
offrir  aux  instituteurs  de  Montereau  ?J 


NOTRE   AÉRONAUTIQUE  91 

d'autres  et  elle  a  fait  entrer  dans  la  région  de  jolies 
sommes  dont  les  Français  profitent. 

A  cette  affirmation  d'un  patriotisme  bien  républi- 
cain, nous  répondrons  simplement  ceci  ;  l'usine  alle- 
mande DE  La  Motte-Breuil  n'est  qu'une  succursale 
DE  l'usine  Elektron  a  Griesheim-Bitterfeld,  la- 
quelle APPROVISIONNE  EN  HYDROGENE  LES  DIRIGEABLES 

allemands.  Le  chef  de  l'usine  de  Griesheim-Bitterfeld 
est  membre  lui-même  du  conseil  d'administration  de 
l'usine  de  La  Motte-Breuil,  laquelle  se  trouve  ainsi 
—  n'en  déplaise  à  la  Dépêche  de  VOise  —  «  plus 
allemande  que  beaucoup  d'autres  ».  Quant  à  M.  Vis, 
directeur  de  l'usine  de  La  Motte-Breuil,  il  est  en  effet, 
Hollandais,  mais  son  entourage  immédiat  est  alle- 
mand. On  m'affirme  —  je  n'en  ai  pas  confirmation  — 
qu'il  a  été  longtemps  professeur  en  Allemagne.  Le 
directeur  qui  a  précédé  M.  Vis  se  nommait  Pistor  et 
était  Allemand.  Il  est  fréquent  que  l'Allemand  em- 
ploie comme  pionniers,  à  la  tête  de  ses  succursales 
en  pays  étrangers,  en  France  notamment,  des  Hol- 
landais ou  des  Belges. 

Mais  la  note  rectificative  ou  prétendue  telle  la  plus 
importante,  et  d'un  tour  quasi  officieux,  a  paru  dans 
la  républicaine  Gazette  de  VOise  — propriétaire-direc- 
teur G.  Bourson.  M.  G.  Bourson  serait  en  même 
temps  imprimeur  et  aurait  comme  client  M.  Vis, 
directeur  de  l'usine  allemande,  ce  qui  expliquerait 
l'abondance  et  la  rapidité  de  sa  défense  de  ladite 
usine.  Voici  donc  le  morceau  qui  a  paru  dans  la 
Gazette  de  VOise  du  18  janvier,  le  lendemain  même 
de  mon  article  et  à  la  suite  de  sa  reproduction  : 

Cet  article  appelle  plusieurs  rectifications.  Tout 
d'abord,  M.  Vis,  l'honorable  directeur  de  l'usine,  n'est 


92  l'avant-guerre 

pas  allemand,  mais  hollandais,  et  il  professe  pour  notre 
pays  la  sympathie  la  plus  vive. 

Parmi  les  ingénieurs,  il  est  évidemment  des  Alle- 
mands, mais  il  est  aussi  et  surtout  des  Suisses. 

Si  l'élément  français  n'est  pas  représenté  comme  il 
le  devrait  dans  cet  état-major,  la  faute  n'en  est  nulle- 
ment à  la  société,  mais  bien  à  l'insuffisance  de  nos 
écoles  de  chimie  industrielle.  La  chimie,  il  ne  faut  pas 
l'oublier  en  effet,  est  surtout  une  science  allemande  et 
en  fait  les  ingénieurs  de  La  Motte-Breuil  sont  de  véri- 
tables savants,  des  chercheurs,  tels  qu'on  en  trouve  en 
France,  seulement  dans  nos  laboratoires  de  Faculté. 
Les  savants  chez  nous  dédaigneraient  d'ailleurs  de 
faire  de  l'industrie.  Bien  à  tort,  du  reste. 

M.  Bourson  me  permettra  de  lui  faire  remarquer 
que  ce  ton  dédaigneux  à  l'endroit  de  la  science  chi- 
mique française  et  des  chimistes  français  est,  dans 
un  journal  français,  tout  à  fait  extravagant.  La  note 
serait  rédigée  par  un  chauvin  allemand,  ignorant  les 
noms  de  Lavoisier,  Berthelot  et  autres,  qu'elle  ne 
serait  pas  différente,  ni  plus  comiquement  inexacte 
et  hautaine.  Mais  continuons  : 

Pour  ne  citer  qu'un  exemple,  l'actuel  directeur, 
M.  Vis,  a  fait  notamment  de  véritables  découvertes  eu 
ce  qui  concerne  la  production  des  rubis  artificiels  et 
c'est  lui  également  qui  a  trouvé  le  moyen  de  capter 
l'hydrogène  entièrement  et  gratuitement  perdu  jus- 
qu'alors. 

La  Gazette  de  VOise  n'a  évidemment  jamais  en- 
tendu parler  du  Français  Moisan,  qui  s'est  occupé, 
lui  aussi^  quelque  peu  du  rubis  artificiel. 

Cet  hydrogène,  ainsi  récupéré,  peut  évidemment  être 
livré  à  très  bas  pris,  puisque  auparavant  il  était  absolu- 
ment inutilisé.  Voilà  toute  l'explication  des  offres  de  la 
société.  Il  n'y  a  là  aucun  machiavélisme. 


NOTRE    AÉRONAUTIQUE  93 

Qui  a  parlé  jamais  de  machiavélisme?  J'ai  dit  et  je 
répète  que  le  voisinage  immédiat  d'une  usine  de 
produits  chimiques  et  d'un  parc  d'aérostation  est  un 
danger  permanent  d'incendie,  que  la  connaissance, 
par  les  Allemands,  de  toutes  les  installations  d'un 
parc  aérostatique  français  est  un  danger  d'autre 
sorte,  que  l'approvisionnement  de  ballons  français 
en  hydrogène  fourni  par  des  Allemands,  par  une 
usine  allemande,  expose  la  Défense  Nationale  aux 
pires  sabotages.  La  question  d'économie,  quand  il  y 
va  du  salut  du  pays,  est  dérisoire.  C'est  ce  même 
prétexte  d'économie  qui  fait  approvisionner  en  char- 
bon allemand  nos  forts  de  la  région  de  l'Est,  qui 
les  expose  ainsi  au  désarmement  par  l'extinction  des 
feux,  dès  les  premières  heures  de  la  mobilisation.  Je 
comprends  fort  bien  que  les  Allemands  l'allèguent, 
ce  prétexte  d'économie,  car  il  fait  partie  de  leur  sys- 
tème d'invasion  industrielle,  commerciale  et  d'espion- 
nage. Mais  que  des  Français  s'y  laissent  prendre, 
voilà  ce  qui  me  demeure  incompréhensible. 

D'ailleurs,  si  les  chimistes  sont  étrangers  pour  la 
plupart,  il  n'en  est  pas  de  même  des  autres  employés 
et  l'on  y  compte  notamment  un  certain  nombre  d'an- 
ciens fonctionnaires  des  contributions  indirectes. 

Quant  au  Conseil  d'administration,  que  M.  Daudet 
ne  se  trompe  pas  aux  sonorités  étrangères,  il  comprend 
d'excellents  Français  incapables  de  prêter  la  main  à 
une  œuvre  antipatriotique.  Certes,  il  est  en  majorité 
cosmopolite,  mais  dans  des  consortiums  semblables 
n'est-ce  pas  la  régie?  N'est-ce  pas  l'internationale  des 
capitaux  qui  ne  voit  que  des  affaires  et  se  préoccupe 
peu  des  frontières? 

]J Action  Française  a  trop  souvent  mené  campagne 
contre  les  capitaux  français  qui  font  vivre  les  Alle- 
mands pour  ne  pas  se  louer  de  voir  des  capitaux  alle- 
mands faire  vivre  des  Français. 


94  l'avant-guerre 

Car  les  Français  sont  extrêmement  nombreux  à  La 
Motte-Breuil,  Loin  de  faire  venir  de  la  main-d'œuvre 
étrangère,  on  emploie  tous  les  ouvriers  disponibles  du 
pays  et  même,  à  ce  point  de  vue,  l'usine  est  un  élé- 
ment très  appréciable  de  la  prospérité  de  la  région. 
Ajoutons  que  les  ouvriers  de  l'usine  sont  fort  bien 
traités  et  que  M.  Vis  et  ses  collaborateurs  ont  pour 
eux  les  plus  grands  égards. 

M.  Vis  et  ses  collaborateurs  sont  en  vérité  bien 
bons.  Il  ne  leur  manquerait  plus  que  d'empoisonner 
ou  de  manœuvrer  à  l'allemande  leurs  ouvriers  fran- 
çais I  Maintenant  la  Gazette  de  VOise  pourrait-elle 
m'affirmer  que  l'Etat-Major  scientifique  de  La 
Motte-Breuil  ne  compte  pas  d'officiers  de  réserve 
de  l'armée  allemande?  Puisqu'elle  veut  bien  servir 
d'intermédiaire  entre  moi  et  l'usine  allemande,  ce 
point  serait  intéressant  à  élucider.  Par  ailleurs,  je 
poserai  à  mon  confrère  de  l'Oise  cette  simple  ques- 
tion :  une  usine  française  pourrait-elle  obtenir  en 
Allemagne  une  situation  semblable  à  celle  de  La 
Motte-Breuil?  L'Allemagne  permettrait-elle  une  pa- 
reille installation  française  à  cent  mètres  des  han- 
gars de  ses  Zeppelin  et  en  contact  avec  les  soldats 
allemands  chargés  de  la  manœuvre? 

Enfin  la  question  de  la  difficulté  des  visites  à 
l'usine  allemande  —  comme  aux  Grands  Moulins  de 
Corbeil  —  et  du  secret  allemand  bien  gardé,  a  visi- 
blement ennuyé  et  embarrassé  l'auteur  de  la  note  de 
la  Gazette  de  VOise.  Écoutez-le  plutôt: 

Quant  aux  visites,  il  n'y  a  rien  là  que  de  très  naturel. 
Toutes  les  maisons  semblables  en  font  autant.  Il  y  a  des 
secrets  de  fabrication  qu'on  ne  livre  pas  aux  premiers 
venus.  D'ailleurs,  en  fait,  l'usine  est  beaucoup  moins 
défendue  que  ne  le  prétend  notre  confrère  et,  à  notre 
connaissance,  un  certain  nombre  de  personnalités,  dont 


NOTRE   AÉRONAUTIQUE  95 

l'une  au  moins  très  compétente,  y  ont  été  admises. 
Nous  nous  en  tiendrons  là,  ne  connaissant  ni  le  direct- 
teur,  ni  les  administrateurs  de  la  société,  nous  n'avons 
pas  qualité  pour  présenter  leur  défense.  Nous  avons 
simplement  voulu  mettre  les  choses  au  point  et  rassurer 
le  public  que  le  pessimisme  de  M.  Léon  Daudet  pour- 
rait à  bon  droit  effrayer. 

Tout  cela  est  très  gentil,  très  bien  intentionné  à 
l'égard  des  Allemands,  bien  qu'un  peu  faible  comme 
argumentation.  Il  est  seulement  fâcheux  que  le  parc 
d'aérostation  ne  soit  pas  aussi  bien  gardé  vis-à-vis  du 
personnel  de  l'usine  allemande,  que  celle-ci  est  bien 
gardée  vis-à-vis  des  visiteurs  indiscrets. 

La  Gazette  de  VOise  admettra,  sans  doute,  que  le 
secret  de  l'aérostation  militaire  française  vaut  le  se- 
cret de  la  chimie  allemande  I 

Autre  point  de  vue,  moins  important,  mais  qui 
démontre,  une  fois  de  plus,  les  complaisances  de  la 
République  pour  l'Étranger  campé  chez  nous  :  fré- 
quemment, depuis  plusieurs  années,  on  eut  l'occa- 
sion de  constater  que  la  rivière  d'Aisne,  dans  la  vallée 
de  laquelle  est  située  l'usine  allemande,  était  infectée 
par  les  déversements  résiduaires  des  produits  chimi- 
ques. Les  poissons  empoisonnés  flottaient  et  flottent 
ventre  en  l'air.  La  Société  des  pêcheurs  à  la  ligne  de 
Compiègne  fit  faire  des  prélèvements  et  procéda  à  des 
analyses.  La  ville  de  Compiègne  elle-même  —  qui 
s'alimente,  en  aval  du  confluent  de  l'Aisne  et  de  l'Oise, 
en  eau  de  consommation  —  s'émut  et  intervint  auprès 
de  l'administration  compétente,  Ponts  et  Chaussées, 
Ministère  de  l'Agriculture.  Ces  plaintes  légitimes  n'eu- 
rent aucun  résultat.  Cela,  alors  que  des  sucreries  sont 
inquiétées  à  tout  bout  de  champ  dès  que  les  circons- 
tances les  obligent,  contre  leur  volonté,  à  envoyer 


96  l'avant-ouerre 

parfois  des  eaux  résiduaires  beaucoup  moins  nocives 
dans  des  cours  d'eau  sans  importance ,  tels  que 
TAronde,  le  Matz  ou  le  Marquais. 

Des  influences  discrètes,  mais  certaines,  veille- 
raient-elles donc  sur  l'usine  allemande  de  La  Motte- 
Breuil  et  sur  son  directeur? 

La  Dépêche  de  l'Oise  et  la  Gazette  de  VOise  étaient 
réellement  bien  imprudentes  de  se  porter  ainsi  au 
secours  de  l'usine  allemande.  En  effet,  lors  des  pre- 
miers essais  des  dirigeables,  à  La  Motte-Breuil, 
l'entrée  du  hangar  fut  sévèrement  refusée  à  deux 
officiers  de  dragons  d'un  régiment  voisin.  Le  même 
jour,  le  Hollandais  Vis,  pouvait,  avec  des  amis 
étrangers,  visiter  le  hangar  à  sa  convenance  et  étu- 
dier le  navire  aérien  dans  lequel  il  est  d'ailleurs 
monté  plus  tard. 

Qu'en  pense  l'ex-député  radical  Butin,  lequel 
est,  m'affirme-t-on,  dans  les  meilleurs  termes  avec 
cette  usine  de  La  Motte-Breuil  que  la  Dépêche  de  VOise 
déclarait  a  n'être  pas  plus  allemande  que  beaucoup 
d'autres  »? 

Edifions  maintenant  l'ex-député  Butin  sur  ses  amis 
de  La  Motte-Breuil. 

J'ai  dit  qu'elle  n'était,  cette  usine  destinée  au  gon- 
flement des  dirigeables  français,  qu'une  succursale 
de  la  Che'Ufiische  Fabrik  Elektron,  laquelle  a  dans  ses 
attributions,  à  Bitterfeld,  le  gonflement  des  diri- 
geables allemands.  On  sait  que,  dans  l'éventualité 
de  la  guerre  prochaine,  l'Allemagne  attache  plus  d'im- 
portance aux  dirigeables  qu'aux  aéroplanes.  Elle  les 
assimile  volontiers  aux  cuirassés  et  compare  les 
aéroplanes  aux  torpilleurs  ce  qui  semble,  d'ailleurs, 
une  image  inexacte  et  forcée. 

Quoi   qu'il  en  soit,  je  vous  présente  Herr  Doctor 


NOTRE    AÉRONAUTIQUE  97 

Ignatz  Stroof,  vice-président  de  la  Société  de  pro- 
duits chimiques  de  La  Motte-Breuil,  dont  le  siège 
social  est  10,  rue  de  Vienne,  à  Paris.  Ledoctor  Ignatz 
Stroof  est  également  vice-président  de  la  Chemische 
Fabrik  Griesheim  Elektron  et  de  plusieurs  autres 
sociétés  à  Duisbourg  et  à  Berlin,  dont  l'énumération 
serait  fastidieuse. 

M.  J.-C-  Ertel,  de  l'usine  de  La  Motte-Breuil,  est 
lui  aussi,  un  gros  personnage  industriel  allemand, 
propriétaire-gérant  de  la  firme  Ertel  Bieber  und  C^  des 
usines  de  cuivre  de  Hambourg,  de  la  Vereinsbank  de 
Hambourg,  vice-président  de  la  Metallurgische  Ge- 
sellschaft  de  Francfort,  etc.,  etc.,  et,  enfin,  admi- 
nistrateur de  notre  Chemische  Fabrik  Griesheùn  Elek- 
tron. 

M.  Th.  Plieniger,  de  l'usine  de  La  Motte-Breuil,  est 
vice-président  des  Duisbûrger  Kupferhûtte  de  Duis- 
bourg, administrateur  de  la  Société  électrochimique 
de  Flix,  et  enfin,  directeur  général  de  la  Griesheim 
Elektron. 

Vous  me  direz  que  les  résidus  d'hydrogène  de  si 
importants  personnages  ne  sont  pas  à  dédaigner  et 
que  nos  dirigeables  français  ont  de  la  veine  d'être 
gonflés  par  eux.  Je  vous  répondrai  qu'en  cas  de  mo- 
bilisation, la  garantie  n'en  serait  pas  moins  des  plus 
médiocres,  et  je  rappelle  ici  la  phrase  prodigieuse  de 
la  Gazette  de  VOise  (propriétaire-directeur,  G.  Bour- 
son),  qui  écrit  froidement: 

«  Quant  au  conseil  d'administration,  que  M.  Daudet 
«  ne  se  trompe  pas  aux  sonorités  étrangères,  il 
«  comprend  d'excellents  Français  incapables  de  prê- 
«  ter  la  main  à  une  œuvre  antipatriotique.  » 

Si  ces  lignes  tombent  sous  les  yeux  de  MM.  Ignatz 
Stroof,  J.-C.  Ertel,  Th.  Plieninger,  H.  Oswald,  ou 

4 


98  l'avant-ouerre 

Schlumberger  Viescher,  je  crains  positivement  qu'ils 

ne  crèvent  de  rire ,  tout  comme  un  dirigeable 

français  gonflé  d'hydrogène  allemand,  le  jour  de  la 
déclaration  de  guerre. 

Les  fameuses  rectifications  de  M.  G.  B ourson,  de  la 
Gazette  de  VOise  étaient  donc  ainsi  réfutées  une 
première  fois  dans  l'Achon  Française  du  31  janvier 
1912. 

M.  G.  Bourson  ne  se  tint  pourtant  pas  pour  battu 
et  voici  l'apologie  de  La  Motte-Breuil  telle  qu'elle  fut 
présentée  alors  par  le  germanophile  directeur  de  la 
Gazette  de  VOise  : 

M.  Léon  Daudet,  rédacteur  en  chef  de  VAction 
Française,  revient  aujourd'hui  dans  son  journal  sur  la 
question  de  l'usine  de  La  Motte-Breuil  et  consacre  la 
majeure  partie  de  son  leader  article  à  la  réfutation  de 
nos  arguments. 

M.  Léon  Daudet  nous  accuse  notamment  d'avoir 
calomnié  la  science  française  en  prétendant  que  l'Alle- 
magne nous  est  malheureusement  supérieure  dans  le 
domaine  pratique  de  la  chimie  industrielle. 

Cela  n'est,  hélas!  que  trop  exact.  En  chimie  comme 
dans  trop  de  sciences,  d'ailleurs,  les  découvertes  initiales 
sont  généralement  dues  aux  Français  mais  l'application 
en  est,  non  moins  généralement,  laissée  aux  étrangers. 
Ce  n'est  pas  manquer  de  patriotisme  que  de  constater 
ce  défaut,  exagération  d'une  belle  qualité  de  désinté- 
ressement, et  il  vaudrait  mieux  tâcher  d'y  remédier 
que  de  le  nier,  puérilement. 

La  Gazette  de  VOise  ne  disait  plus  que  «  la  chimie, 
il  ne  faut  pas  l'oubher,  en  effet,  est  surtout  une  science 
allemande.  »  Elle  s'était,  sans  doute,  mieux 
renseignée  sur  le  rôle  plus  que  modeste  de  M.  Vis 
en  ce  qui  concerne  la  production  du  rubis  artificiel 
et  la  captation  de  l'hydrogène.  M.  Bourson  n'a  qu'à 


NOTRE    AÉRONAUTIQUE  99 

aller  faire  un  tour  dans  le  laboratoire  du  professeur 
Verneuil,  savant  français,  aux  Arts  et  Métiers.  Il 
sera  édifié  sur  le  véritable  auteur  des  découvertes 
quant  aux  pierres  de  synthèse.  Il  verra  ensuite  où 
est  la  «  puérilité  »  des  arguments. 
La  Gazette  de  VOise  continuait  : 

Ceci  dit  et  une  fois  réglé,  nous  ferons  remarquer  à 
M.  Léon  Daudet  que  la  fabrique  de  produits  chimiques 
n'est  pas  venue  se  placer  près  du  parc  aérostatique. 
C'est  le  parc  qui  s'est  installé  auprès  de  l'usine,  et 
celle-ci  ne  saurait  évidemment  être  rendue  responsable 
d'un  état  de  choses  qu'elle  n'a  pas  créé. 

Ce  parc  n'est  pas  surveillé  !  s'écrie  notre  confrère. 
En  admettant  même  la  vérité  de  cette  assertion,  il 
faudrait  s'en  prendre  à  la  station  aérostatique,  l'usine 
n'a  rien  à  voir  là-dedans. 

En  une  phrase  toute  fleurie  de  conditionnels,  M.  Daudet 
insinue  ensuite,  sans  l'affirmer  d'ailleurs,  que  l'usine 
est  une  filiale  de  celle  qui  en  Allemagne  fournit  d'hydro- 
gène les  ballons  allemands. 

Nous  ne  renseignerons  pas  M,  Daudet  sur  ce  point, 
que  nous  ignorons  autant  que  lui,  mais  nous  pouvons 
affirmer  en  tout  cas,  que  la  liste  des  chimistes  et 
ouvriers  qui  seraient,  en  cas  de  guerre,  «  utilisés  »  a 
La  Motte-Breuil,  a  la  fabrication  de  l'hydrogène  est 

DÉPOSÉE  au  ministère   DE  LA    GUERRE   ET    QUE   CETTE    LISTE 
NE  COMPREND  PAS  d'AlLEMANDS^. 


1.  A  propos  de  cette  déclaration  si  curieuse  de  la  Gazette  de 
l'Oise,  nous  avons  reçu  la  lettre  suivante  qui  émane  de  quel- 
qu'un de  bien  renseigné  : 

«  Votre  adversaire  a  répondu  une  sottise.  Toutes  les  usines 
françaises  dont  les  produits  intéressent  la  défense  nationale 
doivent  remettre  chaque  année,  au  ministère  de  la  Guerre, 
une  liste  de  la  partie  de  leur  personnel  français  qui  serait 
nécessaire  en  temps  de  guerre  pour  la  fabrication,  et  qui, 
comme  telle,  doit  être  soustraite  à  la  mobilisation.  Cette  liste, 
étant  donné  son  but,  ne  doit  donc  contenir  que  des  noms  de 
Français.  Si  l'usine,  en  cas  de  guerre,  doit  marcher  avec  dix 


100  l'avant-guerre 

Sur  le  premier  point,  priorité  de  l'installation,  je 
réponds  qu'une  enquête  serait  nécessaire,  —  à  vous, 
Jacques  Grumbach  !  —  afin  de  déterminer  dans  quelles 
conditions  s'est  produite  la  remarquable  coïncidence 
de  La  Motte-Breuil,  —  parc  aérostatique  contigu  à 
l'usine  de  produits  chimiques,  —  coïncidence  calquée 
sur  celle  de  Griesheim  Bitterfeld.  Avec  cette  différence 
toutefois  qu'à  Bitterfeld,  l'hydrogène  allemand  gonfle 
des  ballons  allemands,  au  lieu  qu'à  La  Motte-Breuil, 
l'hydrogène  allemand  gonfle  les  ballons  français.  Il 
y  a  là  un  de  ces  hasards,  heureux  pour  l'Allemagne, 
malheureux  pour  la  France,  dont  une  recherche 
approfondie  dans  les  dossiers  du  ministère  de  la  Guerre 
donnerait,  sans  doute,  la  clé .  Si  nous  avions  encore 
un  Bureau  des  Renseignements,  j'aurais  plus  de  con- 
fiance dans  son  activité,  je  l'avoue,  que  dans  celle  du 
juif  qui  a  nom  Jacques  Grumbach. 

A  défaut  de  ce  bureau  de  renseignements  qui  n'au- 
rait du  reste  peut-être  pas  toute  liberté  de  la  Répu- 
blique pour  pousser  par  trop  loin  ses  investigations, 
nous  poserons  la  grave  question  suivante  : 

Qui  donc  s'est  entremis  pour  préconiser  et  favoriser 
cette  installation  du  parc  aérostatique,  si  préjudiciable 

Français  et  trois  cents  Allemands,  les  noms  des  dix  Français 
à  ne  pas  mobiliser  doivent  être  remis  au  ministère  de  la 
Guerre;  mais  cela  n'empêchera  aucunement  les  trois  cents 
Allemands  d'être  employés  à  l'usine  pendant  la  guerre.  « 

La  Gazette  de  VOise  nous  faisait  donc  une  objection 
absurde,  soit  que  celle-ci  vînt  de  son  cru,  soit  qu'elle  lui 
eût  été  soufflée  par  un  des  étrangers  de  l'usine,  M.  Vis  ou  un 
autre,  ainsi  que  la  faute  de  français  grossière  utilisés  au 
lieu  d'EMPLOYÉs  semble  l'indiquer. 

Il  est  admirable  que  cette  formalité  administrattve  serve 
d'argument  aux  Allemands  et  aux  défenseurs  des  Allemands. 
On  peut  apprécier  ainsi  le  degré  de  cynisme  des  uns  et  des 
autres. 


NOTRE    AÉRONAUTIQUE  101 

aux  intérêts  de  notre  défense  nationale  ?  Qui  donc  a 
fait  les  démarches  ?  Qui  donc  a  poursuivi  de  sollici- 
tations, au  ministère  de  la  Guerre  et  ailleurs,  ceux 
dont  dépendait  une  aussi  criminelle  décision  ?  En 
d'autres  termes,  quels  sont,  dans  cette  région,  les 
mystérieux  protecteurs  de  M.  Vis  et  de  ses  Allemands, 
qui  donc  écarte  soigneusement  les  cailloux,  les  pannes 
et  les  accidents  d'automobile  sur  la  voie  triomphale 
qui  mène  la  firme  Griesheim  Elektron  de  Bitterfeld 
à  La  Motte- Breuil,  en  passant  par  notre  Défense 
Nationale  ? 

Quant  à  mes  insinuations  et  à  mes  conditionnels, 
la  Gazette  de  VOise  doit  être  fixée  aujourd'hui.  A 
moins  de  publier  les  portraits  et  biographies  com- 
plètes des  Allemands  qui  administrent  conjointe-, 
ment  La  Motte-Breuil  et  Griesheim  Bitterfeld,  je  ne 
sais  pas  quelles  précisions  de  plus  j'aurais  bien  pu  lui 
offrir. 

Résumons-nous  :  il  y  a,  à  La  Motte-Breuil  près 
Compiègne,  une  fabrique  allemande  de  produits 
chimiques,  dirigée  par  un  Hollandais  du  nom  de  Vis, 
laquelle  n'est  que  la  succursale  de  la  Chemische 
Fabrik  Elektron  de  Griesheim  Bitterfeld. 

L'usine  de  Bitterfeld  a  dans  ses  attributions  le 
gonflement  des  dirigeables  allemands,  à  l'aide  du 
gaz  hydrogène  résiduaire. 

L'usine  de  La  Motte-Breuil  a  dans  ses  attributions 
le  gonflement  des  dirigeables  français,  à  l'aide  du  gaz 
hydrogène  résiduaire. 

En  cas  de  guerre,  plusieurs  de  nos  dirigeables 
seraient  à  la  merci  de  l'Allemagne,  g;râce  à  cette  com- 
binaison très  simple  qui  remet  à  nos  ennemis  alle- 
mands le  soin  de  les  gonfler.  Je  dis  à  leur  merci  : 
soit  par  privation  d'hydrogène  {sabotage  n°  ^),  soit 


102  l'avant-guerre 

par  corruption  du  même  hydrogène  {sabotage  n"  !<?). 
Il  ne  faudrait  peut-être  pas  trop  compter  sur  le  petit 
personnel  italien  de  cette  fabrique  allemande  pour 
contrecarrer  les  volontés  et  les  ordres  d'en  haut. 

Qu'en  pense  M.  Edouard  Herriot,  maire  de  Lyon, 
qui  écrivait  il  y  a  quelque  temps,  dans  le  Journal  des 
Letellier,  un  pressant  article  sur  «  notre  flotte 
aérienne  »  ? 

Mais  on  m'affirme  que  les  mêmes  mystérieux  pro- 
tecteurs solliciteraient  actuellement  sur  les  instances 
du  Hollandais  M.  ViSy  pour  la  prochaine  adjonction 
au  parc  des  ballons  d'une  station  d'aéroplanes  !  Ainsi, 
quand  le  savant  chimiste,  le  Doctor  W...,  officier  de 
réserve,  m'assure-t-on,  dans  l'armée  allemande,  vien- 
drait à  La  Motte-Breuil,  il  aurait  le  plaisir  d'assister 
à  la  fois  à  des  expériences  de  dirigeables  et  à  de 
expériences  d'aéroplanes. 

Je  demanderai  à  M.  Edouard  Herriot,  maire  de 
Lyon,  auteur  de  l'article  précité,  si  c'est  ça  qu'il 
appelle  placer  les  centres  d'instruction  aéronautique  à 
proximité  des  grands  centres  mi/i^aiVes  ?  L'installa- 
tion, à  La  Motte-Breuil  de  la  Griesheim  Elektron  de 
MM.  Stroof,  J.-C.  Ertel,  Plieninger  et  Cie  peut  être, 
en  effet,  considérée  comme  un  grand  centre  chimico- 
militaire  allemand. 


AEROPLANES 

Nos  aéroplanes  du  moins  échappent-ils  à  l'ingé- 
rence étrangère? 

S'ils  y  ont  échappé  au  début,  il  semble  bien  que 
cette  situation  soit  appelée  sous  peu  à  se  modifier. 

Par  des  moyens  détournés,  l'Allemagne  s'efforce 


NOTRE   AÉRONAUTIQUE  103 

de  prendre  position  dans  cette  nouvelle  et  importante 
branche  de  notre  industrie  militaire. 

Cette  question  a  fait  l'objet  d'un  article  de  notre  col- 
laborateur Pierre  Dumoulin,  dans  V Action  Française 
du  30  septembre  1912. 

On  sait  quelles  espérances  on  fonde,  en  France, 
d'une  manière  peut-être  exagérée,  dans  l'état  actuel 
de  la  science,  sur  le  rôle  que  nos  aéroplanes  seraient 
appelés  à  jouer  en  cas  de  guerre. 

Il  n'est  pas  contestable  que  cette  nouvelle  arme 
doive  donner  le  maximum  de  résultats  pratiques 
que  l'on  peut  attendre  d'un  outil  encore  fort  impar- 
fait surtout  grâce  à  la  surprenante  habileté  profes- 
sionnelle de  nos  aviateurs  tant  civils  que  militaires. 

Telle  quelle,  cette  arme  est  appelée  à  rendre  de 
grands  services. 

Le  principal  rôle  qui  lui  est  attribué  semble  être 
de  renseigner  les  armées  sur  l'importance,  la  situa- 
tion, les  mouvements  des  troupes  adverses,  rensei- 
gnements d'autant  plus  précieux  qu'ils  seront  trans- 
mis plus  rapidement  et  avec  plus  de  précision  par 
l'officier  observateur.  Or,  si  les  aéroplanes  doivent 
interrompre  leurs  randonnées  aériennes  pour  atterrir, 
ils  perdent  alors  un  temps  précieux,  les  conditions 
atmosphériques  n'étant  pas  toujours  favorables  ;  de 
plus  le  mouvement  des  armées  leur  échappe  momen- 
tanément. Ainsi  apportés  dans  des  conditions  défec- 
tueuses, les  résultats  de  leurs  explorations  risquent 
de  perdre  une  grande  partie  de  leur  valeur  d'utilisa- 
tion. 

En  somme  nos  aviateurs  doivent  remplir,  à  l'égard 
de  nos  armées  un  rôle  analogue  à  celui  du  périscope 
de  nos  sous-marins. 

On  a  donc  été  amené  tout  naturellement  à  recourir 


104  l'avant-guerre 

à  cette  admirable  invention  qu'est  la  télégraphie  sans 
fil  et  on  a  cherché  à  munir  nos  avions  d'appareils 
facilement  trans portables,  pouvant  se  tenir  en  commu- 
nication constante  avec  des  postes  de  T.  S.  F.  situés 
à  terre.  C'est  à  la  Compagnie  Générale  radio-télégra- 
phique (brevet  Lepel)  que  l'Administration  a  com- 
mandé les  appareils  de  nos  postes  de  T.  S.  F.  les  plus 
importants.  Or,  l'administrateur  de  la  Compagnie 
Générale  radio-télégraphique  fait  partie  du  Conseil 
d'administration  de  la  Compagnie  Universelle  de  télé- 
phonie sans  fil,  et  l'on  raconte  qu'il  ne  cache  pas,  mais 
annonce,  au  contraire,  ouvertement  son  intention  de 
faire  absorber  la  petite  compagnie  par  la  grande 
Compagnie  Universelle.  De  sorte,  qu'à  la  place  d'une 
société  en  grande  partie  française,  nous  allons  avoir 
une  société  surtout  allemande  et  que  c'est  elle  qui, 
vraisemblablement,  va  fournir  d'appareils  de  T.  S.  F. 
nos  aéroplanes  militaires. 

Qu'est-ce  donc  que  la  Compagnie  Générale  radio- 
télégraphique? 

C'est  un  société  anonyme  à  capital  assez  faible. 

Le  brevet  de  télégraphie  sans  fil  qu'elle  exploite  vient 
d'Allemagne.  L'inventeur  est  un  nomme  Lepel. 

On  a  prétendu  que  cet  appareil  était  assez  perfec- 
tionné pour  donner  une  direction  aux  ondes  liertziennes 
et,  par  conséquent,  pour  empêcher  celles-ci  d'être  captées 
par  un  poste  voisin  ou  ennemi. 

Prétention  erronée,  puisque  des  expériences  faites 
sur  les  côtes  de  la  Manche  ont  démontré  que  cette  direc- 
tion des  ondes  n'est  possible  qu'à  de  petites  distances. 
Et  c'est  cependant  à  l'invention  de  TAllemand  Lepel  que 
le  gouvernement  de  la  République  a  donné  la  préfé- 
rence et  ce  sont  ses  appareils  dont  on  a  muni  nos  postes 
de  la  Tour  Eiffel,  de  Bordeaux,  d'Ajaccio,  de  Dakar  et 
de  Tanger.  Cette  préférence  est  d'autant  plus  étrange 
qu'au  point  de  vue  de  la  télégraphie  sans  fil,  la  France, 


NOTRE   AÉRONAUTIQUE  105 

patrie  du  grand  Branly,  n'est  aucunement  en  retard 
sur  l'Allemagne. 

Mais  ce  n'est  pas  tout.  La  Compagnie  générale  radio- 
télégraphique  possède  à  Paris,  rue  des  Plantes,  un  labo- 
ratoire. La  chose,  en  elle-même,  n'est  pas  extraordi- 
naire :1a  société  du  Télégraphe  Multiplex,  possède  aussi 
le  sien,  rue  Henri-Monnier.  Seulement,  de  ce  côté,  nous 
sommes  bien  tranquilles,  puisque  le  chef  de  laboratoire 
est  un  officier  français,  le  même  précisément  qui  com- 
mande le  poste  de  la  Tour  Eiffel. 

11  n'en  est  pas  de  même  rue  des  Plantes.  II  s'agit  là 
d'un  appareil  allemand,  dont  le  maniement  ou  les  répa- 
rations peuvent  exiger  la  présence  d'un  ingénieur  alle- 
mand. Nous  avons  vu  le  cas  se  produire  pour  des 
appareils  infiniment  moins  délicats.  Or  ce  poste,  comme 
tous  les  postes  et,  sans  aller  plus  loin,  comme  ceux 
que  tout  ingénieur  peut  créer  dans  son  grenier,  ce  poste 
peut  capter  des  ondes  et,  par  conséquent,  saisir  des 
communications. 

Voyons  maintenant  ce  qu'est  la  Compagnie  Uni- 
verselle qui  doit  —  affirme-t-on  —  absorber  la  Com- 
pagnie Générale. 

La  Compagnie  Univer^selle  de  télégraphie  et  de  té- 
léphonie sans  fil  est  une  société  anonyme  française 
au  capital  de  dix  millions.  Nous  allons  voir  à  l'instant 
de  quelle  manière  imparfaite  cette  nouvelle  compa- 
gnie est  «  française  ». 

Elle  a  pour  but  :  l'organisation  et  l'exploitation 
commerciale  de  communications  radiotélégraphiques 
à  grande  distance  et  notamment  des  communications 
transatlantiques  par  l'emploi  de  la  machine  à  haute 
fréquence  du  système  du  professeur.  Rudolf  Gold- 
schmidt. 

Arrivons  maintenant  au  Conseil  d'administration 
de  la  Compagnie  Universelle. 

Voici  d'abord  un  technicien,  M.  Bordelongue,  ancien 


106  l'avant-guerre 

directeur  des  services  télégraphiques  au  ministère  des 
Postes  et  Télégraphes,  puis  M.  Paul  Dislère,  président 
de  section  honoraire  au  Conseil  d'État;  un  savant  très 
honorablement  connu,  M.  d'Arsonval,  du  Collège  de 
France;  M.  E.-G.  Suis,  administrateur  en  chef  des 
Postes  et  Télégraphes.  Puis  trois  gros  juifs,  Lazare  Weil- 
ler,  MareelBloehydirecteuvàe  la  Banque  transatlantique, 
et  M.  Emile  Cohn,  de  Berlin.  Puis,  M.  Juiius  Drueker, 
industriel  à  Brûnn  (Autriche-Hongrie)  ;  Robert  Held, 
directeur  de  la  Compagnie  Lorenz,  de  Berlin;  et  enfin, 
M.  Curt  Sobernheim,  directeur  de  la  Commerz  und 
Disconto  Bank  de  Berlin.  Ce  dernier  nom  est  signifi- 
catif. 

La  Compagnie  Universelle  est  fondée  au  capital  de 
dix  millions.  Or,  la  Commerz  und  Disconto  Bank  de 
Berlin  a  souscrit  plus  de  la  moitié  de  ce  capital,  c'est- 
à-dire  cinq  millions  et  quelques  centaines  de  mille 
francs.  En  d'autres  termes,  elle  s'est  assuré  la  haute 
main  sur  la  Compagnie  et  c'est  ainsi  que  nous  voyons 
son  directeur  occuper,  dans  le  conseil  d'administration, 
le  fauteuil  de  vice-président. 

Or,  pourquoi  la  Disconto  Bank  s'est-elle  assuré  une 
aussi  grande  part  d'intérêts  dans  la  nouvelle  société? 
Pour  les  beaux  yeux  des  Français?  Je  ne  le  pense  pas. 
Pour  gagner  de  l'argent?  Il  semble  bien  qu'une  science 
telle  que  la  télégraphie  et  la  téléphonie  sans  fil,  à  Tâge 
où  elle  est,  soit  plutôt  utilisée  par  les  gouvernements 
pour  la  défense  de  leur  pays,  que  par  les  hommes  d'af- 
faires à  des  fins  commerciales. 

Me  trompé-je  beaucoup  en  affirmant  que  la  Disconto 
Bank  poursuit  plutôt  une  œuvre  patriotique  qu'une 
affaire  —  et,  après  tout,  pourquoi  les  deux  intérêts  ne 
marcheraient-ils  pas  de  pair? 


CHAPITRE    III 

NOS  COTONS-POUDRES  ET  L'ALLEMAGNE 

LE  MINISTÈRE  DE  LA  GUERRE  FRANÇAIS 

A  ADOPTÉ  EXCLUSIVEMENT 

UNE  HUILE  DE  GRAISSAGE  ALLEMANDE 

POUR   LE  SERVICE  AUTOMOBILE 

DE  L'ARMÉE  FRANÇAISE 


NOS   COTONS-POUDRES    ET   LES    «    GEBRUDER    MARTIN    » 

Cette  question  a  fait  l'objet  d'un  article  paru  dans 
Y  Action  Française  du  25  décembre  1912  sous  la  si- 
gnature de  notre  collaborateur  Alain  Mellet. 

A  la  suite  des  nombreuses  déflagrations  spontanées 
qui  se  produisirent  dans  nos  poudres  de  guerre  on 
s'est  préoccupé  de  chercher  le  véritable  secret  des 
poudres  stables. 

Or,  il  y  a  quelques  mois,  un  émlnent  industriel  qui 
est  un  remarquable  savant  et  dont  le  patriotisme  est 
notoire,  M.  de  X...,  offrit  à  notre  ministre  de  la  Ma- 
rine de  lui  révéler  ce  secret  et  de  doter  notre  flotte 
d'un  explosif  offrant  toutes  garanties. 


108  l'avant-guerre 

Le  Laboratoire  Central  ainsi  que  tous  les  appareils 
qu'il  demanda  furent  mis  à  sa  disposition.  Tous  les 
produits  indiqués  par  lui  et,  notamment,  le  coton  qu'il 
déclarait  nécessaire  à  ses  essais  lui  furent  fournis. 
M.  de  X...  eut  besoin  d'un  coton  déterminé  :  celui  de 
la  société  anonyme  de  blanchiment  de  Montferrand 
(Doubs). 

Qu'est-ce  que  la  société  de  Montferrand  ? 

Nous  allons  trouver  de  précieuses  indications  dans 
les  minutes  du  greffe  du  tribunal  de  commerce  de 
Besançon.  En  voici  un  extrait  : 

RÉPUBLIQUE   FRANÇAISE  l 

N°  343  du  Répertoire. 

Dépôt  du  six  mai  mille  neuf  cent  cinq. 

Société  anonyme  pour  le  blanchiment  du  coton,  dont 
le  siège  est  à  Montferrand,  canton  de  Boussières 
(Doubs),  au  capital  de  six  cent  mille  francs,  divisé  en 
douze  cents  actions  de  cinq  cents  francs  chacune, 
dont  neuf  cents  à  souscrire  en  numéraire  et  à  libérer 
du  quart  au  moins  lors  de  la  souscription. 

Liste  des  souscripteurs  et  état  des  versements 

effectués. 

M.  Martin  (H.),  industriel  à  Mûlheim-sur-le-Rhin 
(Allemagne);  nombre  d'actions  souscrites:  250;  mon- 
tant nominal  des  actions  :  125.000  francs;  versements 
effectués  :  31.250  francs. 

M.  Martin  (P.),  industriel  à  Mùlheim-sur-le-Rhin 
(Allemagne);  nombre  d'actions  souscrites  :  200;  mon- 
tant nominal  des  actions  :  100.000  francs;  versements 
effectués  :  25.000  francs. 

M.  Martin  (G.),  industriel  à  Mûlheim-sur-le-Rhin 
(Allemagne);  nombre  d'actions  souscrites  :  200;  mon- 
tant nominal  des  actions  :  100.000  francs:  versements 
effectués  :  25.000  francs. 


NOS    COTONS-POUDRES    ET    l'aLLEMAGNE  109 

{Ici  un  certain  nombre  de  souscripteurs  français  in- 
dustriels et  négociants  de  la  région). 

Totaux.  —  Nombre  d'actions  souscrites  :  900;  mon- 
tant nominal  des  actions  :  450.000  francs;  versements 
effectués  :  112.500  francs. 

Le  présent  état  est  certifié  exact  et  véritable  par 
M.  H.  Martin,  soussigné,  fondateur  de  la  Société  ano- 
nyme pour  le  blanchiment  du  coton  dont  le  siège  est 
à  Montferrand  (Doubs). 

Besançon,  le  cinq  avril  mil  neuf  cent  cinq. 

Lu  et  approuvé  : 

Signé  :  H.  Martin  Pour  expédition  : 

Le  Greffier  :  Guillemard. 

Qu'est-ce  que  ces  frères  Martin  qui  figurent  pour 
325.000  francs  sur  450.000  francs  dans  la  liste  des 
souscripteurs? 

Leur  nom,  commun  en  France,  l'est  non  moins  en 
Allemagne,  et,  il  ne  faut  pas  qu'on  s'y  trompe  :  nous 
avons  les  preuves  absolues  que  les  Martin,  les  Ge- 
brûder  Martin,  de  Mill/ieim-sur-Rhin,  sont  allemands. 

Ce  sont  ces  Allemands  qui,  depuis  plusieurs  mois, 
avec  la  ténacité  propre  à  leur  peuple,  intriguent  sous 
le  couvert  d'un  nom  français  pour  se  rendre  indispen- 
sables dans  la  fourniture  de  la  matière  première  de  nos 
poudres.  Ce  sont  ces  Allemands  qui,  installés  en  pleine 
France,  ont  cherché  à  développer  à  leur  aise  une  in- 
dustrie allemande  sur  un  point  que  sa  situation  géogra- 
phique sur  le  canal  du  Rhône  au  Rhin,  rend  précieux 
pour  eux  en  cas  de  guerre,  puisqu'il  leur  serait  aussi 
facile  d'approvisionner  de  là  leurs  compatriotes  alle- 
mands que  l'État  français. 

Les  «  Gebrûder  Martin  »  n'en  sont  d  ailleurs  pas  à 
leur  coup  d'essai.  Ils  reçoivent  depuis  plusieurs  années 
d'importantes  commandes  du  ministère  de  la  Guerre, 
puisqu'ils  prennent  part  régulièrement  aux  adjudica- 
tions. Mais  ils  reçoivent  aussi  les  commandes  de  l'État 
allemand.  Si  scandaleux  que  le  fait  puisse  paraître,  il 


110  l'avant-guerre 

est  certain.  Il  existe,  en  effet,  à  Mùlheim  une  seconde 

usine  dirigée  par  les  Gebrûder  Martin Or,  l'usine 

allemande  soumissionne    aux  adjudications  du  minis- 
tère de  la  Guerre  allemand. 

A  la  suite  de  ces  révélations,  M.  de  X nous 

adressa  une  lettre  rectificative  dans  laquelle  il  nous 
déclarait  : 

1*  Qu'il  n'avait  jamais  eu  aucun  intérêt  dans  la 
Société  de  Montferrand  et  qu'il  n'en  avait  plus  dans 
la  Société  de  Besançon  ;  il  avait  demandé  des  cotons 
de  Montferrand  parce  qu'il  les  connaissait  pour  en 
avoir  employé  en  Hongrie.  «  Il  avait,  au  contraire 
constamment  demandé  que  le  gouvernement  français 
achetât  ses  cotons  en  balles  d'origine  et  les  blanchît 
lui-même.  » 

2®  Que  les  échantillons  de  pyroxyles  de  guerre  par 
lui  préparées  aux  Poudres  et  Salpêtres  avaient  ré- 
pondu exactement  aux  conditions  requises,  comme  en 
faisait  foi  le  procès-verbal  officiel. 

S*»  Que  les  expériences  de  purification  et  de  stabi- 
lisation ne  pouvaient  être  entreprises  à  Paris,  parce 
que  le  Laboratoire  Central  des  Poudres  et  Salpêtres 
ne  possédait  aucun  des  appareils  nécessaires. 

Qu'il  soit  bien  entendu   que  l'éminent  chercheur 

qu'est  M.   de  X n'est  nullement  en  cause  dans 

cette  affaire.  L'essentiel  de  notre  renseignement  con- 
siste en  ceci  :  qu'une  Société  allemande  prend  part 
indirectement  —  par  ses  trois  membres  les  plus  im- 
portants —  aux  adjudications  du  ministère  de  la  Guerre 
pour  la  fourniture  du  coton-poudre.  C'est  là  le  point 
capital,  le  seul  qui  nous  intéresse,  car  il  met  en  péril 
une  fois  de  plus,  les  intérêts  de  la  Défense  Nationale.,;^ 


NOS    COTONS-POUDRES   ET    l'aLLEMAGNE  111 


HUILE    DE    GRAISSAGE    ALLEMANDE    ET    AUTOMOBILES 
DE    l'armée    FRANÇAISE 

Nous  avons  déjà  eu  roccasion  de  nous  occuper 
incidemment,  au  cours  de  ces  études,  de  la  Société 
Stern-Sonneborn  et  du  produit  qu'elle  fabrique  sous 
le  nom  d'Huile  Sternoline-Ossag. 

Lucien  Baumann  est,  nous  l'avons  vu,  fort  satis- 
fait des  résultats  obtenus  dans  ses  Moulins  de  Corbeil 
par  l'emploi  de  cette  huile.  Qu'il  se  fournisse  chez 
ses  compatriotes,  c'est  son  intérêt.  Mais  où  la  chose 
devient  inexplicable,  c'est  quand  on  voit  notre  minis- 
tère de  la  Guerre  français  s'adresser  à  une  société 
allemande  pour  lui  demander  de  lui  fournir  son 
huile  de  graissage  pour  ses  automobiles  ! 

Tel  est  pourtant  le  cas. 

Notre  confrère  le  Mois  Automobile  a  signalé  ce 
fait  scandaleux.  Il  ne  faudra  donc  pas  trop  s'étonner 
si,  au  moment  de  la  mobilisation,  un  certain  nombre 
de  ces  automobiles  restent  en  panne,  soit  que  l'huile 
de  la  société  «  française  »  Stern-Sonneborn  vienne  à 
manquer,   la   maison- mère    de    Hambourg   (21-26, 
Werfstrasse)  n'en  envoyant  plus  à  Pantin,  soit  que 
cette  huile,  comme  par  hasard,  devienne  d'une  qua- 
lité détestable  et,  en  l'occurrence,  dangereuse.  C'est 
à  se  demander  si  les  services  responsables  du  minis- 
tère de   la  Guerre  n'ont  pas    perdu  la  tête.   Il  ne 
manque  pas  de  maisons  françaises   qui  fourniraient 
de  l'huile  de  graissage.  Cette  préférence  exclusive 
accordée  à  l'ennemi  éventuel  ne  s'explique  pas. 
^       J'ai  là,  sur  ma  table,  à  la  disposition  des  incré- 


112  l'avant-guerre 

dules  le  prospectus  suivant  imprimé  en  caractères 
rouges  : 

Ministère  de  la  Guerre. 

Après  un  concours  sévère,  tant  technique  que  pra- 
tique, 32  concurrents  ont  été  éliminés  et  l'Huile  Ster- 
noline-Ossag  a  été  seule  retenue  comme  remplissant 
toutes  les  conditions  requises;  elle  est  donc  adoptée 
exclusivement  pour  le  service  des  automobiles  de  Var- 
m.ée  française. 

C'est  formidable,  n'est-ce  pas?...  surtout  quand 
on  sait  que  les  administrateurs  de  la  société  ano- 
nyme «  française  »  Stern-Sonneborn  s'appellent 
Maurice  Baer,  Isidore  Braun,  Paul  Berliner,  Jo- 
seph Stern  et  J.  SoNNEBORN  !  Jugez  un  peu  ce  que 
ce  serait  si  la  société  n'était  pas  «  française  ». 

Les  administrateurs  de  la  Société  Stern-Sonne- 
born  sont  domiciliés  légalement  en  Allemagne,  et 
ceci  constitue  un  manquement  à  la  loi  qui  veut  que 
les  administrateurs  de  sociétés  fournissant  l'Etat 
aient  au  moins  leur  domicile  légal  en  France. 

Stern  et  Sonneborn  fournissent  en  particulier 
l'arsenal  de  Tulle.  Ils  fournissent  aussi  et  exclu- 
sivement la  Préfecture  de  la  Seirie  (usines  des 
Eaux,  etc.).  Le  21  septembre  1912,  la  concession 
leur  fut  adjugée  d'un  premier  lot  de  fourniture  (huiles 
et  graisses),  atteignant  le  chiffre  de  176.000  francs. 
Il  serait  intéressant,  entre  parenthèses,  de  connaître 
les  noms  des  agents  de  cette  firme  allemande  qui 
sont  chargés  de  visiter  les  arsenaux  se  fournissant 
chez  elle. 

Enfin,  on  m'affirme  que  Stern  et  Sonneborn  font 
des  rabais  énormes  et  complètement  inexplicables. 


NOS   COTONS-POUDRES   ET   l'aLLEMAGNE  113 

Le  cas  a  déjà  été  signalé  dans  diverses  branches 
d'industrie  et  notamment  quant  aux  locomotives 
allemandes  fournies  à  nos  compagnies  de  chemins 
de  fer...  ce  qui  constitue  aussi,  de  la  part  de  ces 
compagnies,  une  grave  imprudence.  Comment,  en 
temps  de  guerre,  procéderait-on  aux  réparations 
qui  exigent  soit  un  personnel  allemand,  soit  des 
pièces  de  rechange  allemandes  ? 

Pendant  ce  temps,  l'Etat  allemand,  comme  le 
constate  notre  confrère  Georges  Prade,  du  Journal, 
décide  que,  vu  l'importance  nationale  des  services 
automobiles  et  de  dirigeables  et  des  moteurs  à  explo- 
sion, il  fabriquera  lui-même  le  carburant  des  mo- 
teurs de  son  armée  : 

Le  gouvernement  allemand  vient  de  prendre  une 
décision  plus  hardie  :  il  vient  de  passer  commande 
d'un  matériel  d'usine  qui  sera  sa  propriété  et  qui,  ali- 
menté par  le  charbon  fourni  par  le  gouvernement  lui- 
même,  doit  fournir  un  minimum  de  trois  cent  mille 
hectolitres  de  benzol  par  an. 

Le  carburant  destiné  à  l'armée  allemande  sera  désor- 
mais fabriqué  en  Allemagne,  par  l'État  allemand. 

Que  va-t-on  faire  en  France  ? 

En  France,  mon  cher  confrère?  Oh!  c'est  bien 
simple  :  on  va  s'adresser  à  une  société  allemande  et 
lui  accorder  le  privilège  exclusif  de  fourniture  de 
carburant  aux  moteurs  de  l'armée  française... 


CHAPITRE    IV 

LES    MESSAGERIES    DÉPARTEMENTALES 
PAR    AUTOMOBILES 


Il  est  inutile  d'insister  longuement  sur  ce  fait  que 
les  transports  par  automobiles  —  qu'il  s'agisse  de 
troupes,  ou  d'approvisionnements,  ou  de  munitions, 
ou  de  combustible,  ou  de  chevaux — joueront  un  rôle 
considérable  dans  la  guerre  future.  Ces  chariots  que 
Napoléon  réquisitionnait  pour  les  derniers  combats 
de  la  Campagne  de  France  seront  remplacés  par  des 
camions  couverts  à  traction  automobile.  Il  serait 
donc  prudent,  dès  maintenant,  de  n'accorder  de  con- 
cessions de  ce  genre  qu'à  des  messageries  absolu- 
ment françaises,  administrées  par  des  Français  au- 
thentiques, je  veux  dire  qui  ne  soient  ni  Allemands, 
naturalisés  ou  non,  ni  Juifs  d'origine  allemande,  ni 
Juifs  tout  court,  ni  métèques.  L'autorisation  serait 
encore  aggravée  dans  le  cas  où  elle  s'accompagnerait 
d'une  subvention  du  ministère  de  la  guerre  fran- 
çais octroyée  sans  de  sérieuses  garanties  de  nationa- 
lité et  même,  en  ce  cas,  de  patriotisme. 

Or,  je  vous  présente  la   Société  des  Messageries 


MESSAGERIES  DEPARTEMENTALES  PAR  AUTOMOBILES     115 

départementales  2Mr  automobiles,  telle  que  nous  la 
peint  la  Cote  Des  fossés  —  organe  financier  des  plus 
connus  —  dans  son  numéro  du  16  février  1912.  Je 
vous  dirai  tout  de  suite  que  le  conseil  d'administra- 
tion de  cette  société  se  compose  de  MM.  Blumenthal 
[président,  domicilié  à  Paris),  Zouckermann  (admi- 
nistrateur-délégué, à  Coulommiers),  Bauml  et  R. 
Gabriel.  Voici  maintenant  quel  est  l'objectif  de  cette 
société  que  je  mets  ici  en  cause  comme  faisant  appel 
au  crédit  public  français  : 

La  Société  des  Messageries  Départementales  par 
yla^omo6ï7es,  dont  les  actions  figurent  dans  nos  tableaux 
de  Bourse  du  marché  en  Banque,  au  comptant,  a 
été  constituée  le  28  janvier  1908. 

Elle  a  pour  objet  toutes  opérations  de  transports  par 
automobiles  en  commun,  en  France  et  à  l'étranger^ 
tous  camionnages  automobiles,  l'obtention,  l'acquisition 
et  l'exploitation  de  toutes  concessions  et  de  contrats  de 
transports  en  commun  par  voitures  automobiles,  l'étu- 
de, la  création  et  l'organisation  de  toutes  entreprises 
de  transports  en  automobiles  ;  enfin  l'acquisition  ou  la 
location  de  tous  meubles  servant  à  l'exploitation  de 
cette  industrie. 

Elle  peut  également  prendre  des  participations  dans 
toutes  opérations  industrielles  ou  commerciales  pou- 
vant se  rattacher  en  tout  ou  partie  à  V objet  social,  par 
voie  de  création  de  Sociétés  nouvelles,  d'apports,  de 
souscription  ou  achats  de  titres  ou  droits  sociaux^ 
fusion^  association,  participation  ou  autrement. 

Vous  remarquerez  ce  «  en  France  et  à  l'étranger  » 
qui  internationalise  la  société  de  MM.  Blumenthal, 
Zouckermann  et  Bauml.  Vous  remarquerez  égale- 
ment la  latitude  qu'elle  se  réserve,  latitude  de  rat- 
tachement à  l'industrie  et  au  commerce.  Tous  les 
détails  ici  ont  leur  valeur. 


116  l'avant-guerre 

Au  début,  il  lui  a  été  accordé  la  concession  d'un 
service  de  transports  en  commun  par  automobiles  entre 
Coulommiers  et  Melun  d'une  part,  et  La  Ferté-sous- 
Jouarre  et  Coulommiers  d'autre  part.  La  première 
comportait  une  longueur  de  49  kilomètres;  elle  était 
dotée  d'une  subvention  du  département  de  19.600  frs.; 
la  seconde  (La  Ferté-sous-Jouarre-Coulommiers),  d'une 
longueur  de  23  kilomètres.  A  ces  deux  lignes  furent 
ajoutées  successivement  celles  de  Coulommiers  à 
Meaux,  de  25  kilomètres  et  Melun  à  Nangis,  de  33  kilo- 
mètres. 

Jusqu'en  mai  1909,  seule  la  ligne  principale  Melun- 
Coulommiers  fonctionna;  à  cette  date,  celle  de  Meaux- 
Coulommiers  entra  en  activité,  puis  en  août  1910  celle 
de  Coulommiers  à  La  Ferté-sous-Jouarre.  La  dernière 
n'a  été  concédée  qu'en  septembre  1911.  La  longueur 
totale  du  réseau  atteint,  dans  ces  conditions,  130  kilo- 
mètres. 

La  première  subvention  de  19.600  francs  a  été  élevée 
progressivement  :  en  avril  1911,  elle  a  été  portée  à 
59.200  francs  par  an;  puis  en  septembre  1911,  le  Conseil 
général  l'a  augmentée  de  44.800  francs,  dont  moitié  à 
la  charge  de  l'État,  l'autre  moitié  au  département; 
enfin,  quelques  communes  desservies  ont  alloué 
1.125  francs,  de  sorte  qu'au  total,  les  sommes  accordées 
à  la  Compagnie  s'élevaient  à  105.125  francs  par  an. 

J'ai  à  peine  besoin  de  faire  remarquer  l'importance 
stratégique  de  la  région  choisie,  pour  ses  premiers 
essais,  par  cette  société  de  messageries  automobiles. 

Pour  augmenter  encore  ses  profits,  la  Compagnie 
va  organiser  en  Seine-et-Marne,  à  partir  du  mois  pro- 
chain, un  service  de  gros  camionnage  pour  relier  direc- 
tement les  centres  principaux  du  département  avec 
Paris.  Cette  nouvelle  installation  exigera  250.000  francs 
de  dépenses  de  matériel  et  d'organisation  qu'elle  prélè- 
vera sur  les  sommes  dont  elle  dispose. 

Elle  estime  que  cette  nouvelle  branche  commerciale 
lui  procurera  une  recette  annuelle  de  556.400  francs  et 
n'exigera  que   393.800   francs   de   dépenses,    de    telle 


MESSAGERIES  DÉPARTEMENTALES  PAR  AUTOMOBILES    117 

sorte  qu'il  lui  resterait  162.000  francs  de  bénéfices  nets- 
En  outre,  comme  ses  disponibilités  seront  encore  plus 
que  suffisantes  pour  ses  besoins,  elle  a  sollicité  dans 
un  département  de  l'Ouest  de  la  France,  une  conces- 
sion d'un  réseau  de  133  kilomètres  pour  le  service  de 
transports  en  commun  par  automobiles.  Le  conseil 
général  de  ce  département  aurait  accordé  en  principe 
la,  concession  et  voté  une  subvention  de  106.400  francs 
par  an  à  la  charge  de  l'Etat  et  du  Département,  chacun 
par  moitié.  Cette  nouvelle  ligne  n'exigerait  que 
250.000  francs  de  dépenses. 

Lors  de  la  session  d'août  1911,  messieurs  Blumen- 
thal,  Zouckermann  et  Bauml  demandaient  au  dépar- 
tement et  aux  conseillers  généraux  de  la  Charente - 
Inférieure  la  concession  de  ciyiq  lignes  (rien  que  ça  !) 
dont  «  Rochefort  à  Royan  »,  «  Rochefort  à  Port-des- 
Barques  »,  «  La  Rochelle  à  Charron  ».  Un  des  con- 
seillers généraux  ainsi  sollicités,  m'a  fait  remarquer, 
fort  justement,  que  deux  de  ces  lignes  partent  d'un 
port  de  guerre,  Rochefort;  que  toutes  deux  abou- 
tissent au  littoral,  l'une  à  l'embouchure  de  la  Gironde 
(fort  de  Royan),  l'autre  à  la  rade  de  Rochefort,  à 
l'embouchure  même  de  la  Charente.  La  troisième 
ligne  suit  la  côte,  de  La  Rochelle  à  l'embouchure  de 
la  Sèvre-Niortaise,  passant  à  côté  du  port  de  la 
Palliée,  bassin  en  eau  profonde,  station  de  sous- 
marins,  longeant  la  rade  où  mouille  souvent  l'escadre 
du  Nord.  On  voit  que  MM.  Blumenthal,  Zoucker- 
mann et  Bauml,  dans  leurs  tracés  de  plans,  ont  une 
dilection  spéciale  pour  la  marine  de  guerre  française. 
Cette  remarque  émut  sans  doute  les  conseillers  géné- 
raux de  la  Charente-Inférieure,  mais  pas  au  point 
de  leur  faire  accepter  les  conditions,  par  ailleurs  fort 
onéreuses  pour  le  département  et  l'Etat,  de  MM.  Blu- 
menthal, Zouckermann  et  Bauml.  Avec  la  ténacité 


118  l'avant- GUERRE 

juive,  ces  intrépides  camionneurs  renouvelèrent  leur 
demande  en  avril  1912,  sans  plus  de  succès. 

Il  n'échappera  à  personne  que  l'extension  d'un 
semblable  service  de  transport  acquiert  au  point 
de  vue  des  opérations  de  guerre  une  réelle  impor- 
tance. 

Il  semble  donc,  en  conséquence,  que  les  pouvoirs 
publics  devraient  tenir  la  main  à  ce  que  les  per- 
sonnes à  la  tête  de  cette  entreprise  fussent  de  natio- 
nalité française.  Mais  pas  plus  ici  que  pour  les  cas 
précédents,  le  gouvernement  républicain  n'a  pu  ou 
voulu  exiger  cette  garantie  élémentaire. 

Admettre  des  étrangers  et  spécialement  des  juifs 
allemands  ou  polonais  à  la  direction  d'une  entreprise 
comme  celle  des  Messageries  Départementales,  c'est 
leur  donner  toutes  facilités  pour  étudier  le  pays, 
ses  routes,  ses  ressources.  On  peut  craindre  qu'en 
temps  de  guerre  ils  ne  laissent  saboter  leurs  voi- 
tures, mettant  ainsi  le  service  des  transports  dans 
l'impossibilité  de  les  utiliser  pour  les  approvision- 
nements et  la  troupe. 

Le  ministère  de  la  Guerre  devrait,  semble  t-il, 
exiger  d'autant  plus  de  garanties  spéciales  de  ces 
compagnies  que,  pour  justifier  son  droit  de  réquisi- 
tion, il  leur  attribue  une  prime  une  fois  versée  de 
5.600  francs  par  voiture  automobile  et  de  6.800  francs 
par  camion  automobile. 

Cette  prime  représente  à  peu  près  la  moitié  dn 
prix  d'acquisition. 

En  vertu  de  larticle  103  de  la  loi  de  finances  du 
8  avril  1910,  ces  primes  sont  accordées  sous  diverses 
obligations.  La  première  c'est  que  les  véhicules  pri- 
més doivent  {article  4)  : 


MESSAGERIES  DEPARTEMENTALES  PAR  AUTOMOBILES    119 

Etre  neufs,  avoir  été  complètement  construits  en 
France  avec  des  matières  premières  usinées  entière- 
ment en  territoire  national,  dans  des  établissements 
employant  un  personnel  dirigeant  et  ouvrier  dont  les 
trois  cinquièmes  au  moins  soient  d'origine  française  ou 
naturalisés  français,  et  possédant  une  installation  et  un 
matériel  suffisant  pour  assurer  la  continuation  de  la 
fabrication  et  de  la  fourniture  des  pièces  de  rechange 
en  temps  de  guerre. 

Le  règlement  a  donc  presque  tout  prévu,  sauf  la 
nationalité  des  administrateurs  de  sociétés  fournis- 
sant ces  véhicules^  les  entretenant  et  réglant  leurs 
parcours.  Ces  primes  du  ministère  sont  accordées  en 
vue  des  services  éventuels  que  doivent  rendre  en 
temps  de  manœuvres,  que  devraient  rendre  en  temps 
de  guerre  les  camions  et  transports  automobiles.  Il 
est  clair  que  si  l'administrateur  de  la  société  desdits 
camions  est  un  Alfred  Dreyfus,  un  UUmo,  un 
Emile  Weyl,  un  Jacques  Grumbach,  par  exemple, 
un  traître  ou  un  déserteur  juif,  ou  juif  allemand  ou 
juif  polonais,  il  y  a  de  grandes  chances  pour  qu'en 
temps  de  guerre  : 

1*  Certains  camions  automobiles,  primés  par  le 
ministère  de  la  Guerre  français,  ne  fonctionnent  plus 
et  qu^un  immeyise  truquage  de  fausses  bandes  et  de 
moteurs  fourbus  soit  découvert  tout  à  coup; 

2°  Les  camions  automobiles,  par  hasard  en  bon 
état^  servent  au  transport  des  approvisionnements 
et  des  soldats  allemands. 

En  d'autres  termes,  ce  qu'il  y  a  de  plus  important 
dans  ces  entreprises,  au  point  de  vue  des  primes 
comme  au  point  de  vue  national,  cest  la  personna- 
lité et  la  natior\alité  de  ceux  qui  les  dirigent. 

Les  noms  de  ceux-ci  auraient  dû  mettre  les  pou- 


120  l'avant- GUERRE 

voirs  publics  en  méfiance.  Leur  consonance  est  si 
peu  française  que  l'on  est  tout  naturellement  porté  à 
poser  les  questions  suivantes  : 

1°  MM.  Blumenthal,  Zouckermann  et  Bauml  sont- 
ils  Français,  je  veux  dire  nés  en  France  de  parents 
français? 

2°  MM.    Blumenthal,    Zouckebmann    et    Bauml  ne 

SONT-ILS  PAS  d'origine  ALLEMANDE,  OU  JUIVE  ALLEMANDE  ? 

3**  MM.  Blumenthal,  Zouckermann  et  Bauml  ont-ils 

FAIT  LEUR  SERVICE  MILITAIRE  EN  FrANGE  OU  EN  ALLE- 
MAGNE, ET  DANS  QUELS   CORPS? 

Au  cours  de  notre  campagne  dans  l'Action  Fran- 
çaise, nous  ne  nous  sommes  pas  fait  faute  de  répéter 
inlassablement  ces  questions  précises.  Elles  n'ont 
encore  reçu  aucune  réponse  au  moment  où  nous 
mettons  sous  presse. 

Nous  avons  tenu  toutefois  à  nous  documenter 
complètement,  tout  au  moins  sur  la  personnalité 
d'un  des  administrateurs-délégués  des  Messageries 
Départementales  et  voici  les  renseignements  que 
nous  avons  recueillis. 

Ce  M.  Zouckermann  serait  un  juif  de  Varsovie. 
Ce  qui  vérifie  une  fois  de  plus  ce  fait  curieux  qu'on 
ne  peut  pénétrer  dans  une  affaire  louche,  sans  y 
rencontrer  un  juif  ou  une  collection  de  juifs  ! 

Or,  Zouckermann,  que  ses  employés  appelaient 
Zouc,  a  toujours  eu  du  goût  pour  les  aiïaires.  Mais  les 
affaires  qu'il  a  entreprises  n'ont  jamais  été  d'une  longue 
durée  ni  d'une  extrême  clarté. 

Il  a  été  imprimeur.  Pas  bien  longtemps.  Puis  bijou- 
tier, faubourg  du  Temple.  Un  incendie  dont  les  jour- 
naux ont  parlé,  à  l'époque,  détruisit  son  magasin  et  le 
força  à  transporter  son  commerce  à  Coulommiers. 


MESSAGERIES  DÉPARTEMENTALES  PAR  AUTOMOBILES    12i 

D'ailleurs,  Zouckermann  a  abandonné  assez  promp- 
tement  la  bijouterie  pour  lancer  son  idée  de  Message- 
ries automobiles. 

Ce  lancement  nécessitait  de  l'argent  et  des  appuis  de 
toutes  sortes. 

Zouckermann  chercha  à  se  procurer  l'un  et  les  au- 
tres. Rochette,  le  fameux  Rochette,  se  chargea  de 
l'émission  de  ses  actions,  en  reconnaissance  de  quoi 
le  frère  dudit  Rochette  fut  pris  par  la  société  naissante, 
comme  directeur.  Lorsqu'il  voulut  obtenir  l'autorisation 
du  conseil  général  de  la  Charente-Inférieure  pour  le 
réseau  qu'il  projetait  d'établir  dans  ce  département, 
Zouckermann,  en  vue  de  s'assurer  au  moins  un  avis 
favorable,  accepta  comme  employé  M.  X.,  frère  d'un 
chef  de  division  à  la  préfecture  de  la  Charente-Infé- 
rieure. Probablement  parce  que  sa  requête  demeura 
sans  succès,  Zouckermann  congédia  brusquement  i 
M.  X...  qui  n'en   pouvait  mais. 

Les  projets  de  Zouckermann  dépassaient,  d'ailleurs,  le 
cadre  d'un  département  et  se  souciaient  même  assez 
peu  des  frontières,  puisque,  il  n'y  a  pas  très  longtemps, 
il  partait  pour  la  Ville  éternelle  et  causait  longuement 
avec  un  autre  juif  —  et  lequel!  —  Nathan,  maire  de 
Rome,  en  vue  d'établir  dans  cette  ville  un  service  de 
transports  automobiles. 

Ayant  serré  d'assez  prés  sa  personnalité,  voyons  main- 
tenant aveo  quelle  désinvolture  Zouckermann  agit  vis-à- 
vis  des  lois  françaises,  lesquelles  montrent  d'ailleurs 
à  son  endroit  une  indulgence  qui  resterait  inexplicable 
si  nous  ignorions  le  445.  Cela  nous  conduira  ensuite  à 
parler  de  certaines  manœuvres  qui  sont  autrement 
graves. 

Le  15  juin  dernier,  le  bureau  de  l'enregistrement  de 
Coulommiers  écrivait  à  ZouL'kermann,  pour  lui  récla- 
mer le  paiement  :  l**  des  droits  sur  des  obligations 
émises;  2**  d'une  amende  â  laquelle  il  avait  été  con- 
damné pour  n'avoir  pas  déposé  un  extrait  de  la  délibé- 
ration   de    son    conseil    d'administration,    en    date    du 

1.  Action  Française  du  19  septembre  1912,  Pierre  Dumou- 
lin. 


122  l'avant-guerre 

11  novembre  1911,  et  qui  fixait  le  dividende  de  la  société 
pour  l'exercice  de  1910.  Cette  amende  a  été  réduite  à 
vingt-cinq  francs. 

Zouckermann  ne  fut  pas  corrigé  par  cette  punition  et, 
au  mois  de  juin  dernier,  une  négligence  du  même 
ordre  lui  valait  une  amende  nouvelle. 

Mais  voici  qui  est  plus  sérieux,  parce  qu'ici  c'est 
l'intérêt  direct  des  ouvriers  français  qui  est  ouvertement, 
cyniquement  méprisé  par  ce  juif. 

On  affirme  qu'il  n'existe  pas,  dans  les  ateliers  des 
Messageries  départementales  de  repos  hebdomadaire,  ni 
de  cahiers  de  roulement.  Et  l'inspecteur  du  travail 
aurait  fait  récemment,  à  Zouckermann,  des  observations 
restées  vaines. 

Zouckermann  emploie,  pour  ses  transports,  des 
camions  primés  par  le  ministère  de  la  Guerre  et  qui 
devraient,  nous  l'avons  vu,  en  cas  de  guerre,  être  réqui- 
sitionnés par  l'autorité  militaire 

Or  on  nous  assure  enfin  qu'au  mois  de  Juin  dernier, 
il  aurait  soustrait  au  recensement  des  véhicules  auto- 
mobiles huit  camions  sur  les  vingt-deux  qu'il  possède  à 
Coulommiers.  Il  aurait,  à  cette  occasion,  été  frappé 
d'une  amende  qui  lui  aurait  été  enlevée  par  l'effet  de 
quelque  mystérieuse  protection. 

On  dit  encore  que  ces  voitures  sont  déjà  en  fort  mau- 
vais état  et  qu'au  moment  de  l'examen  annuel  de  ces 
camions  par  l'autorité  militaire,  Zouckerjiiann  use  d'un 
stratagème  pour  cacher  cet  état  et  emploie  notamment 
des  pneumatiques  de  pacotille,  mais  qui  paraissent 
solides  et  neufs  i. 

On  le  voit,  il  n'y  a  rien  dans  tout  ceci  qui  permette 
de  justifier  cette  bienveillance  toute  particulière  des 
pouvoirs  publics  dont  bénéficie,  une  fois  de  plus,  une 

1.  Extrait  d'un  article  paru  dans  un  numéro  de  VAction 
Française  du  19  septembre  1912,  sous  la  signature  de  notre 
collaborateur  Pierre  Dumoulin,  et  qui  n'amena  aucune  pro- 
testation ai  rectification  de  la  part  des  intéressc.s. 


MESSAGERIES  DEPARTEMENTALES  PAR  AUTOMOBILES     123 

société  étrangère,  la  société  des  Messageries  Dépar- 
tementales. 

Et  l'on  est  en  droit  de  demander  avec  une  nouvelle 
insistance  quelles  influences  sont  intervenues  en 
faveur  de  cette  compagnie,  à  l'encontre  des  intérêts 
de  la  Défense  Nationale? 


TROISIÈME   PARTIE 


LA  NORMANDIE  ENVAHIE 


CHAPITRE    I 


GENERALITES 


La  formidable  expansion  industrielle  qu'a  prise 
l'Allemagne  depuis  sa  victoire  de  1870,  Fa  mise  dans 
la  nécessité  absolue  de  se  procurer  les  matières  pre- 
mières indispensables  à  la  vie  industrielle  :  le  char- 
bon, le  fer. 

Pour  ce  qui  est  du  charbon,  la  Westphalie  lui  en 
fournit  en  quantité  plus  que  suffisante  ;  mais  le  fer 
va  lui  manquer.  Le  maximun  de  son  exploitation 
sera  atteint  dans  dix  ans,  et  dans  quarante  ans  toutes 
ses  ressources  en  fer  seront  épuisées.  Il  faut  donc 
qu'elle  en  trouve  à  tout  prix.  Or  par  suite  du  procédé 
Thomas,  qui  a  permis  l'exploitation  des  gisements 
phosphoreux,  sans  valeur  jusque-là,  la  France  est  en 
train  de  devenir  la  première  puissance  métallurgique 
du  monde. 

L'importance  de  la  question  n'échappe  à  personne 
et  elle  est  un  peu  partout  à  l'ordre  du  jour.  La 
Gazette  des  Tribunaux  elle-même  s'en  occupe.  On 
lisait,  en  effet,  dans  son  numéro  du  26  octobre  der- 
nier, à  propos  du  cinquième  congrès  de  la  Propriété 
minière,  récemment  tenu  à  Liège  : 


128  l'avant-guerre 

M.  Pawloski  a  présenté  un  rapport  sur  la  situation 
générale  des  ressources  en  minerai  de  fer.  Pendant 
longtemps,  l'Espagne,  avec  la  région  de  Bilbao,  a  été 
le  principal  producteur.  Mais  les  gisements  s'épuisent, 
et  d'après  les  derniers  rapports  du  gouvernement 
espagnol,  ils  auront  disparu  dans  trois  ou  quatre  ans. 
L'Allemagne  et  quelques  autres  pays  ont  recours  à  la 
Suède,  mais  l'exploitation  d'État  y  réduit  l'extraction, 
de  façon  à  réserver  les  gisements.  Cette  exploitation 
sera  donc  toujours  limitée.  Restent  l'Allemagne,  le 
Luxembourg,  l'Alsace-Lorraine  et  la  France.  Le  fer 
Luxembourgeois  durera  cent  ans,  si  l'on  n'exagère 
})as  Pextraction.  11  en  sera  de  même  des  gisements 
d'Alsace-Lorraine.  C'est  la  France  qui  contient  le  grand 
centre  sidérifère  à  sa  région  frontière,  au  prolonge- 
ment du  morceau  que  les  Allemands  ont  eu  soin  d'an- 
nexer en  1870,  croyant  absorber  ainsi  toutes  nos 
mines  de  fer.  On  ne  se  figurait  pas,  alor.=;,  que  le 
bassin  de  Briey  pût  s'étendre  à  l'ouest.  On  le  reconnut 
en  1880.  Aujourd'hui,  il  y  a  dans  le  bassin  do  Briey 
soixante-dix  concessions,  dont  vingt-cinq  en  exploi- 
tation. La  production  s'accroît  sans  cesse.  Elle  a  atteint 
quatorze  millions  détonnes  en  IDIL  Même  avec  toutes 
les  augmentations  prévues,  il  y  a  là  du  minerai  de  fer 
pour  plus  d'un  siècle.  Les  Allemands  y  développent 
celles  des  concessions  qui  leur  appartiennent  ou  dans 
lesquelles  ils  ont  des  participations. 

Il  y  a  trois  ans  et  demi,  le  gouvernement  français 
chargeait  le  conseil  des  mines  d'élucider  la  question 
consistant  à  savoir  s'il  y  a  du  fer  en  Normandie.  Déjà 
dix-sept  concessions  avaient  été  octroyées  et  l'on  crai- 
gnait la  mainmise  allemande.  Le  conseil  des  mines 
déclara  qu'il  n'y  avait  pas  de  fer. 

Or,  c'est  le  contraire  qui  était  exact,  conformément 
à  l'opinion  déjà  exprimée  par  Elie  de  Beaumont.  La 
Normandie  est  un  immense  champ  de  fei%  dix  fois  plus 
riche  que  celui  de  Briey.  Aujourd'hui.,  ce  bassin  est 
la  propriété  d'Allemands.  Une  première  bande  con- 
tient quatre  mines,  dont  trois  appartiennent  à  la 
Gutehoffnungshutte  et  la  quatrième  à  des  Français 
qui  ont   un  contrat  de  dix-neuf  ans  avec  des  Aile- 


GÉNÉRALITÉS  129 

mands.  Une  deuxième  bande  contient  cinq  concessions, 
appartenant  aux  firmes  allemandes  Thyssen,  Gute- 
hoffnungshutte  et  Phœnix.  Une  troisième  bande  con- 
tient une  concession  appartenant  à  des  Allemands. 
Enfin,  une  quatrième  bande  contient  une  concession 
appartenant  à  un  Hollandais. 

Dans  la  zone  sud  de  la  Normandie,  les  sociétés  fran- 
çaises sont  enfin  intervenues,  grâce  à  l'active  propa- 
gande de  M.  Métayer,  professeur  à  l'Ecole  centrale,  et 
sur  dix-huit  concessions  deux  appartienent  à  des  so- 
ciétés françaises,  les  autres  à  des  Allemands. 

On  n'a  pas  fait  la  même  erreur  en  Anjou,  où  d'im- 
portants gisements  de  fer  se  sont  révélés.  La  grande 
métallurgie  française  y  a  fait  un  effort  extraordinaire 
et  sollicite  de  toutes  parts  des  concessions. 

La  France  est  donc  un  vaste  champ  de  fer,  minerai 
qu'elle  est  appelée  à  fournir  au  monde  entier.  Dans  les 
Pyrénées,  dont  les  gisements,  riches  en  qualité  comme 
en  quantité,  s'étendent  de  la.  Garonne  à  Port-Vendres, 
plus  de  cent  millions  de  francs  ont  été  dépensés  en 
recherches  par  des  demandeurs  en  concession.  Actuel- 
lement, 360  postulants  attendent  qu'il  soit  statué  sur 
leurs  demandes.  Le  gouvernement  prétend  que,  pour 
statuer,  il  lui  faut  attendre  le  vote  delà  nouvelle  loi  sur 
les  mines. 

Le  dénombrement  Je  ces  360  postulants  serait 
intéressant  à  connaître.  Il  doit  y  avoir  parmi  eux  un 
certain  nombre  de  prête-nom  de  Thyssen.  Par  ail- 
leurs, une  récente  communication  à  l'Académie  des 
Sciences  montre  une  fois  de  plus  l'importance  des 
gisements  de  Normandie.  Cette  note  a  pour  objet  : 
«  La  structure  du  bassin  d'Urville  {Calvados)  et  ses 
conséquences  au  point  de  vue  de  Vexploitabilité  du 
minerai  de  fer.  »  Cette  structure,  telle  qu'elle  vient 
d'être  dévoilée,  assure  à  l'industrie  une  réserve 
de  minerai  de  beaucoup  supérieure  au  tonnage 
prévu. 

Cette  situation  prépondérante  ne  va  pas  sans  sus- 

5 


J30  l'avant-guerre 

citer  Tenvie  de  notre  voisine  de  l'Est  et  allumer  ses 
convoitises.  Elle  cherche  à  les  satisfaire  en  se  pro- 
curant chez  nous  ce  qui  lui  fait  défaut  chez  elle.  Pour 
arriver  à  ses  fins,  tous  les  moyens  lui  seront  bons  :  la 
corruption,  l'intimidation,  la  violence  même.  Elle  les 
emploiera  avec  succès,  car  elle  ne  trouvera  pas  en 
face  d'elle,  en  France,  un  gouvernement  national 
capable  de  s'opposer  à  la  mainmise  de  notre  ennemi 
sur  les  richesses  de  notre  sous-sol. 

Toute  la  question  est  de  savoir  si  la  France  conti- 
nuera à  se  suicider  en  alimentant  en  minerai  de  fer 
le  dieu  Arminius  et  les  usines  Krupp,  si  elle  conti- 
nuera à  abandonner  à  son  ennemi  (' ventuel  des  en- 
claves en  plein  territoire  français. 

Si  nous  avions  un  gouvernement  soucieux  de  l'in- 
térêt national,  il  aurait  depuis  longtemps  pris  ses 
précautions,  soit  en  modifiant  les  tarifs  de  douane, 
soit  en  réservant  à  ses  nationaux  seuls  les  conces- 
sions de  mines.  Mais  la  France,  étant  en  république, 
est  privée  de  cet  organe  indispensable  de  résistance, 
de  continuité  et  de  responsabilité  politique  que  pos- 
sède l'Allemagne  monarchique.  Celle-ci,  depuis  la 
guerre,  et  notamment  depuis  l'Affaire  Dreyfus,  use 
et  abuse  de  la  situation.  Les  divers  cabinets  qui  se 
sont  succédé  dans  cet  intervalle  ont  continuellement 
et  invariablement  cédé  aux  exigences  progressives 
de  l'Allemagne,  soit  par  cupidité,  soit  par  peur.  De 
concession  en  concession,  nous  en  sommes  arrivés  à 
ce  point  que  nous  ne  pouvons  plus  résister  aux  dites 
exigences  sans  courir  les  risques  d'une  guerre.  Il 
semble  à  l'heure  actuelle  complètement  impossible, 
non  seulement  d'interdire,  mais  même  de  limiter 
l'exploitation  par  notre  encombrante  voisine  des 
mines  de  fer  de  Normandie.  Elle  en  tire,  en  effet,  le 


GÉNÉRALITÉS  131 

fer  qui  lui  est  indispensable  à  son  industrie.  Or,  l'Al- 
lemagne est,  nous  l'avons  dit,  une  puissance  essen- 
tiellement industrielle  et  une  telle  interdiction  ris- 
querait de  la  plonger  avec  son  armée  formidable  et 
sa  population  de  66.000.000  d'habitants  dans  la 
misère.  vSoyons  bien  assurés  qu'elle  ne  se  résoudrait 
pas  à  mourir  de  consomption,  quand^elle  sent,  à  portée 
de  sa  main,  de  quoi  continuer  une  vie  intense. 

Est-ce  à  In  peur  d'un  conflit  ou  à  un  mobile  moins 
désintéressé  qu'il  faut  attribuer  la  clause  dite  «  Au- 
gagneur  »  du  projet  du  ministre  des  Travaux  Publics 
de  1911,  clause  grâce  à  laquelle,  en  Normandie 
comme  en  Lorraine  et  partout  ailleurs,  notre  sous- 
sol  minier  courra  le  risque  d'être  entièrement  livré  à 
l'Allemagne? 

Avant  d'étudier  ce  fameux  projet  Augagneur,  chef- 
d'œuvre  du  genre,  il  faut  savoir  comment  s'obtient, 
le  plus  souvent,  une  concession,  en  République,  avec 
la  loi  de  1810. 

C'est  bien  simple.  Un  individu  se  présente  chez  un 
propriétaire  et  lui  demande  d'effectuer  des  fouilles 
sur  son  domaine,  en  vue  de  découvrir  des  minerais, 
généralement  des  minerais  de  fer.  Si  le  propriétaire 
veut  éconduire  le  visiteur,  celui-ci  lui  explique  que 
son  intérêt  serait,  au  contraire,  de  signer  un  arran- 
gement, afin  de  participer  aux  bénéfices  éventuels  de 
l'exploitation.  Il  insiste.  Il  fait  luire  des  chiffres.  Le 
propriétaire  est  ébranlé,  puis  finalement  se  laisse 
convaincre  et  finit  par  signer  chez  le  notaire  une 
convention  en  bonne  et  due  forme.  L'individu  opère 
les  fouilles,  demande  la  concession,  l'obtient  et  l'ex- 
ploite. Quand  le  propriétaire  s'adresse  alors  à  lui, 
afin  de  réclamer  la  part  convenue,  l'autre  lui  rit  au 
nez  et  lui  exhibe  l'article  suivant  de  la  loi  de  1810  : 


132  l'avant-guerre 

«  Lorsque  VEtat  accorde  une  concession,  cette  conces- 
sion se  trouvey  par  le  fait  même,  libérée  de  toutes 
charges  et  de  tous  engagements  anténeurs.  »  Le  tour 
est  joué. 

Cela  se  passe  ainsi  dix  fois  sur  douze.  On  m'af- 
firme qu'en  ce  moment  même,  dans  beaucoup  de 
sites  normands  et  bretons,  notamment  dans  l'arron- 
dissement d'Argentan  (Orne)  et  de  Segré  (Maine-et- 
Loire),  des  centaines  d'engagements  semblables  se- 
raient signés  par  des  propriétaires  trop  confiants. 

D'après  le  projet  Augagneur,  l'Etat  rompant  avec 
tous  les  principes  de  droit  civil,  et  ceux  de  la  loi  de 
1810  sur  les  mines,  se  déclarerait  carrément  pro- 
priétaire du  sous-sol.  Il  n'y  aurait  plus  aucun  privi- 
lège ni  pour  l'inventeur  ni  pour  ceux  qui  ont  fait  des 
recherches.  Par  conséquent,  l'Etat  serait  maître  d'ac- 
corder une  concession  à  qui  lui  plairait  et  sans  que 
les  étrangers  en  soient  exclus.  Vous  voyez  d'ici  la 
belle  source  de  pots-de-vin  et  la  porte  ouverte  à 
toutes  les  sociétés  étrangères. 

Sans  doute  le  retour  à  l'Etat  apparaît  comme  plus 
juste  en  principe  que  ce  qui  se  passe  actuellement, 
vu  que,  sous  un  régime  normal,  la  collectivité  fran- 
çaise profiterait  du  marché.  Je  me  hâte  d'ajouter 
qu'avec  la  République,  régime  de  l'étranger,  le  retour 
de  la  mine  à  TEtat  continuera  à  favoriser  les  Krupp, 
les  Thyssen  et  les  de  Poorter,  protecteurs  naturels 
et  bienfaiteurs  des  Fernand  David. 

L'industrie  du  fer  est  montée  sur  un  tel  pied  qu'un 
particulier  ne  peut  se  lancer  dans  cette  exploitation. 
Il  faut  un  capital  de  15  à  30  millions  pour  créer  une 
usine  et  creuser  des  puits  de  mines.  Il  n'y  a  donc  que 
des  sociétés  anonymes  par  actions  qui  puissent 
tenter  le  coup.  L'Allemagne  manquant  de  minerai, 


GÉNÉRALITÉS  133 

l'État  français  accordera  des  concessions  à  des 
sociétés  allemandes  qui  se  constitueront  avec  des 
capitaux  français  *.  C'est  ainsi  que  procèdent  en 
effet  nos  habiles  voisins  qui  ne  veulent  pas  compro- 
mettre leurs  capitaux  et  cherchent  à  dissimuler  la 
vraie  nationalité  de  leur  entreprise  derrière  les  capi- 
taux français. 

Une  fois  bien  installés  si  l'affaire  est  avantageuse, 
les  capitaux  allemands  afflueront  et  remplaceront 
les  capitaux  français  avec  la  même  élégance  que  le 
personnel  allemand  se  substituera  de  plus  en  plus 
au  personnel  français...  comme  nous  le  verrons  par 
la  suite  chez  les  Thvssen  et  autres. 

Il  est  un  axiome  que  ne  devait  pourtant  pas  ignorer 

1.  Les  lignes  suivantes,  parues  dans  V Action  Française, 
reproduisent  fidèlement  la  pensée  de  M.  Weiss,  directeur  des 
mines  : 

«  Interrogé  au  sujet  d'une  demande  de  concession  minière 
dans  le  Calvados,  formée  par  une  entreprise  germano-belge  et 
plus  germanique  encore  que  belge  M.  Weiss,  directeur  des 
mines,  a  répondu  qu'il  ne  savait  rien  à  ce  sujet.  Mais  il  s'est 
empressé  d'ajouter  que  le  gouvernement  examinerait  «  avec  la 
plus  grande  impartialité  »  les  deux  cents  demandes  de  con- 
cession qui  sont  en  ce  moment  en  souffrance  au  ministère  des 
Travaux  publics,  qu'elles  émanent  d'étrangers  ou  de  nationaux. 
Et  M.  Weiss  a  dit  encore  :  «  Naturellement,  à  égalité  de 
titres,  le  gouvernement  donnera  toujours  la  préférence  à  une 
société  française,  mais  j'estime  qu'il  ne  doit  pas  rejeter  d'emblée 
les  demandes  émanant  de  sociétés  étrangères,  qu'il  doit  même 
y  faire  droit  quand  ces  sociétés  offrent  toutes  les  garanties 
désirables.  » 

En  somme,  M.  Weiss,  directeur  des  mines,  trouve  tout 
naturel  que  nous  apportions  notre  contribution  —  et  dans  des 
proportions  formidables  —  à  l'armement  de  l'Allemagne.  Les 
affaires  sont  les  affaires.  Krupp  ou  Thvssen  ou  d'Ougrée 
Marihaye  de  Rodingen,  —  c'est  tout  un,  —  ont  besoin  de  mi- 
nerai et  offrent  les  «  garanties  désirables  m  à  Augagneur.  Il 
n'y  a  qu'à  s'incliner  et  à  leur  livrer  le  Calvados  et  la  Manche  •' 
«  Entrez,  messieurs,  ne  vous  gênez  pas.  Installez -vous.  La 
maison  vous  appartient.  C'est  à  nous  d'en  sortir.  » 


134  l'avant-guerre 

le  parlementaire  Augagneur  et  qui  est  le  suivant  : 
Quiconque  livre  le  sous-sol,  livre  le  sol. 

On  peut  chaque  jour  en  contrôler  la  justesse  en 
Normandie,  dans  l'Orne,  dans  le  Calvados,  voire 
même  en  Bretagne,  sur  laquelle  l'Allemagne  a  des 
vues  certaines  et  où  des  sociétés  allemandes  plus  ou 
moins  bien  grimées  accaparent  nos  minerais. 

Et  ce  n'est  là  que  l'exécution  d'un  plan  métho- 
dique, à  la  fois  industriel  et  militaire,  poursuivi  avec 
une  grande  ténacité  et  une  hâte  significative,  abou- 
tissant à  la  germanisation  du  pays  occupé.  Ce  n'est 
pas  à  un  pur  liasard  qu'il  faut  attribuer,  en  effet,  la 
coïncidence  de  cette  exploitation  intensive  des 
mines  de  fer  normandes  avec  la  germanisation  de 
Caen  (Hauts-Fourneaux)  et  de  Cherbourg  (compa- 
gnies du  Norddeutscher  Lloyd  et  de  la  Hamhurg 
Amerika);  l'établissement  de  personnages  suspects 
au  voisinage  des  postes  de  télégraphie  sans  fil 
comme  celui  des  Rouges- Terres;  les  créations  de 
lignes  de  chemin  de  fer  Thyssen,  actuellement  des- 
tinées au  transport  du  minerai,  mais  qui,  à  l'occa- 
sion, serviront  aussi  bien  au  transport  des  che- 
vaux et  de  la  troupe;  les  acquisitions  de  lignes  élec- 
triques fournissant  la  force  motrice;  le  projet  d'amo- 
diation du  port  de  Gran ville  (de  Poorter-Krupp)... 

Le  but  est  double  :  alimentation  de  la  métallur- 
gie allemande,  et  principalement  des  usines  Krupp 
d'Essen-Ruhr,  en  minerai  de  fer;  germanisation  pro- 
gressive de  la  côte  normande  et  de  l'hinterland  nor- 
mand. La  conquête  en  temps  de  paix  pose  ainsi  les 
jalons  de  l'action  guerrière. 

De  deux  choses  l'une  :  ou  le  gouvernement  de  la 
République  ne  voit  pas  cela,  ou  le  voyant,  il  le  tolère 


GÉNÉRALITÉS  135 

et  cette  tolérance  est  criminelle.  Dans  l'une  etTautre 
hypothèse,  il  n'y  a  qu'un  mot  pour  qualifier  cette 
attitude  :  trahison.  Cela  est  tellement  vrai  que,  de- 
vant nos  accusations  précises  et  répétées,  les  organes 
du  régime,  depuis  le  Temps  et  les  Débats  jusqu'au 
Petit  Parisien,  n'ont  eu  qu'un  seul  moyen  de  s'en 
tirer  :  le  silence. 

Nous  allons  voir  comment  les  Allemands  ont  com- 
mencé par  exploiter  le  sous-sol  minier  en  y  puisant 
du  fer  pour  leur  métallurgie  militaire,  pour  les 
usines  Krupp. 

Puis  comment,  possédant  le  sous-sol,  ils  y  ont 
adjoint  un  port  tel  que  Diélelte,  non  loin  de  notre 
port  de  guerre  Cherbourg,  déjà  menacé  par  les  Com- 
pagnies de  navigation  allemandes  et  cela  avec  la 
complicité  officielle  du  ministre  du  Commerce  d'alors 
Fernand  David,  qui  est  venu  dans  Tété  de  1912 
inaugurer  le  port  de  Diélette. 

Puis  comment  se  sont  installés  à  Caen  des  Hauts- 
Fourneaux  sous  le  couvert  de  l'Association  Thyssen- 
I^e  Chatelier. 

Enfin  comment  les  envahisseurs  ont  pu  établir  un 
chemin  de  fer,  minier  au  début. 

Chacune  des  étapes  de  cet  envahissement  scienti- 
fiquement conduit  mérite  une  mention  à  part. 


CHAPITRE    II 


EXPLOITATION  DES  MINES 
DE  FER  DE  NORMANDIE  PAR  L'INDUSTRIE 

ALLEMANDE 


L'exploitation  du  sous- sol  minier  normand  est 
entre  les  mains  de  plusieurs  sociétés  allemandes  dont 
les  trois  plus  importantes  sont  : 

La  Société  Minière  et  Métallurgique  du  Calvados*  ; 

La  Société  Française  des  Mines  de  fer  ; 

La  Société  des  Mines  et  Carrières  de  Flamanville 
(Manche). 

1.  A  Saint-Germain-le-Vasson  [Caloados],  la  concession 
des  mines  de  fer  appartient  à  une  société,  qui  se  dit  franco- 
allemande,  Xq.  Société  des  mines  de  Bar^bery,  mais  qui  est  bel 
et  bien  allemande.  Son  directeur  français,  bien  entendu,  est 
l'ancien  directeur  de  Diélette.  Le  directeur  actuel  de  Diélette 
était  lui-même  directeur  à  Saint-Germain-le-Vasson.  Ils  ont 
permuté.  Les  machines  sont  de  marque  allemande  ilocomo- 
biles  Wolf,  wagonnets  Orenstein  et  Koppel,  marteaux  West- 
phalia,  etc.).  Le  monteur  mécanicien  est  Allemand.  L'ex- 
ploitation, encore  à  ses  débuts,  va  prendre  une  extension  con- 
sidérable. Un  important  centre  d'extraction  sera  installé  d'ici 
peu  sur  les  bords  de  la  Laize.  Un  embranchement  avec  les 
chemins  de  fer  départementaux  est  actuellement  en  cons- 
truction. 


EXPLOITATION    DES    MINES    DE    FER  137 

§    1- 
LA   SOCIÉTÉ    MINIÈRE    ET    METALLURGIQUE    DU   CALVADOS 

Si  nous  ouvrons  V Annuaire  des  Sociétés  par  ac- 
tions, répertoire  admirable  quand  on  sait  le  lire  et 
qui  vaut  avec  ses  sèches  nomenclatures  les  plus 
grands  romans  de  Balzac,  nous  y  voyons  que  la 
Société  Minière  et  Métallurgique  du  Calvados  a  son 
siège  social,  6,  rue  Blanche  à  Paris. 

Cette  société  a  été  fondée  au  capital  de  un  million 
deux  cent  mille  francs.  Sa  durée  est  de  cinquante  ans, 
du  5  décembre  1901.  Elle  a  pour  objet  : 

La  mise  en  valeur  et  Texploitation  du  gisement  de 
minerai  de  fer,  dont  la  concession,  dite  de  Perrières,  a 
été  apportée  par  M.  Masse;  l'obtention  éventuelle, 
soit  directement,  à  la  suite  de  recherches  et  formalités 
nécessaires,  soit  par  suite  d'achat  ou  autrement,  d'au- 
tres concessions  de  minerai  de  fer  et  métaux  connexes, 
soit  en  France,  soit  à  l'étranger;  tous  achats  et  ventes 
de  minerais  provenant,  soit  des  concessions  de  la 
société,  soit  d'autres;  l'acquisition  de  tous  ateliers  et  de 
toute  usine  nécessités  par  le  but  sus-indiqué,  ou  des- 
tinés à  traiter  ou  transformer  les  produits  de  la  Société, 
notamment  à  l'élaboration  de  produits  métallurgiques, 
fer,  fonte,  acier  et  autres;  toutes  prises  d'intérêt  dans 
des  établissements  de  cette  nature,  et  généralement 
toutes  opérations  industrielles,  commerciales,  finan- 
cières, même  immobilières,  se  rapportant  à  l'exploita- 
tion des  minerais  de  fer,  au  traitement,  à  la  transforma- 
tion, au  commerce  et  au  transport  des  produits  des 
exploitations  de  la  Société  et  de  tous  autres  simi- 
laires. 

Je  recopie  ces  documents,  malgré  leur  aridité  appa- 


138  l'avant-guerre 

rente,   parce   qu'ils  s'animeront  de  vives   couleurs, 
comme  vous  le  verrez  par  la  suite. 

Le  conseil  d'administration  est  ainsi  composé  :  Pré- 
sident: M.  Ch.-E.  Solacroup  ;  membre  :  M.  Horten; 
comm,issaire  :  M.  Rabes. 

Cette  exploitation  a  prospéré  et  s'est  étendue  sin- 
gulièrement depuis  1901.  Elle  rayonne,  aujourd'hui, 
sur  Potigny,  Perrières,  Saint-Germain-le-Vassou  et 
les  environs.  Elle  a  acheté  du  terrain  et  fait  bâtir 
de  nombreuses  maisons,  dont  une  école;  ce  qui  fait 
dire  aux  habitants  français  que,  si  cela  continue,  dans 
quelques  années,  la  langue  allemande  sera  celle  de 
toute  la  région  ;  attendu  que  tout  le  personnel  des 
mines  et  extractions  de  minerai  est  allemand  ou  ita- 
lien. 

Il  est  avéré  que  les  mines  en  question  sont  partiel- 
lement ou  en  totalité  dans  la  dépendance  de  la  maison 
Krupp  et  qu'elles  servent  à  alimenter  ses  usines  et 
fonderies  en  minerai  de  fer. 


§2 

SOCIÉTÉ  FRANÇAISE  (?)  DES  MINES  DE  FER 

UAnnuaire  des  Sociétés  par  actions  nous  fournit 
sur  le  capital  et  l'objet  de  cette  importante  entreprise 
les  renseignements  suivants  : 

SOCIÉTÉ  FRANÇAISE  DES  MINES  DE  FER 

Siège  social  :  9,  Square  Moncey,  Paris. 

Capital  :  5  miUions  de  francs  divisés  en  50.000  actions 
de  100  francs  chacune,  dont  10.000  entièrement  libé- 


EXPLOITATION    DES    MINES    DE    FER  139 

rées,  attribuées  à  M.  de  Poorter  en  représentation  de 
ses  apports  :  Parts  bénéficiaires,  4.000,  attribuées  à 
M.  de  Poorter. 

Durée  :  50  ans.  Objet  :  l'exploitation  en  France  et  à 
l'étranger  de  tous  gisements  de  minerai,  notamment 
le  minerai  de  fer  et  toutes  opérations  commerciales, 
industrielles  ou  financières  se  rattachant  à  cet  objet;  la 
création,  l'acquisition  de  tous  établissements  quelcon- 
ques se  rattacliant  à  ladite  industrie  ou  pouvant  en  faci- 
liter l'extension  et  le  développement,  notaniment  toutes 
opérations  de  transport  de  minerais  ou  autres  mar- 
chandises, ainsi  que  T acquisition  de  la /lotte  nécessaire 
à  ces  transports  ;  la  participation  directe  ou  indirecte 
dans  toutes  opérations  industrielles  ou  commerciales 
pouvant  se  rattacher  à  l'un  des  objets  précités  soit  par 
voie  de  création  de  Sociétés  nouvelles  françaises  ou 
étrangères,  d'apport,  de  fusion  ou  autrement  avec  toutes 
Sociétés  françaises  ou  étrangères. 

Sans  qu'il  soit  besoin  d'un  examen  approfondi,  on 
reconnaît  immédiatement,  dans  la  latitude  et  l'esprit 
de  conquête  de  ces  statuts,  en  quelque  sorte  la  mar- 
queallemande,  l'estampille  d'AugusteThyssen,  maître 
de  forges,  conseiller  privé  de  l'empereur  Guillaume  II, 
personnage  dans  son  genre  aussi  caractérisé  que  le 
juif  Lucien  Baumann.  Cette  phrase  «  l'acquisition  de 
la  flotte  nécessaire  à  ces  transports  »  vous  donne 
déjà  froid  dans  le  dos  s'il  est  bien  vi^ai  que  ladite 
société  française  soit  au  fond  une  société  au  service 
des  intérêts  allemands. 

D'ailleurs,  un  article  très  documenté  de  V Informa- 
tion du  19  mars  1912  va  nous  permettre  de  préciser. 
Nous  apprenons  que  la  Société  des  Mines  de  fer 
s'est  assuré,  dans  le  bassin  normand,  l'exploitation 
de  quatre  concessions  s'étendant  sur  une  superficie 
de  0.711  hectares.  Ces  quatre  concessions  sont  celles 
de  Jurques,  Bourberouge,  Mortain  et  Ondefontain^. 


140  l'avant-guerre 

Pour  Ondefontainc,  Tachât  a  été  effectué,  mais  on 
attend  la  ratification  du  Conseil  d'État.  Nul  doute  que 
cette  ratification  ne  fasse  pas  un  pli.  Bourré  de  juifs, 
notre  Conseil  d'État  n'a  rien  à  refuser  ni  aux  Alle- 
mands, ni  aux  piête-nom  des  Allemands. 

Voici  ce  que  V Information  dit  de  la  concession  de 
Jurques  : 

«  La  concession  de  Jurques  a  une  étendue  de  580  hec- 
tares et  est  aujourd'hui  en  exploitation  normale.  Sa 
production  est  d'environ  100.000  tonnes  par  an.  Ces 
100.000  tonnes  sont  achetées  par  avance^  pour  une 
période  de  10  ans^  par  le  groupe  Thyssen.  Les  mine- 
rais de  Jurques  sont  donc  dirigés  sur  le  port  de  Caen, 
Cette  concession  est  d'ailleurs  susceptible  de  faire  face 
à  une  production  supérieure  à  100.000  tonnes  par  an, 
mais  ce  sont  ses  moyens  d'exportation  qui  sont  un  peu 
limités^  car  le  port  le  plus  proche,  celui  de  Pont-à-Bes- 
sin,  n'est  pas  aménagé  pour  faire  face  à  des  exporta- 
tions de  quelque  importance  ;  il  est  fort  possible  que, 
par  la  suite,  ce  port  soit  amélioré,  à  moins  que  la  So- 
ciété n'ait  intérêt  à  diriger  ses  minerais  sur  quelque 
autre  point  de  la  côte  normande.  Ajoutons  que  le 
contrat  passé  avec  le  groupe  Thyssen  assure  à  la  So- 
ciété française  des  Mines  de  fer  un  bénéfice  minimum 
de  2  francs  par  tonne.  » 

Quant  aux  mines  de  Bourberouge,  elles  étaient  ex- 
ploitées de  longue  date,  ainsi  que  l'indique  leur  nom 
fort  sisrnificatif.  Aux  dix-huitième  et  au  dix-neuvième 
siècles,  les  paysans  extrayaient  le  minerai  dans  une 
partie  de  la  propriété  dénommée  «  minières  ».  Ils 
formaient  entre  eux  de  petites  associations,  procé- 
dant à  l'extraction  et  à  la  fonte  par  des  procédés 
rudimentaires.  La  fonte  était  vendue  à  la  forge  de 
Bourberouge,  qui  la  transformait  en  fer.  A  partir  de 
1840,  sous  l'habile  impulsion  de  M.  de  F...,  père  du 
concessionnaire    actuel,   ces    travaux    prirent     une 


EXPLOITATION    DES    MINES    DE    FER  141 

grande  importance.  Les  ouvriers  transportaient  le 
minerai  à  dos  de  cheval  et  le  maître  de  forges  le  leur 
payait  à  raison  de  0  fr.  25  le  demi-hectolitre.  Leur 
situation,  on  le  voit,  était  un  peu  meilleure  qu'au- 
jourd'hui. C'est  ainsi  que,  jusqu'en  1860,  l'usine  de 

BOURBEROUGE  FUT  LE  FOURNISSEUR  ATTITRÉ  EN  BOU- 
LETS DE  CANON  DES  ARMEES  DE  TERRE  ET  DE  MER.  Main- 
tenant, en  1912,  ce  minerai  normand  va  alimenter 
l'usine  Krupp.  Ne  trouvez-vous  pas  le  rapprochement 
instructif?  En  1861,  l'Empire  signa  avec  l'Angle- 
terre un  traité  libre-échangiste  qui  ruina  complète- 
ment les  forges  de  Normandie.  Déjà,  depuis  quel- 
ques années,  la  plupart  des  autres  forges  de  l'Orne 
et  des  environs  avaient  éteint  leurs  fours  les  uns 
après  les  autres.  M.  de  F...  lutta  jusqu'à  la  dernière 
extrémité  et  fut  finalement  acculé  à  prendre  la  même 
détermination  que  ses  confrères.  Ce  bon  Français, 
afin  de  conserver  du  travail  à  ses  ouvriers,  trans- 
forma alors  son  usine  en  fonderie  de  deuxième  fu- 
sion, recevant  lui-même  d'Angleterre  les  gueuses  de 
fonte  et  la  houille. 

Voici,  d'autre  part,  ce  que  dit  V Information  de  la 
concession  de  Bourberouge. 

La  concession  de  Bourberouge  est  entrée  récem- 
ment en  exploitation  et  sa  production  qui  s'est  éle- 
vée à  70.000  tonnes  l'an  dernier  atteindra  cette  an- 
née aux  environs  de  75.000  tonnes. 

Cette  concession  est  susceptible  de  faire  face  un 
jour  à  un  très  gros  tonnage  et  on  estime  normale- 
ment qu'elle  pourra  produire  400.000  tonnes  par 
an*.   Le   seul  obstacle  qui  s'oppose  actuellement  à 

1.  La  concession  amodiataire  de  Bourberouge  octroyée  à 

J,  de   Poorter  le  8  mars  1906  extrait  au  maximum  200  tonnes 

e  minerai  par  24  heures  alors  qu'elle  pourrait  fournir  norma- 


142  l'avant-guerre 

son  extension  réside  dans  les  difficultés  d'exploita- 
tion du  minerai.  Le  port  le  plus  proche  est  en  effet 
celui  de  Granville,  qui  n'est  situé  qu'à  94  kilomè- 
tres, mais  le  port  de  Granville  n'est  point  actuelle- 
ment aménagé  pour  permettre  l'embarquement  de 
grosses  quantités  de  minerai. 

Comme  il  y  a  là  une  question  primordiale  pour  la 
Société  des  Mines  de  fer,  M.  de  Poorter  i  a  offert  à  la 

lement  de  900  à  1.000  tonnes.  Du  simple  point  de  vue  industriel 
cela,  au  dire  des  gens  compétents,  apparaît  comme  un  lamen- 
table gâchis. 

1.  Mis  en  cause  dans  ces  termes  par  un  article  paru  sous 
ma  signature  dans  l'Action  Française  du  14  avril  191E,  Mon- 
sieur Jos.  de  Poorter,  administrateur  de  la  Société  Française 
des  mines  de  fer  m'adressa  le  17  avril  suivant  la  lettre  de  rec- 
tification que  nous  reproduisons  ici  : 

JOS.  DE  POORTER 

Sl^EAMSHIP  AND   IRON    ORE   MINE  OWNERS 
IRON    ORE  AND   GOAL  MERCHANTS 

REGULAR   STE.\MERS  TO  IvING's  LYNN 

AGENT  TO  THE  MIDLAND  RAILWAY 

Codes  :  Scotts,  Watkins,  A.  Z.  Lieber  and  A. B.C. 
TELEPHONE  No.  7327  and  7328 
After  Six  p.  m.  3422  and  6076 
AT  Paris,  9  Square  Moncev 

TELEPHONE  231-77 
»  Algiers,  Quai  d'Agra 

»  BONA 

Télégraphie  Address  : 
Poorter  Rotterdam. 
Retroop  paris. 
Poorter  algiers. 
Poorter  bona. 

Rotterdam,  le  17  avril  1912. 
Veerkade  No.  S. 
Postbox  576. 


EXPLOITATION    DES    MINES    DE    FER  143 

municipalité  de  Granville  de  se  charger  de  l'établisse- 
ment d'un  port,  moyennant  qu'on  lui  assure  l'amodia- 

Monsieur  le  Rédacteur  en  Chef  de  VActio}i  Française, 
3,  chaussée  d'Antin,  Paris. 

«  Monsieur  le  Rédacteur, 

«  Je  proteste  contre  votre  article  du  14  courant,  et  je  vous 
prie  de  prendre  bonne  note  de  ma  protestation  et  de  la  publier. 
«  Il   serait  inutile   d'énumérer  toutes   les   inexactitudes   sur 
lesquelles  les  conclusions  de  cet  article  sont  basées. 

«    Je    tiens    seulement    à    déclarer    formellement  que   :    ni 
M.  Thyssen,   ni  M.  Krupp,  ni  quelque  autre  Allemand   quel- 
conque  se  trouve  sous   mes  espèces,  comme  l'imagination  de 
l'écrivain  de  votre  article  semble  le  croire.  Je  tiens  à  déclarer 
que  les  actions  de  la  Société  française  des  Mines  de  fer  appar- 
tiennent 'exclusivement   à  des   Français   et  à  des   Hollandais, 
sans  exception,  et  que  je  travaille  pour  mon  compte  personnel, 
sans  que  personne,  Allemand  ou  autre  y  soit  intéressé.  Je  ne 
sais  où  les  journaux  que  vous  citez  dans  votre  article  puisent 
leurs  informations,  mais  elles  sont  souvent  inexactes.  De  tout 
ce  qui  est  dit  dans  votre  article,  il  ne  reste  de  vrai  que  ce  qui 
suit  :  «  Les  minerais  de  fer  de  la  Bretagne  et  de  la  Normandie, 
exploités  soit  par  la  Société  Française  des  Mines  de  fer,   soit 
par  tout  autre  exploitant  quelconque,  sont  vendus  pour  la  plus 
grande  partie  en  Allemagne.  »  La  seule  conclusion  à  tirer  de 
cet  état  de  choses  est   «  que  les  Allemands  donnent  pour  ce 
minerai  le  meilleur  prix  »,  c'est  tout. 
«  La  politique  que  vous  y  cherchez  n'y  est  pour  rien! 
c<  Et   surtout  dans   la  Société   Française  des   Mines   de   fer, 
dont  je  suis  l'administrateur-délégué,  il  n'y  a  aucun  Allemand, 
ni  personne  quelconque  [sic]   étrangère,  à  part  de   Hollandais 
susnommés,  qui  y  aurait  la  moindre  influence  ni  directe,   ni 
indirecte. 
«  Je  n'ai  cherché  que  des  concours  français. 
«  Et   la  dite   Société   se  trouve   exactement   dans   la  même 
situation  que,   par  exemple,   les  marchands  de  vins  de  Bor- 
deaux ou  de  Champagne,  de  modes  de  Paris,  etc.,  etc.,  c'est- 
à-dire  qui  dirigent  leurs  produits  ou  leurs  articles  sur  l'Alle- 
magne,   sans  que,  pour  cela,  vous  puissiez  conclure   que  les 
villes  de  Bordeaux,  de  Reims  ou  de  I^aris  soient  sous  l'in- 
fluence allemande. 

«  Veuillez   agréer,  monsieur  le  Rédacteur  en  chef,   l'assu- 
rance de  ma  haute  considération. 

«   JOS.    DE   POORTER.    » 

Tout  ceci  est  fort  bien,  mais  en  somme  secondaire.    AL  de 


144  l'avant-guerre 

tion  des  services  de  ce  port.  Cette  opération  est  pos- 
sible, puisque  la  loi  sur  Tautonomie  des  ports  a  été 
récemment  promulguée,  mais  le  décret  d'administra- 
tion publique  n'a  pas  encore  été  rendu  et  sa  promulga- 
tion est  nécessaire  pour  que  la  municipalité  de  Gran- 
ville  puisse  traiter  avec   M.  de  Poorter.   Il  faut  bien 

Poorter  ne  souffle  pas  mot  de  l'essentiel  à  savoir  de  l'amodia- 
tion du  port  de  Gr-anville  qu'il  sollicite  et  qu'il  espère  bien 
arracher  à  la  complaisance  du  Gouvernement  français.  Or, 
c'est  précisément  cette  concession,  grave  entre  toutes,  d'un 
port  français  à  un  étranger  qui  m'a  fait  écrire  l'article  du 
14  avril  1912. 

M.  Jos.  de  Poorter  me  dit  en  gros  que  «  ni  M.  Thyssen,  ni 
M.  Krupp,  ni  quelque  autre  Allemand  quelconque  se  trouve 
sous  ses  espèces  «.  Mais  il  ne  souffle  pas  mot  de  l'ajourne- 
ment de  l'ofl're  Krupp  jusqu'à  ce  que  la  concession  du  port  de 
Granville  à  M.  Jos.  de  Poorter  soit  accordée. 

Par  cette  condition  sine  qua  non  la  maison  Krupp  tient 
M.  Jos.  Poorter,  lequel  aspire  lui-même  à  tenir  le  port  de 
Granville. 

Je  lui  ferai  observer  aussi  qu'il  a  eu  tort  d'appeler  sa  société, 
Société  Française  des  Mines  de  fer,  attendu  qu'il  n'est  pas 
français  et  qu'il  est  à  la  tête  de  la  combinaison.  Cette  façon 
de  franciser  une  entreprise  hollandaise,  suspendue  pour  une 
part  au  bon  vouloir  de  Krupp,  apparaîtra  comme  un  peu 
sommaire  et  même  audacieuse. 

Tous  les  Français  penseront,  comme  nous,  qu'il  faut  à 
M.  Jos.  de  Poorter  du  toupet  pour  oser  formuler  l'assimila- 
tion entre  sa  Société  des  Mines  de  fer,  dite  française,  admi- 
nistrée par  un  Hollandais  et  des  marchands  de  vins  français 
écoulant  leurs  produits  au  dehors.  M.  de  Poorter  oublie  deux 
choses  ;  la  première,  qu'il  n'est  pas  français.  La  seconde, 
qu'on  ne  saurait  confondre  un  canon  de  vin  et  un  canon 
Krupp. 

La  lettre  de  M.  de  Poorter,  extrêmement  prudente  et  flot- 
tante sous  son  aspect  de  dénégation  générale,  ne  modifie  en 
rien  les  réflexions  que  ses  prétentions  sur  le  port  de  Gi^nville 
m'avaient  suggérées.  M.  Jos.  de  Poorter  n'est  peut-être  pas 
«  sous  les  espèces  «  de  Thyssen  et  de  Krupp,  mais  la  qualité 
du  contrat  passé  par  lui  avec  Thyssen  pour  la  concession  de 
Jurques,  par  exemple,  —  100.0000  tonnes  par  an  achetées 
d'avance  pour  10  ans  par  le  groupement  Thyssen,  —  fait  de 
lui,  Hollandais,  l'associé  et  le  féal  du  métallurgiste  allemand 
en  Normandie. 


EXPLOITATION    DES    MINES    DE    FER  145 

remarquer  que,  d'ores  et  déjà,  une  grosse  partie  de  la 
prcduction  de  Bourberouge  trouvera  un  placement 
imnédiat,  car  la  maison  Krupp  a  offert  à  M.  de  Poorter 
de  traiter  pour  200.000  tonnes  par  an.  Cette  offre  a  été 
ajournée  jusqu'à  ce  que  la  question  du  port  de  Gran- 
ville  soit  résolue. 

La  concession  de  Bourberouge  a  donné  lieu  à  des 
expertises  d'ingénieurs  allemands  et,  à  la  suite  de  leurs 
rapports,  le  groupe  Stinnes  avait  demandé  à  M.  de 
Poorter  de  prendre  la  direction  de  cette  mine, 
moyennant  la  remise  d'une  somme  de  1.500.000  fr. 
En  outre  le  rainerai  extrait  eût  été  partagé  par  moitié 
entre  le  groupe  Stinnes  et  la  Société  française  des 
mines  de  fer  et  enfin  le  groupe  Stinnes  aurait  con- 
sacré une  sorr^me  de  un  million  cinq  cent  mille  francs 
au  développement  de  la  mine.  L'intention  de  ce  groupe 
était  de  cr^éer  une  usine  métallurgique,  avec  un  ca- 
pital de  40  millions  de  francs. 

On  a  estimé  à  50  millions  de  tonnes  le  minerai  pro- 
bable de  la  concession  de  Bourberouge  et  on  constate 
un  enrichissement  en  profondeur. 

Ainsi  cette  loi  sur  l'autonomie  des  ports  français 
va  avoir  comme  premier  résultat  la  germanisation 
du  port  de  Granville,  condition  sine  qua  non  d*un 
contrat  en  bonne  et  due  forme  du  Hollandais  J.  de 
Poorter  avec  la  maison  Krupp  d'Essen  Ruhr. 

C'est  de  cette  façon  que  la  richesse  métallurgique 
de  la  Normandie  qui  devrait  être,  sous  un  régime 
normal  et  national,  une  condition  de  prospérité  pour 
notre  pays,  est  devenue,  de  par  la  trahison  de  la 
République,  un  moyen  de  réalisation  pour  les  visées 
allemandes,  un  moyen  de  pénétration  pour  l'indus- 
trie allemande. 

A  Bourberouge,  comme  à  Jurques,  chez  de  Poorter 
comme  chez  Lucien  Baumann  des  Moulins  de  Cor- 
beil,  ne  pénètre  pas  qui  veut.  Ces  précautions  ont 
leur  raison  d'être.  Mais  il  n'est  pas  de  porte  si  her. 


146  l'avant-guerre 

métiquement  close  que  ne  puisse  forcer  un  patriote 
vigilant,  malgré  les  cerbères  étrangers. 

On  sait  que  l'aménagement  d'une  mine  comporte 
un  certain  nombre  de  précautions  et  de  travaux  préa- 
lables, puits  de  sondage,  constructions  et  autres,  que 
règlent  avec  soin  les  ingénieurs,  car  c'est  de  cette 
vigilance  initiale  que  dépendra,  par  la  suite,  la  sécu- 
rité des  travailleurs.  A  l'exploitatien  ce  Jurques, 
rien  de  semblable.  Il  n'y  eut  là  aucun  u^avail  préa- 
lable, et  tout  y  indique  encore  aujourd'hui  la  ferme 
volonté,  chez  l'exploitant,  d'obtenir  le  plus  de  mine- 
rai, dans  le  plus  bref  délai  possible,  avec  le  minimum 
de  moyens.  Pour  l'installation  et  la  mise  en  œuvre, 
M.  de  Poorter  a  fait  appel  non  à  des  ingénieurs,  mais 
ù  un  certain  nombre  de  maîtres  mineurs  qu'il  tenait 
ainsi  plus  étroitement  dans  sa  dépendance.  Il  est 
entendu  que  le  salaire  des  ouvriers  —  français,  espa- 
gnols ou  italiens  —  ne  doit  jamais  dépasser  six  francs 
par  jour.  Il  n'y  a  ici  ni  cité  ouvrière,  ni  jardin,  ni 
coopérative.    Bien    mieux,    la    société   de   secours 

MUTUELS,  LÉGALEMENT  OBLIGATOIRE,  NEXISTE  PAS.  Amo- 
diataire de  Jurques,  alors  qu'il  est  propriétaire  d"On- 
defontaine,  M.  Jos.  de  Poorter  considère  évidemment 
que  les  lois  françaises  ne  sont  pas  faites  pour  les 
étrangers  et  qu'il  est  au-dessus  de  leur  observance. 
Ceci  donne  un  avant-goût  de  ce  qu'il  fera  du  port  de 
Granville,  le  jour  où  le  gouvernement  de  la  Répu- 
blique et  la  municipalité  lui  en  auront  accordé  la 
concession. 

Par  ailleurs,  la  désobéissance  aux  règlements  con- 
cernant les  mines  serait  flagrante  à  Jurques.  C'est 
ainsi  que  l'absence  des  manœuvres  de  sécurité  y  est 
absolue.  Les  machines  ont  leurs  soupapes  calées, 

DE  façon  a  marcher   A    PLUS   HAUTE    PRESSION,  ÉCONO- 


EXPLOITATION    DES    MINES    DE    FER  147 

AnE  QUI  EXPOSE  A  DE  GRAVES  DANGERS  ET  QL'I  EST  FOR- 
MELLEMENT INTERDITE  PARTOUT  AILLEURS.  Co  dernier 
fait  prouverait  que  les  visites  d'inspection  ne  sont 
pas  fréquentes  dans  les  mines  de  M.  de  Poorter  ou 
qu'elles  sont  conduites  de  façon  plutôt  sommaire. 
Ajoutons  que  M.  de  Poorter,  tout  à  fait  incompétent 
dans  les  questions  minières  —  puisqu'il  est,  de  son 
métier,  armateur  —  emploie,  bien  entendu,  des  ma- 
chines étrangères,  lesquelles,  au  dire  de  personnes 
compétentes,  ne  seraient  pas  de  première  qualité.  Si, 
dans  ces  conditions,  la  mine  de  .Turques  fonctionne 
longtemps  sans  aléa  et  sans  accident,  c'est  que 
M.  Jos.  de  Poorter  aura  pour  lui  une  heureuse  étoile. 

On  se  soucie  aussi  peu  à  Bourberouge  qu'à  Jurque.s 
de  se  conformer  aux  règlements  concernant  les 
mines. 

Pas  plus  qu'à  Jurques,  il  n'y  a  ici  de  société  de 
secours  mutuels  réellement  en  vigueur,  ni  de  cités 
ouvrières,  ni  d'écoles,  ni  de  coopératives  d'aucun 
genre.  La  mine,  éloignée  pourtant  de  tout  centre 
industriel,  ne  possède  même  pas  un  atelier  de  répa- 
rations mécaniques,  absolument  nécessaire,  quoique 
le  directeur,  le  maître-mineur  et  les  ouvriers  ne  ces- 
sent, depuis  le  début,  d'en  réclamer  un.  Les  mar- 
teaux pneumatiques  —  outils  indispensables  au  mi- 
neur —  sont  ici  en  nombre  insuffisant.  Dans  toute 
exploitation  bien  conduite,  on  possède  non  seulement 
les  outils  immédiats,  mais  encore  des  outils  de  re- 
change, afin  de  parer  à  toute  éventualité  et  d'éviter 
le  chômage  inutile. 

Chose  plus  forte,  Bourbeeouge  ne  possède  même 

PAS  DE  tuyaux  de  RECHANGE  POUR  LES  CANALISATIONS 
d'eau,  de  telle  sorte  que  SI  l'un  de  CEUX-CI  VENAIT 
A   SE    ROMPUE,    LA    MINE     COURRAIT     LL     RISQUE     d'ÊTRE  . 


148  l'avant-guerre 

INONDÉE.  Les  ouvriers  se  sont  plaints  maintes  fois  de 
ces  dangereuses  conditions  de  leur  travail.  Il  y  a  eu 
des  grèves,  des  renvois  et  il  y  a  toujours  de  nom- 
breux mécontents.  Je  demande  ici,  comme  pour 
Jurques,  à  quoi  pensent  les  inspecteurs  des  mines 
quand  ils  font  leurs  visites  réglementaires  à  Bourbe- 
rouge.  Je  le  demande  aussi  au  ministre  des  Travaux 
publics,  auquel  il  est  évidemment  très  facile  de  véri- 
fier les  détails  ci-dessus,  et  aussi  de  savoir  si,  à 
Jurques,  les  soupapes  des  machines  sont  calées  ou 
NON.  Jean  Dupuy  me  répondra  peut-être  qu'en  sa 
qualité  de  membre  d'un  cabinet  «  national  »  ,  il  est 
d'avis,  comme  son  compère  Fernand  David,  que  le 
service  de  l'AllemaÊrne  et  les  intérêts  de  la  maison 
Krupp  passent  avant  tout.  Je  lui  objecterai  aussitôt 
qu'il  ne  devrait  pas  s'étonner  le  jour  prochain  où 
un  épouvantable  accident  viendrait  le  rappeler  au 
sentiment  des  réalités  et  à  l'observation  des  règle- 
ments, même  quand  il  s'agit  de  l'envahisseur  étran- 
ger. En  tout  cas,  il  ne  pourra  pas  alléguer  l'igno- 
rance. Le  voilà  prévenu. 

Cette  situation  tranche  avec  celle  des  exploitations 
vraiment  françaises  en  ces  mêmes  régions,  chez  les- 
quelles tout  se  passe  de  la  façon  la  plus  correcte,  la 
plus  normale  et  la  plus  humaine. 

Il  est  bon  de  faire  remarquer,  enfin,  qu'en  dehors 
des  actionnaires  français  éventuels  —  car  M.  Jos.  de 
Poorter  daigne  faire  appel,  dans  les  journaux  spé- 
ciaux, à  notre  crédit  public,  et  c'est  même  à  ce  titre 
que  je  le  mets  en  cause  —  tout  est  étranger  dans 
l'entreprise  de  la  Société  Française  des  Mines  de  fer^ 
et  pas  un  sou  ne  peut  en  revenir  à  notre  pays.  En 
effet,  j'ai  dit  que  M.  de  Poorter  était  armateur.  Ce 
sont  ses  bateaux  qui  emportent  de  Caen  notre  mine- 


EXPLOITATION    DES    MINES    DE    FER  149 

rai  de  fer,  pour  le  livrer  à  l'excellent  Krupp.  Ce  sont 
ses  bateaux  qui  apportent  à  Caen  le  charbon  de 
grillage  nécessaire  à  son  exploitation.  La  municipa- 
lité de  Granville  est  ainsi  prévenue  de  ce  qui  l'attend,  le 
jour  où  M.  de  Poorteraura  obtenu  d'elle  l'amodiation 
du  port,  et  ce  serait  une  illusion  de  croire  que  la  vieille 
cité  maritime  retirera  de  cette  opération  le  moindre 
profit.  J'insiste  sur  ces  points  qui  paraissent  secon- 
daires, afin  de  bien  montrer  la  fausseté  de  l'arâru- 
ment  d'après  le({uel  l'exploitation  intensive  par 
l'étranger  serait  une  source  de  richesses  pour  les 
régions  ainsi  exploitées.  Des  magistrats  ou  fonction- 
naires locaux  malhonnêtes  peuvent,  à  l'occasion,  tirer 
profit  de  cet  envahissement,  si  dangereux  au  point 
de  vue  national.  Mais  les  habitants  eux-mêmes,  les 
autochtones  n'ont  à  en  attendre  que  des  déboires  et 
de  graves  déceptions.  On  l'a  déjà  vu,  on  le  verra 
encore  de  plus  en  plus.  Les  Thyssen,  les  de  Poorier, 
les  Lucien  Baumann  traitent  la  France  —  sol  et 
habitants  —  comme  le  chercheur  d'or  traite  la  région 
sur  laquelle  il  s'est  abattu,  plein  de  convoitise  et  de 
hâte.  Leurs  entreprises  peuvent  avoir,  derrière  la 
visée  financière,  une  seconde  visée  métallurgique, 
politique  ou  militaire.  Elles  sont  exhaustives  et 
gaspilleuses.  Elles  ne  comportent  point  ce  caractère 
de  modération,  de  solidité,  de  précision  et  de  durée 
qui  n'appartient,  dans  chaque  pays,  qu'aux  natifs 
de  ce  pays,  auxquels  sont  permis  les  longs  desseins 
et  la  longue  sécurité,  qui  n'ont  rien  à  dissimuler  ni 
à  taire. 


loO  l'avant-gubrre 


§3 

société   des  mines    de  diélette   et    de  flamanville 

(Manche) 

L'exploitation  dos  Mines  de  Diélette  et  de  Fla- 
manville  appartient  au  chef  d'industrie  allemand 
Thyssen,  lequel  figure  en  nom  propre  au  conseil 
d'administration  et  alimente  en  minerai  la  maison 
Krupp,  avec  laquelle  Auguste  Thyssen  a  passé  toute 
une  série  de  contrats. 

De  VAnnuaire  des  Sociétés  par  actions  nous  ex- 
trayons ce  qui  suit  : 

SOCIÉTÉ  des  mines  ET  CARRIÈRES  DE  FLAMANVILLE  (maNCHE) 

Société  anonyme. 
Siège  social  :  6,  rue  Blanche. 

NOTICE. 

Capital.  — Neuf  cent  mille  francs,  divisés  en  1.800 
actions  de  500  francs,  dont  620  d'apport,  entièrement 
libérées,  à  yi.  Casel  et  1.180  souscrites  et  entièrement 
libérées. 

Durée.  —  99  ans,  du  6  avril  1907. 

Objet.  —  L'exploitation  de  mines  et  carrières  dans 
le  département  de  la  Manche  et  les  départements  cir- 
convoisins,  et,  notamment  l'exploitation  des  mines  de 
fer  dites  de  Diélette  et  des  biens  et  droits  apportés  par 
M.  Casel;  l'obtention,  l'acquisition  et  l'exploitation  de 
diverses  autres  mines  et  carrières  ou  concessions  de 
mines  et  carrières  dans  le  département  de  Ja  Manche  et 
les  départements  circonvoisins;  la  vente  des  produits 
et  toutes  opérations  se  rapportant  à  ces  objets. 


EXPLOITATION    DES    MINES    DE    FER 


151 


Acte  constitutif,  reçu  par  M«  Kasller,  notaire  à 
Paris. 

Conseil  d'administration. 

Membres.  —  MM.  E.  Castel,  A.  Horten,  C.  E.  Sola- 
croup,  E.  Thyssen. 

Commissaire  :  M.  Rabes  ^ 

C'est  en  soniine  une  fois  de  plus  la  mainmise  sys- 
tématique de  r Allemand  sur  la  Normandie. 

xAprès  l'organisation  de  l'exploitation  métallur- 
gique dans  l'Orne  et  le  Calvados,  Auguste  Thyssen 
s'est  en  effet  rendu  acquéreur  de  vastes  terrains 
situés  dans  la  commune  de  Diélette,  proche  de  Cher- 
bourg, en  face  du  raz  Blanchard,  tombeau  du  Ven- 
démiaire ^. 


1.  On  remarquera  la  fraternité  de  cette  Société  avec  la 
Société  Minière  et  Métallurgique  du  Calvados.  Même  siège 
social.  Même  conseil  d'administration,  à  peu  de  chose  près. 
La  note  que  voici  vous  donnera  une  bonne  idée  de  la  façon  de 
procéder  de  la  maison  Krupp.  Je  Textrai.s  du  Bulletin  de 
renseignements  coloniaux  (29»  année,  n°  352i.  Elle  a  pour 
titre  la  Maison  Krupp  en  Noucelle-Calédonie  : 

La  maison  Krupp,  d'Essen,  sous  le  coucert  d'une  Société 
belge,  son  intime  associée,  vient  de  se  rendre  maîtresse 
d'une  importante  mine  de  nickel  en  Nouvelle-Calédonie. 
Mais  pour  se  conformer  au  décret  minier  en  vigueur  dans 
la  colonie,  la  société  belge  constitue  une  Jîlicde  française. 

Remplacez  nickel  par  Jer,  Nouvelle-Calédonie  par  Calva-' 
dos,  et  vous  aurez  une  bonne  image  de  la  manière  dont  se 
trouve  peu  à  peu  livré  notre  sous-sol  à  Krupp,  sans  calem- 
bour. La  seule  petite  chose  un  peu  ennuyeuse,  c'est  qu'avec 
ce  minerai  français,  l'Allemagne  fond  des  canons  qui,  un 
jour  prochain  peut-être,  tireront  sur  les  soldats  français. 

2.  Du  Journal  de  Valognes,  sous  ce  titre  :  «  Le  Cotentin 
allemand  ». 

«  Le  Cotentin  deviendra- t-il  allemand?  Voilà  une  question  qui 
intéresse  au  plus  haut  point  les  habitants  de  la  Manche  car, 
cette  fois,  ce  n'est  plus  le  Congo  ou  les  frontières  de  Lorraine 


152  l'avant-guerre 

La  Mine  de  Diélette-Flamanville  est  à  un  kilomètre 
environ  du  port  de  Diélette,  au  pied  de  roches  sau- 
vages fort  pittoresques. 

La  concession  comprend  quatre  couches  de  mine- 
rai parallèles  à  la  côte.  C'est  vous  donner  une  idée 
de  l'importance  du  rapt  que  vont  exécuter  chez  nous 
les  Allemands  et  de  l'aubaine  qui  attend  l'usine 
Krupp, 

On  aurait  même  récemment  constaté  à  Diélette  la 
présence  de  minerais  d'or  et  d'argent.  Mis  au  cou- 
rant du  fait,  le  vieux  Thyssen  aurait  recommandé  là- 
dessus  le  plus  complet  silence.  Je  l'étonnerais  beau- 
coup en  disant  qu'en  effet  la  présence  de  galène  dans 
sa  mine  est  certaine.  Or  la  galène  est  un  minerai  de 
plomb  presque  toujours  argentifère. 

L'installation  actuelle  est  provisoire.  On  commence 
les  travaux  d'aménagement.  L'extraction  sérieuse  de 

que  les  Teutons  rêvent  de  s'approprier,  mais  c'est  Cherbourg 
et  le  Cotentin,  c'est  notre  département. 

a  Les  Allemands  ont  remarqué  que  le  Cotentin,  isolé  de  la 
France  par  les  marais  de  Carentan,  forme  en  réalité  une  lie 
qu'il  serait  facile  de  rendre  inexpugnable.  Le  Cotentin  s'avance 
dans  la  Manche  comme  un  môle  naturel;  il  est  la  sentinelle 
avancée  de  l'Europe  en  face  de  l'Amérique,  c'est  pour  cela  que 
tant  de  transatlantiques  partent  aujourd'hui  de  Cherbourg.  Le 
Cotentin  par  lui-même  est  un  beau  pays;  au  bout  de  vingt 
ans,  il  pourra  nourrir  une  nombreuse  population  allemande 
après  que  les  premiers  possesseurs  du  sol  auront  été  progres- 
sivement évincés.  En  outre  et  surtout,  Cherbourg  situé  en  face 
des  côtes  anglaisées,  à  quelques  heures  de  Portsmouth,  est  une 
admirable  position  stratégique  qui  domine  la  Manche  et  tient 
en  respect  l'Angleterre.  Lorsque  le  drapeau  des  Hohenzollern 
flottera  sur  la  digue  et  sur  le  fort  du  Roule,  Cherbourg 
jouera,  à  l'entrée  de  l'Atlantique,  le  rôle  que  joue  Gibraltar,  à 
l'entrée  de  la  Méditerranée,  comme  lui  en  terre  étrangère, 
comme  lui  inexpugnable,  comme  lui  commandant  le  chemin 
des  mers.  Aussi  les  pangernianistes,  dans  leurs  articles  et 
eoticersations,  appellent-ils  Cherbourg  le  Gibraltar  alle- 
mand. » 


EXPLOITATION   DES    MINES    DE    FER  153 

minerai  ne  sera  entreprise  en  grand  que  dans  quel- 
ques semaines.  Au  dire  des  gens  compétents,  ce  mi- 
nerai est  de  qualité  supérieure.  Krupp  en  sera  content. 
J'en  ai  là  un  morceau  sur  ma  talbe,  qui  me  sert  de 
presse-papier.  Je  ne  songe  pas  sans  mélancolie  que 
ce  fer  français  va  être  fondu,  travaillé,  façonné 
contre  nous,  nous  reviendra  quelque  jour  sous  forme 
d'obus  allemands,  de  matériel  d'artillerie  allemand, 
de  bateaux  cuirassés  allemands  crachant  le  feu  par 
tous  leurs  sabords.  C'est  ainsi  que  la  République 
Bismarck-Gambetta  paie  sa  dette  au  vainqueur  qui 
l'installa  chez  nous  sous  le  couvert  de  «  la  Revan- 
che »  ! 

Les  machines  employées  sont  les  locomohiles  Wolff 
de  Magdebourg  et  les  Lanz  de  Mannheim. 

Le  matériel  utilisé  est  en  effet  exclusivement  alle- 
mand :  seuls  quelques  rails  employés  à  l'établissement 
du  chemin  de  fer  à  voie  étroite  de  la  mine  du  port  pro- 
viennent d'un  lot  de  Micheville  1912  :  tout  ce  qui  cir- 
cule sur  ces  rails  est  allemand  :  wagonnets  d'Orenstein 
et  Koppel,  machines  des  mômes...  etc..  Jusqu'au  char- 
bon biûlé  à  la  mine,  tout  est  allemand  :  ce  charbon 
vient  de  Westphalie  par  la  voie  du  Rhin  jusqu'à  Rot- 
terdam, où  il  est  chargé  sous  forme  de  briquettes  à 
bord  de  navires  qui  le  transportent  à  Diélette;  jusqu'à 
présent  ces  navires  battent  pavillon  hollandais  :  ce 
sont  le  San  Antonio  et  le  Syra,  appartenant  tous  deux 
à  la  firme  Hammerstein  de  Rotterdam  (encore  un  nom 
germanique),  qui  perçoivent  par  contrat  un  fret  de 
10  francs  par  tonne  rendue  à  Diélette  :  lorsque  le  con- 
trat de  ces  navires  sera  terminé  (ce  qui  ne  tardera 
guère),  nous  verrons  si  les  navires  qui  apporteront  le 
cliarbon  allemand  à  rétablissement  allemand  de  Guerfa 
ne  seront  pas,  eux  aussi,  allemands. 

Est-ce  que  Diélette  profite  au  moins  de  cette  coloni- 
sation allemande?  Un  fait  certain  est  que  le  prix  de 
l'existence    a    notablement  renchéri   dans    la    région 


154  l'avant-guerre 

depuis  que  les  travaux  ont  été  repris  à  la  mine.  Les 
producteurs  de  denrées,  dira-t-on,  en  profitent;  peut- 
être.  Mais  ce  renchérissement  de  l'existence  n'a-t-il 
pas,  par  ailleurs,  de  répercussions  fâcheuses  pour  la 
généralité  des  habitants? 


CHAPITRE  III 


LE  PORT  DE  DIELETTE 


Le  port  de  Diélette  de  peu  d'iiiiportaiice  par  lui- 
même,  mais  d'un  intérêt  capital,  comme  nous  allons 
pouvoir  le  constater,  depuis  que  les  Allemands  s'y 
sont  installés  en  maître,  est  situé  sur  la  côte,  dans 
l'anse  de  Vauville,  à  l'Ouest  de  Gherbom-g,  dont  il 
n'est  distant  que  par  un  ruban  de  route  de  28  kilo- 
mètres. 

Le  sous-sol  des  terrains  environnants  et  de  la  grève 
renferme  une  quantité  considérable  de  minerai  de 
fer. 

Voilà  longtemps  déjà  que  l'extracKon  en  fut  tentée. 
Des  puits  ont  été  creusés  et  des  galeries  souterraines, 
à  cent  mètres  de  profondeur,  sillonnent  le  dessous  de 
la  mer  jusqu'à  plusieurs  centaines  de  mètres  du  ri- 
vage. 

La  première  compagnie  qui  amorça  ces  travaux, 
abandonna  après  quelques  années,  -devant  les  frais 
énormes  nécessités  pour  le  transport  par  voie  de  terre, 
jusqu'à  Cherbourg,  du  minerai  extrait.  Ceite  contrée 
déserte  n'était,  en  elîet,  desservie  par  aucune  voie  ferrée, 
et  le  primitif  tombereau  devait  être  employé.    Or,  de 


i56  l'avant-querre 

Diélette  à  Cherbourg,  il  y  a  un  ruban  de  route  de  28  kilo- 
mètres. 

Depuis  deux  ans,  une  compagnie  nouvelle  exploite  la 
mine,  et  ses  actionnaires  ont  consenti  les  sacrifices 
pour  obvier  à  ces  inconvénients.  Le  transport  du  mine- 
rai se  fera  désormais  par  voie  de  mer;  la  compagnie  a 
creusé  un  port  en  eau  profonde  à  800  mètres  du  ri- 
vage, relié  à  la  terre  par  un  chemin  de  fer  aérien.  Ce 
port  sera  accessible  à  toutes  les  marées  aux  navires 
venant  prendre  leur  chargement  de  minerai. 

Le  chemin  de  fer  aérien  a  nécessité,  lui  aussi,  des 
travaux  fort  importants.  On  a  lancé,  dans  l'avant-port 
du  commerce  de  Cherbourg,  un  énorme  caisson-wharf, 
dans  lequel  ont  été  coulés  12.000  mètres  cubes  de  ci- 
ment armé  et  de  maçonnerie,  et  qui  formera  l'extré- 
mité de  la  voie  en  mer.  Quatre  autres  caissons,  im- 
mergés à  180  mètres  de  distance  l'un  de  l'autre, 
supporteront  les  pylônes  sur  lesquels  courra  le  chemin 
de  fer. 

L'ensemble  des  travaux  s'élèvera  à  plusieurs  millions. 
Des  milliers  de  tonnes  de  minerai  sont  déjà  extraites. 
Sitôt  que  la  ligne  aérienne  sera  terminée,  les  transports 
commenceront  à  destination  de  Caen.  C'est  là,  en  effet, 
sur  le  territoire  de  la  commune  d'Hérouville,  que  la 
société  a  installé  quatre  hauts  fourneaux,  qui  produi- 
ront 250  tonnes  de  fonte  par  jour  i. 

Mais  bien  des  indices  permettent  de  prévoir  que 
cette  installation  d'un  chemin  de  fer  aérien  sera  sui- 
vie de  la  construction  d'une  digue.  Ce  gigantesque 
travail  causera  sans  doute  d'amères  désillusions. 

11  sera  foncé  sur  du  sable  et  il  devra  tenir  à  l'endroit 
voulu  de  par  son  propre  poids  :  est-ce  suffisant  ?  On  en 
peut  douter,  étant  donnée  la  violence  des  courants  dans 
ces  parages  qui  comptent,  sans  contredit,  parmi  les 
plus  mauvais  des  côtes  de  France.  Alors,  qu'adviendra- 
t-il   de  ce  chemin  de  fer  aérien?  Le  moins  qu'on  en 

1.  Ces  renseignements  sont  extraits  de  la  Dépêche  de  Brest 
des  premiers  jours  de  juillet  1912. 


LE    PORT    DE    DIÉLETTE  157 

puisse  dire,  c'est  que  sa  durée  apparaît  comme  des  plus 
problématoires. 

C'est  à  ce  moment  que  se  posera  la  question 
de  la  digue,  déjà  envisagée  par  les  ingénieurs  de 
Thyssen. 

Quant  à  ceux  qui  s'imaginent  que  le  personnel 
allemand  diminue  à  Diélette*,  parce  qu'il  se  cache 
et  fait  le  mort,  je  leur  apprendrai  que  le  contremaître 
R...,  de  Dresde,  sous-officier  de  réserve  de  l'armée 
allemande,  habite  à  Diclette  même  et  surveille  les 
opérations. 

Mais  j'arrive  au  grand  projet,  assez  limpide  celui- 
là,  pour  quiconque  réfléchit,  grand  projet  qui  terrifie 
à  bon  droit  les  malheureux  Normands  demeurés  dans 
la  région  Diélette-Flamanville,  et  sur  lequel  se  pour- 
suit actuellement,  pour  la  frime,  une  enquête  «  de 
commodo  et  incowmodo  ».  Car  il  est  à  peine  besoin 
dédire  qu'Auguste  Thyssen  et  ses  agents  ont  déjà 
partie  gagnée  :  la  Compagnie  Allemande  des  Mines 
DE  Diélette  —  n'oublions  pas,  je  vous  prie,  qu'Au- 
guste Thyssen  est  conseiller  privé  de  l'empereur 
Guillaume  II  —  a  la  prétention  d'installer  la,  a 
quelques  pas  de  l'arsenal  de  Cherbourg,  un  dépôt 

DE  DEUX  mille  KILOS  DE  DYNAMITE  ! . . . 

Ce  dépôt  sera  censé  sous  la  surveillance  du  commis- 
saire central  de  Cherbourg.  En  réalité,  il  sera  sous 
la  garde  du  sous-officier  allemand  R...  ou  d'un  de 
ses  camarades  et  d'un  ingénieur  allemand.  Dans  ces 

1.  Dans  les  mines  de  Normandie  comme  aux  Grands  Mou- 
lins de  Corbeil,  tout  ce  qui  n'est  pas  allemand  ou  juif  est  sus- 
pect, surveillé  de  près  et  finalement  mis  en  demeure  de  céder 
la  place  au  conquérant.  Mais  les  agents  de  Thyssen  ne  pro- 
cèdent que  peu  à  peu  et  par  étapes  à  l'élimination  du  person- 
sonnel   français. 


158  l'avant-guerre 

conditions,  s'il  se  produit,  un  jour  ou  l'autre,  à  l'arse- 
nal de  Cherbourg,  une  catastrophe  comparable  à 
celle  de  Lagoubran,  il  ne  faudra  pas  trop  s'en  éton- 
ner; et  il  faudrait  encore  moins  s'étonner  si,  au  len- 
demain de  la  déclaration  de  guerre,  ledit  arsenal  sau- 
tait d'un  seul  coup. 

Cette  installation  du  port  de  Diélette  en  eau  pro- 
fonde, à  côté  d'un  de  nos  ports  militaires,  n'est  certai- 
nement pas  le  pur  effet  d'un  hasard  ^  Les  inconvé- 
nients multiples  qui  doivent  en  résulter  fatalement 
pour  nous,  et,  par  contre  les  avantages  innombrables 

1.  Le  3  septembre  1912,  je  publiais  dans  V Action  Française 
les  lignes  suivantes  jsous  ce  titre  : 

Comment  Caillaux  liera  Diélette  aux  Allemands. 

«  J'apprends  de  très  bonne  source  comment  le  Gouverne- 
ment allemand  a  obtenu  du  gouvernement  de  la  République, 
de  Caillaux,  pour  préciser,  l'autorisation  de  construire  à 
Diélette  un  havre  qui  fait  de  cette  partie  du  Cotentin  un 
véritable  Gibraltar  prussien. 

y  C'était  au  moment  des  tractations  du  Maroc-Congo.  Le 
traité  du  4  novembre  par  lequel  nous  cédions  le  Congo  à 
l'Allemagne  était  signé  et  cependant  la  «  Pantlier  »  restait 
toujours  devant  Agadir.  Caillaux  voulait  à  tout  prix  devant 
l'opinion  française  soulevée  obtenir  le  retrait  du  bateau  alle- 
mand. 11  sollicita  à  ce  sujet  l'ambassadeur  d'Allemagne  qui 
répondit  en  substance  :  u  Soit,  mais  à  une  condition:  l'octroi 
du  port  de  Diélette.  Thyssen  en  a  besoin  pour  son  minerai  et 
l'Empereur  serait  heureux  qu'on  lui  donnât  satisfaction.  »  Ça 
ne  traîna  pas.  Caillaux  ignorant  d'ailleurs  profondément  de 
quoi  et  de  qui  il  s'agissait,  accorda  aussitôt  ce  qu'on  lui 
demandait.  C'est  ainsi  que  la  mine  de  Diélette,  le  port  de 
Diélette  et  les  travaux  connexes  se  trouvent  aujourd'hui 
constituer  une  enclave  des  plus  dangereuses  pour  notre  pays. 
Plus  tard,  afin  de  pallier  autant  que  possible  cette  monstruo- 
sité, le  gouvernement  incita  le  candide  M.  Le  Chatelier  à 
contracter  alliance  avec  Thyssen,  à  servir  de  paravent  au 
conseiller  privé  de  l'Empereur  et  à  ses  prises  sur  le  sol  fran- 
çais. » 

Notre  excellent  confrère,  le  NouDelliste  de  la  Sartlie,  ayant 


LE    PORT    DE    DIÉLETTË  159 

que  ne  manquera  pas  d'en  retirer  la  nation  allemande, 
constituent  la  meilleure  preuve  que  cette   installa- 

reproduit  cette    information,  reçut  de  Caillaux  la  lettre   sui- 
vante : 

CHAMBRE  Mamers,  5  septembre  1912. 

DES   DÉPUTÉS 

Monsieur  le  Rédacteur  en  chef, 

J'apprends  par  le  Nouvelliste  du  mercredi  4  septembre,  qui 
me  parvient  ce  matin  même,  l'attaque  dirigée  contre  moi  par 
M.  Léon  Daudet  dans  V Action  Française  au  sujet  d'un  certain 
port  de  Diélette. 

La  réponse  que,  las  de  certaines  calomnies,  je  jug'e,  cette 
fois,  à  propos  de  faire  sera  simple  :  c'est  la  première  fois  que 
j'entends  le  nom  de  Diélette  ;  personne  ne  m'a  jamais  sollicité 
à  cet  égard.  L'îiistoire  que  vous  rapportez  est  inventée  de  toutes 
pièces.  Je  défle  qu'on  apporte  pour  la  justifier  l'ombre  d'une 
preuve,  l'apparence  d'une  présomption. 

Je  vous  prie,  ISîonsieur  le  Rédacteur  en  chef,  de  vouloir  bien 
publier  ma  lettre  à  la  place  même  où  a  paru  l'article  lu  ce 
matin,  et  je  vous  adresse  les  assurances  de  mes  distingués  sen- 
timents. 

J.  Caillaux,  député  de  la  Sarthe, 
ancien  président  du  Conseil. 

A  M.  le  Rédacteur  en  chef  du  Nouvelliste,  au  Mans. 

Nous  faisions  suivre  cette  lettre,  publiée  dans  l'Action  Fran- 
çaise, des  commentaires  suivants  : 

Nous  ferons  remarquer  ici  que,  pour  la  première  fois, 
M.  Caillaux  se  donne  la  peine  de  démentir  publiquement  ses 
complaisances  envers  l'Allemagne.  Il  le  fait  dans  un  journal 
où  son  silence  serait  capable  de  nuire  à  ses  intérêts  électoraux, 
qu'il  préfère,  évidemment,  comme  tout  bon  parlementaire,  à 
l'intérêt  du  pays. 

Ceci  établi,  je  réponds  à  M.  Caillaux  : 

1"  Qu'il  est  extravagant  qu'un  président  du  conseil  avoue 
publiquement  sa  complète  ignorance  de  travaux  aussi  colos- 
saux que  ceux  de  Diélette  et  de  l'établissement  d'un  port  alle- 
mand sur  la  côte  normande  !  Il  ne  reste-  plus  qu'à  traduire 
devant  une  Haute  Cour  les  ministres  des  Travaux  publics  et 
du  Commerce  du  cabinet  Caillaux,  en  l'occurrence  Augagneur 
et  Couyba  —  mon  pauvre  vieux  camarade  de  Louis-le-Grand 
—  coupables  d'avoir  caché  à  leur  chef  direct  des  tractations 
et  un  événement  de  cette  importance. 


160  l'avant-guerre 

tion  de  Diélette  est  l'aboutissement  d'un  projet  sava- 
ment  étudié  par  nos  voisins. 

Le  personnel  allemand  *  des  mines   n'est-il  pas, 

2°  Qu'à  l'époque  où  M.  Caillaux  ignorait  Diélette,  il  était  de 
notoriété  publique  qu'il  ne  jouissait  pas  de  la  vigilance  de 
toutes  ses  facultés  mentales.  Il  a  donc  parfaitement  pu,  sans 
s'en  apercevoir,  livrer  le  port  de  Diélette  à  Thyssen,  de 
même  qu'il  ne  s'est  peut-être  pas  aperçu  qu'il  livrait  le  Congo 
aux  Allemands. 

Moralité  :  les  démentis  de  M.  Caillaux  ne  prouvent  pas 
grand'chose,  et  il  les  a  peut-être  déjà  oubliés  à  l'heure 
actuelle. 

1.  De  l'aveu  des  habitants  du  pajs,  nombreux  sont  les  ouvriers 
allemands  et  italiens  qui  sont  employés  à  Diélette  et  qui  vien- 
nent chercher  de  l'embauche  à  la  Pierre-Butée  :  «  Voyez-vous, 
me  disait  un  officier,  tous  ces  gens-là  nous  espionnent  main- 
tenant et  demain  ils  prendraient  tous  le  fusil  pour  nous  tirer 
dans  le  dos  ! 

«  Certes,  dans  les  terrains  vagues  qui  entourent  le  poste  de 
T.  S.  F.  des  Rouges-Terres,  il  est  bien  défendu  aux  proprié- 
taires de  posséder  des  récepteurs  qui  pourraient  leur  permettre 
d'intercepter  les  messages.  De  plus,  les  communications  se 
font  presque  habituellement  à  l'aide  de  messages  chiffrés  dont 
les  commandants  de  navires  possèdent  seuls  le  code.  Mais 
l'espionnage  n'est-il  pas  défendu  plus  que  tout  autre  crime? 
Non  seulement  il  est  difficile  de  se  garder  contre  des  étrangers 
qui,  établis  en  maîtres  dans  leurs  propriétés,  cherchent  par 
tous  les  moyens  possibles  à  servir  leur  pays,  mais  encore  ne 
faut-il  pas  compter  avec  les  consciences  trop  faibles? 

u  Hélas!  l'argent  est  tout-puissant,  et  on  m'a  certifié  que 
déjà  rien  n'est  négligé  pour  ménager  des  intelligences  utiles. 

«  A  supposer  que,  pour  une  raison  ou  pour  une  autre,  le 
code  chiffré  de  T.  S.  F.  tombe  aux  mains  d'un  espion,  la 
défense  de  nos  côtes  peut  être  rendue  momentanément  impos- 
sible, l'ennemi  pouvant  dévoiler  les  moindres  mouvements  de 
nos  vaisseaux.  » 

On  a  pu  lire  également  dans  V Action  Française  : 

«  Il  y  a,  aux  mines  de  Diélette,  un  ingénieur  allemand  en 
permanence.  En  outre,  d'autres  ingénieurs  viennent  fréquem- 
ment visiter  par  groupes  ces  puits  et  ce  port  déjà  fameux. 
Enfin,  la  construction  d'un  des  caissons  du  warff  «  Kolossal  », 
que  Thyssen  projette  de  construire  pour  le  transport  de  son 
minerai  —  et  probablement  aussi  des  canons  prussiens,  en  cas 
de   guerre  —  la  construction  de   ce  caisson,  dis-je,  bien    que 


LE    PORT    DE    DIÉLETTE  161 

en  effet,  tout  porté  pour  pratiquer  l'espionnage  en 
toute  sécurité  dans  les  parages  du  port  de  Cher- 
bourg et  provoquer  ainsi  au  moment  opportun  une 
catastrophe  irréparable? 

C'est  là  un  premier  avantage  dont  ne  manquera 
pas  de  tirer  parti  le  patriotisme  allemand.  Par  ail- 
leurs, cette  invasion  cosmopolite  sera  la  source  de 
conflits  multiples  dont  les  conséquences  risqueraient 
d'être  fort  graves.  Il  semble,  du  reste,  qu'elles  n'ont 
pas  échappé  aux  autorités  et  que  l'on  cherche, 
sinon  à  les  éviter,  du  moins  à  en  restreindre  l'impor- 
tance. 

On  pouvait  lire,  en  effet,  dans  le  Joiiymal  de  la 
Manche  et  de  la  Basse-Normandie ,  —  numéro  du 
14  septembre  1912,  —  sous  le  titre  «  gendarmerie  » 
et  à  propos  du  Conseil  Général  de  la  Manche  les 
lignes  suivantes  : 

«  En  raison  des  troubles  qui  s'élèvent  fréquem- 
«  ment  dans  la  région  de  Flamanville,  on  demande 
«  qu'il  soit  créé  un  jDOste  de  gendarmerie  à  Flaman- 
«  ville. 

<.'  La  commission  est  do  cet  avis  et  demande  que 
<f  des  mesures  soient  prises  et  que  des  instructions 
«  formelles  soient  données  à  la  gendarmerie  pour 
(t  réprimer  les  troubles  qui  se  produisent  au  pays. 
«  Les  conclusions  du  rapport  sont  adoptées.  » 
La  gendarmerie  fera  bien  d'être  prudente  et 
d'avoir  l'œil  ouvert,  car  il  peut  éclater  au  moment  le 

confiée  à  un  entrepreneur  français,  légitime,  autorise  la  pré- 
sence incessante  desdits  ingénieurs  alleman'ds,  officiers  de  la 
Landvvehr,  naturellement,  au  cœur  du  port  de  Cherbourg. 

Ce  serait  vraiment  de  la  candeur  que  de  s'étonner  des  faits 
d'espionnage  qui  se  commettent  à  Cherbourg,  puisque  les  es- 
pions y  pullulent.  Mais  c'est  de  la  trahison  tout  simplement  que 
de  tolérer  plus  longtemps  ces  espions  dans  notre  grand  port.  « 


162  l'avant- GUERRE 

2)ius  inattendu,  et  comme  par  hasard,  le  plus  favo- 
rable pour  les  intérêts  de  nos  voisins,  tel  incident  de 
grève,  d'émeute,  de  tuerie  qui  fera  fort  bien  les 
affaires  des  sujets  du  Kaiser. 

Qu'à  l'occasion  d'un  conflit  toujours  possible  entre 
ouvriers  français  et  allemands,  un  de  ceux-ci  soit 
blessé,  qu'à  Toccasion  d'un  conflit  entre  ouvriers  et 
patrons  les  établissements  de  MM.  Auguste  Thyssen 
et  Krupp  aient  à  souffrir  quelque  dommage,  on  verra 
immédiatement  intervenir  un  nouveau  Kiderlen 
Waechter.  «  Là  où  il  y  a  un  seul  commerçant  aile- 
'inand  —  dit  le  menaçant  axiome  —  toute  la  patrie 
allemande  est  engagée.  »  A  plus  forte  raison  quand 
ce  commerçant  unique  dispose  de  centaines  de  mil- 
lions de  marks,  de  milliers  de  travailleurs  et  occupe 
une  situation  quasi  officielle  dans  son  pays. 

Il  suffit  de  faire  le  voyage  de  Cherbourg  pour  se 
rendre  compte  du  sans-gêne  avec  lequel  les  Alle- 
mands s'installent  à  Diélette. 

Un  de  nos  ligueurs  nous  écrivait  l'an  dernier  : 

«  Deux  de  mes  amis  étant  à  Diélette,  il  y  a  une 
quinzaine  de  jours,  apprirent  que  les  Allemands  s'y 
considéraient  si  bien  comme  chez  eux,  que  le  seul 
fait  de  ramasser  une  pierre  sur  la  chaussée,  c'est 
s'exposer,  pour  un  Français,  à  être  molesté. 

Étant  entrés  dans  un  restaurant,  l'un  d'eux  dit  à 
voix  haute  à  son  compagnon  :  (c  C'est  tout  de  même 
vexant  pour  des  Français  d'être  ainsi  traités  dans 
leur  propre  pays  par  des  Allemands  !  » 

Immédiatement,  la  patronne  de  l'établissement  — 
une  Française  —  lui  imposa  silence,  en  lui  disant 
qu'il  l'exposait  à  des  ennuis  en  parlant  ainsi  des  Al- 
lemands. Mes  amis  ne  voulurent  pas  rester  un  ins- 
tant  de   plus  à   Diélette   et   quittèrent   indignés  et 


LE    PORT    DE    DIÉLÉTTE  163 

écœurés  cette  localité  livrée  en  pleine  paix,  par  la 
République,  au  joug  allemand...   » 

Que  les  sceptiques  prennent  donc  un  train  et  y 
aillent  voir.  Ils  seront  rapidement  édifiés.  J'affirme 

qu'avant  deux  ans,  s'il  n'y  a  pas  la  GUERRE,  LE  JOUG 
ALLEMAND  SERA  DEVENU  SI  DUR  ET  SI  INTOLERABLE 

DANS  LA  Normandie  qu'il  y  aura  des  soulèvements 

GRAVES. 

L'utilité  pour  l'Allemagne  du  port  de  Diélette,  ne 
saurait  être  un  seul  instant  en  doute.  Elle  va 
avoir,  en  effet,  sous  la  main,  un  véritable  ponton  de 
débarquement  où  ses  plus  grands  cuirassés  pourront 
venir  opérer  comme  à  quai.  L'endroit  serait  certes 
bien  choisi  pour  une  surprise  à  la  japonaise,  dans  le 
voisinage  du  port  et  de  l'arsenal  de  Cherbourg. 

La  côte  en  ces  parages  est  très  découpée.  Une 
tentative  de  débarquement  serait  donc  très  difficile. 
Aussi  ce  point  est-il  dégarni  et  le  front  de  défense 
de  la  ville  n'a  pas  été  étendu  jusque-là. 

Cherbourg  est  très  bien  défendu  du  côté  de  la  mer. 
A  quoi  bon  se  livrer  de  front  à  l'attaque  de  cette 
place  imprenable? 

Du  côté  de  l'Ouest,  au  contraire,  pas  un  canon, 
pas  une  garnison.  Rien  de  plus  simple,  en  consé- 
quence, que  le  débarquement  d'un  corps  d'armée  à 
Diélette.  Cherbourg  ainsi  coupé  pourra  utiliser  ses 
munitions  contre  les  vagues  de  la  Manche.  C'est  par 
le  sud  et  non  par  le  nord,  par  la  terre  et  non  par  la 
mer  que  l'ennemi  occupera  Cherbourg.  Et  c'est  ainsi 
que  nous  retrouvons  ici  cette  adaptation  éventuelle 
des  travaux  de  la  paix  et  de  l'industrie  aux  entre- 
prises de  la  guerre  qui  est  éminemment  la  marque 
allemande.  La  prévision  germanique  sait  conjoindre 


164  l'avant-guerre 

ses  intérêts  commerciaux  à  ses  intérêts  militaires, 
de  telle  sorte  qu'au  moment  voulu,  la  combinaison 
des  uns  et  des  autres  s'opère  automatiquement.  Cette 
énergie  tenace  et  rusée  ne  rencontre  chez  nous,  qui 
serons  ses  premières  victimes,  aucune  opposition. 
Dans  les  grandes  choses  comme  dans  le  menu  détail, 
la  République  se  fait,  contre  la  France,  l'auxiliaire  et 

r 

la  complice  de  l'Etranger. 

Cette  complicité,  peut-on  encore  la  nier  après  la 
visite  en  juin  1912,  du  ministre  du  Commerce  fran- 
çais d'alors,  Fernand  David,  membre  du  fameux 
«  ministère  national  »,  au  port  de  Diélette? 

Le  port  de  Cherbourg  prête  aux  Allemands  — 
m'affîrme-t-on  —  le  matériel  dont  ils  ont  besoin 
pour  la  construction  de  la  digue  destinée  à  protéger 
et  fermer  le  port  de  Diélette,  à  en  faire  une  rade  et, 
comme  je  l'ai  dit,  un  Gibraltar  allemand. 

Est-ce  pour  négocier  ce  prêt  de  matériel  que  Fer- 
nand David  a  fait  tout  exprès  le  voyage  de  Cherbourg 
et  Diélette? 

Notre  ministre  se  déclara  fort  satisfait  de  cette 
visite. 

Sans  doute  il  y  apprit  que  lorsque  la  mine  de 
Diélette  serait  en  pleine  exploitation  on  pourrait 
charger  tous  les  jours  un  navire  de  6.000  tonnes  de 
minerai  1?  Mais  il  ne  pouvait  ignorer  que  ce  minerai 

1.  A'oici  des  extraits  du  Pliure  de  la  Manche  (numéro  du 
samedi  6  juillet  1912)  ;  et  d'abord  la  visite  à  Diélette,  posses- 
sion du  métallurgiste  allemand  Auguste  Thyssen,  conseiller 
privé  de  l'empereur  : 

«  Tout  près  du  puits  de  la  Cabotière,  au  jour,  le  ministre 
visita  une  importante  construction  en  cours  d'exécution,  dans 
laquelle  sera  déposé  le  minerai  sortant  de  la  mine.  Des  con- 
casseurs  y  seront  installés  et  le  minerai  sera  ensuite  chargé 
dans  les  wagons  aériens  qui  partiront  de  cet  endroit  â  une 
altitude  de  14  mètres,  pour  aller  se  déverser  sur  le  navire  qui 


LE    PORT    DE    DIÉLETTE  165 

était  destiné  aux  usines  Krupp  qui  nous  le  retourne- 
ront, par  la  gueule  des  canons  allemands,  sous  la 
forme  d'obus. 

Alors  son  premier  devoir  n'était-il  pas  d'arracher 
Diélette  à  Auguste  Thysssen  et  à  l'impérialisme  alle- 
mand... de  faire  interrompre  immédiatement  ces 
travaux  monstrueux  ? 

Si  erronés  qu'aient  pu  être  les  renseignements 
recueillis  par  Fernand  David  près  du  maire  de  Cher- 
bourg, le  sieur  Mahieu',  que  sa  goujaterie  lors  des 

sera  accosté  le  long  du  wharf  du  large.  Ce  travail  est  d'autant 
plus  intéressant  qu'il  faut  attaquer  le  granit  à  l'aide  de  perfo- 
reuses électriques.  Le  ministre  du  Commerce  a  mis  lui-même 
un  outil  eu  main  pour  percer  un  trou.  M.  Fernand  David  a 
parfaitement  pu  se  rendre  compte  du  mouillage  des  premiers 
caissons  supportant  les  pylônes  destines  à  supporter  la  ligne 
aérienne.  Cette  visite  au  puits  de  la  Cabotière  a  été  très  inté- 
ressante, et  M.  Brischoux  a  fait  connaître  que  lorsque  l'ex- 
ploitation fonctionnera,  on  pourra  charger  cinq  cents  tonnes 
de  minerai  à  l'heure,  c'est-à-dire  qu'en  douze  heures,  un  navire 
de  6.000  tonnes  pourra  faire  son  chargement. 

«  On  compte  actuellement  à  la  mine,  tant  au  jour  que  dans 
les  galeries,  environ  200  ouvriers,  pour  lesquels  la  direction 
a  fait  commencer  In  construction  d'un  réfectoire  et  d'un 
dortoir. 

«  Le  ministre  a  pu  se  rendre  compte  que,  contrairement  à 
certains  bruits  pessimistes,  la  mine  de  Diélette  était  bien  ex- 
ploitée par  des  Français,  et  non  par  des  Allemands.  » 

L'aveuglement  à  ce  point-là  est-il  encore  involontaire  ?  Pour 
ma  part  je  ne  le  crois  pas. 

1.  Le  passage  suivant  du  scandaleux  discours  du  député- 
maire  Mahieu  prononcé  à  l'occasion  de  cette  visite  est  à  citer. 

«  Notre  port  est  le  plus  merveilleux  point  d'escale  do  la  côte 
française,  pour  les  grands  paquebots  cosmopolites  qui  sillon- 
nent l'Atlantique  et  viennent  déverser  ces  pléiades  d'étrangers 
qui  sont,  pour  notre  pays,  une  source  inépuisable  de  prospé- 
rité. Et  l'on  coudrait,  dans  une  certaine  presse,  mener  une 
caîiipagne  contre  ce  moucement  étranger,  pour  des  raisons 
d'un  vague  patriotisme?  Mais  nous  le  sommes,  patriotes, 
autant  que  qui  que  ce  soit,  et  dans  la  pleine  acception  du  mot, 
nous,    les  habitants   de    cette    ville-frontière    où   nous    avon^ 


166  l'avant-guerre 

funérailles  du  Veyidémiaire  a  si  tristement  illustré, 
un  ministre  du  Commerce  français  ne  pouvait  igno- 
rer la  situation  critique  dans  laquelle  se  débat  la 
Normandie  envahie.    Il   a   des   secrétaires    dont    le 

tous  les  jours  sous  les  yeux  l'exemple  de  notre  marine,  de  son 
(îéYOuement,  de  ses  sacrifices.  [Applaudissements.) 

«  Mais  nous  sommes  aussi  sans  haines,  et  nous  pensons 
que  c'est  grandir  son  pays  que  vouloir  le  dresser  noblement, 
vis-à-vis  des  autres  dans  une  rivalité  d'intelligence,  de  volonté 
travailleuse,  de  grandeur  matérielle  et  morale,  exempte  de 
jalousies. 

«  Et  c'est  pourquoi  nous  souffrons,  mon  cher  ministre  — 
nous  souffrons  dans  notre  amour-propre  de  Cherbourgeois  et 
de  Français,  d'être  obligés  de  recevoir  les  hôtes  que  nous 
envoie  le  monde  entier  en,  si  piteux  endroit.  » 

Ce  n'était  déjà  pas  mal,  mais  il  y  a  mieux  et  il  serait  cri- 
minel de  ne  pas  citer  cette  conclusion  du  discours  prononcé 
par  M.  Hattemer,  agent  de  la  Hamburg-Amerika,  parlant  à 
David  et  à  Mahieu,  ainsi  qu'un  maître  à  ses  domestiques  : 

«  A  l'époque  lointaine  dont  je  vous  parle,  disait-il,  c'est  des 
paquebots  de  9.000  tonnes  que  nous  amenions  à  Cherbourg, 
puis  successivement  nous  avons  vu  leur  tonnage  monter  à 
15.000  tonnes,  25.000  tonnes,  45.000  tonnes  et,  au  printemps 
j)roc/iain,  vous  verrez  sur  votre  belle  rade  le  paquebot  de 
ma  Compagnie,  Imperator,  première  unité  de  la  série  des 
50.000  tonnes. 

«  Ces  constatations,  ces  prévisions  me  conduisent  à  vous 
exprimer  un  vœu,  je  pense  que  vous  voudrez  bien  me  per- 
mettre de  le  faire  en  ami,  titre  auquel  je  crois  avoir  droit  en 
raison  des  relations  très  amicales  que  j'entretiens  depuis  si 
longtemps  avec  vous,  messieurs,  et  qui  me  sont  chères.  Ce 
vœu,  c'est  que  les  améliora,tions  de  votre  port  de  commerce 
soient  effectuées  sur  un  plan  prévoyant  les  exigences  de  la 
navigation  de  demain  ;  l'établissement  maritime,  c'est-à-dire  le 
port,  doit  être  fait  pour  recevoir  le  plus  parfaitement  possible 
son  client,  qui  est  le  navire,  et  il  n'est  pas  douteux  que  celui- 
ci  s'acroîtra  encore  en  dimensions.  Si  nous  pouvions  en  dou- 
ter, l'accroissement  des  bassins,  des  cales  sèches,  l'approfon- 
dissement des  rades  et  des  passes,  qui  sont  les  travaux 
qu'entreprennent  tous  les  pays,  nous  convaincraient  que  la 
victoire  dans  la  lutte  des  ports  est  à  ce  prix.  >' 

Quand  on  sait  que  des  officiers  de  la  marine  de  guerre 
allemande  font  des  stages  réguliers  sur  ces  paquebots,  afin 
d'apprendre  les  passes  et  les  écueils  de  la  Manche,  quand  on 


LE    PORT    DE    DIÉLETTE  167 

métier  est  de  lui  mettre  sous  les  yeux  des  docmnents» 
des  avertissements  couime  celui-ci  que  publiait  en 
juin  (1912)  un  vieux  journal  libéral  de  Pont-l'Évêque, 
le  Pays  d'Auge,  sous  ce  titre  «  les  Allemands  chez 
nous  ». 

Nous  avons  déjà  signalé,  disait-il,  que  trois  membres 
de  la  famille  Thyssen  font  partie  de  la  Société  des  Hauts- 
P'ourneaux  qui  doit  s'établir  à  Caen.  Cette  famille  de 
grands  industriels  allemands  a  déjà  la  haute  main  sur 
les  mines  de  fer  de  Sousmont-Saint-Quentin,  près  de 
Falaise  et  de  Diélette,  dans  la  Manche. 

Or,  on  annonce  que  les  Thyssen  viennent  d'acheter, 
dans  la  commune  de  la  Glacerie,  à  six  ou  sept  kilo- 
mètres de  Cherbourg,  des  terrains  qui  entourent  com- 
plètement le  poste  de  télégraphie  sans  111  de  la  marine 

sait  aussi  qu'en  temps  de  guerre,  ces  paquebots  seraient  uti- 
lisés comme  éclaireurs  et  transbordeurs,  on  accueille  avec 
moins  d'enthousiasme  que  David  et  Mahieu  l'annonce  de  la 
venue  de  ÏImperator.  C'est  cà  croire  que  tous  ces  gens-là  sont 
devenus  fous,  les  Allemands  d'orgueil  et  d'audace,  les  politi- 
ciens français  d'abrutissement,  de  vénalité,  de  servilité. 

L'émotion  provoquée  dans  les  milieux  maritimes  par  les 
incroyables  détails  de  cette  visite  à  Cherbourg  fut  grande  et 
justifiée.  D'autres  politiciens  et  des  armateurs  du  Havre 
notamment  s'en   firent    les    échos.  On  s'est  demandé    quels 

INTÉRÊTS   sordides  —     €71    Ict    cil'COnStCUlCe,     DE     TRAHISON     — 

liaient  ainsi  le  ministre  David  à  la  J 'or tune  des  Compagnies 
transatlantiques  et  minières  allemandes. 

Mais  Fernand  David  a  pour  lui  un  journal  important  à 
cause  de  sa  gallophobie  et  de  son  impudence  bien  connues  : 
la  Strassbûrger  Post  où  l'on  peut  lire  ceci  : 

«  La  défense  de  M.  Fernand  David  est  facile.  Les  minerais 
de  Diélette  sont  tombés  aux  mains  allemandes  pour  la  seule 
raison  que  la  France  en  possède  trop  et  que  V Allemagne 
n'en  a  pas  assez.  D'autre  part,  les  sociétés  maritimes  étran- 
gères ont  gagné  en  importance  à  Cherbourg  parce  que  les 
Compagnies  françaises  sont  plus  chères  et  plus  mal  orga- 
nisées que  n'impoîHe  lesquelles.  Les  acquisitions  de  terrains 
par  ^î.  Thyssen  contribueront  à  la  prospérité  de  la  Norman- 
die et  il  est  tout  naturel  qu'en  retour  de  cet  enrichissement 
d'une  région  le  gouvernement  français  fasse  montre  de  quel- 
que politesse.  »  i* 


168  l'avant-ouerre 

française,  qui  a  le  premier  reçu  la  nouvelle  de  la  catas. 
trophe  du  Vendémiaire. 

Notre  pays  est  ainsi  livré  à  l" Allemagne,  et  le  gou- 
vernement laisse  faire. 

Encore  une  fois,  est-ce  de  tout  cela  que  s'est  mon- 
tré fort  satisfait  le  ministre  Fernand  David? 

Bien  plus,  non  content  d'aller  donner,  par  sa  pré- 
sence, une  consécration  officielle  à  rinstallation  de  nos 
bons  voisins  à  Diélette,  il  a  tenu  également  à  porter 
l'amical  encouragement  du  gouvernement  de  la  Répu- 
blique aux  Compagnies  transatlantiques  de  Cher- 
bourg :  La  Hainhurg-Amerika  et  la  Norddeutscher 
Lloyd. 

Ce  fut,  un  moment,  le  projet  de  Bismarck,  en  1871 , 
de  nous  arracher  la  cession  de  Cherbourg.  Tout  au 
moins  l'Allemagne  a-t-elle  obtenu,  dans  notre  se- 
cond port  de  guerre,  une  escale  pour  ses  transa- 
tlantiques du  Norddeutscher  Lloyd  et  de  la  Hamburg- 
Ameriki.  Le  président  de  la  Hamburg-Amerikay 
M.  Ballin,  —  est-ce  un  cousin  éloigné  du  Ballin- 
Grûnebaum,  dit  le  Francfortois  de  la  Séparation? 
—  est,  entre  parenthèses,  un  des  conseillers  les  plus 
écoutés  de  l'empereur  Guillaume  II.  On  lui  prête 
actuellement  le  désir  de  remplacer,  pour  ses  transa- 
tlantiques, l'escale  de  Cherbourg  par  celle  de  Brest. 
Le  rêve  de  l'Allemagne,  Cherbourg  port  franc,  ville 
de  la  Hanse  comme  Hambourg  et  Brème,  serait 
remplacé  par  celui-ci  :  Brest  port  franc.  Un  journal 
technique,  VÉconomiste  Indépendant,  donnait,  ré- 
cemment, à  ce  sujet,  les  intéressants  renseignements 
que  voici  : 

Chaque  semaine,  la  Hamburg-Amerika  paie  10.000  frs. 
pour  ses  deux  trains  spéciaux  Paris-Cherbourg  et 
Cherbourg-Paris.  Or,  elle  trouve,  avec  raison,  que  le 


LE    PORT    DE    DIÉLETTE  169 

matériel  mis  à  sa  disposition  est  misérable,  que  les 
trains  marchent  trop  lentement  et  que  les  horaires  ne 
sont  pas  respectés.  Il  n'y  a  d'ailleurs  pas  que  les  Alle- 
mands qui  pâtissent  de  Tétat  d'anarchie  du  réseau  mo- 
dèle. En  transportant  à  Brest  son  escale,  la  Hamburg- 
Amerika  veut  remédier  à  cette  situation.  Elle  veut  des 
moyens  modernes  et  confortables  et  des  trains  ultra- 
rapides allant  de  Cologne  à  Brest  par  Jeumont,  Saint- 
Quentin,  Amiens  et  Rouen. 

Et  savez-vous  comment  elle  pense  arriver  à  ses  fins? 
Tout  simplement  en  établissant  en  territoire  français 
une  ligne  électrique  à  son  usage  personnel.  Si  vous 
rattachez  ces  visées  à  la  mainmise  des  gros  industriels 
d'Outre-Rhin  sur  nos  mines  de  fer  normandes,  il  vous 
apparaîtra  que  le  plan  ne  manque  ni  d'habileté,  ni 
d'audace.  Daiis  quelques  années^  notre  région  Nord- 
Ouest  serait  une  véritable  colonie  allemande.  Le  gou- 
vernement ne  peut  vraiment  pas  aller  jusque-là  dans  la 
voie  des  concessions! 


Les  navires  de  la  Hamhurg-Amerika  et  de  la  Nord- 
deutscher  Lloyd,  non  seulement  luxueux  et  confor- 
tables, mais  solides  et  faciles  à  armer,  —  tout  y  étant 
disposé  à  cet  effet,  —  deviendront  instantanément 
en  temps  de  guerre  des  croiseurs.  Les  officiers  de  la 
marine  régulière  allemande  font  déjà  un  stage  sur 
eux,  afin  de  connaître  à  fond  les  passes,  —  qu'ils 
possèdent,  en  effet,  aussi  bien  que  nos  meilleurs  pi- 
lotes. Il  y  a  bien  à  bord  un  pilote  français,  mais  il 
n'est  là  que  pour  la  parade  et  pour  donner  des  ren- 
seignements supplémentaires,  demandés  incidem- 
ment au  cours  des  conversations  de  fumoir.  Les  of- 
ficiers de  ces  navires  connaissent  minutieusement  le 
littoral.  Ils  ne  se  gênent  pas,  dans  les  causeries  con- 
fidentielles, pour  exposer  à  leur  interlocuteur,  même 
français,  le  rêve  de  Cherbourg  ou  de  Brest,  villes  de 
la  Hanse,  ou  duCotentin  coupé  à  Carentan  et  devenu 


170  l'avant-suerre 

allemand.  Cette  nouvelle  coupure  les  passionne 
beaucoup  plus  que  celle  du  Congo. 

Mais  il  y  a  mieux  :  partout  où  touchent  les  paque- 
bots de  la  Hamburg-Amerika  ou  du  Lloyd,  quel  que 
soit  le  pays,  quelle  que  soit  la  ville  (Southampton, 
Gênes,  etc.),  l'autorité  locale  exige,  sur  ordre  de  son 
gouvernement,  que  l'agent  de  ces  Compagnies  soit  un 
national,  anglais  pour  l'Angleterre,  italien  pour  l'Ita- 
lie..., etc..  C'est  là  une  précaution  élémentaire,  sur 
la  nécessité  de  laquelle  il  n'est  pas  besoin  d'insister, 
en  même  temps  qu'un  droit  et  un  devoir  strict. 
Encore  faut-il  que  cet  agent  national,  qui  prête  son 
nom  à  ces  Compagnies  étrangères,  soit  agréé  par 
les  Chambres  de  commerce  et  les  municipabtés. 
Étant  tenu  pour  responsable,  il  exerce  naturelle- 
ment une  surveillance  proportionnelle  à  sa  responsa- 
bilité. 

Or,  il  n'en  va  pas  ainsi,  pour  les  Compagnies  alle- 
mandes *  de  transatlantiques,  à  Cherbourg,  port  de 

1.  Conformément  à  l'usage  international,  l'agent  de  ces 
transatlantiques  à  Cherbourg  fut,  pour  commencer,  un  Fran- 
çais :  M.  Emile  Le  Pont,  Conseiller  municipal,  vénérable  de 
la  loge  maçonnique  «  la  Solidarité  «,  licencié  en  droit,  par- 
lant couramment  l'anglais  et  l'allemand.  M.  Emile  Le  Pont 
appartenait,  en  outre,  à  une  des  familles  les  plus  connues  de  la 
ville.  Son  père  était  membre  de  la  Chambre  de  commerce  et 
commissionnaire  à  la  marine,  comme  tel,  en  relations  cons- 
tantes avec  les  principales  usines  et  fonderies  de  France.  Il 
avait  ainsi  toutes  facilités  et  tout  accès  auprès  des  pouvoirs 
publics,  civils  ou  militaires.  Enfin,  il  avait"  comme  ami 
intime  le  député  socialiste  et  actuel  maire  de  Cherbourg, 
M.  Mahieu.  Si  je  donne  tous  ces  détails,  c'est  afin  de  bi&n 
montrer,  sur  le  vif,  le  procédé  allemand  qui  consiste  à.  s'im- 
^planter  chez  nous,  en  utilisant,  au  début,  des  personnalités  à 
la  fois  compétentes  et  importantes.  Avant  d'agir,  l'Allemand 
se  renseigne  bien,  beaucoup  mieux  même  que  l'Anglais,  son 
concurrent.  Comment  cela  ?  Par  un  système  perfectionné 
d'agences  et  de  fiches. 


I.E    PORT    DE    DIÉLETTE  171 

guerre  français.  Après  avoir  pris,  pour  faire  les  dé- 
marches au  ministère  de  la  Marine,  près  de  la  Cham- 
bre de  commerce,  près  de  l'Amirauté  et  des  diverses 
autorités,  mi  notoire  Cherbourgeois.  ~-  de  la  noto- 

Une  fois  bien  et  dûment  installées  à  Cherbourg  par  les  soins 
et  l'activité  de  M.  Emile  Le  Pont,  leur  agent,  les  Compagnies 
allemandes  le  remercièrent,  pour  recourir  aux  offices  de  leurs 
nationaux.  C'est  dans  l'ordre.  C'est  la  deuxième  phase  de 
l'occupation.  Mais  on  raconte,  à  Cherbourg,  que  la  Nord- 
deutscher  Lloyd  et  la  Hambarg-AmeHka  demeurèrent  en 
fort  bons  termes  avec  le  citoyen  député  Mahieu,  maire  de 
Cherbourg.  Quoi  de  plus  naturel?  Le  parlementaire  socia- 
liste est,  par  définition,  ami  de  l'humanité.  11  importe  au 
bonheur  de  l'humanité  qu'il  soit  élu  et  réélu.  Si  donc,  pour 
assurer  cette  élection  ou  cette  réélection,  il  devait  recourir  à 
la  sympathie  active  et  manifeste  d'étrangers,  il  serait  bien  sot 
d'hésiter  une  minute.  C'est  ainsi  que  le  citoyen  député  Mahieu, 
maire  de  Cherbourg,  est  ouvertement  dans  les  meilleurs 
termes  avec  les  Compagnies  allemandes  susnommées  et  qu'il 
ne  leur  tient  pas  rigueur  d'avoir  éliminé  son  ex-camarade 
M.  Emile  Le  Pont. 

Le  zèle  transatlantique  pro-allemand  du  citoyen  député  et 
maire  de  Cherbourg,  M.  Mahieu,  est  tel  qu'il  a  mené  en  per- 
sonne, comme  député  et  comme  maire,  dans  l'exercice  de  ses 
fonctions,  une  campagne  acharnée,  pour  faire  réduire  les 
frais  de  pilotage  des  compagnies.  Sans  doute,  les  droits  de 
pilotage,  proportionnels  au  tonnage  des  bâtiments,  étaient-ils 
parfois  excessifs.  Mais  chacun  se  demanda,  à  cette  occasion, 
s'il  était  dans  le  rôle  du  maire  de  Cherbourg  de  prendre  le 
parti  des  étrangers  contre  ses  concitoyens  ;  et  au  cours  d'une 
réunion  tenue  à  l'Hôtel  de  Ville,  les  pilotes  cherbourgeois, 
firent  une  scène  des  plus  vives  à  leur  maire  comme  trop  éco- 
nome des  deniers  teutons. 

Il  faut  avouer  que  l'étrange  sollicitude  de  M.  Mahieu 
dépassait  les  bornes.  Que  les  compagnies  étrangères  bénéfi- 
cient des  avantages  de  nos  nationaux,  cela  est  déjà  excessif, 
mais  qu'elles  jouissent  d'un  régime  de  faveur,  c'est  tout  sim- 
plement exorbitant  !  Et  nous  trouvons  encore  la  confirmation 
de  ce  que  nous  venons  d'écrire  au  sujet  des  droits  de  pilotage 
dans  les  lignes  suivantes  extraites  d'une  brochure  de  M.  Bos- 
sière  sur  la  prospérité  des  ports  français. 

«  ...  Sait-on  que  le  transatlantique  allemand  du  Norddeut- 
scher  Lloyd,  qui  touclie  chaque  semaine  à  Cherbourg  pour 
enlever  aux  lignes  françaises  le  meilleur  de  leurs  passagers,  a 


172  l'avant-guerre 

riété  duquel  ils  ont  largement  usé,  —  les  Allemands, 
une  fois  solidement  implantés,  ont  rejeté,  sous  un 
prétexte  quelconque,  notre  compatriote.  C'est  là  leur 
tactique  invariable.  Ils  se  servent  d'un  national 
comme  moyen  de  fixation  et  de  pénétration,  ils  uti. 
lisent  son  influence  locale,  sa  bonne  situation,  puis, 
quand  ils  ont  ce  qu'ils  veulent,  au  premier  tournant, 
ils  se  débarrassent  de  lui  et  le  remplacent  par  un 
Allemand.  C'est  ainsi  qu'à  Cherbourg,  les  deux  agen- 
ces du  Lloyd  et  des  Hamhourgeois  fonctionnent,  — 
contrairement  à  tous  les  usages,  contrairement  à  ce 
qui  se  passe  partout  ailleurs,  —  avec  un  personnel 
entièrement  allemand,  sans  aucun  agent  français. 
Les  Allemands,  ici,  agissent  en  maîtres. 

Faut-il  insister  sur  les  facilités  que  leur  donne  une 
situation  aussi  privilégiée  et  paradoxale  quant  à  la 
connaissance  des  parties  vives  de  notre  défense 
côtière,  quant  aux  arsenaux,  quant  aux  sous-marins? 
Le  péril  a  été  signalé  maintes  fois  et  dans  maint  rap- 
port confidentiel,  dont  il  n'a  été  tenu  aucun  compte 
en  haut  lieu.  On  aurait  même  été  jusqu'à  interdire 
aux  autorités  maritimes  d'intervenir,  dans  la  crainte, 
sans  doute,  de  tomber  sur  un  second  UUmo.  Vous 
me  direz  que,  d'un  certain  côté,  cette  mainmise  de 
l'Allemagne  sur  Cherbourg  est  pour  nous  une  garan- 
tie que  nos  cuirassés  y  sauteront  moins  aisément  qu'à 

obtenu  une  réduction  considérable  sur  le  tarif  de  pilotage  et 
ne  paie  aucun  droit  de  quai...,  tandis  que  son  concurrent 
direct,  le  transatlantique  français  qui,  chaque  samedi,  lors- 
qu'il sort  des  jetées  du  Havre,  laisse  derrière  lui,  aux  dix  mille 
personnes  qui  ont  travaillé  à  son  armement,  une  somme  qui 
voisine  le  demi-million,  se  voit  imposer  à  chaque  voyage,  les 
droits  de  quai  à  l'entrée  et  à  la  sortie,  c'est-à-dire  doubles,  et 
le  plein  tarif  de  pilotage,  augmenté  même  d'une  surtaxe  s'il 
veut  choisir  ses  pilotes?  « 
Il  faut  avouer  en  effet  que  c'est  un  peu  raide  ! 


LE    PORT    DE    DIÉLETTE  173 

Toulon  ;  la  poudre  B  lear  sera  moins  nocive,  attendu 
que  l'explosion  risquerait  d'endommager  les  transa- 
tlantiques allemands,  ce  qui  n'est  pas  le  cas  pour 
Toulon,  où  les  Allemands  ne  font  pas  escale.  L'ar- 
gument a  du  poids,  je  n'en  disconviens  pas. 


CHAPITRE    IV 


LES     HAUTS     FOURNEAUX    ET     ACIÉRIES 

DE  CAEN. 
(ASSOCIATION  THYSSEN-LE   CHATELIER  ) 


La  création  des  hauts  fourneaux  de  Caen  était 
indispensable  pour  permettre  la  mise  en  valeur  des 
gisements  de  minerais  normands. 

Le  transport  en  Allemagne  du  minerai  brut,  tel 
qu'il  était  sorti  de  la  mine  aurait  été  trop  dispendieux. 
Il  ne  fallait  apporter  aux  usines  Krupp  que  des 
produits  achevés  et  prêts  à  être  travaillés. 

Mais  cette  installation  n'allait  pas  sans  rencontrer 
de  nombreuses  difficultés  et  c'est  alors  que  Thyssen 
n'hésita  pas  à  avoir  recours  aux  capitaux  d'un  puissant 
groupe  français. 

Sur  cette  opération  la  Gazette  de  Cologne  a  publié 
les  renseignements  suivants,  reproduits  par  une 
foule  d'organes  financiers,  notamment  le  Moniteur 
des  Intérêts  Matériels,  journal  belge  (numéro  du 
9  août  1912).  Ce  morceau  est  particulièrement  ins- 
tructif. 

On    sait    que   la    Gewerksdiaft    Deutscher   Kaiaer, 


LES    HAUTS    FOURNEAUX    ET    ACIERIES    DE    CAEN      175 

IDropriélé  delà  famille  Thyssen,  s'occupe  depuis  plusieurs 
années  de  minières  de  fer  en  Normandie.  La  société  en 
question  a  acquis,  en  effet,  il  y  a  environ  cinq  ans,  les 
concessions  de  Soumont  et  Perrières.  Pour  mettre  ces 
gisements  en  valeur,  elle  décida  de  construire  un  chemin 
de  fer  minier  reliant  les  minières  au  canal  de  Caen  à 
la  mer  et  d'établir  des  hauts-fourneaux.  Toutefois,  l'exé- 
cution de  ce  programme  n'était  possible  qu'avec 
l'intervention  d'un  groupe  français  puissant,  qui  fat 
la  Société  des  établissements  Cail.  La  société  Deutscher 
Kaiser  donna  donc  option  au  groupe  français,  et  ce  au 
prix  de  revient,  sur  une  part  importante  de  ses  propriétés 
en  Normandie.  Les  concessions  nécessaires  avant  été 
accordées  par  le  gouvernement  français,  les  intéressés 
fondèrent  la  Société  des  hauts-fourneaux  et  aciéries  de 
Caen,  au  capital  de  trente  millions  de  francs;  le  groupe 
français  participa  à  la  création  pour  19/30,  la  société 
Deutscher  Kaiser  pour  11 /'30.  Cette  nouvelle  entreprise 
construira  et  exploitera  les  usines  ;  celles-ci  compren- 
dront trois  hauts-fourneaux,  une  aciérie,  un  train  de 
laminoirs  et  une  batterie  de  fours  à  coke.  En  outre,  les 
Hauts-Fourneaux,  les  Aciéries  de  Caen  ont  acheté  à  la 
société  Deutscher  Kaiser  une  part  des  11/30  dans  une 
concession  charbonnière  en  Westphalie  en  vue  de  s'as- 
surer les  combustibles  nécessaires  à  l'exploitation.  Enfin, 
la  société  Deutscher  Kaiser  a  fondé;  de  commun  accord 
avec  les  Hauts-Fourneaux  et  Aciéries  de  Caen,  la  Société 
des  mines  de  Soumont,  au  capital  de  douze  millions  de 
francs,  dont  60  p.  c.  appartiennent  à  la  Société  de  Caen 
et  40  p.  c.  à  la  Deutscher  Kaiser.  La  Société  des  mines 
de  Soumont  construira  et  exploitera  les  minières  et  le 
chemin  de  fer  des  mines  aux  ports.  On  projette  également 
la  création  d'une  compagnie  spéciale  pour  l'aménage- 
ment des  installations  maritimes.  Le  tout  réalisera  donc 
une  nouvelle  et  vaste  entreprise  sidérurgique  en 
Norm.andie.  L'usine  pourrait  fabriquer  environ  250.000 
tonnes  de  produits  finis  par  an.  Pour  faire  face  à  cette 
participation,  la  Société  Cail  doit  procéder  à  une 
augmentation  de  son  capital,  opération  qui  serait  réalisée 
avec  le  concours  du  Comptoir  national  d'escompte  de 
Paris. 


176  l'avant-guerre 

Pourquoi  l'exécution  de  ce  programme  n'était-elle 
possible  que  grâce  à  l'intervention  d'un  groupe  fran- 
çais puissant  ?  C'est  que  ledit  groupe  français  paraissait 
plus  commode  pour  obtenir  les  concessions  nécessaires, 
pour  servir  de  paravent  à  Auguste  Thyssen.  On 
comptait  que  la  chose  se  ferait  à  la  muette  et  que 
quand  les  patriotes  protesteraient,  s'indigneraient  de 
voir  concéder  à  un  Allemayid,  conseiller  privé  de 
V empereur  Guillaume  II,  un  chemin  de  fer  et  un  port 
français,  onlesrenverrait  à  l'excellent  M.  LeCbatelier, 
Français  authentique,  personnalité  très  honorable, 
mais  qui  eut  le  tort,  en  toute  cette  affaire,  de  tirer  les 
marrons  du  feu  pour  Thyssen  et  pour  Krupp. 

M.  Le  Châtelier  est  président  du  Conseil  d'adminis- 
tration de  la  Société  française  des  Constructions 
mécaniques  (anciens  établissements  Cail). 

Frappé  de  l'extension  colossale  que  prenaient  les 
opérations  d'Auguste  Thyssen,  M.  Le  Chateher 
imagina  de  devenir  machiavéliquement  le  maître  de 
la  situation  en  francisant  les  mines  allemandes  de  la 
Normandie.  Naïvement  il  crut  facile  d'y  parvenir  en 
prenant  des  actions  de  ces  mines.  "Au  lieu  de  protes- 
ter contre  l'envahisseur,  envahissons-le  à  notre  tour." 
Tactique  merveilleuse  qui  fut  jadis  celle  de  Gribouille. 
On  n'humanise  pas  le  loup  en  lui  portant  ses  bras  et 
ses  jambes  à  manger.  On  aiguise  sa  voracité,  voilà 
tout. 

Les  sociétés  allemandes  de  M.  Thyssen  accepteront 
toujours  avec  plaisir  l'argent  français  et  même  l'argent 
des  bons  Français.  Elles  s'arrangeront  toujours  pour 
que  cet  argent  demeure  le  très  humble  serviteur  de  la 
volonté  allemande  et  de  l'intérêt  allemand.  D'autre 
part,  M.  Thyssen  se  rend  parfaitement  compte,  comme 
le  gouvernement  français,  des  complications  qui  résul- 


LES    HAUTS    FOURNEAUX    ET    ACIERIES    DE    CAEN       177 

teront  fatalement  un  jour  de  la  "germanisation  inten- 
sive de  la  Normandie.  Il  ne  demande  pas  mieux  que 
de  laisser,  en  apparence,  le  champ  libre  à  un  simu- 
lacre d'initiative,  de  concurrence  française.  Rien  ne 
lui  sera  plus  facile  ensuite  que  de  racheter  ou  de  faire 
racheter,  en  sous-main,  fût-ce  au  double,  au  triple  de 
leur  valeur,  les  actions  des  sociétés  rivales  et  d'en 
redevenir  ainsi  le  possesseur. 

Auguste  Thyssen  est  un  vieux  renard  qui  a  plus 
d'un  tour  dans  son  sac.  On  prétend  qu'il  excelle  à 
accepter  en  pays  étranger  des  collaborations  rendues 
nécessaires  à  un  moment  donné  par  l'excès  même  de 
ses  empiétements,  puis  à  secouer  et  éliminer  lesdites 
collaborations  aussitôt  qu'elles  contrecarrent  ses  pro- 
jets. 

Il  faut  vraiment  que  M.  Le  Chatelier  soit  d'une 
candeur  sans  bornes  pour  supposer  qu'un  homme 
rompu  aux  affaires  comme  Thyssen  consente  à  se 
laisser  débarquer  d'une  entreprise  aussi  avantageuse 
par  des  moyens  aussi  rudimentaires  que  ceux  préco- 
nisés par  le  président  du  conseil  d'administration  de 
la  Société  Française  des  Constructions  mécaniques. 

Quoi  qu'il  en  soit,  voici  d'après  les  journaux  finan- 
ciers le  schéma  général  de  l'entreprise  métallurgique 
franco- allemande  qui  s'établit  en  Normandie  : 

Le  cadre  de  cette  entreprise  comprend  : 

1°  Une  société  minière,  au  capital  de  12  millions, 
qui  aura,  sans  doute,  sous  son  contrôle  les  trois  sociétés 
déjà  existantes  : 

Société  minière  et  métallurgique  du  Calvados  (con- 
cession de  Perrières,  1.460  Ha,  inexploitée  jusqu'ici). 

Société  des  mines  de  Soumont  (concession  de  Sou- 
mont,  777  Ha,  avec  une  demande  d'extension).  Cette 
Société,  qui  extrait  depuis  1908,  a  produit  en  1910 
40.000  t.  de  minerai,  paitie  hématite  à  48,5  0/0  de  fer 


178  l'avant-ouerre 

et  pai'tie  carbonate  à  38,40  de  fer.  C'est  le  substratum 
de  l'affaire. 

Et  la  Société  des  mines  de  Flamanville,  qui  a  repris 
l'exploitation  de  la  concession  de  Dielette.  Cette  con- 
cession, qui  produit  de  l'oxyde  de  fer  à  50,55  0/0,  offre 
celte  particularité  d'exploiter  sous  la  mer,  d'où  de 
grandes  difficultés  qui  ne  paraissent  pas  avoir  été  sur- 
montées jusqu'ici; 

2«  Une  Société  métallurgique  au  capital  de  30  mil- 
lions d'obligations. 

Cette  Société  établira  non  loin  de  Caen,  en  faced'Hé- 
rouville,  sur  la  rive  droite  du  canal  de  Caen  à  la  mer, 
une  usine  qui  comprendra  fours  à  coke,  hauts  foui- 
neaux,  aciéries  Martin  et  laminoirs,  usine  du  modôle- 
type  français,  c'est-à-dire  d'une  capacité  de  300.000 
tonnes  de  fonte  ; 

3»  Une  Société  de  transports  au  capital  de  3  millions 
pour  construire  le  chemin  de  fer  destiné  à  relier  la 
mine  de  Soumont  à  l'usine  d'Hérouville,  et  aménagei' 
le  port  de  réception  et  d'expédition. 

Les  parts  respectives  des  capitaux  et  des  influences 
dans  cette  entreprise  seront  de  60  0/0  pour  les  Français 
et  40  0/0  pour  les  Allemands. 

On  sait  que  les  deux  chefs  de  .Ile  sont  :  colonne 
française,  M.  le  Chatelier,  président  de  la  Société  Fran- 
çaise do  Constructions  Mécaniques  (anciens  Etablisse- 
ments Cail),  et  colonne  allemande,  M.  Aug.  Tliyssen,  le 
grand  industriel  de  Westphalie. 

Tout  l'essai  de  «  francisation  »  repose,  en  cette 
affaire,  sur  la  prépondérance  des  capitaux  français 
ainsi  qu'il  ressort  du  compte  rendu  de  l'assemblée 
extraordinaire  de  la  Société  Française  des  Cons- 
tructions Mécaniques.  M.  Le  ('batelier  après  diverses 
considérations  tecbniques  d'un  intérêt  moindre  y 
tenait  en  elïet  le  langage  suivant  : 

Mais  il  ne  suffisait  pas  que  l'affaire  parût  avantageuse 
comme  nous  venons  de  vous  l'exposer;  nous  nous  trou- 
vons en  face  de   la  situation  très   nette  que  voici  :   en 


LES    HAUTS    FOURNEAUX    ET    ACIERIES    DE    CAEN       179 

totalité  pour  l'une,  en  presque  totalité  pour  l'autre,  les 
sociétés  déjà  constituées  pour  l'exploitation  des  conces- 
sions de  mines  de  Soumont  et  de  Perrières  sont  la 
propriété  d'une  firme  allemande.  Cette  situation  exis- 
tait avant  le  moment  où  nous  avons  été  appelés  à 
examiner  l'affaire;  résolus  dès  l'origine  à  la  modifier 
dans  le  sens  d'une  prépondérance  française,  nous 
avons  poursuivi  ce  but  par  de  longs  et  laborieux  pour- 
parlers, et  ce  n'est  qu'une  fois  parvenus  à  faire  admettre 
contractuellement  le  principe  de  cette  francisation, 
que  nous  avons  envisagé  la  réalisation  du  programme 
industriel  ci-dessus  exposé. 

Il  n'est  pas  inutile  de  souligner  ici  cette  considéra- 
tion, que  le  but  et  l'intérêt  des  possesseurs  des  mines 
de  Soumont  et  de  Perrières  étaient  bien  moins  de 
constituer  une  entreprise  métallurgique  à  Caen  que 
d'alimenter  en  minerai  les  usines  allemandes.  La 
portée  pratique  de  nos  conventions  peut  se  résumer 
dans  cette  indication  que,  d'une  part,  l'objet  principal 
devient  l'établissement  de  hauts  fourneaux  près  de 
Caen,  pour  le  grand  profit  du  développement  industriel 
et  économique  de  cette  région  et,  d'autre  part,  que  sur 
la  production  des  mines  un  minimum  de  60  0/0  restera 
pour  les  besoin»  de  ces  hauts  fourneaux,  c'est-à-dire 
en  France. 

Votre  conseil  d'administration  a  été  heureux  de  pou- 
voir régler  financièrement  la  question  soumise  à  vos 
délibérations  par  un  accord  conclu  avec  un  groupe 
financier  de  premier  ordre. 

Il  est  peu  vraisemblable  que  M.  Auguste  Thyssen 
ait  admis  sans  arrière-pensée  la  francisation  des 
affaires  importantes  germanisées  par  lui  en  notre 
pays  *.    Un   homme  d'une  grande  compétence  en  la 

1.  L'admirable,  c'est  que  celte  association  a  permis  à 
Auguste  Thyssen,  le  sompteux  châtelain  de  Landsberg,  et  à 
la  Geœerkschaft  Deutscher  Kaiser,  de  faire  appel  aux  capi- 
taux français.  Cet  appel,  d'un  étonnant  cynisme,  est  distribué 
dans  plusieurs  de  nos  établissements  de  crédit.  Je  l'ai  eu  entre 
les  mains.  Il  m'a  semblé  qu'il  était  couvert  de  taches  de  sang 
et,  bien  qu'on  prétende  que  l'argent  n'a  pas  d'odeur,  ces  taches 


180  l'avant-guerre 

matière,  M.  J.  Bertal,  a  vu  clair  dans  le  jeu  des  in- 

avaient  l'odeur  du  sang  français.  Vous  me  direz  que  j'anticipe. 
On  disait  cela,  en  1869,  aux  patriotes  de  l'époque  qui  avertis- 
saient leur  paj's  comme  je  le  fais  en  ce  moment. 

Le  directeur  de  Diélette  —  tout  au  moins  en  apparence  — 
est,  bien  entendu,  Français.  On  me  le  peint  comme  un  homme 
aimable  et  courtois.  Mais  c'est  un  directeur  qui  ne  dirige 
RIEN.  Alors  que,  dans  toute  industrie,  le  directeur  technique 
étudie  à  fond  les  projets,  fait  et  discute  les  marchés,  transmet 
ses  ordres  et  demeure  indépendant,  celui  de  Diélette  est  un 
simple  paravent.  Il  a  derrière  lui  des  ingénieurs  allemands, 
envoyés  par  Auguste  Thyssen,  dont  quelques-uns  ne  savent 
MKME  PAS  un  mot  DE  FRANÇAIS.  Ce  sont  CCS  derniers  qui  diri- 
gent et  exécutent  tous   les  travaux.  Tous  les    dessins,  tous 

LES    PLANS,  tous   LES   «    BLEUS   »    SONT  FAITS    EN    ALLEMAGNE  et 

expédiés  à  Diélette. 

Le  projet  monstre  de  l'installation  future  comporte  des  géné- 
rateurs Babcock  et  Wilcox,  lesquels  entretiennent  des  tur- 
bines à  vapeur  distribuant  la  force  motrice  à  l'exploitation. 
Vous  vous  figurez  peut-être  qu'au  moins  ces  turbines  seront 
françaises?  Pas  le  moins  du  monde.  Ce  seront  des  turbines 
Thyssen.  Partout  se  distingue  la  volonté  évidente  de  germa- 
niser l'entreprise,  dans  le  moindre  détail,  afin  qu'en  cas  d'a- 
lerte, LE  HAVRE  et  LES  TRAVAUX  DE  DiÉLETTE  PUISSENT  DE- 
VENIR en  QUELQUES  HEURES  UNE  ENCLAVE  ENTIÈREMENT  ALLE- 
MANDE ET  DONT  l'outillage  NE  SOIT,  EN  AUCUNE  CIRCONS- 
TANCE,    TRIBUTAIRE    DE    l'iNDUSTRIE    FRANÇAISE.    Au    point    dc 

vue  strictement  économique,  il  ressort  de  là  que  notre  pays 
ne  saurait  retirer  aucun  profit,  d'aucun  genre,  des  travaux  en 
cours. 

A  qui  fera-t-on  croire  qu'une  pareille  entreprise  se  monte 
à  l'allemande,  a  quelques  kilomètres  de  Cherbourg,  port 
FRANÇAIS,  sans  que  l'amirauté  allemande  et  l'état-major  de 
Berlin  s'en  occupent  ! 

On  ine  signale  aussi  que  les  ouvriers  sont  de  nationalité 
mêlée  et  qu'un  grand  nombre  sont  des  repris  de  justice. 
Leur  recrutement  se  fait  par  des  affiches  apposées  dans  les 
gares  italiennes  et  allemandes  et,  bien  entendu,  l'on  n'est  pas 
très  difficile  quant  au  choix  du  personnel.  C'est  trop  souvent 
le  rebut  de  la  civilisation,  la  pire  racaille  qui  se  rend  à  l'invi- 
tation. Ceci  explique  les  rixes,  assassinats,  petites  émeutes 
qui  se  produisent  journellement  et  nécessitent  la  présence  cons- 
tante de  la  gendarmerie.  Les  Nonnands  du  voisinage,  peu 
rassurés,  commencent  à  émigrer,  s'éloignent  de  ce  foyer 
dégoûtant  d'anarchie  et  de  crimes,  et  laissent  les  Allemands 
complètement  maîtres  du  pays. 


LES    HAUTS    FOURNEAUX    ET    ACIERIES    DE    CAEN       181 

dustriels  allemands.  Dans  un  article  remarquable 
intitulé  «  Les  Allemands  et  la  Métallurgie  Fran- 
çaise »  on  lit  ceci  : 

Il  ne  faut  pas  compter  sur  des  textes  légaux  pour 
que  soient  écartés  de  piano  les  demandes  émanant  de 
groupes  étrangers.  Il  serait  toujours  facile  à  ceux-ci 
de  tourner  la  difficulté  en  passant  par  l'intermédiaire 
de  Sociétés  françaises  dont  ils  posséderaient,  sinon  en 
apparence,  du  moins  en  fait,  le  capital  et  le  contrôle 
technique.  C'est  en  vain  que  l'on  chercherait  à  dégui- 
ser la  vérité  et  à  tromper  Popinion  publique  en  exi- 
geant que  les  souscripteurs  du  capital,  le  Conseil  d'ad- 
ministration et  le  personnel  dirigeant  fussent,  en  ma- 
jorité, composés  de  Français.  La  francisation  ne 
serait  toujours  qu  apparente. 

Et  un  peu  plus  loin  : 

De  même  que  nos  métallurgistes  français,  les  Alle- 
mands ne  se  font  pas  d'illusions  sur  les  résultats  à 
obtenir  du  traitement  de  minerais  défectueux  ou  de 
qualité  secondaire.  Si  donc  ils  viennent  en  prendre 
possession,  s'ils  constituent  quelque  jour  des  Sociétés 
à  gros  capital,  s'ils  construisent  des  usines  à  côté  de 
ces  mines  pauvres  pour  y  fabriquer  des  tôles  ou  d'autres 
produits,  ce  ne  sera  certainement  pas  avec  l'espoir  de 
retirer  des  bénéfices  de  cette  exploitation.  Leur  but 
réel  serait  de  venir  troubler  le  marché  métallurgique 
français  en  avilissant  les  prix  et  en  faisant  ainsi  subir 
des  pertes  sérieuses  aux  usines  françaises.  Celles-ci 
se  voyant  concurrencées  sur  leur  propre  domaine  com- 
mercial se  trouveraient  obligées,  soit  d'abaisser  leurs 
prix  de  vente,  soit  de  restreindre  leur  production,  si- 
tuation dont  les  producteurs  allemands  s'empresse- 
raient de  profiter  pour  développer  leur  exportation. 

On  comprend  facilement  que,  pour  atteindre  ce  ré- 
sultat, la  métallurgie  allemande  serait  toute  disposée  à 
soutenir  de  ses  capitaux  les  Allemands  désorganisa- 
teurs  qu'elle  aurait  ainsi  placés  en  France  i. 

1.   Dans    la   Liberté  du  lundi  4  mars  1912  notre   confrère 


182  l'avant-guerre 

//  se  pourrait  même  qu'on  assistât  au  curieux  spec- 
tacle d'une  Société  «  brûlot  »  de  ce  genre  au  capital  de 
laquelle  les   Allemands  n'auraient  souscrit  que  pour' 

M.  J.  Bertal,  a  encore  publié  sous  ce  titre  «  L'Invasion  éco- 
nomique allemande  »  un  excellent  article. 

Je  le  soumets  aux  méditations  des  administrateurs  français 
que  les  Allemands  installés  en  France  appellent  à  collaborer 
avec  eux  et  qui  se  flattent  de  mettre  dans  leur  poche,  de 
«  franciser  »,  —  comme  ils  disent,  —  lesdits  industriels  alle- 
mands et  lesdites  industries  allemandes.  Voilà  ce  qu'écrit 
M.  Bertal  : 

«  Il  sera  toujours  possible  à  des  financiers  ou  à  des  indus- 
triels étrangers  de  détenir  en  fait  le  contrôle  d'une  société 
française  et  de  s'assurer  la  plus  belle  part  des  profits  que  celle- 
ci  est  appelée  à  réaliser. 

«  En  ce  qui  concerne  le  contrôle  administratif  de  la  société, 
c'est  un  jeu  pour  des  gens  rompus  aux  affaires  que  de  la  con- 
server quand  bien  même,  à  l'origine,  la  majorité  absolue  des 
actions  auraient  été  souscrites  par  des  banques  ou  par  dos 
individualités  françaises.  Il  n'est  même  pas  besoin  poui'  cela 
d'acheter  sur  le  marché  les  titres  que  les  souscripteurs  fran- 
çais viennent  offrir  tôt  ou  tard.  Les  firmes  allemandes  procè- 
dent d'une  façon  beaucoup  plii.s  simple.  Sachant  avec  quelle 
facilité  s'effectue  l'éparpillement  des  titres  dans  les  portefeuilles 
français,  il  suffît  de  conserver  en  tous  temps  un  lot  souvent 
peu  important  d'actions  pour  se  trouver,  au  moment  de  l'as- 
semblée générale  annuelle,  détenteur  de  la  majorité  des  actions 
déposées. 

«  On  sait,  en  effet,  que  plus  une  affaire  est  prospère,  plus 
ses  titres  sont  classés  dans  le  public  et  moins  le  nombre  des 
actions  présentes  ou  représentées  aux  assemblées  générales 
est  considérable.  Le  souscripteur  d'origine  qui  conserve  un 
paquet  bien  groupé  a,  par  conséquent,  de  nombreuses  chances 
de  pouvoir  faire  la  pluie  et  le  beau  temps  dans  toutes  les 
réunions  d'actionnaires. 

«  Le  but  principal  du  fabricant  de  matériel  étranger  qui 
souscrit  une  part  du  capital  d'une  société  industrielle  française 
est  d'être  le  fournisseur  obligatoire  de  la  société.  Les  bénéfices 
qu'il  réalise,  soit  sur  les  fournitures  directes  de  matériel,  soit 
sur  les  redevances  perçues  pour  l'exploitation  de  la  licence  de 
fabrication,  sont  suffisamment  élevés  pour  lui  permettre 
d'amortir  rapidement  les  actions  qu'il  conserve  en  portefeuille 
afin  d'avoir  la  majorité  aux  assemblées.  Il  peut  même,  si  les 
circonstances  l'exigent,  s'offrir  le  luxe  d'en  augmenter  le 
nombre  temporairement  pour  avoir  cette  majorité.  » 


LES    H\UTS    FOURNEAUX    ET    ACIERIES    DE    CAEN       183 

une  part  infime,  le  reste  étant  bel  et  bien  souscrit  par 
des  actionnaires  français.  Bien  plus  il  ne  faudrait  pas 
s'étonner  si  ce  plan  fnagnijiquement  machiavélique  se 
trouvait  assuré  du  concours  de  personnalités  fran- 
çaises qui,  avec  la  meilleure  foi  du  monde,  se  feraient 
ainsi  les  auxiliaires  inconscients  des  adversaires  de 
la  France, 


En  tous  cas  ces  personnalités  françaises  ne  pour- 
raient plus,  à  partir  de  maintenant,  arguer  de  l'igno- 
rance où  elles  seraient  de  ces  stratagèmes  grossiers 
des  industriels  allemands.  Elles  sont  dûment  aver- 
ties et  ne  tomberaient  plus  dans  de  semblables 
pièges  sans  y  mettre  une  complaisance  qui  pourrait 
s'appeler  cette  fois  de  la  complicité. 

Le  centre  métallurgique  de  la  nouvelle  entreprise 
Thyssen  sera  à  Colombelles,  entre  l'Orne  et  le  canal 
de  Caen  à  la  mer,  à  quelques  kilomètres  (4  ou  5)  de 
Caen.  Or,  c'est  à  cet  endroit  que  l'Orne  se  rapproche 
le  plus  du  canal.  Cinq  cents  mètres  à  peine  l'en  sé- 
parent. Les  terrains  achetés  par  la  Société  des  Hauts 
Fourneaux  et  Aciéries  de  Caen  commandent  l'Orne 
et  le  canal,  chose  très  importante  à  noter,  car,  en 

CAS  DE  GUERRE,  CaEN  SE  TROUVERAIT  AINSI  TRES  FACI- 
LEMENT SÉPARÉ   DE  SON    PORT  VERITABLE  QUI    EST  OuiS- 

TREHAM.  Ce  port  vient  d'être  modifié  :  deux  grands 
bassins  ont  été  construits,  et  il  n'y  a,  pour  défendre 
ce  point  de  relai  occasionnel  de  notre  flottille  de  tor- 
pilleurs de  la  Manche,  que  quelques  batteries  vo- 
lantes (Merville,  Amfreville,  Colleville),  jamais  ar- 
mées ni  occupées  en  temps  ordinaire.  Les  ingénieurs 
allemands  auront  donc  beau  jeu,  surtout  quand  l'on 
constate   que  la  ligne  électrique  fournissant    la 

FORCE  motrice  NÉCESSAIRE  AU  PORT  DE  OUISTREHAM, 
AINSI    qu'a    la    MANŒUVRE    DES     PONTS     TOURNANTS    SUR 


184  l'avant-guerre 

le  canal,  est  aerienne  et  passe  sur  les  terrains 

ACHETÉS    PAR  ThYSSEN  !... 

Rien  ne  sera  plus  facile  que  de  transformer  cette 
énorme  usine  en  une  véritable  petite  garnison 
allemande,  entourée  de  murs  géants,  où  personne 
n'aura  le  droit  de  pénétrer...,  si  ce  n'est  avec  une 
autorisation  signée  en  partie  double  par  Auguste 
Thyssen,  et  par  quelqu'un  du  grand  état-major,  à 
Berlin. 

En  ce  moment  même,  on  creuse  le  canal  pour  per- 
mettre à  des  navires  de  4.<,H)0  et  4.500  tonnes  de  par- 
venir jusqu'à  Caen,  d'où  ils  emporteront  le  minerai 
français  vers  les  usines  Krupp,  qui  le  transformeront 
aussitôt  en  matériel  de  guerre,  à  destination  du 
peuple  français.  C'est  ce  qu'on  appelle  un  circuit 
fermé  ou  je  ne  m'y  connais  pas. 

Le  minerai  de  fer  des  Mines  de  Diélette,  c'est-à- 
dire  de  la  Manche,  sera  donc  traité  par  ces  Hauts 
Fourneaux.  Mais  ils  traiteront  également  le  mi- 
nerai de  fer  des  mines  de  la  Société  des  mines 
de  Soumont,  de  la  Société  minière  et  métallur- 
gique du  Calvados,  détentrice  de  la  concession  de 
Perrières. 

Pour  obtenir  plus  facilement  les  concessions  de 
chemin  de  fer  nécessaires  à  l'exploitation  de  ces 
mines  *  Auguste  Thyssen  mit  en  avant  le  candide 
Louis  Le  Ghatelier. 

1.  Nous  avons  déjà  eu  au  cours  de  cette  étude  roccasion  de 
parler  des  complaisances  du  Ministre  du  Commerce  Fernand 
David,  pour  les  envahisseurs  allemands  tels  qu'Auguste 
Theyssen  à  Diélette  et  Lucien  Baumann  aux  Grands  Mou- 
lins de  Corbeil.  Or,  on  a  pu  lire  dans  le  Bonhomme  Nor- 
mand : 

«  Aujourd'hui,  je  me  permets  une  question  indiscrète.  Elle 
vise  le  chemin   de   fer  minier   destiné   à  apporter,  au  port  de 


LES    HAUTS    FOURNEAUX    ET    ACIÉRIES    DE    CAEN      185 

La  Société  Française  de  Constructions  Mécani- 
ques (Anciens  Établissements  Cail)  dont  l'attention 
avait  été  attirée   par   les  richesses  minérales  de  la 

Caen,  les  richesses  minières  extraites  des  flancs  de  notre  dépar- 
tement. On  se  le  rappelle,  à  un  moment  donné,  tout  faisait 
supposer  que  le  Conseil  général  en  refuserait  la  concession  à 
une  société  franco-allemande.  De  son  côté,  la  société  des 
Tramwaj's  départementaux  y  mettait  une  vive  opposition  et 
proposait  soit  de  tenir  le  chemin  de  fer  actuel  en  état  de  trans- 
porter tous  les  produits  miniers  de  Soumont-Saint- Quentin, 
soit  au  besoin  de  «  construire  à  ses  frais,  un  chemin  de  fer  à 
voie  normale  ».  —  Le  Conseil  général  et  le  préfet  paraissaient 
partisans  de  cetle  combinaison,  lorsqu'on  un  clin  d'œil  tout 
changea.  Les  difficultés  disparurent,  les  formalités  furent  rem- 
plies et  la  compagnie  des  Tramways  ne  fit  plus  d'objections, 
comme  si  Thyssen,  le  grand  distributeur  de  la  «  galette  »  alle- 
mande, avait  passé  par  là.  Et  le  c/temm  de  fer  fut  autoi'ise' 
au  profit  d'une  société  dont  la  façade  est  française,  mais 
dont  le  fond  est  bien  allemand. 

«  C'est  alors  qu'un  conseiller  général  put  s'écrier,  dans  un 
déjeuner  donné  à  la  préfecture  :  «  Monsieur  le  préfet,  nous 
sommes  roulés  !  Il  y  en  a  qui  ont  touche  la  grosse  somme  !  « 
Ce  hors-d'œuvrc  était  dur  à  digérer  ;  cependant,  il  le  fut,  car 
le  propos  ne  fut  pas  relevé.  Je  me  demande  si,  dans  son 
exclamation  indignée,  cet  enfant  terrible  de  notre  Conseil 
général  faisait  allusion  aux  .50.000  francs  cerscs,  comme 
honoraires,  à  un  membre  du  Gouvernement,  pour  son.  arbi- 
trage, ou  cà  des  pots  de  vin  du  Khin,  apportés  par  l'Allemand 
Thyssen  lorsqu'il  vint,  au  moment  de  la  délibération,  faire  un 
petit  voyage  à  Paris  et  à  Cacn. 

«  Jacques  Bonhomme.  » 

Dans  son  numéro  du  30  novembre  1912,  le  Moniteur  du 
Calvados  réclamait  une  énergique  protestation  «  des  diverses 
personnes  mêlées  aux  négociations  »,  et  il  ajoutait; 

«  Il  n'est  pas  douteux,  en  effet,  qu'au  début  de  la  discussion 
relative  au  chemin  de  fer  minier,  le  préfet,  le  Conseil  général 
et  la  Compagnie  des  Tramways  semblaient  unanimes  pour  re- 
fuser la  création  d'un  chemin  de  fer  allemand.  C'était  l'intérêt 
du  département  et  de  la  compagnie.  Tout  à  coup  le  choix 
changea. 

«  Dans  un  de  nos  précédents  articles,  nous  avons  attribué 
ce  changement  d'attitude   à   V intervention  officielle  motivée 


186  l'avant-gueree 

Normandie  et  les  avantages  de  la  création  d'une 
grande  industrie  sidérurgique  à  proximité  de  la  mer 
et  des  mines,  était  donc  entrée  en  pourparlers  avec 
la  Société  des  Mines  de  Soumont  et  la  Société  Mi- 
nière et  Métallurgique  du  Calvados,  détentrice  de 
la  concession  de  Perrières.  Elle  fut  charo^ée  de 
faire  les  diligences  nécessaires  en  vue  d'obtenir 
la  concession  d'un  chemin  de  fer  reliant  les  mines  à 
l'emplacement  de  l'usine,  ainsi  qu'à  la  gare  et  au 
port  de  Caen. 

Voici  maintenant  la  composition  du  conseil  d'ad- 
ministration de  cette  affaire  franco-allemande,  où 
l'élément  français  tire  innocemment  du  feu  les  mar- 
rons de  la  guerre  de  demain,  qui  nous  reviendront 
sous  la  forme  que  Ton  sait  : 

MxM. 

Louis  le  Chatelier,  ingénieur  en  chef  des  Ponts  et 
Chaussées,  président  delà  Société  française  de  Cons- 

pav  une  démarche  de  l'ambassadeur  d'Allemagne,  démarche 
dont  nous  croyons  poucoir  affirmer  la  réalité.  A-t-elle  été 
réellement  suivie  d'une  visite  de  M.  Thyssen  à  Caen  et  cette 
visite  a-t-elle  laissé  des  ti-cxces?  C'est  ce  qu'il  serait  bon 
d'cclaircir.  » 

Le  ministre  compétent  n'éprouvera-t-il  pas  le  besoin  de 
fournir  ces  éclaircissements  nécessaires?  Le  Président  de  la 
République,  Raymond  Poincaré,  ne  saura-t-il  pas  l'y  con- 
traindre ?  La  chose  en  vaut  la  peine,  si  l'on  réfléchit  aux  ter- 
ribles dangers  que  présenterait,  en  cas  de  guerre,  ce  chemin 
de  fer  minier  franco-allemand  —  et  plus  allemand  que  fran- 
çais —  dont  le  réseau,  une  fois  amorcé,  ne  cessera  de  rami- 
fier à  travers  la  Normandie. 

Toutes  ces  acquisitions  étrangères  ne  vont  évidemment  pas 
sans  pots-de-vin. 

Combien  de  temps  laisserons-nous  les  ministres  et  les  parle- 
mentaires de  la  République  s'enrichir  aux  dépens  de  la  Défense 
Nationale?  Car,  au  bout  de  tous  ces  pots-de-vin,  il  y  aurait, 
au  moment  d'une  guerre,  des  pots  de  sang. 


LES   HAUTS   FOURNEAUX    ET    ACIÉRIES   DE    CAEN       187 

tractions  mécaniques  (anciens  établissements  Cail), 
président. 

J.  Barois,  inspecteur  des  Ponts  et  Chaussées, 
administrateur  de  la  Société  française  de  Construc- 
tions mécaniques,  vice-président. 

H.  Lartigue,  administrateur  de  la  Société  française 
de  Constructions  mécaniques. 

H.  Legru,  banquier  à  Paris. 

Ch.  Rabes. 

Jules  Ptostand,  administrateur  du  Comptoir  Na- 
tional d'Escompte  de  Paris. 

Ch.-E.  Solacroup,  administrateur  de  la  Société 
des  mines  de  Soumont. 

A.  Thyssen. 

F.  Thyssen. 

M.  A.  Bougault,  administrateur  délégué  de  la  So- 
ciété française  de  Constructions  mécaniques,  secré- 
taire du  conseil. 

Ces  messieurs  feront  bien  de  méditer  les  lignes 
suivantes  de  notre  confrère  J.  Bertal  publiées  dans 
La  Liberté  du  4  mars  1912  et  qu'a  illustrées  d'une 
façon  si  saisissante  le  coup  de  force  du  lende- 
main 5  mars,  de  la  Compagnie  Générale  cVElec- 
iricité  de  Creil  (élimination  des  administrateurs 
français). 

Peut-être  s'imagine-t-on  que  la  présence  d'un  conseil 
d'administration  composé  en  totalité  ou  en  majorité  de 
personnalités  françaises  est  appelée  à  assurer  à  la  So- 
ciété une  indépendance  administrative  capable  de 
contrebalancer,  dans  une  mesure  efficace,  l'influence 
de  l'élément  étranger  dans  une  affaire? 

On  commettrait,  en  raisonnant  ainsi,  une  très  grave 
erreur. 

Que  le  président  du  conseil,  l'administrateur-délégué, 
directeur  de  la  Société  soient  Français,  cela  ne  gêne 


188  l'avant-guerre 

que  médiocrement  le  groupe  étranger  qui  possède  une 
part  du  capital.  Il  sait  qu'on  lui  demandera,  surtout 
dans  les  débuts  et  dans  toutes  les  circonstances  déli- 
cates, le  concours  technique  d'un  codirecteur,  d'un  ou 
plusieurs  ingénieurs,  de  contremaîtres,  voire  même  de 
simples  ouvriers  destinés  à  mettre  au  courant  des  pro- 
cédés qu'il  s'agit  d'exploiter  en  France.  Ce  personnel 
auxiliaire,  bien  que  placé  sous  l'autorité  d'administra- 
teurs français,  reste,  par  la  force  même  des  choses, 
sous  la  direction  réelle  de  la  firme  étrangère. 

Une  correspondance,  qui  est  tout  d'abord  d'ordre 
technique  et  consultatif,  s'établit  directement  entre  lui 
et  ses  anciens  patrons.  Elle  dégénère  peu  à  peu  en 
rapports  périodiques  par  lesquels  le  groupe  étran- 
ger se  trouve  tenu  au  courant  de  tout  ce  qui  se 
passe,  et  cela  complètement  à  l'insu  de  la  direction 
française. 

Si  des  divergences  de  vues  viennent  à  se  produire 
entre  les  administrateurs  français  et  étrangers,  ceux- 
ci  ont  ainsi  la  faculté  de  pouvoir  envoyer,  s'ils  le  jugent 
nécessaire,  à  leurs  représentants  dans  l'affaire,  des 
instructions  contraires  à  celles  qui  leur  seraient 
données  par  le  siège  social.  C'est  donc,  en  réalité,  de 
l'étranger  que  vient  le  mot  d'ordre. 

Lorsque  les  administrateurs  et  directeurs  français 
s'aperçoivent  quils  ont  joué  le  rôle  de  simples  para- 
vents, il  est  généralement  trop  tard  pour  qu'ils  puis- 
sent prendre  des  décisions.  Cest  alors  la  rupture  et  le 
remplacement  des  administrateurs  gênants  par  d'au- 
tres personnes  de  moindre  valeur  peut-être,  mais  plus 
aptes  à  se  soumettre,  en  toutes  circonstances,  aux  vo- 
lontés des  actionnaires  étrangers. 

La  francisation  pratique  et  durable  d'une  entreprise 
industrielle  est,  comme  on  le  voit,  un  problème  très 
difficile  à  résoudre. 

En  revanche  et  malheureusement,  la  germanisa- 
tion du  sous-sol  et  même  du  sol  français  a  fait  un 
grand  pas  de  plus  depuis  ce  fameux  essai  de  franci- 


LES    HAUTS    FOURNEAUX    ET    ACIERIES    DE    CAEN      189 

sation  tenté  si  malencontreusement  par  M.  Le  Cha- 
telier. 

Notre  compatriote  a  été  roulé,  comme  il  était  fa- 
cile de  le  prévoir,  par  ce  vieux  méphisto  d'Auguste 
Thyssen. 

Dans  le  Moniteur  du  Calvados  qui  a  toujours 
dénoncé  très  courageusement  et  patriotiquement  la 
mainmise  des  Allemands  en  Normandie,  on  a  pu 
lire  ces  lignes  suivantes  : 

Quand  nous  avons  montré  le  danger  patriotique  de 
l'invasion  industrielle  allemande  dans  le  Calvados  — 
comme  d'ailleurs  dans  une  foule  de  départements,  — 
on  nous  a  répondu  par  deux  arguments  : 

1''  Le  péril  allemand,  a-t-on  dit,  est  conjuré;  l'élé- 
ment français  domine  dans  la  constitution  de  la  Société 
des  hauts  fourneaux; 

2^  L'intérêt  commercial  de  la  ville  de  Caen  est  une 
ample  compensation  au  péril  chimérique. 

Or,  le  Journal  de  Caen  a  publié  l'acte  de  la  Société 
nouvelle  des  hauts  fourneaux.  Loin  de  calmer  nos 
craintes  légitimes,  les  termes  du  contrat  ne  peuvent 
que  les  justifier  et  les  augmenter. 

Nous  n'avions  jamais  cru  à  l'abandon  volontaire,  par 
la  maison  Thyssen,  de  la  majeure  partie  des  conces- 
sions qui  lui  furent  livrées,  au  profit  de  Sociétés  fran- 
çaises. Et  nous  avions  raison. 

Aujourd'hui,  comme  liier,  dan^  la  réalité,  la  maison 
allemande  conserve  bien  la  majorité  dans  la  Société 
des  hauts  fourneaux.  Les  noms  de  la  plupart  des  Fran- 
çais qui  figurent  parmi  les  actionnaires  sont  les  noms 
allemands  de  banquiers  établis  à  Paris  ou  d'ingénieurs 
parisiens  aux  noms  d'outre-Rhin. 

Le  fait  étant  indiscutable,  nous  réservons  la  publica- 
tion de  la  liste  au  cas  où  il  serait  contesté. 

Le  Moniteur  du  Calvados  ajoute  impitoyablement  : 

Ce  n'est  pas  d'ailleurs  sur  ce  point,  depuis  longtemps 
connu,  que  nous  voulons  attirer  l'attention,   mais  sur 


190  l'avant-guerre 

le   but  poursuivi  par  la  Société  des    hauts  l'ourneaux. 

On  a  mis  l'intérêt  commercial  caennais  en  jeu.  Il 
est  efl'ectivement  complètement  en  question. 

On  a  cru  jusqu'ici  que  la  Société  des  hauts  fourneaux 
se  bornerait  à  l'exploitation  du  minerai.  Or,  elle  vise 
une  véritable  mainmise  sur  les  plus  grosses  industries 
de  la  région. 

L'article  3  des  statuts  de  la  Société  des  hauts  four- 
naux  définit  l'objet  de  la  Société  «  tant  en  France 
qu'à  V étranger  »,  ce  qui  veut  dire  tant  en  France 
qu'en  Allemagne. 

Outre  l'exploitation  métallurgique,  le  but  de  la 
Société  est  : 

La  construction  et  l'exploitation  de  voies  ferrées  et 
de  transports,  ainsi  que  de  tous  poris  destinés  à  des- 
servir ou  faciliter'  l'écoulement  des  produits,  non  seu- 
lement des  usines  de  la  Société,  mais  aussi  de  «  toutes 
autres  usines  ». 

La  conception  est  donc  vaste  :  construire  des  voies 
ferrées,  percer  des  routes,  créer  des  ports  partout  où 
cela  leur  conviendra. 

Voilà  notre  région  en  bonnes  mains  allemandes... 

D'autant  que  la  Société  des  hauts  fourneaux  entend 
traiter  «  toutes  opérations  connexes  à  l'industrie  métal- 
lurgique "  et,  de  ce  nombre  :  la  fabrication  des  engrais 
minéraux,  la  fal)rication  du  gaz,  de  l'électricité,  les 
tramways,  chemins  de  fer  électriques  ou  à  vapeur,  la 
lumière,  etc.,  etc. 

S'il  n'y  a  pas  là  une  véritable  mainmise  sur  le  com- 
merce local,  je  ne  m'y  connais  guère. 

Je  suis  seulement  surpris  que  des  protestations  ne  se 
soient  pas  encore  produites  de  la  part  de  ceux  qui, 
par  une  étrange  aberration,  approuvent  avec  désinvol- 
ture des  projets  d'accaparement  du  commerce  local. 

Ce  mal  ne  serait  d'ailleurs  que  secondaire  s'il  n'était 
accompli  par  une  maison  allemande. 

Mais  se  Jiguve~t-on  ce  que  serait  notre  département 
au  cas  cVune  déclaration  de  guerre  f  La  Prusse  serait 


LES    HAUTS    FOURNEAUX    ET    ACIERIES    DE    CAEN       191 

chejs  elle  ;  sur  un  simple  mot  d'ordre^  la  conquête  se- 
rait faite  ! 
C'est  là  le  vrai  danger. 

Elle  est  vraiment  peu  banale  la  «  francisation  » 
de  la  Normandie,  et  je  maintiens  que  tout  Français 
vraiment  digne  de  ce  nom,  en  présence  de  l'opéra- 
tion des  Hauts  Fourneaux  de  Caen,  pourra  difficile- 
ment cacher  son  indignation  et  sa  stupeur.  Cette 
aventure  associe  devant  l'histoire,  le  dupeur  et  la 
dupe,  Auguste  Thyssen,  maître  de  forges  allemand, 
et  le  Français  Le  Chatelier. 

La  cause  est  d'ailleurs  tellement  exécrable  que 
M.  Le  Chatelier  semble  avoir  absolument  renoncé  à 
la  défendre.  De  temps  en  temps,  ici  ou  là,  il  essaie, 
d'une  façon  plus  ou  moins  détournée,  une  vague 
publicité  en  faveur  de  son  affaire  franco-allemande, 
beaucoup  plus  allemande  que  française.  Mais  il 
n'insiste  guère  et  il  a  l'air  gêné  de  sa  propre  ré- 
clame. Il  est  impossible  que  quand  il  se  trouve  seul 
devant  son  contrat  avec  Thyssen-Krupp  et  ces  plans, 
qui  peuvent  devenir  d'une  minute  à  l'autre  si  funestes 
à  son  pays,  il  est  impossible,  dis-je,  qu'il  ne  sente  pas 
entre  les  épaules  un  léger  frisson  :  «  Si  pourtant 
Thyssen  projetait  réellement  de  faire  de  la  Normandie 
une  province  allemande.  » 

Ce  n'est  plus,  hélas!  un  projet,  c'est  un  fait:  toute 
une  province  française,  côtes  et  sous-sol,  tombe  aux 
mains  de  l'étranger,  de  l'ennemi  éventuel,  sans  que 
les  autorités  locales  ni  le  pouvoir  central  élèvent  la 
moindre  protestation. 

La  Manche,  le  Calvados,  l'Orne,  appartiendront 
bientôt  à  Thyssen,  Krupp  et  de  Poorter. 

Citons  éffalement  dans  la  Seine- Inférieure  l'usine 


192  l'avant-guerre 

d'électricité  du  Grand- Quévilly,  près  de  Rouen,  qui 
est  une  entreprise  entièrement  allemande. 

Elle  a  été  construite  sous  la  direction  d'ingénieurs 
et  d'administrateurs  allemands.  Toutes  les  machines 
sont  allemandes.  Tous  les  matériaux,  sauf  la  maçon- 
nerie,  sont  venus  d'Allemagne,  par  des  douze  et 
quatorze  wagons  à  la  fois.  Tous  les  contremaîtres,  le 
concierge  lui-même,  sont  Allemands.  «  Que  sera-ce 
quand  l'usine  sera  en  pleine  exploitation  !  »  m'écrivait 
le  ligueur  qui  me  donne  ces  détails  et  qui  compte 
en  fournir  d'autres  à  V Avant-Garde  de  Normandie. 

Notez  que  cette  usine  allemande  est  destinée  à 
éclairer  plusieurs  communes  suburbaines  des  plus 
importantes  :  le  petit  et  le  grand  Quévilly,  Sotteville, 
etc.  Elle  fournira,  au  moins  en  partie,  la  force 
motrice  à  la  Compagnie  des  tramways  de  Rouen .  Le 

BUT    ACTUEL    DE      l' ALLEMAGNE      EST      DE      GERMANISER 

l'Électricité   en    France,    de    telle    façon    qu'au 

MOMENT  de  LA  PROCHAINE  GUERRE,  LES  MOYENS  DE 
TRANSPORT  ET  DE  COMMUNICATION,  Y  COMPRIS  LES  SER- 
VICES   DE    TÉLÉGRAPHIE    SANS  FIL,  SOIENT  AUX   MAINS  DE 

l'envahisseur.  Que  tous  les  patriotes  retiennent  soi- 
gneusement le  nom  de  l'A.  E.  G,  c'est-à-dire  de 
VAllgemeine  Electricitàts  Gesellschaft^. 

1.  La  Société  française  d'Électricité  A.  E.  G.  [AUge- 
nieine  Electricitàts  Gesellschaft),  dont  il  est  question  ci-des- 
sus, a  le  conseil  d'administration  suivant  : 

Président  :  M.  Deutsch  ; 

Membres  :  MM.  P.  Mamroth,  Thurnauer,  Barrell,  Roos 
Koch; 

Administr ateur- directeur  :  M.  Koch; 
Commissaires  :  MM.  Neumann  et  Pfeffer. 

Jugez  un  peu  ce  que  ce  serait  si  l'A.  E.  G.  n'était  pas 
française  !... 


LES    HAUTS    FOURNEAUX    ET    ACIERIES    DE    CAEN      193 

Nous  connaissons  les  exploitations  de  Jos  de  Poor- 
ter  en  Normandie  (Mortain-Bourberouge-Jurques, 
etc.).  Nous  savons  comment  elles  fonctionnent. 

Grand  acquéreur  de  concessions  de  mines  en 
France,  grand  fournisseur  des  usines  Krupp,  M. 
Jos  de  Poorter  a  récemment  acquis  des  minières  à 
ciel  ouvert  en  Bretagne.  Ce  sera,  n'en  doutez  pas,  le 
point  de  départ  d'opérations  d'avant-guerre,  car  notre 
belle  province  de  l'Ouest  excite  déplus  en  plus  vive- 
ment les  convoitises  de  nos  entreprenants  voisins  de 
l'Est. 


CHAPITRE    V 

L'ENVAHISSEMENT  COMMENCE 

EN   BRETAGNE, 

DANS   LA.    LOIRE-INFÉRIEURE 

ET   SUR  CERTAINS   POINTS  DE  LA  COTE 

(manche  et  Méditerranée) 


§1 

premières  manifestations  de  l'espion, 
envahissement 

en   BRETAGNE    ET    DANS    LA    LOIRE-INFÉRIEURE 

Ce  n'est  encore  qu'un  essai  d'envahissement  du 
sous-sol  breton  qui  se  dessine  dans  la  Loire-Inférieure 
(arrondissement  de  Châteaubriant). 

Les  concessions  minières  que  nous  allons  rapide- 
ment énumérer  sont  en  effet  loin  d'avoir  encore  l'am- 
pleur de  celles  que  nous  avons  relevées  en  Normandie. 

M.  Jos  de  Poorter,  associé  et  féal  de  Krupp,  a  donc 
affermé  dans  cette  région  l'exploitation  des  minières 
suivantes  : 


l'envahissement    en    BRETAGNE  195 

1**  La  grande  minière  de  Rougé.  Cette  exploitation 
est  reliée  à  la  ligne  de  Ploërmel  à  Châteaubriant  par 
une  voie  Decauville,  c'est-à-dire,  ne  l'oublions  pas, 
Orenstein  et  Koppel.  Le  bail  a  été  fait  pour  douze  ans. 
L'exploitation  dure  depuis  huit  ans.  C'est  la  minière 
la  plus  importante  de  la  région  et  peut-être  de  toute 
la  Bretagne.  Les  quantités  de  minerai  enlevé  sont 

TELLES  QUE  CERTAINS  MOIS  ONT  DONNÉ  AUX  PROPRIÉ- 
TAIRES UNE  REDEVANCE  DE  600  FRANCS,  ALORS  QUE  LA 
REDEVANCE  PAR  TONNE  n'EST  QUE  DE  0,40  CENTIMES  ! 

C'est  que,  depuis  quelque  temps  déjà,  il  règne  une  acti- 
vité fébrile  dans  les  usines  Krupp .  Arminius  a  besoin 
de  beaucoup  de  minerai  français  pour  fondre  beau- 
coup de  canons  et  d'obus  allemands. 

2"  La  Minière  de  la  forêt  de  Teillay,  reliée  à  la 
gare  de  Teillay  (ligne  de  Ploërmel  à  Châteaubriant) 
par  un  embranchement.  Ce  qui  permet  de  charger 
directement  les  wagons  dans  la  minière. 

3"*  La  Minière  de  la  Haute-Noë  {commune  de  Sion). 
Celle-ci  est  reliée  à  la  gare  de  Lusanger  {ligne  de 
Redon  à  Châteauhria^it) ,  distante  de  12  kilomètres, 
par  une  voie  Orenstein  et  Koppel,  dite  Decauville. 
Elle  est  moins  importante  que  les  deux  précédentes . 

Ce  n'est  qu'un  commencement,  mais  si  les  pouvoirs 
publics  laissent  faire,  la  situation  deviendra  bien  vite 
aussi  précaire  qu'en  Normandie.  Fort  heureusement 
les  patriotes,  mis  en  éveil  par  notre  campagne,  com- 
mencent à  faire  leur  police  eux-mêmes  et  leur  vigi- 
lance semble  avoir  déjà  eu  à  Brest,  notamment,  un 
résultat  en  rendant  impossible  l'installation  d'un  in- 
dustriel allemand  aux  portes  du  Conquet. 

La  presqu'île  bretonne  est  certainement  un  objet 
de  convoitise  pour  l'Allemagne  qui  n'ignore  pas  qu'à 
son  extrémité  se  trouve  le  plus  beau  port  du  monde, 


196  l'avant-guerre 

capable  d'abriter  toutes   les  escadres  européennes. 

La  situation  exceptionnelle  du  port  de  Brest  aurait 
dû  le  désigner  depuis  déjà  fort  longtemps  comme  le 
plus  apte  à  servir  de  point  de  départ  et  d'arrivée 
pour  les  paquebots  qui  mettent  en  relations,  de  plus 
en  plus  étroites  chaque  jour,  la  vieille  Europe  et  la 
jeune  Amérique. 

La  question  de  Brest-Transatlantique  a  fait  couler 
beaucoup  d'encre,  mais  elle  n'est  pas  encore  entrée 
dans  la  voie  des  réalisations.  Ici  comme  partout 
ailleurs  en  République,  les  intérêts  particuliers  ont 
prévalu  contre  l'intérêt  national.  Seul  un  gouver- 
nement national,  indépendant  de  l'élection,  situé  au- 
dessus  des  partis,  pourrait  faire  aboutir  cette  question 
capitale. 

Un  des  plus  grands  griefs  que  l'on  ait  élevés  contre 
le  projet,  c'est  l'insécurité,  les  dangers  de  la  naviga- 
tion dans  riroise  où  la  brume  serait  plus  fréquente 
que  partout  ailleurs  et  rendrait  l'entrée  du  goulet  im- 
possible à  certains  moments.  «  L'entrée  du  goulet  de 
Brest  est  impossible  par  temps  de  brume.  »  Tel  était 
du  moins  l'avis  du  commandant  chargé,  il  y  a  cinq 
ans,  par  la  Compagnie  Générale  Transatlantique  de 
faire  un  rapport  sur  la  question  de  Brest. 

Citons  à  ce  sujet  les  lignes  suivantes  de  M.  Claude 
Casimir- Périer  dans  le  Breton  de  Paris  du  8  dé- 
cembre 1912  : 

«  Contre  l'affirmation  d'un  commandant  de  paquebot, 
nous  n'invoquerons  ni  l'opinion  du  pilote-major 
Renouard  qui,  en  1893,  ramena  de  Quiberon,  par  temps 
bouché,  les  quatorze  navires  de  l'escadre  du  Nord  et  les 
ancra,  sans  une  avarie,  à  leurs  corps  morts  de  la  rade- 
abri  de  Brest;  ni  l'autorité  du  vice-amiral  de  Cuverville 
qui,  par  tous  les  temps,  est  entré  dans  la  rade  de  Brest 


l'envahissement    en    BRETAGNE  197 

et  en  est  sorti,  avec  des  frégates  à  voiles  et  des  croi- 
seurs à  vapeur,  et  qui  se  faisait  fort  d'y  entrer  n'importe 
quel  navire,  par  n'importe  quel  temps,  à  n'importe 
quelle  vitesse.  Nous  ne  discuterons  pas  l'objection  du 
commandant  Poirot,  parce  qu'un  paquebot  transatlan- 
tique ne  peut  pas  couramment  se  permettre  de  marcher 
à  la  sonde  comme  fait  un  cuirassé  en  manœuvres. 

Le  rapport  de  la  Compagnie  Générale  Transatlantique 
avait  toute  sa  valeur  en  1907.  Mais  il  ne  vaut  plus  rien 
aujourd'hui.  Une  découverte  récente  a  révolutionné  la 
navigation  en  donnant  aux  navires  perdus  dans  le 
brouillard  la  même  sécurité  que  leur  apportent,  par 
temps  clair,  les  éclats  lumineux,  d'un  phare.  Deux 
ingénieurs  italiens,  MM.  Tosi  et  Bellini,  ont  perfectionné 
l'émission  des  ondes  hertziennes  et  créé  des  «  phares 
sensibles  »>  aussi  puissants,  aussi  pratiquement  appli- 
cables que  les  «  phares  lumineux.  »>  Entre  deux  postes 
hertziens  qui  croiseront  leurs  ondes,  tout  navire  muni 
d'un  poste  sympathique  «  sentira  »  sa  route  sans  y 
voir  et  ne  pourra  pas  s'en  écarter  sans  en  être  instanta- 
nément averti. 

Il  est  permis  d'admettre  que  les  extrémités  nord  et 
sud  de  riroise  sont  dangereuses;  on  peut  laisser  dire 
que  la  brume  couvre  toute  l'année  les  côtes  de  Bretagne. 
Un  seul  fait  est  à  retenir  :  «  Brest  est  le  seul  port  de 
France  où  les  paquebots  les  plus  rapides  puissent 
aujourd'hui  entrer  par  temps  de  brume,  sans  avoir  un 
seul  instant  quelque  hésitation  sur  la  route  à  suivre  ou 
la  crainte  de  dangers  invisibles.  » 

Nous  extrayons  encore  les  lignes  suivantes  du 
Breton  de  Paris  du  19  Janvier  1913,  sous  la  signature 
du  même  auteur  : 

((  Les  principaux  ports  par  où  se  fait  le  commerce  tran- 
satlantique de  l'Europe  ont  été  fondés  à  une  époque  où 
la  rareté  et  la  difficulté  des  communications  artificielles 
avec  l'intérieur  donnaient  une  supériorité  marquée 
aux  ports  situés  à  l'embouchure  d'un  grand  fleuve,  et 
où  l'insuffisance  des  moyens  de  dragage  ne  laissait  au 
problème  de  la  profondeur  d'autre  solution  que  celle 


198  l'avant-guerre 

du  bassin  des  écluses.  D'ailleurs,  les  dimensions  des 
navires,  il  y  a  seulement  vingt-cinq  ans,  n'exigeaient 
pas  des  écluses  maritimes  très  différentes  de  celles 
que  nous  voyons  aujourd'hui  dans  les  ports  fluviaux  de 
la  Seine  et  du  Rhin,  et  la  valeur  de  la  vitesse  et  du 
temps  gagné  était  encore  assez  minime  pour  qu'un 
paquebot  pût  —  sans  infériorité  —  attendre  au  large 
l'heure  de  la  pleine  mer  et  l'ouverture  du  port. 

(I  C'est  ainsi  que  les  grands  ports  de  l'Europe  occiden- 
tale —  qui  sont  en  même  temps  les  plus  anciens  —  ont 
été,  d'emblée,  voués  aux  différentes  servitudes  qui  grè- 
vent les  ports  d" estuaires  :  barre  à  franchir,  danger 
d'ensablement,  rade  peu  sûre,  bassins  à  écluses  ou 
d'une  profondeur  insuffisante,  faible  superficie  et  exten- 
sion difficile. 

«  Pas  un  seul  n'y  échappe  entièrement. 

«  La  Mersey,  à  Liverpool;  VElbe,  à  Cuxhaven;  la 
Weser,  à  Bremerhaven  ;  l'Escaut,  à  Anvers;  la  Seine, 
au  Havre  ;  la  Loire,  à  Saint-Nazaire  ;  la  Gironde,  à 
Pauillac,  forment  des  barres  dont  le  seuil  à  marée 
basse,  ne  descend  pas  au-dessous  de  9  mètres  72 
(Liverpool.  Queen's  Channel)  et  atteint  jusqu'à  7  mè- 
tres au-dessous  du  zéro  des  cartes  marines  (Saint- 
Nazaire,  barre  des  Charpentiers). 

«  Aucun  de  ces  ports  na  de  rade  où  les  navires  puis- 
sent s'ancrer  en  eau  calme  en  attendant  l'ouverture  du 
port,  parce  que  les  courants  d'estuaire  y  entretiennent 
un  perpétuel  ressac,  et  que  ces  estuaires  sont  eux- 
mêmes  grande  ouverts  à  tous  les  vents  du  large.  Dans 
tous  ces  ports,  les  paquebots  qui  ne  peuvent  pas  fran- 
chir la  barre  par  gros  temps  n'ont  d'autre  ressource 
que  d'aller  chercher  un  refuge  ailleurs. 

«  Ces  ports,  en  outre,  sont  des  ports  à  écluses,  c'est-à- 
dire  des  ports  fermés,  ou  des  ports  peu  profonds, 
c'est-à-dire  ouverts  par  intermittence. 

«  Enfin,  ces  ports  d'estuaire  ont  une  surface  d'eau 
qui  répond  à  peine  aux  besoins  actuels  de  leur  trafic  ; 
qu'il  est  extrêmement  coûteux  d'augmenter,  parce  qu'il 
faut  conquérir  les  nouveaux  bassins  sur  la  terre  ferme, 


l'envahissement  en  BRETAGNE         199 

et  qui  est  même  limitée  par  définition,  parce  qu'il  est 
impossible  de  découper  artificiellement  des  bassins 
dans  l'eau  toujours  agitée  d'un  estuaire. 

«  Brest  est  le  meilleur'  port  de  V Europe,  parce  quil 
est  le  seul  port  européen  en  rade  abritée^  sans  barre^ 
sans  risques  d'ensablement,  sans  écluses,  profond  de 
17  à  40  mètres,  et  indéfiniment  extensible  jusqu'à  pou- 
voir offrir  au  commerce  une  surface  d'eau  de  quinze 
mille  hectares. 

<t  Le  seul  port  européen  où  l'on  puisse,  à  peu  de  frais, 
réaliser  un  programme  de  constructions  modernes  et 
définitives,  sans  avoir,  auparavant,  à  se  protéger  contre 
la  mer  (comme  à  Clierbourg  ou  au  Havre;,  et  sans 
avoir,  après,  à  lutter  contre  l'apport  des  courants 
(comme  au  Havre,  à  Saint-Nazaire,  à  Liverpool  et  An- 
vers). Le  seul  port  qui  soit  assuré  de  pouvoir  croître 
avec  sécurité,  parce  que  les  bassins  de  Liverpool,  de 
Hambourg,  d'Anvers,  de  Londres,  de  Rotterdam,  de 
Marseille  et  du  Havre  réunis  n'occuperaient  pas  encore 
les  quatre  dixièmes  de  la  rade  de  Brest.. 

(•  Le  seul  port,  enfin,  que  tout  désigne  —  situation, 
facilité  d'accès,  profondeur,  étendue  —  pour  être  défi- 
nitivement le  siège  européen  des  échanges  transatlan- 
tiques. 

Cette  question  du  port  de  Brest,  on  le  voit,  est 
capitale  et  devrait  passionner  l'opinion  publique.  Et 
pourtant  celle-ci  semble  s'en  désintéresser. 

Mais  si  l'on  néglige  en  France  le  problème  bres- 
tois,  il  n'en  est  certes  pas  de  même  en  Allemagne. 
L'attention  de  Guillaume  II  a  été  depuis  longtemps 
attirée  par  la  position  exceptionnelle  de  l'Armorique 
au  double  point  de  vue  militaire  et  commercial. 
L'annexion  du  Finistère  fait,  —  avec  celle  de  la  Cham- 
pagne et  de  la  Normandie  —  partie  du  programme 
germanique.  Le  futur  gouverneur,  le  second  fils  du 
Kaiser,  en  est  déjà  choisi,  et  il  y  a  plusieurs  années 


200  l'avant-guerre 

qu'en  manière  de  plaisanterie  on  l'appelle  à  la  cour 
de  Berlin  «  Le  duc  de  Bretagne  ». 

«  L'accaparement  de  Diélette  n'est-il,  comme  on 
l'affirme,  que  le  préambule  d'un  investissement  plus 
complet,  une  façon  d'expérimenter  la  force  de  résis- 
tance française  avant  d'attaquer  ce  morceau  d'enver- 
gure :  la  germanisation  du  premier  port  de  l'Europe 
Occidentale!  *  » 

C'est  notre  conviction  absolue,  les  menées  de  cer- 
tains industriels  étrangers  dans  les  parages  du  port  de 
Brest  ont  déjà  attiré  l'attention.  Les  propositions 
d'achat  de  terrains  par  des  pseudo- fabricants  de 
soude  aux  environs  du  Conquet  n'ont  pas  jusqu'ici 
été  acceptées.  Mais  l'Allemand  est  tenace... 

§2 

LES  ALLEMANDS  A  BRÉHAT  ET  LA  QUESTION  DES  ILES 

Le  fils  d'un  banquier  de  Francfort,  le  juif  allemand 
Kahn,  est  en  train  d'acquérir  la  totalité  des  terrains 
à  vendre  dans  l'île  de  Bréhat  (Côtes-du-Nord). 

Située  dans  le  canton  de  Paimpol,  devant  la  petite 
baie  de  Trieux,  au  fond  de  laquelle  est  Lézardrieu,  où 
se  trouve  une  station  de  torpilleurs,  entre  la  Grande 
Passe  et  le  Fehrless,  l'île  Bréhat  est,  au  dire  de  tous 
les  marins,  un  point  stratégique  des  plus  importants. 
La  flotte  allemande  a  toujours  étudié  ces  parages  en 
vue  d'un  débarquement  éventuel.  Des  essais  de 
«  phares  hertziens  »  ont  été  effectués  en  divers  empla- 
cements de  l'île. 

1.  Ces  lignes  sont  extraites  d'un  article  paru  dans  V Action 
Française  du  26  septembre  1012  sous  la  signature  de  notre 
collaborateur  Kerannoz . 


l'envahissement    en    BRETAGNE  201 

Il  y  a  plusieurs  années  déjà  que  le  docteur  V..., 
propriétaire  en  cette  île,  connïiençait  à  s'effrayer  de 
ces  acquisitions  germaniques,  selon  un  plan  qui  sem- 
blait méthodique.  Il  faut  croire  qu'elles  n'effrayèrent 
pas  Jacques  Grumbach,  car  elles  continuèrent.  Vers 
1.908,  M.  le  sénateur  Riou,  dans  sa  vigilance  patrio- 
tique, crut  devoir  présenter  à  ce  sujet  une  motion 
devant  le  Conseil  général  du  Morbihan.  Il  demandait 
au  Gouvernement  de  s'opposer  au  déclassement  des 
fortins,  dont  l'achat,  par  des  étrangers,  pouvait  com- 
promettre la  sécurité  nationale.  Cette  motion  fut 
votée  à  l'unanimité.  L'extension  prise  par  les  postes 
de  télégraphie  sans  fil  et  la  nécessité  de  surveiller  ces 
installations,  —  dont  le  rôle  serait  capital  en  temps  de 
guerre,  —  démontrent,  à  l'heure  actuelle,  plus  encore 
qu'en  1908,  l'opportunité  de  l'intervention  de  M.  Riou. 
Le  sénateur  du  Morbihan  ne  s'en  tint  pas  là.  En  1909, 
une  proposition,  tendant  à  prévenir  ces  dangers,  fut 
déposée  par  lui  et  deux  de  ses  collègues.  Elle  fut 
renvoyée,  par  le  Sénat,  à  la  commission  compétente, 
laquelle,  bien  entendu,  l'enterra. 

Nous  verrons  tout  à  l'heure  avec  quelle  obstination 
digne  d'éloges  M.  Riou  revint  encore  sur  cette  ques- 
tion, au  Sénat,  le  14  février  1912. 

Par  ailleurs,  j'ai  posé  quatre  ou  cinq  fois  à  M.  le 
député  Long  ^,  rapporteur  du  projet  de  loi  sur  la 
cession  du  Coyigo  à  V Allemagne,  la  question  suivante  : 
«  Est-il  vrai  que  vous  ayez  été  l'hôte  du  juif  allemand 
Kahn,  à  Bréhat,  l'été  dernier?  »  M.  Long  ne  m'a  pas 

1.  On  lit  dans  la  Franc-Maçonnerie  démasquée  : 
La  loge  Alsace-Lorraine  Écossaise  avait  organisé  le  28  no- 
vembre dernier,  une  tenue  qui  portait  à  son  ordre  du  jour  la 
mention  suivante  : 

VŒucre  Française  dans  l'Afrir;ue  du  Nord.  Causerie  par 
notre   F  .-.M.  Long,  député  de   la   Drôme,   rapporteur  de   la 


202  l'avant-guerre 

répondu  et  pour  cause  ;  car  il  a  séjourné  en  effet  pen- 
dant plusieurs  semaines  chez  le  juif  allemand  Kahn, 
à  Bréhat,  à  la  grande  stupeur  de  Français  du  voisi- 
nage qu'étonnait  une  pareille  promiscuité  en  un  tel 
moment. 

Le  juif  allemand  Kahn  poursuit  ses  achats  de  ter- 
rain à  Bréhat.  C'est  ainsi  qu'il  a  acquis  cette  année 
une  ferme  voisine  du  sémaphore  ;  le  Moulin  du  Nord 
(vieux  moulin  à  vent  démantelé)  situé  en  un  lieu 
élevé. 

Il  est  en  pourparlers  pour  plusieurs  îlots  qui 
seraient,  le  cas  échéant,  des  postes  tout  indiqués  de 
télégraphie  sans  fil.  Sans  doute,  Kahn  compte-t-il  sur 
ses  amitiés  et  relations  politiques  pour  devenir  peu  à 
peu  et  sans  difficultés  seigneur  juif  allemand  de  Bré- 
hat. Je  signale  cette  situation  étrange  à  tous  les 
patriotes  de  la  région  et  aussi  au  Lorrain  Poincaré, 
pour  qu'il  en  fasse  part  au  juif  Jacques  Grumbach, 
chargé  de  la  surveillance  des  étrangers  au  ministère 
de  l'Intérieur. 

C'est  à  propos  de  la  vente  de  l'île  de  Porquerolles, 
située,  on  le  sait,  à  côté  de  Toulon,  qu'eut  lieu  la 
patriotique  intervention  de  M.  Riou. 

L'attitude  de  la  presse  parisienne,  dans  cette  occa- 
sion comme  dans  beaucoup  d'autres,  a  été  du  reste 
peu  brillante.  Elle  est  demeurée  absolument  muette 
et  n'a  fait  aux  paroles  de  M.  Charles  Riou  qu'une 
allusion  vague  et  peu  distincte.  Voici  donc  in-extenso^ 
et  d'après  le  Journal  Officiel,  —  que  veut  bien  ne  pas 

Comm.".  desAff.'.  Ext.-,  delà  Chambre,  membre  actif  de  l'At.-. 

Le  F.".  Long  trouve  sans  doute  dangereux  d'appartenir  à 
une  loge  de  la  région  qu'il  représente. 

Est-ce  à  la  loge  Alsace-Lorraine  Ecossaise  que  M.  le  dé- 
puté Long  a  fait  la  connaissance  du  juif  Kahn,  de  Francfort, 
grand  acquéreur  de  terrains  à  l'île  Bréhat? 


l'envahissement    en    BRETAGNE  203 

expurger  encore  M.  Jean  Dupuy,  —  le  compte-rendu 
de  ce  mémorable  épisode.  Mémorable,  car  le  jour  où 
les  choses  s'aggraveront  brusquement,  il  restera  à 
M.  Charles  Riou  l'honneur  de  ne  pas  s'être  tu  sur 
l'essentiel,  je  veux  dire  sur  la  livraison,  en  pleine 
paix,  de  territoires  stratégiques  français,  —  sol  et 
sous-sol,  —  à  l'Allemand. 

On  fera  bien  de  lire  avec  soin  et  de  méditer  ces 
paroles  éloquentes. 

M.  Charles  Riou.  —  Messieurs,  il  y  a  quelques 
années,  en  Bretagne,  nous  avons  été  très  émus  par  des 
achats  prémédités,  faits  surtout  par  des  Allemands,  sur 
notre  littoral,  et  notamment  par  l'achat  de  fortins 
déclassés;  à  tel  point  que  je  traduisais  alors  la  pensée 
et  les  craintes  de  mes  concitoyens  devant  le  conseil 
général  du  Morbihan. 

Un  vœu  fut  adressé  au  Gouvernement  et  j'ajoute  qu'il 
fut  pris  à  l'unanimité  de  l'assemblée  départementale, 
sans  distinction  d'opinion  politique. 

A  ce  moment,  nous  fûmes  saisis  au  Sénat,  non  pas 
en  séance  publique,  mais  dans  une  séance  des  bureaux, 
d'une  demande  formée  par  un  homme  que  vous  con- 
naissez bien,  un  éminent  docteur  de  Paris,  patriote 
avant  tout,  M.  le  docteur  Variot.  Nous  fûmes  saisis  par 
lui  d'une  demande  de  convocation,  dont  je  me  char- 
geai, de  tous  mes  collègues  de  Bretagne  et  de  Norman- 
die, qu'intéressaient  les  questions  du  littoral.  Il  nous 
révéla  quelle  était  la  situation  d'une  île  de  notre  Bre- 
tagne, l'île  Bréhat,  où  il  est  propriétaire  et  où,  depuis 
un  certain  nom.bre  d'années,  le  fils  d'un  banquier  alle- 
mand de  Francfort  se  rend,  à  vrai  dire,  maitre  du  pays 
tout  entier. 

A  la  suite  de  ces  constatations  et  de  ces  révélations, 
M.  l'amiral  de  Cuverville,  que  nous  regrettons  toujours, 
M.  Cabart-Danneville  et  moi,  saisîmes  le  Sénat  d'une 
proposition  de  loi  qui  fut  renvoyée  à  la  commission  de 
la  marine.  L'autre  jour,  lorsque  le  bureau  dont  j'ai 
l'honneur  de  faire  partie  désigna  deux  de  .ses  membres 
pour  le  représenter  à  la  commission  de  la  marine,  je 


204  l'avant-guerre 

me  suis  adressé  à  eux  et  plus  particulièrement  —  il  me 
permettra  de  le  nommer  —  à  M.  Peytral,  pour  les 
prier  de  hâter  le  plus  possible  le  moment  où  cette  pro- 
position pourra  être  discutée  en  séance  publique. 
M.  Peytral  m'a  répondu  qu'il  s'en  occuperait,  ainsi  qu'il 
l'avait,  au  reste,  déjà  fait,  et  que  bientôt,  la  commission 
ferait  connaître  au  ministère  et  au  Sénat  son  avis  sur 
notre  proposition  de  loi  qui  est  due,  je  dois  le  dire,  à 
l'honorable  M.  Cabart-Danneville. 

M.  Gandin  de  Villaine.  —  Elle  est  urgente. 

M.  Charles  Riou.  —  Sans  entrer  dans  d'autres  détails 
qui  ne  pourraient  que  fatiguer  le  Sénat  à  l'heure  ou 
j'ai  l'honneur  de  parler,  je  me  borne  à  ajouter  que, 
dimanche  dernier,  je  dus  adresser  à  M.  le  ministre  de 
la  guerre  une  lettre  dont  je  demande  au  Sénat  la  per- 
mission de  donner  lecture.  Mieux  que  n'importe  quel 
développement,  elle  fera  connaître  la  nature  de  la  ques- 
tion dont  je  désire  aujourd'hui  saisir  le  Sénat  et  M.  le 
ministre  de  la  guerre  : 

«  Paris,  le  11  février  1912. 

«  Monsieur  le  Ministre, 

«  Le  journal  V Action  Française  qui  a  entrepris  une 
campagne  courageuse  et  très  documentée  sur  l'invasion 
de  la  France  par  des  industriels  allemands,  reproduit 
aujourd'hui  une  lettre  adressée,  le  4  février,  au  Petit 
Marseillais^  de  laquelle  il  résulte  que  l'île  de  Porque- 
rolles  qui  importe,  paraît-il,  à  la  défense  de  Toulon, 
doit  être  mise  en  adjudication  publique,  le  22  février 
prochain. 

«  Le  Petit  Marseillais  ajoute  que  des  pourparlers  sé- 
rieux sont  engagés  pour  l'achat,  avec  des  étrangers 
qui  se  trouvent,  en  ce  moment,  sur  notre  littoral. 

«  Cette  acquisition  par  un  étranger,  quelle  que  soit  sa 
nationalité,  pouvant  porter  une  atteinte  regrettable  à  la 
défense  de  notre  côte  méditerranéenne;  j'ai  l'honneur 
de  vous  prier  de  vouloir  bien  accepter,  à  ce  sujet,  une 
question  à  l'une  des  premières  séances  du  Sénat  où  se 
discutera  le  ministère  de  la  guerre. 

«  Bien  des  fois,  j'ai  dû,  avec  quelques-uns  de  mes  col- 


l'envahissement    en    BRETAGNE  205 

lègues  du  Sénat,  me  préoccuper  de  ce  qui  se  passe  sur 
nos    côtes,  notamment  en  Bretagne... 

M.  Gandin  de  Villaine.  —  Et  en  Normandie. 

M.  Charles  Riou.  —  «  ...  en  janvier  1909,  MM.  l'ami- 
ral de  Cuverville,  Cabart-Danneville  et  moi,  nous  avons 
déposé,  sur  le  bureau  du  Sénat,  une  proposition  de  loi 
qui  a  été  renvoyée  à  la  commission  de  la  marine. 

«  Depuis^  rien  n'a  été  fait  d'utile,  et  il  me  parait  né- 
cessaire, plus  que  jamais,  que  des  dispositions  soient 
prises  sans  tarder,  pour  que  l'État  mette  fin  à  des  em- 
piétements sur  notre  territoire  national,  d'autant  plus 
dangereux  qu'ils  se  produisent  depuis  trop  d'années, 
sans  éveiller  l'attention  publique,  avec  une  prudence  et 
une  préméditation  calculées. 

«  Veuillez  agréer...  »> 

M.  Cabart-Danneville.  —  Voulez-vous  me  permettre 
une  courte  interruption,  mon  cher  collègue  ? 

M.  Charles  Riou.  —  Parfaitement,  avec  le  plus  grand 
plaisir. 

M.  Cabart-Danneville.  —  La  commission  de  la  marine 
dont  je  faisais  partie  l'année  dernière  et  les  années  pré- 
cédentes, n'a  pas  examiné  la  proposition,  et  voici  pour- 
quoi :  c'est  qu'on  a  constaté  que  non  seulement  Hle  de 
Bréhat  était  occupée,  comme  je  l'ai  indiqué  dans  ma 
proposition  que  vous  avez  bien  voulu  signer  d'accord 
avec  l'honorable  amiral  de  Cuverville,  mais  qu'une 
partie  du  littoral  était  aussi  occupée  par  des  Alle- 
mands, en  Normandie  surtout  et  ailleurs. 

M.  Charles  Riou.  —  A  plus  forte  raison. 

M.  Cabart-Danneville.  —  Et  la  commission  de  la  ma- 
rine avait  justement  demandé,  a  cause  de  la  rédaction 
qui  était  extrêmement  délicate,  qu'une  commission 
interministérielle  fût  nommée... 

M.  Peytral.  —  C'est  moi  qui  avais  fait  cette  propo- 
sition. 

M.    Cabart-Danneville.  —  J'allais  le  dire...  qu'une 
commission  interministérielle  fût  nommée,  comprenant 
un  représentant  de  chacun  des  ministères  de  la  justice 
des  affaires  étrangères,  de  la  guerre  et  de  la  marine. 


206  l'avant-guerre 

M.  Charles  Riou.  —  Et  rien  n'a  été  fait. 

M.  Cahart-Dannemlle.  —  Rien  n'a  été  fait. 

M.  Charles  Riou.  —  Par  conséquent,  M.  le  ministre 
de  la  guerre  voudra  bien  s'entendre  à  ce  sujet  avec  son 
collègue  de  la  marine. 

M.  Peytral.  —  J'ajoute  que,  dès  la  première  séance 
de  la  commission  de  la  marine,  j'ai  saisi  celle-ci  de  la 
question  que  vous  avez  vous-même  posée  devant  le  bu- 
reau, et  que  le  président  de  cette  commission,  M.  Cuvi- 
not,  m'a  dit  personnellement  qu'elle  ne  tarderait  pas  à 
reprendre  l'affaire  au  point  où  elle  l'avait  laissée.  (Très 
bien  !) 

M.  Gaudin  de  Villaine.  —  Et  les  Allemands  conti- 
nuent ! 

M.  Charles  Riou.  —  Un  de  nos  collègues,  M.  l'ami- 
ral de  la  Jaille,  qui  est  une  autorité  en  pareille  ma- 
tière, s'il  n'eût  été  retenu  chez  lui  par  une  indisposition 
heureusement  sans  gravité,  aurait  pu  donner  ici  son 
avis  sur  la  question  do  l'ile  de  PorqueroUes.  Vous  savez 
que  l'amiral  de  la  Jaille  a  été  pendant  très  longtemps 
préfet  maritime  de  Toulon.  Or  il  m'a  dit  en  propres 
termes  :  «  L'île  de  PorqueroUes  ne  peut  pas  ne  pas 
appartenir  à  la  France,  PorqueroUes  commande  la  dé- 
fense de  la  rade  d'Hyères  et,  par  conséquent,  doit 
appartenir  et  rester  à  la  France.  »> 

Qu'en  pense  M.  le  ministre  de  la  guerre  ?  C'est  la 
question  que  je  lui  pose  au  nom  de  mon  collègue  et  au 
mien,  et  je  la  pose  au  Sénat  tout  entier.  {Très  bien! 
très  bien!) 

M.  le  ministre  de  la  guerre.  —  Je  demande  la  pa- 
role. 

M.  le  président.  —  La  parole  est  à  M.  le  ministre  de 
la  guerre. 

M.  le  ministre.  —  Je  n'ai  pas  à  m'expliquer  sur  la 
question  générale,  après  ce  qu'a  dit  tout  à  l'heure 
rhonorable  M.  Cabart-Danneville. 

En  ce  qui  touche  PorqueroUes,  voici  quelle  est  exac- 
tement la  situation. 

Le  département  de  la  guerre  a,  dans  l'ile  de  Por- 
queroUes, des  batteries  de  côte;  en  dehors  des  terrains 


l'envahissement    en    BRETAGNE  207 

militaires,  il  y  a  un  certain  nombre  de  terrains  qui 
appartiennent,  à  l'heure  actuelle,  à  une  société  dont  le 
président  est,  d'ailleurs,  un  étranger,  et  dont  beaucoup 
de  membres  sont  également  des  étrangers. 

La  situation  n'est  pas  nouvelle,  et,  à  plusieurs  re- 
prises, mes  honorables  prédécesseurs,  notamment V ho- 
norable M.  Berteaux  et  Vhonorable  M.  Messimy,  ont 
reçu  des  propositions  de  vente  quils  ont  dû  décliner. 
J'ajoute  que  le  Sénat  n'a  pas  à  s  inquiéter,  et  voici 
pourquoi  :  cesi  que  le  jour  où  le  ministère  de  la  guerre 
estimera  que  tels  ou  tels  terrains  sont  nécessaires  à 
la  défense  nationale,  il  aurala  faculté  d'user  du  droit 
d'expropriation  et  il  ny  manquera  pas  (Très  bien! 
très  bien!) 

Je  crois  donc  que  les  craintes  qui  se  sont  fait  jour, 
et  dont  je  comprends  très  bien  l'expression,  doivent  se 
rassurer,  et  j'estime  que,  à  l'heure  actuelle,  il  n'y  a 
pas  lieu  de  s'inquiéter  {Très  bien!  très  bien!) 

M.  Charles  Riou.  —  Je  remercie  M.  le  ministre  de 
la  guerre  des  paroles  qu'il  vient  de  prononcer  et  je  lui 
demande  en  même  temps  de  s'occuper  de  la  question 
plus  générale  dont  M.  Cabart-Danneville,  l'amiral  de 
Cuverville  et  moi,  avons  saisi  le  Parlement  tout  entier. 

M.  le  président.  —  Il  n'y  a  pas  d'autre  observation 
sur  le  chapitre  102  ?... 
Je  le  mets  aux  voix. 

(Le  chapitre  102  est  adopté). 

Le  22  février  1912,  l'île  de  Porqiierolles  citée  plus 
haut  fat  adjugée  au  prix  d'un  million  cent  francs  à 
M.  Audibert,  pour  le  compte  de  M.  François-Joseph 
Fournier,  rentier  à  Paris. 

Ainsi  échouait  le  coup  de  l'expropriation  qui  au- 
rait très  bien  pu  faire  les  affaires  d'un  certain  cou- 
lissier  juif-allemand,  fort  connu^  sur  le  marché  de 
Paris,  lequel  avait  amorcé  et  combiné  l'opération  de 
longue  date  par  des  achats  préalables  du  terrain  à 
exproprier.  Si  le  coup  avait  réussi,  on  estime  qu'il 


208  l'avant-guerre 

eût  rapporté  à  son  auteur  quelque  chose  comme 
deux  millions  et  demi. 

Grâce  à  la  campagne  menée  en  province  par  cer- 
tains journaux  locaux,  tels  que  le  Petit  May^seillais  et 
à  Paris  par  ï Action  Française,  l'île  de  Porquerolles 
n'a  pas  été  adjugée  à  un  propriétaire  étranger  qui 
eût  agi,  très  probablement,  pour  le  compte  d'une 
compagnie  étrangère  ;  c'est  ce  que  redoutait  le 
Petit  Marseillais  lequel,  au  moment  de  la  mise  en 
adjudication  de  l'île  de  Porquerolles,  avait  mani- 
festé ses  craintes  avec  une  franchise  d'allure  et  de 
langage  que  ne  saurait  avoir  une  grande  partie  de  la 
presse  parisienne.  La  presse  des  provinces  est  beau- 
coup plus  libre  que  celle  de  Paris.  Sans  la  presse 
des  provinces,  la  presse  française,  à  quelques  rares 
exceptions  près,  serait  une  simple  domestique  du 
pouvoir  et  des  lancements  financiers. 

Sa  prétendue  liberté,  pour  laquelle  on  a  tant 
combattu,  n'a  abouti  qu'à  une  ignoble  dépendance 
d'argent,  qu'à  une  servitude  à  peine  déguisée. 

Donc  le  Petit  Marseillais  ajoutait  ceci  : 

Nous  tenons  de  source  certaine  qu'une  société  alle- 
mande a  été  en  pourparlers  pour  l'achat  de  l'île  voi- 
sine de  la  terre  française...  Le  gouvernement  s'est 
préoccupé  de  cela;  il  s'en  est  même  inquiété.  Et  la 
société  a  retiré  sa  candidature.  Mais,  demain,  la  même 
société  ou  d'autres  sociétés  similaires  peuvent  con- 
courir à  l'adjudication,  sous  le  couvert  d'un  manda- 
taire moins  apparent  ^. 

1.  Le  Petit  Marseillais  publia  en  outre  à  ce  moment  la  lettre 
suivante  envoyée  par  un  correspondant  particulièrement  auto- 
risé. 

«  Ce  4  février  1912. 

«  Vous  ne  m'en  voudrez  pas,  je  l'espère,  de  vous  renseigner 


l'envahissement    en    BRETAGNE  209 

Par  la  situation  de  PorqueroUes,  si  proche  de  notre 
grand  port  militaire  de  Toulon,  cette  occupation  étran- 
gère eût  présenté  de  graves  inconvénients. 

L'État  se  trompe  fort,  en  effet,  quand  il  dit  qu'il 
n'a  besoin  de  rien  sur  l'île.  C'est  ce  que  démontre  fa- 
cilement le  Petit  Marseillais  dans  les  lignes  sui- 
vantes : 

sur  un  point  qui  a  son  importance.  Les  cartes  disent  que 
l'État  possède  150  hectares  sur  l'île  de  PorqueroUes.  Les  cartes 
se  trompent.  L'État  ne  possède  pas  150  hectares,  mais  à  peine 
75.  La  pointe  Est  (Les  Mèdes)  est  insuffisante  pour  les  tirs  des 
navn^es  de  guerre  puisque,  au  moment  des  tirs  de  l'/ena,  la 
marine  avait  dû  emprunter  la  moitié  de  l'île  à  la  Compagnie 
Foncière,  dirigée  par  M.  Orengo. 

«  A  certaine  époque,  l'État  eut  le  projet  de  construire  un 
vaste  sanatorium  sur  l'île.  Et  des  demandes  d'achat  de  terrains 
furent  adressées  au  liquidateur  de  la  Compagnie  Foncière. 
Jamais  ces  demandes  n'ont  été  solutionnées.  Jamais  aucune 
vente  n'a  été  faite. 

«  Avant  de  licrer  l'île  de  PorqueroUes  aux  enchères  pu- 
bliques, je  puis  dire  que  tout  a  été  fait,  tout  a  été  tenté  soit 
auprès  du  ministre  de  la  guerre,  soit  auprès  du  ministre  de 
la  marine  pour  les  engager  à  acquérir,  au  nom  de  VÉtat, 
Vîle  de  PorqueroUes.  Les  lenteurs  administratives  sont 
sans  doute  cause  de  Véchec  de  ces  démarches,  car,  au  point 
de  vue  stratégique,  PorqueroUes  a  son  importance.  Certain 
dossier  déposé  au  ministère  de  la  marine  en  témoignerait 
si  on  avait  pris  la  peine  de  l'ouvrir!... 

«  La  situation  de  la  Compagnie  Foncière  n'a  pas  permis  au 
liquidateur  de  différer  plus  longtemps  la  vente.  Quels  seront 
donc  les  futurs  propriétaires  de  l'île?  On  n'en  sait  rien  à 
l'heure  actuelle.  Tout  ce  qu'on  peut  dire,  c'est  que  des  pour- 
parlers sérieux  sont  engagés  avec  des  étrangers  qui  se  trou- 
vent en  ce  moment  sur  le  littoral.  Avouez  que  la  chose  serait 
pénible  si,  dans  moins  d'un  mois,  nous  étions  réduits  à  voir 
flotter  sur  tous  les  coins  de  l'île  le  drapeau  allemand,  espagnol 
ou  italien.  Tout  a  été  tenté  auprès  du  gouvernement  pour 
éviter  pareille  éventualité,  il  a  toujours  "fait  la  sourde  oreille 
et,  sur  l'île  de  PorqueroUes,  l'État,  nous  le  répétons,  possède 
juste  75  hectares,  dont  50  pour  la  pointe  des  Mèdes  et  25  pour 
les  forts  de  la  Repentance  et  de  Sainte-Agathe.  Les  autres 
fortins  sont  déclassés  et  loués  au  liquidateur  pour  une  durée 
de  neuf  années.  » 


210  l'avant-guerre 

Les  militaires  casernes  à  PorqueroUes  n'ont  pas  d'eau 
potable  à  boire.  Pour  leur  en  procurer,  l'Etat  doit 
s'adresser  aune  compagnie  privée  qui,  si  elle  était  alle- 
mande, par  exemple,  pourrait  répondre  par  un  refus. 
A  part  cela,  l'Etat  n'a  besoin  de  rien  sur  Pile. 

Et  à  propos  de  la  télégraphie  sans  fil  : 

Le  12  juillet  1911,  l'administration  des  Postes  et  Télé- 
graphes passait  à  l'administration  de  la  Marine  le  poste 
de  T.  S.  F.  de  PorqueroUes.  Et,  par  lettre  en  date  des 
16  septembre,  31  octobre,  15  décembre  1911,  3  janvier 
et  12  janvier  1912,  le  service  des  travaux  hydrauliques 
du  port  de  Toulon  demandait  le  renouvellement  du  bail 
consenti  aux  Postes  et  Télégraphes,  bail  qui  expirait 
le  16  janvier  dernier.  La  dernière  lettre,  celle  du  12  fé- 
vrier, est  à  citer.  Elle  est  adressée  par  l'ingénieur  des 
Ponts  et  Chaussées,  M.  Delauche,  au  liquidateur  de  la 
compagnie  : 

(.  Monsieur,  j'ai  Phonneur  de  vous  demander  de  vou- 
loir bien  me  faire  connaître  quelle  suite  peut  être  don- 
née à  la  proposition  que  nous  avons  faite  dernièrement 
de  louer  la  parcelle  de  terrain  occupée  par  la  station 
de  T.  S.  F.  de  PorqueroUes  et  une  autre  parcelle  con- 
tiguë,  de  dimention  figurée  sur  un  plan  joint  à  ma 
lettre  du  16  décembre  1911,  » 

Le  liquidateur  a  répondu  :  «  Avant  de  renouveler  le 
bail,  nous  devons  attendre  la  désignation  du  nouveau 
propriétaire.  •> 

Admettons  que  ce  nouveau  propriétaire  soit  un  étran- 
ger, il  pourra  dire  à  l'État  :  «  Je  ne  renouvelle  pas  Je 
bail.  »  Et  l'Etat  devra  déménager  et  se  résoudre  à 
n'avoir  plus  de  poste  de  T.  S.  F.  à  PorqueroUes. 

Nous  l'avons  dit,  ces  craintes  ont  heureusement 
disparu  quant  à  l'île  de  PorqueroUes.  Mais  que  va-t-on 
faire  pour  l'île  de  Bréhat,  aujourd'hui  propriété  pres- 
que exclusive  du  juif  allemand  Kahn,  de  Francfort? 

Enfin,  on  affirme  qu'en  Corse,  les  Allemands  ont 


l'envahissement    en    BRETAGNE  211 

fait  récemment  leur  apparition  sous  la  forme  indus- 
trielle. Rien  de  plus  innocent,  en  apparence,  que  l'ex- 
ploitation des  admirables  forêts  de  châtaigniers  qui 
sont  une  des  parures  de  l'île  incomparable.  Mais 
derrière  cette  exploitation  pourraient  en  même  temps 
s'abriter  des  opérations  moins  innocentes. 

Cette  affinité  des  juifs  allemands  pour  les  îles  s'ex- 
plique :  celles-ci  constituent  des  emplacements  de 
choix  quant  aux  installations  do  télégraphie  sans  fil 
en  même  temps  que  des  points  stratégiques  impor- 
tants. 

Ceux  qui  ont  étudié  l' Avant-Guerre  savent  com- 
bien l'Allemand  est  expert  à  greffer,  sur  une  entre- 
prise en  apparence  pacifique,  une  surveillance,  puis 
une  occupation  du  sous-sol,  du  sol,  de  l'air  et  de 
l'eau,  puis  un  litige  diplomatique  ou  économique  à 
propos  de  cette  occupation.  Inlassablement,  la  race 
germanique  poursuit  ses  projets  à  double  fm  :  expan- 
sion, éhmination  d'autrui.  Pour  ne  pas  voir,  il  faut, 
ou  se  boucher  les  yeux,  ou  avoir  reçu  un  bouche-œil. 
L'inertie  de  la  République  en  face  de  ces  initiatives 
impudentes  n'a  que  deux  explications  qui  se  mêlent 
et  se  complètent  :  la  pleutrerie  et  la  cupidité. 


QUATRIEME  PARTIE 

LES    POINTS    STRATÉGIQUES 

LEUR  OCCUPATION 
PAR  LES  SUJETS  DE  GUILLAUME  U 


CHAPITRE   I 


GENERALITES 


Cette  étude  sur  «  l'Avant  Guerre  »  pourrait  avoir 
comme  sous-titre  immédiat  :  les  Allemands  aux 
points  stratégiques. 

Point  stratégique^  en  effet,  au  sens  large  du  mot, 
le  bureau  des  naturalisations  au  Ministère  de  l'Inté- 
rieur qu'occupe  le  juif  Jacques  Grumbach. 

Points  stratégiques  également,  les  Moulins  de  Cor- 
heil,  qu'occcupe  le  juif  allemand  Lucien  Baumann, 
ainsi  que  les  mines  de  fer  de  Normandie  avec  Jos  de 
Poorter  et  Thyssen  à  Diélette  et  dans  les  Hauts 
Fourneaux  de  Caen. 

Point  stragégique,  La-Motte-Breuil,  avec  les  Ignace 
Strauf,  M.  J.  C.  Ertel,  M.  Ch.  Plieninger. 

N'avons-nous  pas  dénoncé,  dans  tous  ces  points 
occupés  par  le  juif  ou  l'allemand,  de  redoutables  for- 
teresses dont  la  destination  n'échappe  qu'aux  yeux 
mal  excercés?  N'avons-nous  pas  arraché  à  l'ombre  où 
il  se  dissimulaient,  fort  mal  du  reste,  ces  ennemis 
installés  en  silence,  abrités  derrière  une  fonction 
officielle  ou  sous   le  couvert  d'opérations  commer- 


216  L*AVANT-GUERRE 

ciales  ?  Nous  les  avons  vus  pénétrer  au  cœur  du 
pays,  s'immiscer  dans  nos  affaires,  se  documenter, 
explorer,  poster  un  peu  partout  des  agents  qui  n'hé- 
siteront pas  à  faire,  le  cas  échant,  leur  devoir  patrio- 
tique. Ce  devoir  consistera  à  trahir  notre  hospitalité 
trop  généreuse.  Et  l'on  entendra  résonner  dans  nos 
villes,  plus  justifié  encore  qu'il  y  a  43  ans,  ce  cri 
sinistre  :  «  Nous  sommes  trahis.  » 

Mais  il  est  d'autres  points  stratégiques  qui  corres- 
pondent mieux  encore  au  sens  étymologique  du  mot, 
c'est-à-dire  ceux  que  Von  détermine  sur  un  plan  de 
campagne  pour  les  opérations  d'une  armée. 

La  situation  exceptionnelle  choisie  par  nos  voisins 
dans  certaines  régions  ne  saurait  être  le  pur  etïet  du 
hasard.  C'est  bel  et  bien  là  l'exécution  d'un  pro- 
gramme topographique  et  militaire  savamment  éla- 
boré. 

Ces  lieux  stratégiques  sont  situés  dans  le  voisinage 
des  forts  et  des  défenses  naturelles  ;  des  garages  et  en- 
branchements  et  principalement  des  voies  de  chemin 
de  fer  qui  seraient  utilisées,  au  moment  de  la  m,ohili- 
sation,  pour  la  coyicentration  et  le  transport  des 
troupes;  des  ports,  des  grands  dépôts  de  charbon  et 
d'outillage  militaire,  des  arsenaux,  de  certains  ca- 
naux, des  postes  de  télégraphie  sans  fil,  des  aque- 
ducs et  des  viaducs.  Ces  emplacements  sont,  en 
quelque  sorte,  les  ganglions  nerveux  de  ce  grand 
corps  armé  qu'est  la  Défense  Nationale.  Sabotés  ou 
détruits  par  l'ennemi,  il  en  résulterait  une  forte  per- 
turbation et  parfois  de  véritables  catastrophes. 

Comment,  me  direz- vous,  de  telles  choses  sont- 
elles  possibles?  Comment  les  autorités  locales,  com- 
ment les  autorités  supérieures  laissent-elles  des  Alle- 
mands procéder   à   ces  installations  si   menaçantes 


GÉNÉRALITÉS  217 

pour  la  Défense  Nationale?  Comment  personne  ne 
proteste-t-il?  A  quoi  servent  les  députés,  les  séna- 
teurs, les  inspecteurs  techniques?  Ma  réponse  sera 
bien  simple  :  à  boucher  les  yeux  du  pays.  Les  Alle- 
mands ont  le  maniement  du  parlementarisme  fran- 
çais. Ils  ont  le  maniement,  par  intimidation,  du  gou- 
vernement français.  A  Cherbourg,  ils  ont  mis  le 
député-maire  Mahieu,  socialiste,  dans  leur  poche. 
A  La  Motte-Breuil,  les  journaux  républicains  ont 
pris,  comme  un  seul  homme,  la  défense  de  l'usine 
allemande  qui  fournit  l'hydrogène  à  nos  dirigeables. 
Partout  en  France  il  y  a,  embusqué,  un  agent  électif 
français  ou  juif  du  clan  des  Ya,  que  manœuvre  l'Al- 
lemand, qui  vend  à  l'Allemand  la  clé  de  son  patelin, 
avec  la  manière  de  s'en  servir.  C'est  fou,  c'est  mons- 
trueux, mais  c'est  ainsi,  c'est  la  République. 

Nous  avons  exposé,  à  différentes  reprises,  le  plan 
général  de  sabotage  industriel  et  économique  soit 
direct  et  actif,  soit  par  abstention  et  passif,  qui  est 
certainement  dans  les  vues  du  grand  État-Major  de 
nos  voisins  et  que  nous  dénonçons  sous  toutes  ses 
formes.  Gêner  les  transports  et  les  approvisionne- 
ments, affamer  Paris,  détruire  les  travaux  d'art, 
éteindre  les  forts  de  l'Est  par  manque  de  combus- 
tible, rendre  les  dirigeables  inutilisables,  éclairer  la 
route  des  troupes  allemandes  vers  la  Capitale,  à  l'aide 
de  relais  d'apparence  inoffensive,  commerciale  et 
même  alimentaire,  utiliser  les  fermes  de  la  vallée  de 
la  Woëvre,  certains  dépôts,  les  chemins  de  fer  à  voie 
étroite,  les  canaux,  les  postes  secrets  de  télégraphie 
sans  fil  et  tout  l'outillage  de  la  paix,  —  soigneuse- 
ment germanisé,  —  en  vue  des  opérations  de  la 
guerre,  tel  est  le  but  de  cet  immense  réseau  étendu 
sur  notre    pays    depuis   l'Affaire  du  traître   Alfred 


218  l'avant-guerre 

Dreyfus   et  la  suppression  du  Bureau   des  Rensei- 
gnements. 

Le  schéma  général  de  cet  envahissement  progressif 
en  vue  de  l'invasion  m'apparaît  net  et  clair.  Je  me 
hâte  d'ajouter  qu'en  pareilles  matières,  ce  qui  est 
révélé  perd  la  moitié  de  son  péril  et  de  sa  nocivité, 
si,  du  moins,  le  ministère  de  la  Guerre  français  veut 
bien  tenir  compte  de  nos  révélations.  Il  est  très  facile 
de  contrôler  les  documents  que  j'étale  ici  et,  une  fois 
la  certitude  acquise,  de  prendre  des  mesures  en  con- 
séquence. Ce  qui  serait  criminel,  ce  serait  de  fermer 
les  yeux  et  de  se  boucher  les  oreilles,  afin  de  per- 
sister à  ignorer  la  vérité.  Mais  ce  serait  alors  aux 
patriotes  à  forcer  la  main  au  gouvernement. 

Dans  une  série  d'articles  très  remarqués,  publiés 
au  Correspondant  par  le  général  Maitrot,  le  danger 
que  présente  pour  la  défense  nationale  l'installation 
soit  d'usines,  soit  de  fermiers  allemands  à  proximité 
de  voies  ferrées  et  de  travaux  d'art,  ponts,  viaducs, 
aqueducs,  etc.,  est  exposé  d'une  manière  impres- 
sionnante. 

Cédons  la  parole  au  général  Maitrot  dont  la  grande 
compétence  en  ces  matières  est  reconnue  de  tous  : 

Les  deux  nations  sont  à  égalité,  au  point  de  vue 
transports  stratégiques  et  rapidité  de  concentration  : 
c'est  cette  égalité  que  nos  adversaires  chercheront  à 
rompre  en  leur  faveur. 

Mais  comment?  Pas  en  augmentant  le  nombre  de 
voies  de  concentration  déjà  existantes  en  Alsace-Lor- 
raine; il  semble  bien  qu'il  y  ait  saturation  sur  le  front 
considéré,  mais  en  ralentissant  par  des  destructions 
méthodiques  le  rendement  du  réseau  français.  Et  c'est 
ici  que  nous  entrons  dans  le  vif  du  sujet. 

Toutefois,  nous  demandons  tout  d'abord  au  lecteur  de 
vouloir  bien  se  figurer,  en  pensée,  le  spectacle  ofl'ert 


GÉNÉRALITÉS  219 

par  nos  voies  ferrées  au  début  d'une  guerre  ;  tout  le 
trafic  arrêté,  le  réseau  national  est  requis  par  Parmée, 
1.800  trains  de  troupes  vont  rouler  vers  la  frontière  de 
l'Est,  100  trains  par  corps  d'armée,  la  plupart  de 
50  wagons  et  longs  de  350  mètres.  Si  on  forme  5  trains 
d'éléments  d'armée  soitl.OOO  trains,  en  tout  2.800  trains. 
Et  il  n'y  a  pas  que  ces  trains  qui  suivent  les  lignes  de 
transport  aboutissant  à  la  zone  de  concentration,  il  y  a 
des  trains  d'approvisionnement  de  toutes  sortes  pour 
les  places  fortes,  pour  les  grands  centres  de  population. 

Le  ravitaillement  de  Paris,  en  dehors  du  ravitaille- 
ment journalier,  exigerait  8.000  trains  de  500  tonnes, 
aussi  confiera-t-on  les  deux  tiers  des  transports  aux 
canaux;  il  n'en  restera  pas  moins  2.600  trains  à  destina- 
tion de  Paris. 

Pendant  tout  le  temps  que  dure  la  concentration,  ces 
énormes  trains,  avons-nous  dit  plus  haut,  se  suc- 
cèdent de  vingt  en  vingt  minutes,  sur  les  lignes  à  double 
voie,  à  la  vitesse  de  trente  kilomètres  à  l'heure.  C'est 
un  mouvement  ininterrompu,  une  lente  montée  vers 
l'Est,  de  toutes  les  forces  vives  de  la  nation;  un  million 
d'hommes,  que  d'autres  qui  attendent  dans  les  dépôts 
s'apprêtent  à  suivre. 

S'imagine-t-on  l'effet  que  produirait  dans  cette  masse 
de  trains  un  accident  quelconque,  déraillement,  rup- 
ture de  pont,  éboulement  dans  un  tunnel,  etc.,  etc. 
C'est  l'arrêt  immédiat  sur  une  bonne  partie  de  la  ligne. 
Nous  savons  que  tous  les  cas  qui  pouvaient  être  pré- 
vus l'ont  été,  que  dans  le  plan  de  transport  on  a  étudié 
des  «  variantes  •>  dans  l'hypothèse  où  tel  ou  tel  ouvrage 
serait  détruit  :  on  détournera  les  trains  par  la  ligne  de 
X,  qui  n'est  pas,  ou  est  peu  utilisée,  et  on  rejoindra  la 
voie  initiale  de  la  station  de  Z,  etc.,  etc. 

Le  voilà,  le  danger  réel,  terrible  et  soyons  bien  con- 
vaincus que  les  Allemands  mettront  tout  en  œuvre  pour 
le  faire  naître  et  pour  provoquer  un.  désastre  irrépa- 
rable. 

N'en  doutons  pas,  les  ouvrages  à  détruire,  les  por- 
tions de  voies  à  faire  sauter  ou  àsaboter  sont  déjà  repé- 
rés, reconnus,  et  les  moyens  d'exécution  arrêtés  dans 
tous  leurs  détails. 


220  l'avant-guerre 

C'est  l'évidence  même,  et  les  Allemands  seraient 
bien  sots  s'ils  n'adaptaient  pas  à  ce  travail  de  repé- 
rage les  multiples  prises  qu'ils  ont  su  se  ménager  sur 
notre  territoire,  les  innombrables  facilités  que  leur 
donnent  les  points  de  contact  d'usines,  d'agences,  de 
mines,  de  quais  d'embarquement  et  de  débarquement, 
de  lignes  transatlantiques,  etc.,  etc.  Ce  qui  est  abo- 
minable, ce  qui  demeurera  devant  l'histoire  le  crime 
du  régime,  c'est  que,  sachant  cela,  il  ait  levé,  de  ses 
propres  mains,  les  barrières,  facihté  le  plan  alle- 
mand. 


Mais,  dira-t-on,  il  y  a  un  service  de  protection  des 
voies  ferrées  prévu  pour  tout  le  réseau;  de  plus,  cer- 
tains ouvrages  d'art  à  proximité  des  villes  de  garnison 
seront  gardés  par  des  postes  de  l'armée  active  que 
viennent  relever  des  postes  de  territoriaux. 

Voici  un  bateau  qui,  au  pas  lent  de  ses  deux  chevaux 
de  remorque,  s'avance  sur  le  canal  de  la  Marne  au 
Rhin.  Il  est  monté  par  un  honnête  équipage,  il  va  à 
Toulon  à  Bar-le-Duc  porter  un  convoi  de  bois  ou  quel- 
ques tonnes  de  farine.  Il  est  accompagné  d'un  con- 
voyeur militaire  qui  se  tient  en  tenue  près  du  patron. 
Les  papiers  sont  en  règle.  Rien  de  suspect,  rien  d'anor- 
mal. Soudain,  en  passant  sous  le  pont  du  chemin  de  fer, 
à  Sermaize,  ce  paisible  bateau  se  transforme  en  un 
volcan.  Sous  son  bois,  sous  ses  sacs  de  farine,  il  y 
avait  cinq  cents  kilos  de  dynamite.  Tout  a  sauté  : 
bateau,  attelage  et  pont  du  chemin  de  fer.  Voilà  la  voie 
coupée  sérieusement,  il  s'agit  d'une  grosse  réparation. 
Détourner  les  trains  sur  des  voies  latérales,  il  n'y  faut 
pas  songer,  on  est  au  deuxième  jour  de  la  mobilisation, 
tout  marche  à  plein.  C'est  l'arrêt  pour  combien  de 
jours  ! 

Nous  avons  cité  un  moyen  pour  «  réussir  un  acci- 
dent »;  nous  en  citons  dix  contre  lesquels  seront  désar- 
més les  gardes  de  la  voie. 

Qu'on  ne  crie  pas  au  roman,  à  l'invraisemblance,  tout 


GÉNÉRALITÉS  221 

ceci    n'est  que  trop  réel,   les   événements  le  prouve- 
ront. 

Quant  aux  hommes  nécessaires  pour  faire  ces  coups 
d'audace,  les  Allemands  n'en  manquent  pas,  ils  n'au- 
ront que  l'embarras  du  choix.  Il  y  a  leurs  officiers 
d'abord,  qui  circulent  comme  ils  l'entendent  dans  toute 
la  région  frontière,  qui  peuvent  faire  à  loisir  des  recon- 
naisances  et  qui,  lorsque  l'heure  aura  sonné,  seront 
heureux  de  risquer  leur  vie  dans  une  entreprise  qui 
doit  tourner  au  profit  de  la  patrie.  Il  y  a  ensuite  les 
trop  nombreux  Allemands,  qui  se  sont  tixés  dans  les 
6®  et  20^  corps,  et  dont  la  plupart  ont  des  missions  se- 
crètes qu'ils  sauront  accomplir  le  moment  venu. 

Nous  nous  rappelons  avoir  eu  entre  les  mains  une 
fiche  concernant  un  Allemand  qui  était  arrivé,  certain 
jour,  dans  un  village  deX.,  et  y  avait  acheté  une  petite 
ferme  toute  proche  d'un  important  ouvrage  d'art  de 
Nancy.  Cet  homme  recevait  un  volumineux  courrier  et 
vivait  sur  un  pied  que  ne  justifiaient  pas  les  maigres 
profits  qu'il  pouvait  tirer  de  sa  modeste  ferme.  C'était 
certainement  suspect  ;  il  ne  faisait  pas  de  doute  pour 
nous  qu'il  avait  une  mission,  celle  de  détruire  le  grand 
point  de  la  voie  avec  quelques  complices  qui  l'auraient 
rejoint  à  l'heure  fixée.  Le  gouvernement  français  pré- 
venu aurait  dû  l'expulser;  les  Allemands,  dans  un  cas 
analogue,  n'hésitent  pas  une  secotide.  On  s'est  borné  a 
l'inscrire  sur  le  registre  des  suspects  et  en  face  de  son 
nom,  on  a  écrit  gravement  :  «  A  arrêter  en  cas  de  mobi- 
bilisation  générale  1 

L'iiomme  est  peut-être  toujours  là.  Il  y  a  longtemps 
qu'il  aura  disparu,  et  que  le  pont  aura  sauté  quand  on 
viendra  pour  l'arrêter. 

Nous  sommes  entourés  d'espions  et  d'agents  secrets, 
et  nous  ne  faisons  rien  pour  nous  en  débarrasser.  Nous 
l'avons  déjà  dit,  nous  le  répétons,  et  nous  le  redirons 
encore  :  Les  Français  sont  incorrigil^les,  la  sévère  leçon 
de  1870  ne  leur  profitera  même  pas. 

Il  est  aisé  de  faire  observer  au  général  Maitrot  que 
le  gouvernement  de  la  République,  étant  celui  des 
juifs,  c'est-à-dire  de  la  trahison,  est  dans  sa  fonction 


222  l'avant-guerre 

en  tolérant  et  même  encourageant  les  espions  et  les 
agents  secrets.  Mais  encore  une  fois,  en  levant  tous 
les  masques,  nous  rendrons  la  tolérance  et  l'encoura- 
gement plus  difficiles. 

L'occupation  des  points  stratégiques  est  une  des 
formes  les  plus  habiles  et  les  plus  hardies  de  V Avant- 
Guerre. 

Comme  on  dit  en  escrime  et  en  tactique,  les  Alle- 
mands se  logent  en  attendant  l'occasion  de  nous 
attaquer  * . 

1.  Rendons  leur  cette  justice  qu'ils  le  font  avec  une  habileté 
remarquable.  Ils  savent  revêtir  les  masques  les  plus  inoffensifs. 
Voyez  plutôt  : 

Il  s'agit  du  fameux  trust  de  la  colle  forte  Scheidemandel, 
auquel  notre  confrère  Louis  Bruneau  a  consacré  un  chapitre  fort 
intéressant  de  son  enquête  de  la  Grande  Reçue.  Comme  je  l'ai 
maintes  fois  expliqué,  ce  trust  commercial  et  industriel  ne 
m'intéresse  pas  autrement  en  lui-même.  En  revanche,  ses 
applications  éventuelles  à  la  Défense  Nationale  —  situation 
des  locaux  par  exemple  —  m'intéresse  énormément.  De  même 
il  est  important  de  saisir  sur  le  vif  le  «  fregolisme  »  tudesque 
en  matière  de  sociétés: 

On  voit,  dans  les  Affiches  Parisiennes  du  28  mai  1911,  la 
création  de  la  Société  Française  de  l'Industrie  chimique  (An- 
ciens Établissements  Tancrède  et  Collette). 

Parmi  les  administrateurs  figurent  les  anciens  proprié- 
taires, M.  Willy  Heilpern,  avocat,  demeurant  à  Bruxelles,  rue 
Joseph  II,  numéro  60,  et  M.  Roemer,  ingénieur,  demeurant  à 
Paris,  rue  de  Flandre,  numéro  111. 

Voilà  une  façade  irréprochable  :  quel  est  l'acheteur  qui 
pourrait  se  douter  qu'il  traite  avec  le  groupe  allemand  Schei- 
demandel? 

Néanmoins,  si  on  va  au  greffe  du  Tribunal  consulter  la 
liste  des  premiers  actionnaires,  on  voit  qu'ils  ne  sont  que  sept 
ayant  souscrit  les  2,000  actions,  et,  sur  les  sept,  il  y  a  : 

Willy  Heilpern 200  actions 

Roemer , 200  actions 

Société  Scheidemandel 600  actions 

M.  Heilpern  a  eu   soin,  pour  la  circonstance,  de  se  déguiser 
en  avocat  belge,  demeurant  rue  Joseph  II,  numéro  60. 
Le  même  Heilpern  figurait    dans    l'annexe    du    Moniteur 


GÉNÉRALITÉS  223 

C'est  ainsi  que  l'Allemagne  s'est  installée,  sans 
coup  férir  : 

En  Normandie,  où,  nous  l'avons  vu,  elle  menace 
Cherbourg  où  demain  elle  aura  le  port  de  Diélette 
et  le  port  de  Caen,  où  ses  enclaves  sont  déjà  nom- 
breuses. 

En  Bretagne,  où  elle  commence  à  exploiter  les 
mines,  à  tenir  les  îles  (Bréhat). 

Elle  s'est  également  installée  dans  les  environs  im- 
médiats, dans  la  grande  banlieue  et  la  banlieue  de 
Paris. 

Da7is  la  vallée  de  VOise  et  da7is  le  Nord,  ce  sont  les 
forteresses  chimiques  et  industrielles  qui  prédomi- 
nent, de  préférence  le  long  des  voies  de  chemin  de 
fer,  aux  embranchements,  dans  le  voisinage  des 
ponts,   viaducs,    canaux,    parcs  aérostatiques.  Nous 

Officiel  belge  du  18  novembre  1910,  comme  représentant  de  la 
Société  anonyme  Centrale  de  Produits  Chimiques,  autre 
création,  «  anonyme  »  du  groupe  Scheidemandel.  —  11  est 
indiqué  dans  l'acte  comme  «  Willielm  Heilpern,  industriel, 
demeurant  à  Bruxelles,  rue  Joseph  II,  numéro  60  ». 

Quoique  le  prénom  allemand  Wilhelm  n'ait  pas  encore  été 
changé  en  Willy,  on  peut  le  supposer  industriel  belge. 

Si  on  remonte  plus  loin,  à  la  création  de  la  Société  ano- 
nyme centrale  de  Produits  chimiques  (Annexe  du  Moniteur 
Officiel  belge  du  31  décembre  1908),  on  voit  dans  les  fonda- 
teurs :  «  M.  le  docteur  Wilhelm  Heilpern,  représentant  la 
«  Zentralgesellschaft  fur  chemische  industrie,  établie  à  Berlin, 
«  Dorotheen  Strasse,  vl°^  43-44.  » 

Avec  quelle  habileté  ce  docteur  berlinois  s'est  tout  douce- 
ment transformé  en  industriel  belge,  puis  en  avocat,  pour 
opérer  en  France... 

Pourquoi  ces  masques  successifs  si  _ce  n'est  pour  égarer 
l'opinion  publique? 

Comment  diable  ces  a  herren  »  à  transformations  font-ils  pour 
s'y  reconnaître  dans  leurs  personnalités  successives?  Com- 
ment le  docteur-avocat  allemand-franco-belge  Wilhelm  Heil- 
pern ne  s'englue-t-il  pas  dans  ces  divers  pots  de  colle  vrai- 
ment forte? 


224  l'avant-guerre 

avons  signalé  les  dangers  de  cette  invasion  dans 
l'Oise  à  La  Motte-Breuil,  à  propos  de  la  fourniture  de 
l'hydrogène  pour  nos  ballons;  nous  verrons  d'autres 
cas  aussi  saisissants. 

Dans  VEst,  l'Avant-Guerre  allemande  a  une  prédi- 
lection pour  les  fermes,  en  raison  des  avantages  que 
celles-ci  présentent  au  point  de  vue  du  ravitaillement 
des  armées  en  marche. 

Cette  Avant-Guerre,  dans  la  région  du  Centre  de 
l'Est,  du  Nord-Est  et  du  Nord  de  la  France  revêt 
ainsi,  deux  aspects  distincts  : 

Elle  se  manifeste  : 

1°  Sous  la  forme  d'usines,  d'entreprises,  de  forte- 
resses industrielles. 

2°  Par  l'accaparement  progressif  des  fermes. 

Usines  et  fermes  sont  naturellement  installées 
à  proximité  des  voies  ferrées  et  des  travaux  d'art. 


CHAPITRE    II 


LES  ALLEMANDS  OCCUPENT  DE  VÉRITA- 
BLES FORTERESSES  INDUSTRIELLES, 
DANS  LE  CENTRE,  LE  NORD,  L'EST  ET 
LE  NORD-EST  DE  LA  FRANCE. 


1°   Dans  les  environs   de    paris,   dans    la   grande 
banlieue  et  dans  la  banlieue 

Ce  n'est  pas  la  région  la  plus  encombrée.  Ce  n'est 
pas  non  plus  la  plus  exposée,  du  moins  immédiate- 
ment, en  cas  de  guerre.  Par  contre,  les  établisse- 
ment allemands  de  toute  nature  deviennent  de  plus 
en  plus  denses  au  fur  et  à  mesure  que  Ton  s'appro- 
che de  la  frontière  de  l'Est. 

Transportons-nous  près  de  Paris  à  Puteaux,  sur  le 
quai  National. 

La  lampe  Osrara. 

Il  ne  s'agit  ici  que  d'un  phénomène  de  contiguïté  ; 
mais  vous  avouerez  qu'il  est  inquiétant,  quand  vous 

8 


226  l'avant-guerre 

saurez  qu'il  concerne  l'arsenal  où  se  fabrique  en 
secret  le  frein  du  75,  —  et  la  société  allemande  dite 
v<  la  Lampe  Osram  » . 

Voici  d'abord  ce  qu'est  la  Société  anonyme  de  «  la 
Lampe  Osram  »  ; 

Capital.  —  Un  million  deux  cent  mille  francs,  divisés 
en  2.400  actions  de  cinq  cents  francs  chacune,  dont 
1.645  entièrement  libérées,  attribuées  comme  prix  des 
apports. 

Durée.  —  Cinquante  années.  —  Objet  :  l'obtention, 
l'acquisition  et  l'exploitation  de  tous  brevets,  procédés 
et  secrets  de  fabrication,  concernant  l'électricité  en  gé- 
néral; l'acquisition  et  la  concession  des  licences  y  rela- 
tives; la  fabrication  et  le  commerce  de  lampes  électri- 
ques et  de  tous  autres  appareils  et  machines  concer- 
nant l'industrie  électrique,  etc. 

Conseil  d" Administi'ation  : 

Président.  —  M.  F.  Kalhnann. 
Administrateur  délégué.  —  ^I.  Richard  Heller. 
Membre.  —  M.  Cahen. 

Quant  à  l'arsenal  de  Puteaux,  il  est  de  toute  pre- 
mière importance  au  point  de  vue  de  notre  artillerie. 
J'aime  à  croire  que  la  surveillance  y  est  étroite; 
mais  vous  trouverez,  comme  moi,  extravagant  qu'il 
ne  soit  séparé  de  la  Lampe  Osram  que  par  la  rue 
Parmentier,  laquelle  est  une  étroite  petite  ruelle,  un 
simple  boyau. 

J'ajoute  que  le  haut  personnel  de  la  Lampe  Osram 
(M.  Arndt,  directeur  technique)  est  entièrement  alle- 
mand; que  certainsemployés  principaux  font,  comme 
il  est  naturel,  perpétuellement  la  navette  entre  Paris 
et  Berlin;  que  toutes  les  relations  verbales  entre  chefs 
ont  lieu  en  allemand^  de  sorte  que  les  ouvriers 
français  de  l'établissement  ne  peuvent  y  comprendre 


ÉTABLISSEMENTS    INDUSTRIELS    ALLEMANDS         227 

un  mot;  que  le  personnel  français  est  mené  à  la 
baguette;  qu'il  est  strictement  obligé  d'adbérer  à  la 
loi  des  retraites  ouvrières  ;  que  toutes  les  matières 
premières  viennent  d'Allemagne,  à  l'exception  des 
culots  de  lampe,  importés  de  Hollande. 

Il  est  d'autant  plus  remarquable  que  la  Lampe 
Osram  se  soit  installée  près  de  l'Arsenal,  que  sur 
d'autres  points  de  Puteaux^  et  non  loin  d'ailleurs 
de  l'emplacement  choisi,  abondaient,  au  moment  de 
l'installation,  des  terrains  disponibles  et  d'un  prix 
beaucoup  moins  élevé. 

La  Lampe  Osram,  payant  d'audace,  tout  comme 
la  fabrique  allemande  de  produits  chimiques  de  La 
Motte-Breuil^  a  demandé  l'autorisation  de  construire 
un  bâtiment  de  deux  étages,  en  bordure  et  au  coin 
de  la  rue  Voltaire  et  de  la  rue  Parmentier.  Elle  a 
fait  acheter  les  terrains  correspondants  et  entoure 
ainsi  complètement  l'annexe  de  l'arsenal.  De  plus, 
quand  la  construction  sera  effectuée,  le  personnel 
allemand  de  la  Lam.pe  Osrayn  ne  sera  séparé  des 
chambres  des  ordonnances  et  de  l'atelier  de  gonflage 
et  de  réparation  des  freins  du  75,  situés  au  premier 
étage  de  l'arsenal,  que  par  la  largeur  de  la  rue,  ou 
plus  exactement,  de  la  ruelle  Parmentier. 

Où  l'affaire  devient  encore  plus  singulière,  c'est 
qu'en  fait,  on  ne  fabrique  pas  de  lampes  Osram  à 
Puteaux.  Même,  les  lampes  à  réparer  sont  envoyées 
à  Berlin.  La  nécessité  d'une  aussi  vaste  et  coûteuse 
installation  s'explique  difficilement  pour  un  simple 
entrepôt. 

Ma  baguette  magique  m'a  permis  de  pénétrer 
dans  les  conseils  de  la  Lam,pe  Osram.  Je  sais  que  le 
directeur  allemand  de  la  Lampe  Osram,  M.  Arndt, 
a  recommandé  à  ses   employés,  si  l'on   venait  de- 


228  l'avant-guerre 

mander  des  renseignements  de  la  part  d'un  journal 
quelconque,  de  parler  français  et  de  se  dire 
FRANÇAIS.  Consigne  jdIus  facile  à  imposer  qu'à  exé- 
cuter. Mais  que  M.  Arndt  se  rassure.  Aucun  journal 
n'aura  l'indiscrétion  de  lui  poser  la  moindre  question 
sur  l'aimable  voisinage  qui  le  rapproche  ainsi  de 
notre  arsenal. 

Un  vol  d'une  caisse  d'objets  concernant  l'artillerie, 
en  gare  de  Surennes-Puteaux,  dans  la  matinée  du 
5  janvier  1912,  est  demeuré  entouré  de  mystère.  L'au- 
teur du  vol,  un  nommé  L...,  qui  demeurait  à  Su- 
resnes,  en  garni,  déclara  avoir  agi  sous  l'empire  de 
l'ivresse,  sans  savoir  même  ce  que  contenait  la 
caisse.  Il  n'en  fut  pas  moins  condamné  à  plusieurs 
mois  de  prison,  ce  qui  laisse  supposer  que  son  cas 
fut  jugé  grave  et  suspect. 

De  l'enquête  faite  par  quelques-uns  de  nos  amis 
de  Puteaux,  il  résulta  que  la  gare  de  marchandises 
de  Puteaux  était  mal  éclairée  et  qu'elle  n'était  pas 
gardée.  Tout  y  est  laissé  à  l'abandon,  même  les  wagons 
de  poudre,  si  mal  clos  qu'on  peut  lire  les  indications 
de  service  placées  à  l'intérieur.  Les  envois  impor- 
tants effectués  par  l'Arsenal  sont  généralement 
accompagnés  jusqu'à  la  gare  par  un  ou  plusieurs 
factionnaires.  Mais  une  fois  là,  personne  ne  s'en 
occupe  plus.  C'est  l'incurie,  d'autant  plus  coupable 
qu'il  pourrait  en  résulter  des  catastrophes. 

L'Administration  de  la  Guerre  a  esquissé  une  vague 
réponse  quant  au  vol  commis,  sur  le  quai,  de  la 
caisse  renfermant  des  pièces  secrètes  du  nouveau 
canon.  11  y  a  bien  eu  «  tentative  de  vol  >>,  mais  il 
s'agissait  de  différents  éléments  du  matériel  d'ar- 
tillerie, qui  ne  seraient  «  ni  secrets  ni  même  confi- 
dentiels ». 


ÉTABLISSEMENTS    INDUSTRIELS    ALLEMANDS         229 

Simple  amusette,  sans  doute  pour  passer  le  temps 
dans  une  gare  que  n'éclairaient  pas  les  filaments 
électriques  de  la  lampe  Osram. 

Savourons  maintenant  les  lignes  suivantes  du  rè- 
glement de  cette  Lampe  Osranij  contiguë  à  notre 
arsenal,  et  dont  les  employés  allemands  frayent,  — 
dans  les  cabarets  du  voisinage,  —  avec  les  ouvriers 
dudit  arsenal  *. 

«  Le  personnel  est  rendu  attentif  du  fait  qu'il  lui  est 
rigoureusement  interdit  de  communiquer  à  des  tiers 
des  renseignements  quelconques  sur  l'installation  et 
les  méthodes  de  fabrication  de  l'usine.  Il  ne  devra  être 
fait  aucun  dessin,  croquis,  ni  aucune  note  relative  à 
l'installation  de  l'usine  ou  à  la  fabrication.  L'inobserva- 
tion de  ces  recommandations  serait  de  nature  à  l'expo- 
ser à  des  poursuites  judiciaires.  •> 

Je  prie  l'administration  de  la  Lampe  Osram  de 
vouloir  bien  remarquer  la  plaisante  ironie  du  rè- 
glement. Je  rends  mes  lecteurs  &  attentifs  au  fait  » 
que  cette  méfiance  serait  encore  bien  plus  légitime 
de  la  part  de  l'arsenal  militaire,  alors  qu'à  deux  pas 
de  cette  boutique  allemande,  au  premier  étage  des 
bâtiments  de  l'arsenal,  dans  une  pièce  donnant  sur 
la  rue  Parmentier,  se  trouve  l'atelier  de  gonflage  et 
de  préparation  des  freins  du  75.  J'ajoute,  pour  l'édi- 
fication de  tous,  que  le  directeur  général  de  la 
Lampe  Osram.,  M.  Richard  Heller,  est  allemand,  que 

1.  A  l'angle  de  la  rue  Parmentier  et  du  quai  National,  se 
trouve  un  petit  restaurant,  où  se  rencontrent,  comme  il  est 
naturel,  des  ouvriers  et  employés  allemands  de  la  Lampe 
Osram  et  des  ouvriers  de  l'arsenal.  C'est  ainsi  qu'un  de  nos 
amis  a  vu  un  jour,  de  ses  propres  yeux,  quelques  employés  de 
l'usine  allemande  cherchant  à  griser  un  ouvrier  de  l'arsenal, 
lequel,  d'ailleurs,  ne  se  laissa  pas  faire.  Le  fait  peut  être  inn 
cent.  Il  peut  ne  pas  l'être. 


230  l'avant-guerre 

le  directeur  commercial,  M.  Bruder,  est  allemand, 
que  le  directeur  technique,  M.  Arndt,  est  allemand, 
que  les  principaux  contremaîtres  sont  allemands, 
ont  fait  ou  vont  faire  leur  service  militaire  en  Alle- 
magne, que  toutes  les  relations  verbales  entre  chefs 
se  font  en  allemand,  que  les  matériaux  et  outils 
viennent  d'Allemagne...,  et  cela  est  tout  naturel. 

Ce  qui  l'est  moins,  c'est  ce  voisinage  immédiat 
d'un  arsenal  contenant  d'importants  secrets  mili- 
taires et  d'une  usine  allemande;  c'est  la  promiscuité 
qui  en  résulte;  c'est  l'atmosphère  étrange  qui  règne 
à  Puteaux,  et  dont  le  vol  de  la  nuit  du  5  janvier  1912 
n'est  pas  le  moins  inquiétant  symptôme. 


2*^    A    CORBEIL 

J'ai  insisté,  dans  le  chapitre  consacré  à  Lucien 
Baumann,  sur  l'importance  que  devaient  avoir,  au 
moment  de  la  mobilisation,  les  Grands  Moulins  de 
Corbeil  et  sur  les  conséquences  désastreuses,  incal- 
culables, qu'entraînerait,  à  cette  heure  critique,  un 
simple  arrêt  dans  leur  fonctionnement. 

J'ai  également  montré  quel  danger  offrait  la  pré- 
sence d'un  juif  allemand  à  la  tête  de  ces  moulins. 

Parmi  les  bons  Français  qui  ont  tenu  à  m'apporter 
leur  contribution,  un  homme  des  plus  compétents 
m'a  signalé  qu'un  poste  allemand  intallé  à  Corbeil 
peut  paralyser,  en  une  seule  nuit,  les  gares  sui- 
vantes : 

Juvisy  (Jonction  de  l'Orléans,  du  P.-L.-M.  et  de  la 
Grande-Ceinture)  ; 

Villeneuve-Saint-Georges  (Jonction  du  P.-L.-M.  et  de 
la  Grande-Ceinture); 


ÉTABLISSEMENTS    INDUSTRIELS    ALLEMANDS         231 

Melun  (avec  ses  voies  de  grande  ligne,  ses  quatre 
voies  entre  Montereau  et  Paris); 

Moret  (Isolant  le  Bourbonnais); 

Montereau  (Détruisant  la  liaison  P.-L.-M.  et  Est  par 
la  ligne  Montereau-Flamboin). 

Au  sujet  de  Melun,  laissez-moi  vous  conter  une 
histoire  que  je  tiens  d'un  officier  et  dont  l'exactitude 
est  absolue.  Il  existait  à  Melun,  avant  1870,  une  bras- 
serie du  nom  de  Barthel,  qui  n'employait  en  majeure 
partie  que  des  ouvriers  et  employés  allemands.  Sur- 
vint la  guerre.  Quand  les  uhlans  arrivèrent  en  vue 
de  la  ville,  quels  étaient  les  éclaireurs  des  premiers 
escadrons  qui  dévalèrent  les  pentes  de  Melun?...  Ce 

FURENT  TOUS  d'aNCIENS  OUVRIERS  ET  EMPLOYÉS  DE  LA 
BRASSERIE  BaRTHEL  QUI  CONNAISSAIENT  ADMIRABLEMENT 
LE  TERRAIN  ET  QUI  FURENT  RECONNUS  PAR  LES  HABI- 
TANTS. 

Or,  depuis  cette  époque,  à  la  brasserie  Barthel,  a 
succédé  dans  la  même  ville,  la  brasserie  Grûber,  reliée 
à  la  voie  ferrée  du  P.-L.-M.  qu'elle  domine  comme 
une  véritable  forteresse  et  qui  a  sa  maison  mère  à 
Strasbourg.  Mon  correspondant  ajoute  que  cinquante 
pour  cent  des  employés  de  cette  brasserie  Grùber 
sont  des  Allemands,  se  donnant  plus  ou  moins  pour 
des  Alsaciens,  et  vont  à  tour  de  rôle  accomplir  leur 
période  militaire  en  Allemagne.  La  proportion  fût- 
elle  beaucoup  moindre  que  le  danger  n'en  resterait 
pas  moins  grand. 

La  brasserie  Grùber  pourrajt  m'objecter  qu'elle 
est  alsacienne,  ayant  sa  maison-mère  à  Strasbourg, 
que  ses  employés  Allemands  ou  naturalisés  Français, 
ce  qui  ne  leur  retire  en  rien  leur  qualité  d'Allemands, 
sont  d'excellents  Français,  capables  au  besoin,  tout 
comme  nos  déserteurs  juifs,  «  d'aller  se  faire  trouer 


232  l'avant-guerre 

la  peau  à  la  frontière  ».  Je  lui  répliquerai  que  le  pré- 
cédent de  la  brasserie  Barthel  est  joliment  fâcheux,  et 
qu'une  bonne  surveillance  administrative  et  militaire 
me  rassurerait  plus  que  les  protestations  trop  inté- 
ressées des  intéressés. 

Quant  à  la  ligne  de  Montereau-Flamboin,  c'est  le 
type  du  chemin  de  fer  stratégique.  Quelques  hommes 
décidés,  munis  des  explosifs  nécessaires  —  et  ce 
n'est  pas  ce  qui  inanque  dans  les  sociétés  de  produits 
chimiques  allemandes  —  quelques  «  officiers-ingé- 
nieurs »  de  réserve  ou  d'activé  allemande,  en  faisant 
sauter  les  aiguilles  des  gares  ci-dessus  désignées,  en- 
traveraient gravement  la  mobilisation.  Ne  souriez 
pas,  messieurs  les  Juifs  et  les  dreyfusards.  On  sou- 
riait aussi,  en  1869,  quand  quelques  patriotes  éclai- 
rés s'efforçaient  de  mettre  en  garde  leurs  concitoyens. 
C'est  ainsi,  pour  rester  dans  ces  mêmes  régions,  que 
la  destruction  des  écluses,  à  Moyitereau  et  à  Moret, 

SUPPRIMERAIT  TOUTE  COMMUNICATION  FLUVIALE  AVEC 
LE    CENTRE    ET    ISOLERAIT     NOTAMMENT     l'aRSENAL     DE 

Bourges  des  armées  de  l'Est,  en  coupant  les  'rou- 
tes d'eau. 

Donc,  on  ne  saurait  trop  insister  sur  l'importance 
de  la  ligne  Montereau-Flamboin,  qui  met  en  commu- 
nication la  ligne  de  Lyon  et  celle  de  l'Est  et  permet- 
trait, en  cas  de  guerre,  de  diriger  vers  la  frontière, 
par  Troyes,  des  troupes  venant  de  la  région  lyonnaise, 
du  Dauphiné,  ou  de  la  Bourgogne,  par  exemple.  Sur 
le  plan  de  mobilisation  qui  est  au  ministère  de  la 
Guerre,  ces  itinéraires  et  ces  transports  sont,  bien 
entendu,  prévus  d'avance. 

Or,  en  quittant  Montereau,  cette  ligne  stratégique 
vers  Flamboin  et  Troyes  franchit  l'Yonne  sur  un 
pont  connu  sous  le  nom  de  Pont  dé  Moscou.  Contigue 


ÉTABLISSEMENTS    INDUSTRIELS    ALLEMANDS         233 

AU  PONT  DE  Moscou,  INDISPENSABLE  AU  TRANSPORT  DES 
1  ROUPÉS  DANS  LES  CONDITIONS  QUE  JE  VIENS  d'iNDIQUER, 
SB  TROUVE  UNE  USINE  DE  PRODUITS  CHIMIQUES.  CeTTE 
USINE,  QUI  APPARTENAIT  JADIS  A  l'industrie  FRANÇAISE, 
EST  TOMBÉE,  DEPUIS  PLUSIEURS  MOIS,  AUX  MAINS  DE 
l'industrie  ALLEMANDE,  DES  FRERES  W.-E.  MeRCK, 
MARQUE     BIEN     CONNUE     ET    DES     PLUS     IMPORTANTES    *. 

Cette  usine,  qui  est  encore  à  la  période  d'installation 
et  d'infiltration,  n'emploie,  jusqu'à  présent,  que  quel- 
ques contremaîtres  allemands.  Néanmoins,  les  frères 
Merck  font  déjà  venir  d'Allemagne  les  ingénieurs, 
employés  et  ouvriers  qui  leur  sont  nécessaires  pour 
la  réparation  de  leurs  machines  allemandes. 

J'admets  que  les  frères  Merck  aiment  ardemment 
la  France,  qu'ils  se  fassent  même  naturaliser  Fran- 
çais à  quarante  ans,  comme  Lucien  Baumann;  il 
n'en  demeure  pas  moins  à  craindre  qu'un  de  ces 
agents  du  patriotisme  militaire  allemand,  comme  il 
y  en  a  des  centaines  et  des  centaines,  qu'un  sous- 
officier  ou  officier  de  l'armée  allemande,  grimé  en 
ingénieur  ou  en  employé  pour  la  circonstance,  ne 
s'occupe  du  pont  de  Moscou  beaucoup  plus  que  de 
produits  chimiques.  Si  le  pont  de  Moscou  saute, 
deux  heures  après  la  déclaration  de  guerre,  il  ne 
faudra  pas  trop  s'en  étonner.  Je  répète  que  l'usine 
allemande  est  contiguë  au  pont.  Le  seul  établisse- 
ment proche  est  en  face,  sur  l'autre  rive  de  l'Yonne, 

1.  Le  Pont  de  Moscou  n'est  séparé  de  ces  dangereux  éta- 
blissements que  par  un  grillage  en  bois  de  1  m.  80  de  haut.  Il 
est  creusé  de  cavités  destinées  à  l'écoulement  des  eaux  de 
pluie,  mais  capables  aussi  de  recevoir  une  forte  quantité 
d'explosifs.  Rien  ne  serait  plus  facile  à  une  personne  mal 
intentionnée  que  de  faire  sauter  cet  ouvrage  indispensable. 
Rappelons  ici  qu'a  l'alerte  de  1905,  il  est  passé  sur   ce 

PONT     DE    Moscou     PLUS     DE    CEN'l'    TRAINS     DE    MUNmONS.    Ce 

chiffre  démontre  son  utilité. 


234  l'avant-guerre 

un  réduit  appelé  la  Machiiie  Fixe,  donnant  sur  le 
chemin  de  halage.  C'est  dire  que  la  surveillance  est 
nulle  et  que  l'usine  Merck  est  en  fait  maîtresse  du 
Pont  de  Moscou. 

De  plus  la  maison  Merck  est  en  relations  constan- 
tes d'affaires  avec  une  autre  usine  de  produits  chi- 
miques allemande  que  nous  connaissons  bien  :  celle 
deLa  Motte-Breuil,  succursale  elle-même  de  l'usine 
Elektron  de  Griesheim  Bitterfeld.  Ces  deux  maisons 
se  tiennent  comme  les  deux  doigts  de  la  main. 

N'est-ce  pas  une  coïncidence  saisissante  que  ces 
deux  fabriques  de  produits  chimiques,  relevant  de 
l'industrie  allemande  toutes  deux,  se  trouvent  comme 
par  hasard  installées,  l'une  à  côté  du  parc  d'aérosta- 
tion  de  La  Motte-Breuil,  fournissant  l'hydrogène  à 
nos  dirigeables,  l'autre  à  côté  du  Pont  de  Moscou  et 
d'unede  nos  voies  stratégiques  les  plus  importantes? 

Il  était  à  prévoir  que  les  forteresses  chimiques  al- 
lemandes s'entr'aidaient.  Mais  je  n'imaginais  tout 
de  même  pas  que  leurs  rapports  fussent  tellement 
étroits.  La  coïncidence  de  leur  établissement  simul- 
tané en  de  semblables  endroits  n'en  est  que  plus 
saisissante. 

Par  ailleurs,  on  m'a  signalé  la  présence  d'une  usine 
allemande  suspecte  dans  le  voisinage  du  pont  d'È- 
pinay. 

Des  patriotes  ont  également  déniché  à  Nanterre, 
—  région  infestée  d'Allemands,  —  une  usine  alle- 
mande située  sur  les  bords  de  la  Seine,  a  deux  cents 
MÈTRES  A  PEINE  DU  PONT  DE  BEZONS,  voic  principale 
des  chemins  de  fer  venant  de  Normandie  à  Paris 
Saint-Lazare.  Cette  maison  fabrique  du  papier  à 
musique  et  imprime  des  partitions  musicales.  Elle  a 
un  bureau  à  Paris,  un  autre  à  Berlin,  un  autre  à 


ÉTABLISSEMENTS    INDUSTRIELS    ALLEMANDS         235 

Leipzig.  Le  directeur  de  l'usine  de  Nanterre  serait  un 
Allemand  du  nom  de  Ditzel.  Le  sous-directeur,  un 
autre  Allemand  du  nom  de  Friederich.  Depuis  que 
ces  messieurs  sont  en  fonctions,  les  ouvriers  français 
sont  éliminés  un  par  un,  sous  des  prétextes  divers,  — 
suivant  la  méthode  allemande,  —  et  remplacés  par 
des  Allemands.  Sur  la  centaine  d'ouvriers  que  compte 
l'usine,  il  n'y  aurait  plus  qu'une  quarantaine  de  Fran- 
çais. 

Voici  plusieurs  mois  qu'à  Gargan-Villemomble,  on 
était  fortement  intrigué  par  une  usine  allemande, 
située  sur  la  ligne  {station  avenue  Magne)  appartenant 
à  la  maison  allemande  Hélios,  —  Société  anonym.e 
française  de  produits  chimiques  et  photographiques, 
sise  22,  rue  de  Bondy,  à  Paris.  Au  moment  d'Aga- 
dir, tout  le  haut  personnel  de  cette  usine  s'éclipsa, 
paraît-il.  Elle  avait  adjoint  une  blanchisserie  à  ses 
produits  photographiques,  et  cette  installation  oné- 
reuse surprenait  fort  les  habitants,  vu  la  concur- 
rence forcément  victorieuse  des  blanchisseries  voi- 
sines de  Boulogne  et  de  Billancourt.  Celles-ci,  en 
effet,  ont  à  leur  avantage  la  proximité  du  fleuve  et 
les  écoulements  nécessaires.  L'usine  en  question 
était  située  a  2  kilomètres  environ  de  Noisy-le- 
Sec,  embranchement  des  lignes  d'Avricourt  et  de 
Strasbourg,  la  ligne  de  Gargan,  sur  laquelle  se 
trouvait  ce  bâtiment,  relie  les  lignes  du  Nord  et 
de  l'Est,  elle  était  enfin  a  environ  trois  kilo- 
mètres du  fort  de  Rosny-sous-Bois  et  a  peu  près  a 

LA  même  distance  DU  FORT  DE  ROMAINVILLE. 

On  relevait  dans  le  conseil  d'administration  de  la 
Helios,  les  noms  du  baron  de  Pflugk  et  de  J.  Weh- 
renpfennig,  mort  depuis.  Le  baron  de  Pflugk  est 
une  personnalité  des  plus  entreprenantes  et  des  plus 


236  l'avant-guerre 

importantes.  Sa  famille  a  une  haute  situation  à  la 
cour  de  Saxe.  Ancien  officier  de  l'armée  allemande 
et  des  plus  estimés,  il  dut  quitter  le  service  à  la 
suite  de  nombreuses  blessures  reçues  au  cours  de 
campagnes  coloniales.  Il  n'en  faisait  pas  moins,  en 
raison  de  ses  affaires,  de  nombreux  voyages  en  Alle- 
magne, et  il  était  bien  connu  et  apprécié  dans  la 
région  de  Gargan,  où  il  conversait  volontiers  avec 
l'habitant  1. 

J'ajoute  que  la  maison  Hélios  n'eut  pas  à  se  plaindre 
de  l'hospitalité  française,  si  j'en  crois  son  prospectas  : 

«  Méthode  des  formolateurs  Hélios,  expérimentée 
conformément  au  décret  du  7  mars  1903,  par  le  comité 
consultatif  d'hygiène  publique  de  France,  et  autorisée 
officiellement,  sur  le  rapport  favorable  de  ce  comité, 
par  décisions  ministérielles  des  9  février  et  24  dé- 
cembre 1904,  » 


VOise. 

L'Allemagne  a  en  quelque  sorte  monopolisé,  depuis 
vingt  ans,  l'industrie  chimique  industrielle  et  phar- 
maceutique. Il  serait  excessif  sans  doute  de  prétendre 

1.  Le  24  octobre  1912,  quelques  jours  après  la  publication  dans 
VAction  Française  de  ces  renseignements,  je  reçus  la  visite, 
—  la  première  de  ce  genre  —  du  baron  de  Pflugk,  ex-offîcier 
de  l'armée  allemande,  que  j'avais  ainsi  mis  en  cause.  Fort  cour- 
toisement, le  baron  de  Pflugk  m'assura  que  la  Hélios  était 
dissoute  et  que  l'établissement  n'existait  plus.  Il  me  donna 
aussi  des  explications  satisfaisantes  sur  ses  fréquents  voyages 
en  Allemagne  pendant  son  séjour  en  France.  Il  voulut  bien 
reconnaître  que  la  situation  actuelle  était  paradoxale  et  qu'il 
était  fort  légitime  qu'un  patriote  français  s'inquiétât  d'un 
pareil  état  de  choses.  Par  ailleurs,  il  n'eut  à  démentir  aucun 
des  renseignements  que  j'avais  reproduits. 


ÉTABLISSEMENTS    INDUSTRIELS   ALLEMANDS         237 

qu'elle  avait,  dès  le  début  de  cette  extension,  ses 
visées  sur  nos  travaux  d'art  et  nos  voies  de  mobilisa- 
tion. Mais  il  serait  stupide  de  ne  pas  voir  que,  là 
comme  ailleurs,  l'Allemagne  a  fait  servir  son  déve- 
loppement industriel  à  son  plan  militaire,  a  greffé 
sur  l'envahissement  économique  un  plan  d'invasion 
par  les  armes.  C'est  exactement  de  la  même  façon 
que  les  entreprises  minières  en  Normandie  de 
Thyssen-Krupp  permettent  à  l'empire  allemand  de 
créer  chez  nous  des  enclaves  aussi  périlleuses,  aussi 
scandaleuses  que  le  «  Gibraltar  allemand  »,  par 
exemple,  que  le  port  de  Diélette. 

Chose  à  remarquer,  les  fabriques  de  produits  chi- 
miques allemandes  foisonnent  surtout  dans  la  vallée 
de  l'Oise  dans  les  départements  du  Nord  et  de  l'Aisne. 
La  vallée  de  l'Oise,  est  infestée  d'usines,  de  fabriques 
et  d'installations  allemandes. 

La  Dépêche  de  VOise  va  me  dire  que  cela  fait  la 
fortune  de  la  région.  Je  lui  demanderai  si  elle  sait 
que  le  loyer  des  maisons  ouvrières  de  l'usine  alle- 
mande, à  Trosly-Breuil,  par  exemple,  est  de  192  fr. 
par  an.  Ces  maisons  ne  sont  pas  luxueuses,  loin  de 
là.  Elles  seraient  exemptes  d'impôts,  grâce  à  de  mys- 
térieux protecteurs.  Cependant  que  dans  d'autres 
cités  ouvrières  du  voisinage,  certainement  plus  con- 
fortables, le  loyer  de  maisons  appartenant,  celles-là, 
à  l'industrie  française,  ne  serait  que  de  99  francs  par 
an.  En  d'autres  termes,  les  Allemands  s'arrangent 
toujours,  comme  les  Juifs  leurs  compères,  pour  faire 
d'excellentes  affaires,  même  avec  la  «  vilandrobie  ». 

Je  reviens  à  la  vallée  de  l'Oise.  Aux  prévisions  des 
meilleurs  auteurs  allemands,  cette  vallée  sera, dans  la 
prochaine  guerre,  une  des  voies  de  pénétration  de  leurs 
armées.  Est-ce  pour  cela  que  les  Allemands  ont  eu  soin 


238  l'avant-guerre 

de  la  jalonner  de  points  d'appui  d'apparence  inoffen- 
sive, tels  que  fabriques  de  pâte  de  paille,  de  pâte  de 
bois,  de  couleurs  d'aniline...,  ou  demi-inolïensive, 
tels  que  dépôts  alimentaires  d'un  genre  particulier, 
sociétés  d'électricité,  etc.,  etc.?  Il  ne  faut  pas  oublier 
que  Creil,  par  exemple,  est  sinon  un  point  straté- 
gique au  sens  militaire  du  mot,  du  moins  une  des 
bifurcations  les  plus  importantes  de  la  ligne  du  Nord. 
Il  y  a  là,  non  seulement  au  point  de  vue  industriel  et 
commercial,  mais  aussi  au  point  de  vue  de  la  Défense 
Nationale,  un  foisonnement  germanique  préalable  des 
plus  inquiétants.  Dans  la  région  de  l'Est,  nous  le  ver- 
rons, nos  ennemis  occupent  dès  maintenant  aux  bons 
endroits,  des  fermes  et  établissements  agricoles. 
Dans  la  vallée  de  l'Oise,  leurs  repères  —  ou,  si  vous 
préférez,  leurs  repaires  —  sont  actuellement  indus- 
triels. Les  Aliemands  se  prémunissent  non  seulement 
en  complicités  patriotiques  —  par  leurs  compatriotes 
installés  chez  nous  —  mais  encore  en  matériaux  et 
en  personnel  de  remplacement.  Il  saccageront  l'in- 
dustrie française,  l'approvisionnement  français.  Ils 
laisseront  intacts  l'industrie  allemande,  l'approvision- 
nement allemand  en  France,  certains  qu'à  cette 
heure-là,  leur  industrie  et  leur  approvisionnement 
nationaux  ne  fonctionneront  plus  que  pour  eux,  qu'à 
leur  profit  exclusif. 

La  gare  de  Creil  est  un  véritable  nœud  du  réseau 
du  Nord,  où  s'opère  une  quadrifurcation  des  lignes 
ferrées. 

Quatre  voies  divergent,  en  effet,  de  Creil  vers  l'Ouest, 
le  Nord  et  le  Nord-Eàt.  Elles  atteignent  respectivement 
Persan-Bpaumont,  Beauvais,  Saint-Just  et  Amiens, 
Compiègne  et  Ternier.  Ces  deux  dernières  commandent, 
à  elles  seules,  presque  tout  le  réseau  du  Nord. 


ÉTABLISSEMENTS    INDUSTRIELS    ALLEMANDS         239 

La  voie  de  Saint-Just-Amiens  se  bifutque  à  Saint- 
Just,  atteignant,  à  droite,  par  Monididier  et  Cljaulnes, 
le  secteur  Cambrai-Denain-Anzin-Valenciennes;  à  gau- 
che, par  Amiens,  les  secteurs  Boulogne-Calais,  Arras- 
Lens-Bétliune-Dunkerque,  Douai-Lille. 

La  voie  de  Compiègne-Tergnier  atteint,  par  Busigny, 
la  région  de  Maubeuge,  où  elle  se  bifurque  sur  Bruxelles 
d'une  part,  sur  Liège  de  l'autre. 

Beauvais  et  Persan-Beaumont  ont,  par  la  voie  directe 
du  Tréport,  un  dégagement  sur  Paris,  qui  ne  dépend 
pas  de  la  gare  de  Creil.  De  même  les  lignes  de  Pon- 
toise,  à  l'Ouest,  et  de  Laon  à  l'Est  sont  indépendantes 
de  Creil.  Mais  à  part  ces  exceptions,  peu  importantes, 
tout  le  transit  du  réseau  du  Nord  vers  Paris  se  fait  par 
Creil. 

Creil  commande  notamment,  outre  la  route  franco- 
anglaise  la  plus  directe  et  la  plus  promptement  par- 
courue, par  Boulogne-Folkestone  et  Calais-Douvres,  les 
communications  de  Paris  :  avec  Dunkerque,  premier 
port  français  exposé  aux  coups  de  la  flotte  allemande, 
et,  qui  sait?  à  un  débarquement;  avec  la  région  de 
France  la  plus  industrielle  et  la  plus  riche  en  mines 
(Béthune,  Lens,  Douai,  Lille,  Denain,  Anzin,  Valen- 
ciennes,  Maubeuge);  avec  Bruxelles  et  la  Belgique  occi- 
dentale. Creil  commande  également  une  des  voies  d'in- 
vasion d'Allemagne  en  France  par  Liège. 

Creil  est  plein  d'usines  allemandes,  d'ingénieurs  alle- 
mands, de  contremaîtres  allemands,  d'ouvriers  alle- 
mands ^. 

Voici,  par  exemple,  la  Compagnie  générale  d'élec- 
tricité de  Creil  2. 

Cette  société  est  seule  concessionnaire  des  brevets 

1.  Ces  lignes  ont  paru  dans  V Action  Française  quotidienne 
du  3  octobre  1912  sous  la  signature  de  notre  collaborateur, 
J.  Graveline, 

2.  Au  moment  de  mettre  sous  presse,  nous  avons  publié, 
dans  le  numéro  de  V Action  Française  du  19  février  1913,  les 
lignes  suivantes  qui  complètent  et  corroborent  nos  renseigne- 
ments sur  la  Compagnie  d'électricité  de  Creil  : 

La    «    Compagnie    générale  d'électricité  «   de    Creil   vient 


240  l'avant-guerre 

et  procédés  allemands  Siemens-Schuckert.  M.  Von 
Siemens  lui-même,  et  M.  Natalis,  des  établissements 
Siemens-Schuckert  font  partie  de  son  conseil  d'ad- 
ministration. Elle  affirme  qu'elle  renferme  très  peu 
de  personnel  technique  allemand.  Son  directeur  a 
indiqué  à  un  de  nos  amis  une  proportion  très  faible. 
N'y  aurait-il  qu'un  Allemand  sur  cent  ouvriers  et 
employés  que  ce  serait  encore  un  de  trop  dans  une 
telle  région.  Car  les  ouvriers  de  cette  usine  traver- 
sent quatre  fois  par  jour  la  voie  pour  aller  à  Creil  et 
rentrer  à  l'usine. 

Ici  encore,  comme  dans  tous  les  cas  semblables, 
ce  fut  l'élimination  de  l'élément  français  et  son  rem- 
placement par  une  collaboration  allemande  ou  juive 
(Assemblée  extraordinaire  du  5  mars  1912.  Compa- 
gnie générale  d'électricité  de  Creil). 

Le  groupe  allemand  de  ladite  société  avait,  après 
plusieurs  essais,  reconnu  l'utilité  de  nommer  des 
administrateurs  français.  11  possédait  d'ailleurs,  outre 
la  qualité  de  créancier,  la  grande  majorité  du  capital 
investi  depuis  l'origine.  Ce  qui  fit  que  sur  une  ques- 

d'acquérir  tout  récemment  des  héritiers  A...,  pour  ses  agran- 
dissements,   UN    TERRAIN    LONGEANT  LA   VOIE  FERRÉE    ET  SITUÉ 

A  l'entrée  de  la  GARE  DE  Creil.  Ce  terrain  est  délimité  d'un 
côté  par  les  établissements  Daydé  et  l'installation  antérieure 
de  la  Siemens-Schuckert,  de  l'autre  par  la  rue  de  Gournay, 
au  lieu  dit  «  la  vallée  de  Montatairc  ».  Il  est  d'une  contenance 
de  7.000  mètres  environ.  L'ancienne  voie  de  raccordement  le 
longe  pour  une  part,  et,  pour  une  autre  part,  le  traverse. 

Pendant  ce  temps,  VÉc/w  de  Paris  des  frères  Simond  dé- 
couvre «  l'invasion  commerciale  allemande  en  France  )>,  sans 
souffler  mot,  bien  entendu,  de  l'Avant-Guerre.  Quand  on  ne 
veut  pas  parler  du  poj-t  de  Diélette,  on  se  rabat  sur  la  «  guerre 
aux  poupées  >i.  On  pousse  des  cris  d'alarme  en  première 
page  sur  l'augmentation  des  effectifs  allemands,  mais  on  évite 
d'expliquer  aux  lecteurs  à  quelle  fin  tend  cette  augmentation  : 

A  LA  COLONISATION    DE  LA   FRANCE    PAR    l'AlLEMAGNE,   ni  pluS, 

ni  moins. 


ÉTABLISSEMENTS    INDUSTRIELS    ALLEMANDS         241 

tion  d'accord  avec  un  autre  établissement  industriel, 
—  dont  le  détail  serait  ici  fastidieux,  —  l'intransi- 
geance hautaine  des  Allemands  se  donna  libre  cours 
et  aboutit  à  la  démission  des  quatre  administrateurs 
français.  M.  de  Marisy,  président  du  conseil  d'admi- 
nistration, donna  lecture  en  son  nom  et  en  celui  de 
ses  collègues  français,  d'une  déclaration  des  plus 
instructives,  dont  je  détache  et  signale  les  passages 
suivants  : 

Quoi  qu'il  en  soit,  dès  que,  grâce  à  nos  efforts,  les 
affaires  de  la  Compagnie  de  Creil  eurent  pris  une  meil- 
leure tournure,  l'ingérence  allemande  dans  la  direction 
prit  un  caractère  de  plus  en  plus  accusé  et  dangereux. 

Des  ingénieurs  allemands  furent  envoyés  à  l'usine; 
ils  correspondirent  directement  avec  Berlin,  et  leurs 
rapports  se  traduisirent  par  des  observations  qui  pla- 
çaient les  chefs  de  service  responsables  dans  une  situa- 
tion pénible  vis-à-vis  des  agents  étrangers,  leurs  subor- 
donnés. Des  comptables  allemands  venaient  bouleverser 
notre  comptabilité;  des  inspecteurs  modifiaient  nos 
inventaires,  enfin,  une  puissance  occulte  paralysait 
constamment  notre  gestion;  les  bureaux  de  Berlin  ont 
été  jusqu'à  dicter  des  ordres  de  service  au  personnel  de 
l'usine  de  Creil  ! 

Suit  l'exposé  du  point  litigieux,  puis  la  finale  qui 
ne  manque  pas  de  pathétique  : 

Aussi,  ce  parti  pris  du  groupe  allemand,  de  réduire 
les  administrateurs  français  à  un  rôle  limité,  consis- 
tant simplement  à  enregistrer  les  décisions  prises  à 
Berlin,  sans  que  nous  puissions  accomplir  librement 
noti'e  mandat,  qui  est  de  veiller  sur  tous  les  intérêts 
sociaux,  et  non  pas  seulement  sur  ceux  de  la  majorité, 
nous  a  amenés  à  résigner  nos  fonctions  d'administra- 
trateurs. 

En  outre,  et  puisque  le  groupe  allemand  prétend  diri- 
ger seul  et  sans  contrôle  les  affaires  sociales,  nous  esti- 
mons qu'il  est  plus  logique  de  conférer  en  droit  à  ce 


242  l'avant-guerre 

groupe,  ce  qu'il  revendique  en  fait.  En  conséquence,  et 
après  que  les  droits  de  la  minorité  des  actionnaires,  et 
ceux  des  porteurs  de  parts  bénéficiaires  auront  été  une 
fois  pour  toutes  liquidés  par  une  personnalité  indépen- 
dante, tel  un  mandataire  de  justice,  nous  estimons 
qu'il  y  a  lieu  de  mettre  ledit  groupe  définitivement  et 
seul  en  possession  de  l'actif  social. 

N'est-ce  pas  que  cela  est  saisissant?  Partout  où 
l'Allemand  s'installe  en  France,  que  ce  soit  dans  une 
mine,  dans  un  Grand  Moulin,  dans  un  commerce, 
dans  un  routage,  dans  une  fabrique,  il  n'a  plus  qu'un 
but  :  dominer  l'actionnaire  français,  éliminer  le  col- 
laborateur français,  que  celui-ci  soit  administrateur, 
employé,  chef  de  bureau  ou  simple  ouvrier,  et  il  le 
brime  et  il  l'humilie  et  il  le  combat  jusqu'au  moment 
où  celui-ci,  lassé,  préfère  donner  sa  démission,  lais- 
sant le  champ  libre  à  l'envahisseur.  Ainsi  le  tour  est 
joué.  Ainsi  l'essai  de  «  francisation  »  aboutit  réguliè- 
rement, invariablement  à  une  germanisation  totale, 
à  une  mainmise  définitive.  L'Allemand  n'admet  en 
principe  qu'un  seul  collaborateur,  le  juif,  parce  que 
celui-ci  est,  depuis  quarante-deux  ans,  son  fourrier 
en  France  et  parce  qu'il  sait  que  le  juif  ne  commen- 
cera à  le  trahir  que  le  jour  où  la  victoire,  — j'entends 
la  militaire,  la  seule  qui  compte,  —  aura  passé  du 
camp  allemand  au  camp  français.  Jusque-là,  le  juif, 
surveillé  par  l'Allemand,  sera  l'auxiliaire  fidèle  de 
l'Allemand,  que  ce  soit  (tel  le  Kapitaine  Dreyfus), 
dans  les  bureaux  du  ministère  de  la  Guerre  français, 
ou  dans  les  conseils  d'administration  de  sociétés  de 
pénétration  judéo-allemandes,  au  Congo,  au  Maroc, 
à  Corbeil,  à  Paris. 

Citons  encore  à  Creil  l'usine  du  Tremblay. 

Cette  usine  se  trouve  située  aux  bords  de  l'Oise  à 


ÉTABLISSEMENTS    INDUSTRIELS    ALLEMANDS         243 

deux  kilomètres  environ  de  Creil  et  sur  des  terrains 
qui  occupent  une  superficie  de  deux  hectares.  Son 
directeur  est  M.  Burckan,  et  son  personnel  comprend 
deux  cent  cinquante  ouvriers,  les  ingé^iieurs  et  les 
chimistes  étant  pour  la  plupart  de  iiationalité  alle- 
mande. 

Ce  dernier  fait  a  été  signalé  dans  un  des  articles 
de  M.  Georges  Bruneau,  à  la  Grande  Revue.  M.  Bru- 
neau,  dans  son  étude,  a  été  amené  à  s'occuper  de  la 
Compagnie  parisienne  des  couleurs  d'aniline,  qui 
n'est  qu'une  filiale  des  anciens  établissements  Meister 
Lucius  et  Bruning. 

La  Maison  mère  de  Hoëchst  garde  aujourd'hui, 
comme  par  le  passé,  l'entière  direction  de  l'entreprise 
française.  Elle  est  également  propriétaire  de  l'usine 
du  Tremblay,  à  Creil. 

Dans  V Aisne  et  dans  le  Nord. 

A  trois  kilomètres  de  la  gare  de  Tergnier,  sur  le 
réseau  du  Nord,  dont  l'importance  stratégique  est 
de  premier  rang  et  à  deux  kilomètres  de  la  ville  for- 
tifiée de  la  Fère,  existe  une  importante  aciérie,  ré- 
cemment créée  par  des  Français  au-dessus  de  tout 
soupçon  et  d'une  parfaite  honorabilité  sous  le  nom 
d'  «  Aciérie  et  Laminoirs  de  Beautor.  »  Elle  aurait 
pourtant  comme  directeur  un  allemand  M.  Christian, 
venu  des  usines  Krupp  et  un  sous-directeur  égale- 
ment allemand  :  M.  Schwartz. 

Bien  entendu  ces  messieurs  auraient  amené  avec 
eux  un  personnel  technique,  ingénieurs  et  contre- 
maîtres, en  partie  allemand.  C'est  leur  droit.  Mais 
c'est  aussi  le  mien    de   remarquer  que  cette  usine 


244  l'avant-guerre 

ainsi  germanisée  est  malheureusement  fort  mal  située 
au  point  de  vue  de  notre  intérêt  national. 

Il  est  certain  qu'en  cas  de  mobilisation,  la  ten 
tation  serait  forte,  pour  un  Allemand  patriote  et 
décidé,  officier  ou  sous-ofticier  de  la  landwehr,  d'uti- 
liser au  sabotage  de  la  voie,  des  aiguilles,  des  com- 
munications télégraphiques  et  téléphoniques,  les 
outils  que  la  métallurgie  met  à  sa  disposition.  Il  est 
à  craindre  qu'à  ce  moment-là,  MM.  Christian  et 
Schwartz,  de  si  bons  sentiments  industriels  et  fran- 
cophiles qu'on  les  suppose  animés,  n'apportent  un 
zèle  fort  modéré  à  empêcher  des  accidents  aussi  pré- 
judiciables à  la  mobilisation  française,  aussi  favo- 
rables à  l'invasion  allemande. 

De  tous  côtés,  depuis  que  l'attention  du  public 
patriote  est  éveillée  sur  ce  point,  on  me  dénonce  de 
semblables  voisinages,  des  juxtapositions,  «  travaux 
d'art  français  —  usine  allemande  »,  «  gare  d'em- 
branchement français  —  usine  allemande  »,  qui 
provoquent  les  mêmes  légitimes  appréhensions.  La 
chimie  industrielle  est  une  belle  chose,  mais  quand 
c'est  un  adversaire  qui  l'exerce  chez  nous,  elle  de- 
vient vite  une  chose  redoutable.  Nous  sommes,  nous 
Français,  grâce  au  gouvernement  de  la  République 
Bismarck-Dreyfus,  dans  la  situation  d'un  monsieur 
qui  hébergerait  chez  lui,  comme  cuisinier  ou  phar- 
macien, son  pire  ennemi,  qui  l'entendrait,  du  matin 
au  soir,  piler  ses  drogues  meurtrières,  arsenic,  aco- 
nitine,  cyanure,  etc.,  et  songerait  avec  mélancolie  : 
«  Pourvu  qu'il  n'en  mette  pas  dans  mon  potage!  » 

Le  Français  est  si  peu  méfiant!  La  région  de  Douai 
est  infestée  d'espions  allemands.  La  raison  en  est, 
outre  l'importance  stratégique,  qu'à  Douai  se  trouve 
la  brigade  d'artillerie  du  premier    corps,    corps  de 


ÉTABLISSEMENTS    INDUSTRIELS    ALLEMANDS         245 

couverture,  un  de  ceux  qui  auraient  à  subir  le  pre- 
mier choc  d'un  ennemi  arrivant  par  la  Belgique.  Il 
y  a  à  Douai  une  quantité  considérable  de  matériel 
d'artillerie,  des  quais  d'embarquement  et  des  papiers 
intéressant  la  mobilisation  de  toute  cette  artillerie. 

Or  on  m'écrit  qu'à  côté  d'un  quartier  régimentaire 
—  que  je  juge  inutile  de  spécifier  —  se  trouvent,  vers 
l'extrémité  de  la  ville,  un  terrain  d'exercices  et,  au 
bout  de  ce  terrain,  loin  des  sentinelles,  une  masure. 
Cette  masure  isolée  n'est  gardée  que  par  un  homme 
QUI  couche  dans  une  chambrette,  ayant  a  coté  de 
LUI  un  mousqueton.  Pourtant,  elle  renferme, 
mêlés  a  du  petit  matériel,  plusieurs  débouchoirs 

DE   guerre. 

Mon  correspondant  ajoute  :  «;  Rien  ne  serait  plus 
facile  que  de  pénétrer,  la  nuit,  dans  cette  bicoque, 
sans  que  ni  la  sentinelle  du  parc,  ni  les  sentinelles  des 
poudrières,  ni  le  personnel  de  V infirmerie  s'aper- 
çoivent de  quoi  que  ce  soit,  de  bâillonner  ou  d'assom- 
mer le  gardien,  avant  ciiCil  ait  pu  pousser  un  cri,  et 
d'eni'porter  un  de  ces  débouchoirs  que  V Allemagne 
recherche  avec  tant  d'ardeur...  Qu'on  se  rappelle 
V histoire  du  caporal  Deschamps  et  de  ses  mitrail- 
leuses. »  Il  suffira  évidemment  de  signaler  ce  fait 
aux  autorités  compétentes  pour  qu'il  y  soit  porté 
remède  aussitôt.  Je  le  répète  :  l'espion  allemand  et 
JUIF- allemand  fourmille  dans  la  région  DE  DouAi. 


En  Seine-et-Marne: 

Près  de  Coulommiers,  à  Chaufïry,  s'élève  une  fa- 
Ijrique  de  celluloïd  qui  a  des  succursales  à  Viileta- 
neuse  (Seine)  et   à  Geilles   {Ain).    La  manufacture 


246  L*AVANT-GUERRE 

générale  est  à  Oyonnax  {Ain).  Cette  société  serait 
judéo-allemande.  Elle  aurait  pour  directeurs  effectifs 
MM.  Neumann  et  Marx.  Comme  par  hasard,  à  Chauf- 
fry,  l'usine  se  trouve  proche  de  la  ligne  stratégique 
de  Paris  à  Vitry-le-François  par  Coulommiers,  Ferté- 
Gaucher  et  Sézanne.  Pas  plus  que  pour  Siemens 
Schuckert,  je  ne  dis  que  Neumann  et  Marx  ont  comme 
unique  pensée  la  destruction  de  nos  voies  ferrées  au 
jour  de  la  mobilisation.  Mais  j'affirme,  avec  la  der- 
nière vigueur,  que  des  forteresses  électro-chiniiques 
allemandes  ou  judéo-allemandes,  dans  des  points  vi- 
taux au  point  de  vue  de  la  Défense  Nationale,  font 
courir  à  notre  pays  un  grave  péril. 


Dans  VEure. 

Tout  près  de  la  gare  de  Serquigny  se  serait  ins- 
tallée récemment  une  fabrique  allemande  de  nitrates 
de  serium. 

En  Champagne. 

Poursuivant,  au  cours  de  ces  dernières  années, 
leur  envahissement  méthodique  et  tenace  de  la 
France,  les  Allemands  ont  inondé  la  Champagne. 
Après  avoir  d'abord  fabriqué  chez  eux,  à  l'aide  de 
mixtures  innommables,  uneffroyablejus,  élégamment 
baptisé  par  eux  «  Champagne  allemand  »,  ils  ont 
compris  que  cette  falsification  trop  sommaire  n'aurait 
pas  de  succès,  même  auprès  de  leurs  compatriotes. 
Et  Dieu  sait  cependant  si  l'Allemand  est  ignorant  en 
matière  de  vins  !  C'est  même  lorsqu'il  a  la  prétention 


ÉTABLISSEMENTS    INDUSTRIELS  ALLEMANDS         247 

de  s'y  connaître  et  de  déguster,  qu'il  est  de  beaucoup 
le  plus  drôle...  Aussi  de  grandes  maisons  allemandes 
se  sont-elles,  depuis  plusieurs  années,  installées  en 
Champagne  même,  pour  y  faire  le  commerce  de  ces 
crus  célèbres,  jadis  richesse  de  la  région. 

Il  est  bien  clair  que  les  maisons  de  Champagne 
allemandes  songent  surtout  aux  nécessités  de  leur 
commerce  et  que  leur  but  ne  saurait  être  l'espion- 
nage. Mais  il  est  évident  aussi  qu'au  moment  d'une 
crise  internationale  et  en  cas  de  mobilisation,  le 
gouvernement  allemand  utiliserait  ces  prises  com- 
merciales et  industrielles,  qu'il  possède  en  territoire 
français,  comme  centres  de  surveillance  et  d'espion- 
nage. C'est  en  ce  sens  que  lesdites  installations  font 
partie    du  système  de  l' Avant-Guerre. 

Les  très  rares  personnes  qui  m'ont  écrit  en  faveur 
des  forteresses  industrielles  allemandes  campées 
chez  nous,  n'ont  eu  que  ces  deux  pauvres  argu- 
ments : 

1°  La  preuve  que  cette  maison  allemande  n'est 
pas  dangereuse,  c'est  que  j'ai  mis  de  l'argent  dedans. 
Or,  je  suis  aussi  patriote,  aussi  bon  Français  que 
quiconque; 

2°  En  faisant  travailler  l'autochtone,  cette  maison 
allemande  collabore  à  la  richesse,  au  bien-être  du 
pays. 

Le  premier  argument  prouve  seulement  la  légè- 
reté ou  la  cupidité  de  celui  qui  l'emploie.  Le 
second  est  une  mauvaise  raison  d'esclave  qui  pré- 
fère l'acceptation  à  la  révolte.  La^  rançon  de  cinq 
milliards  en  71  —  on  exigerait  le  quadruple  aujour- 
d'hui —  a-t-elle  collaboré  aussi  au  bien-être  du  pays 
de  France  ? 

Ce  sont  là  de  misérables  défaites. 


248  l'avant-guerre 

Donc,  la  maison  allemande  Henkell  de  Biebrich 
Wiesbaden,  vient  d'acquérir  à  Reims,  pour  son  com- 
merce de  Champagne,  un  terrain  dont  je  dirai  qu'il 
est  trop  bien  placé.  Il  se  trouve,  en  effet,  à  quelques 
mètres  du  point  le  plus  important  de  la  voie  ferrée 
entre  les  ponts  Huet  et  de  la  Hussette.  Des  fenêtres 
de   l'entrepôt  en   voie    d'achèvement,  les  employés 

HABITUELS  OU  OCCASIONNELS  POURRONT  SURVEILLER 
TOUS  MOUVEMENTS  DE  TRAINS  MILITAIRES  SUR  LES  TROIS 
DIRECTIONS    DE  ReIMS  A  ChALONS,  A  ChARLEVILLE  ET  A 

Laon.  C'est  le  professeur  Paul  Bonaltz,  de  Stuttgart, 
qui  a  fourni  les  plans  de  cette  «  kolossale  »  installa- 
tion. 

A  quelques  pas  de  là,  se  trouvent  les  Docks 
Rémois j  où  seraient,  en  cas  de  mobilisation,  concen- 
trées les  ressources  et  denrées  de  toute  la  ville.  Un 
peu  plus  loin  et  en  allant,  sur  la  carte,  circulairement 
de  gauche  à  droite  :  le  parc  d'artillerie,  les  casernes 
Drouet  d'Erlon  et  de  Neufchâtel,  le  champ  d'aviation 
m.ilitaire,  les  magasins  de  fourrages  militaires,  les  lits 
m,ilitaires  et  enfin  les  docks  de  concentration  militaire. 

En  RÉSUMÉ,  LES  ENTREPOTS  HeNKELL  OCCUPENT  LE  NŒUD 
VITAL    ET    STRATÉGIQUE    DE    ReIMS.    Si    CCttC    situatioU 

unique  est  l'effet  du  hasard,  on  peut  dire  que  le 
hasard,  en  cette  circonstance,  a  bien  servi  les  intérêts 
allemands.  Les  docks  Henkell  vont  constituer,  en 
effet,  le  meilleur  observatoire  militaire  de  Reims. 

Je  n'ai  pas  entendu  dire  que  M.  Henkell,  de  Bie- 
brich, soit  en  instance  de  naturalisation  française; 
mais,  au  cas  où  cela  serait,  mes  observations  ne  s'en 
trouveraient  pas  modifiées  d'un  iota.  J'estime  qu'il  y 
a  là  une  situation  susceptible  d'alarmer  tous  les  pa- 
triotes, et  je  ne  vois  pas  sans  frémissement  l'illustra- 
tion réclame  de  la  maison  allemande  dans  Das  EchOy 


ÉTABLISSEMENTS    INDUSTRIELS    ALLEMANDS         249 

organe  des  Allemands  en  pays  étranger.  Cette  vignette 
représente  le  cours  du  Rhin  :  sur  une  rive,  les  maga- 
sins Henkell,  à  Biehrich.  Sur  l'autre,  les  docks 
Henkeli,  à  Reims.  Un  gigantesque  compas,  sur 
lequel  est  écrit  Henkell  Trocken,  rejoint,  par  ses  deux 
branches  chevauchant  le  fleuve,  la  maison-mère  en 
terre  allemande  et  la  filiale  en  territoire  français. 
J'ajoute  que  la  fabrication  du  vin  se  fait  à  Rewis  et 
la  mise  en  bouteilles  à  Biehrich.  D'où  un  va-et-vient 
perpétuel  de  matériel  et  de  personnel. 

Toujours  à  JReims,  près  du  canal,  au  sud  de  la 
ville,  on  me  signale  une  autre  installation  allemande, 
dont  le  directeur.  M,  Max  Haenlé,  passe  pour  avoir 
le  grade  de  lieutenant-colonel  de  uhlans.  Je  n'ai 
eu  aucune  confirmation  directe  de  ce  fait  qui  n'a  pas 
non  plus  été  démenti,  malgré  la  vente  intensive  de 
ï Action  Française  à  Reims. 

Passons  maintenant  de  Reims  à  Châlons. 

Il  y  a  deux  ans,  un  Allemand  du  nom  de  Ullrich, 
demeurant  à  Annweiler  (Palatiriat),  a  transporté  de 
Nancy,  35,  faubourg  Stanislas,  à  Châlons,  sa  fabrique 
de  mesures  linéaires.  Il  a  construit  à  Châlons,  Chaus- 
sée du  port,  une  usine  où  travaillent  des  Français, 
mais  aussi  des  Allemands  et  que  dirige  un  Allemand, 
M.  Schulté. 

Cette  usine  est  à  deux  kilomètres  environ  de  trois 
ponts  qui  se  touchent  presque,  sur  la  Marne,  le  canal 
et  un  autre  petit  cours  d'eau.  La  ligne  de  chemin  de 
fer  de  Châlons-Batilly-Metz,  par  Verdun,  passe  sur 
ces  trois  ponts.  Cette  usine  est  aussi  a  un  kilomètre 
DU  quai  militaire  d'embarquement. 

Je  ne  dis  pas  que  MM.  Ullrich  et  Schulté  feront 
sauter  eux-mêmes  ces  trois  ponts  ;  mais  la  situation 
de  leur  usine  allemande  n'en  serait  pas  moins  une 


250  l'avant-guerre 

menace  en  temps  de   mobilisation.   Car,  l'un  de  ces 

PONTS    DÉTRUIT,   CE  SERAIT    l'lMPUSSIBILITÉ    ABSuLUE    DE 

diriger  des  troupes,  par  chemin  de  fer,  sur 
Verdun  et  la  frontière,  vers  JBriey,  Tuionville 
ET  Metz. 

En  Franche-Comté 

Le  long  de  la  voie  ferrée  qui  va  de  Montbéliard  à 
Besançon,  à  Colombier-Fontaine,  se  trouvent  les  Fon- 
deries de  VEst,  autrement  dit  l'usine  allemande 
Schwiedessen  et  Krebs.  Il  y  a  là,  dans  un  site  des 
plus  importants  au  point  de  vue  de  la  mobilisation, 
un  certain  nombre  de  cités  ouvrières,  construites 

PAR  les  fonderies,   HABITÉES  ET  PEUPLÉES,   EN  PARTIE, 
PAR  DES  OUVRIERS  ET    DES    CONTREMAITRES   ALLEMANDS. 

Les  personnes  qui  s'intéressent  à  ces  études  n'ont 
qu'à  se  procurer  la  carte  114  d'état-major  (type  1889) 
pour  Montbéliard.  Elles  y  trouveront,  en  bas,  à  gau- 
che, la  situation  de  Colombier-Fontaine. 

Peu  de  jours  après  que  j'avais  signalé  dans  V Action 
Française  la  redoutable  installation  allemande  de 
Schwiedessen  et  Krebs  à  Colombier-Fontaine,  je 
reçus  deux  lettres  bien  naïves  et  qui  prouvent  l'aveu- 
glement de  très  braves  gens  sur  la  question  de  l'es- 
pionnage. Ou  m'y  assurait  que  M.  Schwiedessen 
était  en  instance  de  naturalisation  et  qu'il  faisait  beau- 
coup de  bien  dans  le  pays.  Et  puis  après  ?  La  natu- 
ralisation est  le  truc  habituel  des  Allemands  instal- 
lés en  France  et  des  juifs  allemands  ou  polonais,  qui 
ont  besoin  de  ce  papier,  délivré  par  le  juif  Grum- 
bach,  pour  conduire  en  paix  leurs  manigances. 

La  naturalisation   laisse    à   l'Allemand  ses  droits 


ÉTABLISSEMENTS    INDUSTRIELS    ALLEMANDS         251 

allemands,  son  cœur  allemand,  son  instinct  allemand, 
et  au  juif  étranger  sa  juiverie,  sa  propension  ethnique 
à  trahir.  Que  M.  Schwiedessen  soit  un  très  bon  Alle- 
mand, je  n'en  disconviens  pas;  qu'il  adore  la  France, 
c'est  encore  possible.  Maison  quoi  cela  empêchera-t-il 
un  contremaître  allemand  ou  un  officier  allemand 
habillé  en  contremaître  de  l'usine  de  Colombier-Fon- 
taine d'être  tout  porté,  le  jour  de  la  déclaration  de 
guerre,  grâce  à  la  fonderie  Schwiedessen,  pour  faire 
sauter  une  partie  de  la  voie  ferrée  et  paralyser  le 
transport  de  nos  troupes  ? 

Le  17  janvier  1913,  nous  avons  reçu  de  M.  J. 
Maître,  conseiller  général  de  Morvillars  et  «  principal 
intéressé  dans  l'usine  de  Colombier-Fontaine»,  la 
lettre  suivante. 

Bien  que  M.  J.  Maître  ne  nous  en  eût  point  de- 
mandé l'insertion  dans  V Action  Française,  en  raison 
de  l'importante  personnalité  de  son  auteur  nous  avons 
tenu  à  la  publier  intégralement. 

Morvillars,  17  janvier  1913. 

Monsieur  Léon  Daudet, 
Action  Française. 

Je  suis  informé  que  vous  avez  publié  il  y  a  quelque 
temps  deux  ou  trois  articles  extrêmement  violents  con- 
tre une  afr'aire  industrielle  de  la  région,  la  Société  des 
Fonderies  de  l'Est,  Schwiedessen  Krebs  et  C'«,  à  Co- 
lombier-Fontaine. 

Je  n'ai  pas  vu  ces  articles,  mais  il  paraît  que  cette 
afï'aire  e^t  représentée  comme  une  entreprise  exclusive- 
ment allemande,  ayant  eu  pour  but  d'installer  au  voisi- 
nage de  points  stratégiques  des  Allemands  prêts  à  faire 
sauter  nos  ponts  et  nos  voies  ferrées. 

En  qualité  de  principal  intéressé  et  seul  commandi- 
taire de  cette  affaire,  je  tiens  à  vous  dire  que  vous  avez 


252  l'avaint-guerrb 

été  très  mal  renseigné  et  qu'un  journal  est  coupable  de 
foncer  aveuglément^  sans  savoir  ce  quil  avance^  sur 
des  travailleurs  qui  ont  apporté  l'activité  et  l'aisance 
dans  un  coin  de  France. 

MM.  ScJiwiedessen  et  Krebs  sont  bien  réellement 
sujets  allemands,  mais  libérés  de  toute  obligation  mili- 
taire et  depuis  longtemps  en  instance  de  naturalisation 
française^  ayant  aujourd'hui  tous  leurs  intérêts  en 
France.  Ils  y  ont  été  amenés  par  une  vieille  maison 
française...,  pour  y  exploiter  des  procédés  spéciaux  de 
fabrication  de  moulage  d'acier.  C'est  cette  maison  qui  a 
fourni  tous  les  fonds  et  qui  a  créé  l'usine.  Je  me  suis 
trouvé  amené  par  la  suite  à  prendre  sa  place  comme 
commanditaire,  avec  le  concours  d'une  grande  naison 
de  banque  française,  et  il  ny  a  pas  10  OjO  d'argent 
étranger  dans  l  affaire.  La  proportion  d'ouvriers  étran- 
gers est  à  peine  aussi  forte,  malgré  le  voisinage  de  la 
frontière.  Toutes  les  affaires  se  font  en  France,  et  je  me 
demande  vraiment  ce  que  la  France  a  à  perdre  à  voir 
cette  industrie  spécia'e  vivre  et  prospérer  sur  son  sol  au 
profit  de  capitaux  et  d'ouvriers  presque  exclusivement 
français,  au  lieu  de  se  développer  à  l'étranger  comme 
tant  d'autres. 

Je  me  crois  aussi  bon  patriote  et  d'aussi  bonne  souche 
française  que  qui  que  ce  soit,  et  je  trouve  absolument 
grotesque  et  déplacé  que  vous  présentiez  cette  entre- 
prise purement  industrielle  comme  une  trahison  natio- 
nale. 

J'ajoute  que  j'ai  été  pendant  assez  longtemps  un  lec- 
teur de  r  Action  Française  :  je  l'ai  quittée  à  cause  de 
la  violence  de  ses  polémiques  personnelles  inconsidé- 
rées. Je  constate  à  regret,  qu'elle  a  encore  fait  des  pro- 
grès dans  la  voie  du  parti  pris  et  des  attaques  injustes. 
C'est  un  étrange  moyen  de  propagande  pour  ses  idées. 

Veuillez  agréez,  Monsieur,  mes  sincères  salutations. 

J.  Maître,  conseiller  général. 

Je  répondis  à  M.  Maître,  conseiller  général  de 
Morvillars  : 

1°  Qu'il  eût  bien  fait  de  lire  préalablement  les  ar- 


ÉTABLISSEMENTS    INDUSTRIELS    ALLEMANDS         253 

ticles  au  sujet  desquels  il  emploie  des  épithètes 
«  grotesques  et  déplacées  ».  Il  faut  une  singulière 
légèreté  d'esprit  pour  tenter  de  réfuter  des  critiques 
dont  on  n'a  pas  pris  connaissance.  C'est  là  «  foncer 
aveuglément,  sans  savoir  ce  que  l'on  avance  ». 

2'*  Que  l'instance  de  naturalisation  de  MM.  Schwied- 
essen  et  Krebs,  motivée  si  évidemment  par  l'intérêt 
de  leur  entreprise,  comme  celle  de  Lucien  Baumann, 
des  Grands  Moulins  de  Corbeil,  n'était  pour  moi 
qu'une  raison  de  plus  de  me  méfier.  M.  Maître, 
conseiller  général,  ne  connaît  certainement  pas  la 
loi  allemande,  en  particulier  Vamendemént  Dêlbruck, 
qui  fait  de  la  naturalisation  un  simple  artifice  au  bé- 
néfice de  l'espion  envahisseur,  laissant  à  celui-ci  tous 
les  avantages  de  sa  nationalité  allemande.  Qu'il  lise 
à  ce  sujet  ledit  amendement  dans  le  texte,  et  il  sera 
édifié. 

o°  Que  la  faible  proportion  d'ouvriers  étrangers  — 
proportion  qui  ne  fera  sans  doute  que  croître  et  em- 
bellir —  était  encore  beaucoup  trop  forte  aujourd'hui, 
à  Colombier- Fontaine,  eu  égard  à  la  défense  natio- 
nale. M.  Maître  serait  sans  doute  bien  embarrassé 
pour  me  citer,  en  Allemagne,  le  paradoxe  équivalent 
d'une  vSociété  française  de  ce  type,  dirigée  par  des 
Français,  avec  une  partie  du  personnel  française,  et 
occupant  un  emplacement  important  le  long  d'une 
voie  de  mobilisation.  Le  Grand  État -Major  allemand 
aurait  tôt  fait  d'y  mettre  bon  ordre. 

4**  Que  M.  Maître,  conseiller  général,  puisqu'il  était 
dans  ces  sentiments,  avait  eu  joliment  raison  de  se 
séparer  de  V Action  Française.  11  nous  est  tout  à  fait 
agréable  de  songer  que  nous  n'avons  plus  parmi  les 
nôtres  quelqu'un  qui  met  aussi  manifestement  son 
intérêt  personnel,  dans  une  affaire  allemande,  —  dont 


254  l'avant-guerre 

il  serait,  d'après  ses  dires,  le  principal  intéressé  et  le 
seul  commanditaire,  —  au-dessus  de  Tintérêt  national. 
M.  Maître  était  fourvoyé  parmi  nous.  Sa  vraie  place 
est  chez  Schwiedessen  et  Krebs.  Qu'il  y  reste! 

Les  commentaires  qui  accompagnaient  la  publica- 
tion dans  notre  journal  de  cette  première  lettre  de 
M.  Maître  furent  médiocrement  appréciés  par  lui  et 
le  24  janvier  dernier  je  recevais  cette  nouvelle  lettre 
de  M.  Maître,  de  Morvillars,  «  principal  intéressé  » 
des  Fonderies  Schwiedessen  et  Krebs  et  défenseur  de 
ces  Allemands.  Cette  lettre  fut  naturellement  insérée 
dans  V Action  Française.  J'en  supprimai  seulement, 
conformément  à  la  loi,  le  passage  final  concernant  un 
tiers.  La  voici  : 

Morvillars,  24  janvier. 

Monsieur  Léon  Daudet, 

Action  française. 

Vous  avez  jugé  bon  de  publier  sans  prendre  même 
la  peine  de  m'en  informer,  ma  lettre  de  renseigne- 
ments du  17  janvier  :  je  vous  prierai  de  publier  égale- 
ment ma  réponse  à  vos  observations  bienveillantes.  Je 
vous  serais  même  obligé  de  m'adresser  le  numéro  cor- 
respondant de  votre  journal. 

Si  je  ne  me  suis  pas  préoccupé  de  me  procurer  vos 
premiers  articles,  cest  simplement  la  preuve  du  peu 
d'importance  que  f  attachais  à  vos  critiques.  J'ai  tenu 
néanmoins  à  vous  renseigner  un  peu  mieux  que  vous  ne 
semblez  l'être  dans  toute  cette  campagne.  Vous  confon- 
dez en  effet  deux  choses  qui  ne  se  ressemblent  guère  : 
d'un  côté  une  maison  fabriquant  en  France  la  totalité 
de  ses  produits,  avec  une  main-d'œuvre  presque  exclu 
sioement  française,  et  sans  le  moindre  lien  avec  au- 
cune maison  étrangère;  de  l'autre,  les  succursales  fon- 
dées en  France  par  nombre  de  maisons  allemandes 
pour  donner  une    étiquette    française  à  des    produits 


ÉTABLISSEMENTS    INDUSTRIELS    ALLEMANDS         255 

fabriqués  en  Allemagne  au  prolit  des  ouvriers  et  des 
capitaux  étrangers. 

fai  la  prétention,  en  acclimatant^  en  maintenant  en 
France  une  industrie  étrangère,  de  rendre  service  à 
mon  pays  et  à  la  population  ouvrière. 

Je  sais  bien  qu'il  est  de  bon  ton,  dans  certains  mi- 
lieux intellectuels  et  mondains,  d'accabler  de  dédains 
les  gens  d'esprit  assez  vulgaire  pour  chercher  à  gagner 
de  l'argent  par  le  travail.  Le  malheur  est  que  ceux  qui 
méprisent  le  plus  les  moyens  honorables  de  gagner  cet 
argent  sont  généralement  ceux  qui  tiennent  le  plus  à 
en  avoir  pour  le  dépenser  sans  compter,  vivant  ainsi 
de  la  prospérité  générale  créée  par  les  travailleurs.  Les 
vertueux  anathèmes  qui  sembleraient  à  leur  place  dans 
la  bouche  d'un  chartreux  détonnent  légèrement  dans 
celle  d'un  habitué  du  boulevard. 

J'ajoute,  enfin,  pour  ce  qui  est  de  l'espionnage,  que 
Colombier-Fontaine  n'a  pas  plus  le  caractère  d'un 
point  stratégique  que  tout  autre  endroit  situé  prés 
d'une  voie  ferrée  dans  une  zone  de  100  kilomètres  le 
long  de  la  frontière.  La  même  maison...,  qui  y  a  ins- 
talle MM.  Srhwiedesseii  et  Kn-bs,  a  fondé  à  Moi:itreux, 
à  40  ou  50  mètres  de  la  grande  ligne  de  Mulhouse  à 
Belfort,  une  petite  succursale  avec  atelier  de  mon- 
tage, sans  que  les  Allemands  s'y  soient  aucunement 
opposes. 

C'est  que  l'état  de  guerre  n'est  pas  l'état  normal  et 
que  la  première  condition  qui  s'impose  à  une  nation 
pour  être  en  mesure  de  se  défendre  en  cas  de  guerre, 
c'est  de  prospérer  dans  la  paix. 

Vous  m'engagez,  en  terminant,  à  rester  en  compa- 
gnie de  ceux  que  vous  avez  si  violemment  pris  à  partie. 
Je  me  trouve  en  très  bonne  société  avec  tous  ceux  que 
vous  avez  attaqués  et  injuriés... 

Recevez,  je  vous  prie,  Monsieur,  mes  salutations. 

Maître. 

Je  répondis  à  M.  Maître,  conseiller  général  de 
MorviUars  : 

1"  Que  s'il  n'attachait  aucune  importance  à  mes 


256  l'avant-guerre 

critiques,    il   était    bien    bon  d'essayer    de   les   ré- 
futer : 

2°  Que  la  locution  «  presque  exclusivement  »  ne 
signifie  rien.  Une  main-d'œuvre  est  «  exclusivement 
française  »  ou  elle  ne  l'est  pas.  De  l'aveu  même  du 
défenseur  des  Allemands,  la  proportion  d'ouvriers 
étrangers  dans  la  boîte  Schweidessen  et  Krebs  est 
d'environ  10  0/0.  C'est  10  0/0  de  trop  ; 

3*^  Que  je  ne  voyais  pas  du  tout  en  quoi  cette 
colonie  allemande,  le  long  d'une  voie  ferrée  impor- 
tante, était  capable  de  rendre  service  à  la  France. 
En  revanche,  je  distingue  très  bien  en  quoi  elle  est 
capable  de  rendre  service  au  «  principal  intéressé  »  ; 

4*^  Que  l'allusion  de  l'honorable  M.  Maître  aux 
«  habitués  du  boulevard  »  qui  méprisent  les  honnêtes 
travailleurs,  ne  saurait  s'appliquer  au  rédacteur  en 
chef  de  Action  françaisey  lequel  travaille  de  son 
métier  et  n'est  pas  un  habitué  du  boulevard  ; 

S''  Que  M.  Maître  n'était  pas  juge  du  plus  ou  moins 
d'importance  des  voies  stratégiques,  que  j'avais  fondé 
((  ma  critique  »  sur  des  jugements  plus  autorisés  et 
compétents  que  le  sien,  et  n'envisageant,  eux,  que 
l'intérêt  national  ; 

6''  Qu'il  n'est  pas  juge  davantage  de  la  façon  dont 
je  conduisais  une  polémique,  et  que  je  me  moquais  de 
ses  avis,  dont  la  niaiserie  n'a  d'égale  que  la  débilité 
de  ses  raisonnements. 

J'ajoutai  : 

Et  maintenant,  quelqu'un  qui  me  paraît  bien  ren- 
seigné sur  l'affaire  de  Colombier- Fontaine  me  prie 
de  poser  à  mon  tour  à  M.  Maître  les  deux  questions 
qu«  voici,  et  auxquelles  il  aura  certainement  à  cœur 
de  répondre  : 

Première  question:  quand  MM.  Schwiedessen  et 


établissements  industriels  allemands      257 

Krebs  sont  venus  s'installer  a  Colombier-Fontaine, 

étaient-ils  libérés  du  service  militaire  allemand  ? 

Deuxième  question:  MM.  Schwiedessen  et  Krebs 

AYANT  FAIT  UNE  DEMANDE,  AFIN  d'aVOIR  DES  FOURNI- 
TURES DE  l'armée  FRANÇAISE,  POUR  QUEL  MOTIF  LEUR 
demande  n'a-T-ELLE  PAS  ÉTÉ  AGRÉÉE  ?  n'eST-CE  PAS  A 
PARTIR  DE  CE  REFUS,  ET  DE  CELUI-LA  SEULEMENT,  QU'lLS 
ONT  DEMANDÉ  LEUR  FAMEUSE  NATURALISATION  ? 

Le  bruit  court,  à  Colonihier-Fontaine,  que  le  terrain, 
sur  lequel  est  bâtie  l'usine,  aurait  été  concédé  par  la 
municipalité  aux  Allemands  pour  une  somme  déri- 
soire. Pourrait-on  connaître   le  chiffre  d'achat  ? 

Enfin,  le  31  janvier  dernier,  je  recevais  encore  de 
M.  Maître,  une  lettre  qui  fut  reproduite  dans 
V Action  Française  du  6  février  suivant,  après  que 
j'en  eus  supprimé  encore,  conformément  à  la  loi  deux 
passages  concernant  un  tiers. 

Morvillars,  30  Janvier  1913. 

Monsieur  Léon  Daudet, 
Action  française. 

Dans  les  commentaires  dont  vous  faites  suivre  la 
publication  de  ma  dernière  lettre,  vous  protestez  contre 
tout  emploi  d'étrangers  dans  une  usine  si  elle  veut 
garder  le  titre  de  française. 

Si  vous  habitiez  le  voisinage  de  la  frontière,  vous 
sauriez  qu'il  est  matériellement  impossible  à  une  indus- 
trie, même  aux  plus  anciennes,  d'y  vivre  et  de  s'y  déve- 
lopper sans  avoir  recours  aux  ouvriers  étrangers.  La 
proportion  de  10  0/0  est  très  faible  ;  dans  les  profes- 
sions touchant  aux  industries  du  bâtiment,  la  propor- 
tion est  considérablement  plus  forte.  C'est  tout  naturel 
avec  notre  faible  natalité  :  il  faudrait  arrêter  à  moitié 
toutes  les  mines  de  la  zone  frontière,  supprimer  toute 
entreprise  de  travaux  publics  et  couper  court  à  tout 

9 


258  l'avant-guerre 

essor  industriel,  si  les  Belges,  les  Allemands,  les  Polo- 
nais et  les  Wallons  ne  venaient  pas  faire  les  travaux 
pour  lesquels  il  ne  se  présente  plus  de  Français. 

Vous  ne  voyez  pas  le  service  rendu  à  la  France  par 
une  industrie  qui  fait  vivre  80  ou  100  familles  françai- 
ses et  apporte  son  contingent  aux  impôts  et  au  com- 
merce français,  par  suite  aussi  aux  professions  libérales 
qui  en  vivent  toutes,  à  commencer  par  le  journalisme. 
Libre  à  vous  de  nier  l'évidence  ;  on  ne  peut  que  plain- 
dre les  aveugles. 

Quant  aux  considérations  sur  l'espionnage,  il  me  suf- 
fît de  constater  qu'après  m'avoir  mis  au  déli  de  vous 
citer  une  usine  française  installée  le  long  d'une  voie 
ferrée,  vous  vous  gardez  bien  de  me  répondre  lorsque 
je  vous  cite  une  succursale  française  à  Montreux,  près 
de  la  plus  importante  des  voies  stratégiques  alleman- 
des, et  non  pas,  comme  à  Colombier,  sous  la  surveil- 
lance directe  de  la  gare  et  du  village. 

Vous  me  demandez  enfin  si  MM.  Schwiedessen  et 
Krebs  étaient  déjà  libérés  du  service  militaire  allemand 
quand  ils  sont  venus  en  France.  Je  n'ai  pas  eu  à  m'en 
inquiéter  puisque  la  question  n'avait  plus  d'intérêt 
quand  je  les  ai  connus... 

Je  me  suis  simplement  assuré...  que  mes  futurs  asso- 
ciés étaient  non  seulement  libres  de  toute  obligation  en 
Allemagne,  mais  encore  désireux  d'acquérir  au  plus  tôt 
la  nationalité  française. 

Recevez,  je  vous  prie,  Monsieur,  mes  salutations. 

Maître. 

P.  S.  —  Malgré  le  peu  d'intérêt  de  cette  correspon- 
dance pour  vos  lecteurs,  je  suis  obligé  de  réclamer  de 
nouveau  l'insertion  de  ma  réponse  à  vos  commentaires 
désobligeants.  —  M.    » 

Je  répondis  derechef  à  M.  Maître  : 

l""  Sur  la  question  de  la  main-d'oeuvre  :  qu'il  y 
avait  lieu  de  distinguer  entre  un  personnel  étranger 
occasionnel  suppléant  au  manque  de  bras  autochtones 


ÉTABLISSEMENTS    INDUSTRIELS    ALLEMANDS         259 

—  cas  des  Belges  aidant  aux  moissons  en  France, 
par  exemple,  —  et  un  personnel  étranger  installé  à 
demeure,  constituant,  comme  à  Colombier-Fontaine ^ 
une  enclave  allemande  en  terre  française.  Je  sais 
parfaitement  que  la  main-d'œuvre  étrangère  est 
moins  exigeante  quant  au  salaire.  C'est  qu'elle  a 
moins  de  charges  aussi  ; 

2"  Que  M.  Maître  ne  parlait  plus  du  capital  étran- 
ger, existant  cependant  dans  l'affaire,  si  j'en  croyait 
sa  première  lettre,  et  fructifiant  avec  le  sien  propre, 
ce  qui  empêchait,  même  au  point  de  vue  de  l'argent 
engagé,  ladite  affaire  d'être  «  exclusivement  fran- 
çaise »  ; 

3®  Que  le  vieil  argument  de  l'avantage  de  l'en- 
vahisseur étranger  au  point  de  vue  de  la  prospérité 
nationale  avait  été  réfuté  mille  fois  et  qu'il  avait  tout 
juste  la  valeur  de  la  fine  plaisanterie  qui  suivait,  sur 
le  journalisme  tributaire  de  cet  envahissement.  L'es- 
prit étant  un  luxe  qu'on  ne  peut  guère  s'offrir  quand 
on  manque  de  logique  et  de  perspicacité  ; 

4°  Que  le  fait  exceptionnel  allégué  par  M.  Maître 
d'une  succursale  française  prèsd'une  voie  stratégique 
allemande  —  fait  dont  je  n'ai  pas  vérifié  les  condi- 
tions —  n'amoindrissait  en  rien  la  valeur  de  mes 
observations  touchant  le  très  réel  danger  des  instal- 
lations allemandes  à  Colombier-Fontaine  et  ailleurs. 
Chacun  sait,  du  reste,  que  la  surveillance  d'Etat  alle- 
mande est  mille  fois  plus  rigoureuse  que  la  française. 
J'en  ai  fourni  d'innombrables  exemples; 

5*^  Que  je  donnais  acte  à  M.  Maître  de  son  assu- 
rance que  Schwiedessen  et  Krebs  étaient  libres  de 
toute  obligation  militaire  en  Allemagne,  mais  que  ma 
deuxième  question  demeurait  entière,  à  savoir  : 

MM.  Schwiedessen  et  Krebs  ayant  fait  une  de- 


260  L*AVANT-GUERRE 

MANDE,  AFIN  d'aVOIR  DES  FOURNITURES  DE  l'aRMÉË 
FRANÇAISE,  POUR  QUEL  MOTIF  LEUR  DEMANDE  n'a-T-ELLE 
PAS  ÉTÉ  AGRÉÉE?  N'eST-CE  PAS  A  PARTIR  DE  CE  REFUS, 
ET  DE  CELUI-LA  SEULEMENT,  QU'iLS  ONT  DEMANDÉ  LEUR 
FAMEUSE  NATURALISATION? 

Quant  à  cette  naturalisation  elle-même,  je  ne  puis 
que  renouveler  mon  conseil  à  M.  Maître,  de  se  mettre 
au  courant  de  la  loi  allemande  {amendement  Del- 
hruck)  qui  fait  de  la  naturalisation  des  Allemands  un 
simple  artifice  au  bénéfice  de  l'espion  envahisseur. 
L'instance  en  naturalisation  des  protégés  de  M.  Maî- 
tre ne  doit  être  pour  nous  Français  qu'une  raison  de 
plus  de  nous  méfier.  L'Allemand  m'inquiète  beau- 
coup plus  quand  il  est  naturalisé  que  quand  il  ne 
l'est  pas. 

Pour  terminer,  M.  Maître  me  permettra  de  lui  faire 
remarquer  qu'il  a  mené  cette  longue  et  vaine  contes- 
tation du  point  de  vue  de  ses  intérêts  personnels  et 
que,  pas  un  instant,  il  n'a  semblé  envisager  l'intérêt 
national,  le  seul  qui  fut  en  cause  dans  ces  études. 

Dans  la  même  région  : 

Un  ligueur  me  signala  l'affluence  insolite  de 
wagons-citernes  à  pétrole  allemands,  garés  à  Besan- 
çon, sur  la  voie  ferrée  allant  de  Dijon  à  Belfort,  en 
octobre  dernier  et  jusqu'au  milieu  de  novembre.  La 
structure  de  ces  wagons-citernes  était  telle  qu'il  eut 
été  extrêmement  aisé  de  les  vider,  en  quelques  mi- 
nutes, de  leur  liquide,  lequel,  enflammé  à  sa  sortie, 
eut  communiqué  inmanquablement  le  feu  à  la  voie 
et  aux  wagons  ou  ouvrages  voisins.  La  gare  de 
Viotte,  où  ceci  se  passait,  est  zone  militaire,  et  c'est 
pourquoi  la  Compagnie  du  P.  L.  M.  n'y  a  construit 
que  des  baraquements  provisoires   entièrement  en 


ÉTABLISSEMENTS    INDUSTRIELS    ALLEMANDS         261 

bois.  Si  l'on  rapproche  ce  fait  de  ce  que  nous 
allons  raconter,  il  y  a  là  matière,  ce  me  semble, 
à  sérieuses  réflexion?  et  aussi  à  sérieuses  précau- 
tions. 

En  effet,  transportons-nous  à  Délie,  ville  française 
frontière  sur  la  ligne  Belfort-Bâle,  par  Delémont.  Il 
est  inutile  que  j'insiste  sur  l'importance  militaire  de 
la  gare  de  Délie.  Elle  est  connue  de  tout  le  monde. 
Cette  gare  est  construite  au  pied  d'une  colline.  Sur 
les  flancs  de  celle-ci  s'est  établie  la  société  Oester- 
reisché Petroleuin  Aktien-Gesellschaft.  Elle  vend  énor- 
mément dans  l'Est  où  elle  fait  une  concurrence 
acharnée  au  Syndicat  des  pétroliers.  Chose  étrange j 
elle  livre  son  pétrole  trois,  quatre  et  même  six  cen- 
times w^eilleur  w^arché  au  litre  que  les  m^aisons  de 
ce  syndicat,  de  sorte  que  Von  se  demande  comment 
elle  parvient  à  faire  ses  frais  et  même  à  réaliser  des 
bénéfices.  Mais  le  plus  paradoxal  demeure  l'installa- 
tion de  ses  cuves. 

Un  de  mes  correspondants  m'a  envoyé  un  schéma 
de  cette  entreprise  que  je  regrette  de  ne  pouvoir  re- 
produire ici.  Les  trois  immenses  cuves  de  pétrole, 
reliées  par  des  canalisations  souterraines,  aboutissent 
à  une  pompe  aspirante  et  foulante,  auprès  de  laquelle 
est  le  remplissage  des  fûts.  De  ce  point  part  une 

NOUVELLE  canalisation  SOUTERRAINE  QUI  ABOUTIT  AU 
QUAI     DES    VOIES     DE    GARAGE     DE     LA  GARE    DE   DeLLE. 

La  destruction  de  cette  gare,  au  jour  de  la  mobilisa- 
tion, par  une  coulée  de  pétrole  en  flammes  suivant 
la  pente  de  la  colline,  serait  donc  terriblement  facile. 
Il  n'y  faudrait  qu'une  allumette.  En  supposant  même 
le  conseil  d'administration  de  VOesterreische  Petro- 
leum animé  de  sentiments  très  français,  il  suffirait 
d'un  ouvrier  ou  d'un  faux  ouvrier  de  circonstance 


262 


LAVANT-GUERRE 


pour  paralyser  complètement  le  transit  de  la  gare  de 
Délie. 


La  régioyi  de  Nancy. 

La  région   de   Nancy  *  doit  plus   particulièrement 
attirer  notre  attention. 


1.  Voici  un  exemple  saisissant  et  sinistre  de  ]a  pénétration 
allemande  dans  nos  provinces  de  l'Est  :  c'est  une  affiche  bilin- 
gue (français  et  allemand)^  concernant  la  vente  d'un  ter- 
rain SIS  EN  Meurthe-et-Moselle.  Ladite  affiche  a  été  apposée 
on  octobre  1912  sur  les  murs  de  Nancy,  exactement  comme  si 
la  grande  ville  lorraine  était  déjà  annexée  à  V Allemagne  : 


Etudes  de  M"  Marc,  notaire  à 
Nancy,  rue  Saint-Dizier, 
n"  20,  et  de  M^  Barthélémy, 
avoué  près  le  Tribunal  civil 
de  Nancy,  y  demeurant, 
rue  de  la  Monnaie,  n'^  5. 


Registraturen  des  Herrn 
Marc,  Notar  in  Nancy,  20, 
Saint-Dizier- Str.,  und  des 
Herrn  Barthélémy,  Rechts- 
auwalt  am  Civilgerichte  von 
Nancy,  5,  Munz-Strasse. 


VENTE   par  LICITATION 

Le  jeudi  24  octobre  1912,  à 
3  heures  de  l'après-midi,  en  la 
salle  de  la  ]SIaison  Commune 
de  Moncel-sur-Seille,  il  sera 
procédé  à  la  vente  aux  en- 
chères publiques,  à  l'extinc- 
tion des  feux  de  : 

UNE  prairie 
dite  «  Les  Allieux  » 

Sise  ban  de  Moncel-s.-Seille 
[Meurthe-et-Moselle)  ,  d'une 
contenance  de  21  h.  27  a.  21  c. 
environ. 

Mise  à  prix  :    25.000    francs. 
Les  enchères  s'ouvriront  sur 


LICITATIONS-VERKAUF 

Am  Donnerstag  den  24  Ok- 
tober  1912,  um  3  Uhr  Nach- 
mittags,  im  Saale  des  Gemcin- 
dehauses  von  Moncel-sur- 
Seille  wird  durch  œffentliche 
Versteigerung  verkauf  : 


EINE  WIESE 

«  Les  Allieux  »  genannt 

welche  sich  auf  dem  Gebiete 
von  Moncel-sur-Seille  (M.-et- 
M.)  befindet  und  21  Hektar, 
27  Ar  und  21  Centiar 
ist. 

Netto-Preis  :  25.000  fr. 


gross 


Die  Versteigerung  wird  von 


ETABLISSEMENTS    INDUSTRIELS    ALLEMANDS 


263 


Si  dramatique  qu'elle  soit,  en  raison  des  circons- 
tances que  nous  traversons  et  des  détails  qu'elle 
donne,  je  veux  vous  citer  ici  les  principaux  passages 
de  la  lettre  d'un  «  Toulois  »  bien  renseigné  et  que  sa 
profession  met  à  même  d'exposer  nettement  l'Avant- 
Guerre  : 

«  Nancy,  ville  ouverte,  ne  peut  offrir  de  résistance 
à  l'armée  allemande.  La  «  division  de  fer  »  se  fera 
héroïquement  hacher  pour  couvrir  la  mobilisation  ;  le 
fort  de  Frouard  retardera  quelque  temps  peut-être  le 
flot  ennemi,  venu  de  Metz  et  de  Château- Salins; 
puis,  tout  de  suite,  les  Allemands  se  heurteront  aux 
forts  de  Toul.  Le  Saint-Michel  domine  la  ville,  puis, 


la  mise  à  prix  ci-dessus  fixée 
par  le  Tribunal,  aux  clauses 
et  conditions  du  cahier  des 
charges  dressé  par  M"  Marc, 
notaire,  et  déposé  en  son  étude 
où  toute  personne  peut  en 
prendre  connaissance  sans 
frais . 

Les  frais  faits  pour  par- 
venir à  la  vente  sont  payables 
par  V acquéreur  en  déduction 
de  S071  pria?  principal  d'adju- 
dication. 

Pour  tous  renseignements, 
s'adresser  :  à  M"  Marc,  notaire 
à  Nancy,  rue  ïSaint-Dizier, 
20  ;  à  M°  Barthélémy,  avoué 
à  Nancy,  rue  de  la  Monnaie, 
5,  ou  à  M''  Jacops,  avoué  à 
Nancy,  7,    rue    Dom-Calmet. 

L'avoue'  poursuivant^ 
H.  Barthélémy. 


diesem  Preise  abgehen,  wel- 
cher,  vom  Gerichte  festgesetzt 
wurde  und  den  Bedingungen 
des  Submissions-Heftes  ent- 
spricht.  Letzteres  ist  inder  Re- 
gistratur  des  Herrn  Notars 
Marc  ohne  Kosten   sichtbar. 


Die  verursacliteh  Kosten 
bis  zurn  Ver kauf stage  icer- 
den  vom  Ankaeufer  bezahlt, 
und,  vom  Versteigerungs- 
preise  abgezogen. 

Auskunf  t  geben  Herr  Marc, 
Notar,  20,Saint-Dizier-Strasse, 
Herr  Barthélémy,  Rechtsan- 
walt  in  Nancy,  5  Munz- 
Strasse,  oder  Herr  Jacops, 
Rcchtsanwalt,  in  Nancy,  7, 
Dom-Calmet-Strasse. 

Der  verfolgende 

Rechtsanwalt. 
H.  Barthélémy. 


Je  tiens  ce  document  écrasant  à  la  disposition  des  incrédules, 
de  ceux  qui  ne  veulent  pas  croire  que  la  République  est  le 
gouvernement  de  l'Étranger. 


264  l'avant-guerre 

tout  à  côté,  la  côte  Barine.  Ensuite,  vers  le  sud, 
vers,  Neufchâteau,  ce  sont  les  forts  de  Domgermain, 
d^Ecrouves,  de  Blénod,  et,  plus  loin,  Pagny -la-Blan- 
che-Côte, Bourlémont,  etc.  Sur  les  flancs  des  collines 
croissent  des  vignes  qui  donnent  un  petit  vin  au  bou- 
quet discret  et  délicat. 

«  Hélas!  là-bas  aussi,  la  terre  se  meurt.  On  déserte 
les  vignes.  Des  usines  établies  depuis  peu  à  Foug 
drainent  les  paysans  jusqu'à  Barisey  et  plus  loin  :  ils 
abandonnent  leurs  terres,  et  déjà  telle  côte  de  vignes, 
jadis  fameuse,  celle  du  Saint-Michel  par  exemple,  se 
transforme  en  friches.  Mais  cette  terre  qui  meurt, 
comme  une  pauvre  vieille  mère  qu'on  abandonne,  at- 
tire la  convoitise  des  Juifs  et  des  Allemands.  Ils  la 
possèdent;  ils  la  violent,  et  demain  ils  la  livreront,  si 
j'ose  dire,  pieds  et  poings  liés,  aux  armées  teu- 
tonnes. 

«  Parlons  d'abord  des  Juifs.  Les  plus  puissants  de 
la  contrée  sont  les  Bernheim.  Il  y  a  cinquante  ans, 
ils  étaient  sordides  et  misérables.  Leur  mère  allait 
dans  les  villages  du  Toulois  porter  quelques  livres  de 
viande  sur  sa  hotte,  et  les  fils  y  allaient  chercher  les 
peaux  de  lapin.  La  guerre  de  1870,  qui  ruina  tant  de 
Français,  fut  le  point  de  départ  de  leur  fortune.  Au- 
jourd'hui, ils  sont  les  rois  du  pays.  L'un  d'eux  possède 
un  ou  même  plusieurs  hôtels  au  faubourg  Saint- 
Germain!  D'autres  habitent  à  Toul,  sur  l'ancienne 
place  Dauphine,  —  aujourd'hui  place  de  la  Répu- 
blique, —  un  véritable  petit  palais.  Pendant  trente 
ans,  on  peut  dire  que  pas  une  vente  d'immeubles  ne 
s'est  faite  sans  eux.  Ils  tiennent  des  villages  entiers 
par  les  dettes.  Grands  électeurs  à  Toul,  ils  ont  fait 
nommer  dans  ce  pays  patriote  le  F.-.  Chapuis,  aujour- 
d'hui sénateur,  qui  se  prévalait  de  sa  conduite  en  1870, 


ÉTABLISSEMENTS    INDUSTRIELS    ALLEMANDS         265 

OÙ  il  fit  le  coup  de  feu  (comme  tout  lé  monde,  d'ail- 
leurs), pour  pouvoir  sans  trop  de  risques  soutenir  le 
«  régime  abject  »  des  André  et  des  Pelletan,  et  se 
faire  l'apologiste  de  l'ignoble  système  des  fiches.  Ce 
F.\  s'est  fait  remplacer  à  la  députation  par  un  cer- 
tain Denis,  anticlérical  borné,  maire  de  la  ville,  dont 
un  fait  vous  montrera  la  mentalité.  Aux  inventaires, 
cet  ex-enfant  de  chœur,  cet  ex-habitué  des  sacristies, 
se  conduisit  en  goujat,  entrant  dans  les  églises  cha- 
peau sur  la  tête  et  cigarette  à  la  bouche,  malgré  les 
protestations  des  catholiques  indignés. 

«  Placée  ainsi  sous  le  joug  des  Juifs  et  des  Francs- 
maçons,  comment  voulez-vous  que  cette  malheureuse 
région  puisse  se  défendre  contre  l'ennemi  de  l'exté- 
rieur ?  Aussi,  continuellement,  des  affaires  d'espion- 
nage couvent  dans  le  pays.  L'an  dernier,  deux  surtout 
firent  du  bruit  :  l'une  se  passa  du  côté  de  Trondes, 
l'autre  à  Toulmême,  dans  un  hôtel. 

«  L'audace  des  espions  est  extraordinaire.  En  voici 
un  exemple.  A  Blénod-lès-Toul,  il  y  a  un  fort  très 
important,  faisant  partie  du  secteur  sud  de  Toul  : 
c'est  la  batterie  de  VEperon.  L'accès,  l'approche  même 
du  fort  sont  sévèrement  interdits  aux  Français,  aux 
gens  du  pays,  mais  la  consigne  n'existe  pas  pour  les 
Prussiens.  Je  puis  vous  certifier  que  j)endant  plusieurs 
mois,  cette  aruiée,  un  jeune  hornme,  7'éserviste  alle- 
mand, peut-être  même  gradé,  pénétra  dans  le  fort 
tous  les  jours  sous  prétexte  d'y  porter  le  pain.  Ce 
scandale  se  poursuivit,  encore  une  fois,  une  partie  de 
cette  année,  jusqu'en  juillet  ou  août,  malgré  les  pro- 
testations des  habitants.  Le  village  est  traversé  par  la 
route  nationale  qui  va  de  Nancy  à  Orléans.  Le  long 
de  la  route  s'échelonnent  plusieurs  moulins  ou  fer- 
mes. Parmi  celles-ci,  l'une,  près  des  Quatre-Vaux,  a 


236  l'avant-guerre 

été  achetée  il  y  a  quelque  temjDS  par  des  Prussiens. 
Ils  viennent  de  la  quitter  pour  s'installer  plus  près 
de  Pagny -la-Blanche- Côte,  à  Gibéaumeix.  Une  autre 
famille  vient  d'occuper  non  loin  de  là  une  laiterie  à 
Ri  g  ny -la-Salle.  Une  famille  d'anabaptistes  habite  la 
ferme  de  Saint-Fiacre,  à  proximité  des  forts  de 
fîlénodetde  Domgeiinain.  Les  environs  de  la  redoute 
d'Uruffe,  du  fort  de  Pagny,  de  Vaucouleurs  sont 
aussi  occupés  par  les  Allemands,  qui  ont  acheté  les 
grosses  fermes  de  Gombervaux,  de  Septfonds  et  de 
la  Biscotte. 

«  Une  route  conduit  du  fort  de  Blénod  à  la  redoute 
d'Uruffe.  Elle  traverse  des  forêts,  dont  l'une,  la  forêt 
de  Dumast  ou  bois  Duniast,  a  été  achetée  il  y  a  quel- 
ques années  par  des  Prussiens  qui  l'exploitèrent  à 
blanc  étoc.  Ces  barbares,  dont  presque  aucun  ne 
parlait  notre  langue,  trouvèrent  là  le  moyen  de  satis- 
faites leurs  instincts  anticatholiques  et  antifrançais. 
Au  fond  d'une  vallée  boisée,  dans  une  clairière  fort 
pittoresque,  s'élevait  une  antique  chapelle  dédiée  à 
sainte  Menne,  sœur  de  Charlemagne.  De  temps 
immémorial,  les  villages  voisins  :  Blénod,  Vannes- 
le-Châtel,  Uruffe,  BuUigny,  Allamps,  etc.,  y  venaient 
en  pèlerinage.  Les  lendemains  de  première  commu- 
nion, les  lundis  de  Pâques,  de  Pentecôte,  on  y  chan- 
tait les  vêpres,  puis  sous  les  yeux  de  leurs  parents, 
les  jeunes  gens  du  pays  dansaient  sur  le  gazon.  La 
Séparation  et  les  Prussiens  ont  passé  par  là  :  la  cha- 
pelle fut  désaffectée,  puis  les  Prussieyis  en  firent  un 
abri  pour  leurs  bûcherons.  Et,  après  avoir  tout  le  jour 
abattu  les  beaux  arbres  de  la  forêt  de  Menne,  les  van- 
dales, le  soir  venu  pouvaient  chanter  leurs  lieds  et 
pousser  leur  «  hoch  »  dans  la  chapelle,  entre  ces 
murs  où  des  générations  de  paysans  français  étaient 


ÉTABLISSEMENTS    INDUSTRIELS    ALLEMANDS         267 

venues  prier  la  Vierge  au  jour  de  leur  première  com- 
munion. Il  y  avait  des  bas-reliefs  fort  curieux  qui 
représentaient  la  Nativité.  Les  Prussiens  s'en  empa- 
rèrent pour  les  vendre  à  vil  prix.  Le  curé  de  Blénod, 
un  artiste,  put  soustraire  à  leur  fureur  et  à  leur  rapa- 
cité une  Vierge  de  Pitié  extrêmement  ancienne  et 
quelques  ornements.  Le  reste,  que  la  Révolution 
elle-même  avait  épargné,  que  l'invasion  de  1870  avait 
respecté,  a  disparu  dans  l'invasion  actuelle... 

«  On  dit  que  nous  sommes  envahis;  on  dirait 
plus  justement  que  nous  sommes  déjà  conquis. 
Ici,  en  Lorraine,  nous  avons  Timpression  d'être 
enfermés  dans  un  immense  réseau  d'espionnage.  » 

Quel  plus  terrible  réquisitoire  contre  le  régime  cri- 
minel qui  nous  vaut,  en  pleine  paix,  les  horreurs  de 
l'invasion? 


A  Saint-Mihiel. 

Dans  la  région  de  Saint-Mihiel,  la  question  des 
fours  à  chaux  de  Dompcevrin  et  de  Billemont  préoc- 
cupe un  grand  nombre  de  nos  compatriotes,  car  la 
région  fourmille  d'espions  juifs  et  allemands. 

Cela  s'explique  si  l'on  envisage  son  importance 
militaire.  En  effet,  la  garnison  de  Saint-Mihiel 
compte  environ  de  12  à  15.000  hommes.  A  Sampigny 
se  trouve  le  10"  chasseurs  à  cheval,  venu  récemment 
de  Moulins  ;  à  Lérouville  se  trouve  le  154^  d'infan- 
terie.  Lérouville  est  tête  de  ligne,  vers  Sedan,  sur  la 
ligne  Paris-Avricourt.  Toute  la  région  est  sillonnée 
par  la  Meuse,  canalisée  ou  non,  par  la  ligne  de  Ver- 
dun-Sedan. Elle  est  hérissée  de  forts  {Les  Paroches 
—  Camp   des  Romains)  et,  plus  à  l'est,  LiouvilUf 


268  l'avant-guerre 

avec   la  batterie   de  Saiyit-Agnantj    Gironville.   Ces 
forts  rejoignent  le  système  de  Toul. 

Donc,  les  fours  à  chaux  de  Doynpcevrin  sont  situés 
au  nord  de  ce  village,  à  trois  kilomètres  environ  du 
Fort  des  Paroches,  c'est-à-dire  aux  portes  de  Saint- 
Mihiel.  Les  troupes  manœuvrent  constamment  dans 
ces  parages,  puisque  Chauvoncourt  est  le  quartier  gé- 
néral de  l'infanterie  {150^  et  161''  de  ligne;  25^  et  W^ 
bataillons  de  chasseurs  à  pieds).  Ces  fours  à  chaux, 
qui  ont  peut-être  déjà  huit  ou  dix  ans  d'existence,  se 
sont  agrandis  dernièrement.  Ils  appartiennent  actuel- 
lement à  la  Société  Aumetz  Fried  ou  Lapaix,  montée 
par  actions  (valeurs  en  banque).  Les  terrains,  où  Ton 
a  pratiqué  des  carrières,  ont  été  vendus  à  vil  prix.  Un 
nouveau  four  a  été  bâti,  il  y  a  quelque  temps.  Les 

INGÉNIEURS  ÉTAIENT  DE    MaYENCE  ET  LES   MONTEURS    DE 

Francfort.  Les  machines  et  les  dynamos  sortaient 
DE  Mannheim  {marque  Heinrich  Lanz).  Les  petites 
locomotives  à  essence  vulgairement  appelées  «  cou- 
cous »  viennent  également  de  Mannheim.  Tout  le 
matériel  de  traction,  rails,  wagonnets,  épars  dans 
les  carrières  et  aux  abords,  sur  un  parcours  de  3  à 
4  kilomètres,  est  originaire  d'Allemagne.  Toutes  les 
poudres  comprimées,  destinées  a  faire  exploser  les 
blocs  de  pierre,  viennent  d'Allemagne.  Toute  la 
houille  (briquettes  comprimées)  vient  de  Sarrebrûck 
ou  d'Essen  {Ruhr-Kohlen-Gebiet) .  Enfin,  quand  il  y  a 
des  réparations  à  faire  aux  fours  à  chaux,  on  n'em- 
ploie JAMAIS  de  maçons  FRANÇAIS,  mais  des  maçons, 
plus  ou  moins  alsaciens-lorrains,  de  Moyeuvre.  Des 
convois  de  wagons  allemands  se  succèdent  devant 
les  fours  à  chaux. 

Le  pont  de  Bislée  fut  saboté  en  août  1911,  au 
moment  de  l'affaire  d'x\gadir.  L'importance  strate- 


ÉTABLISSEMENTS    INDUSTRIELS    ALLEMANDS         269 

gique  de  ce  pont  sur  la  Meuse  est  considérable,  et  ce 
n'est  certes  pas  M.  le  président  de  la  République 
Raymond  Poincaré,  possesseur  d'une  propriété 
située  tout  près  de  là,  vers  Sampigny,  qui  me  dé- 
mentira. Le  pont  met  en  communication  Koeur-la- 
Grande  et  Bislée.  Il  est  sur  piles  et  culées  en  pierres. 
Parapets  métalliques.  Plancher  en  madriers.  Dans 
son  milieu,  se  dresse  une  pile  en  maçonnerie.  A 
chaque  extrémité  de  la  pile  se  trouve  une  chambre 
de  mine,  où  Ton  peut  descendre  par  une  trappe  fer- 
mée à  cadenas.  Un  des  cadenas  avait  été  enlevé, 
au  moment  d'Agadir,  si  bien  que  les  enfants  jouaient 
à  la  cachette  dans  la  cavité  qui  communique  avec  la 
chambre  de  mine.  Bien  mieux  :  les  chambres  de 
mines  situées  à  hauteur  du  parapet  avaient  été  dé- 
truites, commue  les  channbrés  de  mine  situées  au-des- 
sous du  même  parapet.  Le  génie,  averti  depuis 
quatre  jours  par  le  gardien  du  canal,  fit  enfin  répa- 
rer le  malheureux  pont. 

Par  ailleurs,  une  Compagnie  belge-allemande 
aurait  mis  la  main  sur  les  fours  à  chaux  de  Bille- 
mont  y  situés  entre  Dugny  et  Verdun,  toujours  dans 
la  région  des  forts  et  près  de  la  voie  Lérouville- Se- 
dan. Lesdits  fours  à  chaux  seraient  prochainement 
transformés  en  hauts  fourneaux  pour  l'exploitation 
du  minerai  (?). 

Le  fort  de  Dugny  aurait  à  ses  pieds  une  usine  alle- 
mande —  à  façade  belge  —  traversée  par  la  conduite 
d'eau  qui  alimente  le  fort.  Si  bien  qu'en  temps  de 
guerre,  il  serait  on  ne  peut  plus  aisé  de  crever  cette 
conduite  et  de  mettre  ainsi  la  garnison  à  la  merci  de 
l'ennemi.  Tout  se  passe  comme  si  cette  usine  de 
fours  à  chaux  de  Billemont  n'avait  comme  destination 
que  de  gêner  le  fort.  De  l'aveu  même  du  directeur, 


270  l'avant-guerre 

l'entreprise  ne  rapporterait  que  du  2  0/0  à  ses  ac- 
tionnaires. En  effet,  il  faut  faire  monter  la  chaux 
DANS  LES  FOURS,  alors  qu'il  est  reconnu  qu'un  four  à 
chaux  doit  toujours  être  installé  dans  le  bas  du  gise- 
ment exploité. 

On  raconte  qu'avant  la  guerre  de  1870-71,  les  Al- 
lemands avaient  ainsi  envahi  l'Alsace  sous  des  pré- 
textes industriels  ou  même  de  plaisance.  C'est  ainsi 
qu'un  Badois  avait  fait  construire  un  magnifique 
château  près  de  Strasbourg.  La  guerre  déclarée,  un 
quartier  général  allemand  vint  s'installer  dans  ce 
château,  où  tout  avait  été  prévu  pour  lui,  jusqu'à  la 
guérite  de  la  sentinelle.  Les  Allemands  n'ont  pas,  à 
beaucoup  près,  les  qualités  guerrières  des  Français, 
mais  ils  ont  au  plus  haut  point  le  sens  de  l'Avant- 
Guerre.  Depuis  l'affaire  du  traître  Dreyfus,  grâce 
à  la  suppression  du  Bureau  des  Renseignements, 
ils  ont  tiré  parti  de  toutes  les  ressources  que  leur 
offrait,  quant  à  l'espionnage,  le  gouvernement  de  la 
République. 


Dans  les  Ardennes. 

La  ligne  de  chemin  de  fer  de  Charleville  à  Reims 
doit  servir,  en  temps  de  guerre,  à  transporter  de 
Reims,  Épernay,  Châlons-sur-Marney  Camp  de  Châ- 
lons,  des  troupes  sur  la  frontière,  depuis  Mauheuge 
jusqu'à  Longwy»  Il  était  donc  important  pour  les 
Allemands  de  s'en  rendre  maîtres. 

Aussi  existe-t-il  à  RetJiel  une  usine  allemande  «  La 
Textilose  »,  dont  les  usines  ne  sont  séparées  de  la 
voie  ferrée  que  par  un  chemin  départemental  que  bor- 


ÉTABLISSEMENTS    INDUSTRIELS    ALLEMANDS         271 

dent,  de  chaque  côté,  le  chemin  de  fer  et  l'usine.  Le 
chemin  de  fer  passe,  en  cet  endroit,  à  quinze  mètres 
environ  de  l'usine.  La  gare  de  Rethel  est  à  200  ou 
300  mètres.  Enfin,  dans  un  rayon  de  moins  de  500  mè- 
tres, se  trouvent  plusieurs  ponts. 

Le  directeur  de  l'usine  est  un  juif  venu  d'Allema- 
gne. De  nombreux  contremaîtres  et  ouvriers  sont 
allemands.  Du  fait  de  cette  installation,  les  querelles 
et  bagarres  sont  devenues  quotidiennes  à  Rethel, 
comme  dans  tous  les  endroits  envahis.  Je  n'insiste 
pas  sur  cette  conséquence  forcée  de  T Avant-Guerre, 
conséquence  qui  ne  peut  que  s'aggraver  de  jour  en 
jour. 

La  ligne  de  chemin  de  fer  de  Charleville  sur  le 
Nord,  par  Hirson,  doit  servir  à  transporter  vers  la 
frontière  du  nord  une  grande  partie  des  troupes  des 
6^  et  20®  corps,  ou,  inversement  vers  la  frontière  de 
l'est,  les  troupes  venant  du  nord  (1®''  corps,  une  partie 
du  deuxième)  et  les  vivres  et  munitions  qui  pour- 
raient nous  venir  par  mer  (port  de  Dunkerque). 

Or,  il  y  avait  autrefois  à  Charleville  une  usine 
d'agglomérés.  Les  bâtiments  surplombent  la  ligne  de 
chemin  de  fer  Charleville-Hirson.  Cette  société  fit  de 
mauvaises  affaires.  L'usine  fut  rachetée  par  le  Badois 
Himmelsbach,  sous  le  prétexte  d'installation  d'une 
usine  de  créosotage. 

Au  cours  de  notre  campagne  contre  l'espion-enva- 
hisseur  des  renseignements  fort  intéressants  ont 
été  recueillis  sur  ce  juif-allemand,  marchand  de  bois, 
qui  avait  obtenu  l'autorisation  de  déposer  ses  bois, 
comme  par  hasard,  sur  les  quais  militaires  d'Andelot 
et  de  Riaucourt    Haute-Marne)  et  qui,  en  temps  de 


272  l'avant-guerre 

guerre,  aurait    entravé   ainsi,    toujours    comme  par 
hasard,  les  opérations  de  la  mobilisation. 

Les  Himmelsbach  sont  de  Fribourg-en-Brisgau. 
Le  père,  grand  négociant  en  bois,  a  six  ou  sept  fils, 
dont  l'un  surveille  à  Andelot  l'exploitation  à  blanc 
des  vastes  forêts  de  M.  X...  Ces  forêts  (deux  mille 
hectares)  ont  été  vendues,  en  premières  mains,  aux 
fameux  dépeceurs  de  bois  Nathan  et  Bernheim,  juifs 
soi-disant  français,  dont  il  a  été  fortement  question 
à  la  tribune  de  la  Chambre  au  moment  des  inonda- 
tions. Nathan  et  Bernheim  ont  passé  l'exploitation 
à  un  marchand  de  bois  d'Épinal,  qui  aurait  fait  de 
mauvaises  affaires,  et  ensuite,  au  Badois  Himmels- 
bach ^  L'exploitation  dure  depuis  trois  ans,  avec 
une  équipe  de  300  bûcherons  allemands  et  italiens, 
sous  la  conduite  d'un  contremaître  français  nommé 
C...  Aux  dernières  nouvelles,  cette  équipe  allait 
se  transporter  dans  un  autre  canton  de  la  Haute- 
Marne,  M.  X...  ne  s'étant  pas  entendu  avec  Nathan 
pour  la  vente  du  dernier  millier  d'hectares  qui  lui 
restent. 

Parmi  ces  bûc/ierons,  il  y  avait  des  topographes 
qui,  sous  prétexte  d'estimer  et  d'arpenter  les  forêts  à 
vendre,  ont  parcouru  tout  le  pays,  levant  des  playis 

1.  Un  de  nos  confrères  a  donné  ces  renseignements  sur  ce 
très  bizarre  Himmelsbach  : 

a  Ce  M.  Himmelsbach,  qui  paraît  avoir  le  droit  perpétuel 
d'encombrer  les  quais  stratégiques  de  France,  est  un  indus- 
triel singulier  qui,  il  y  a  deux  ans,  fit  brusquement  son  appa- 
]'ition  dans  la  Haute-Marne,  et  se  mit  à  couper  à  tour  de  bras 
bois  et  forêts.  Il  n'emploie  que  de  la  main-d'œuvre  étrangère  : 
l'an  dernier,  c'étaient  des  Allemands  ;  cette  année,  ce  furent 
des  Italiens.  Cent  dix  ouvriers  siciliens,  qui  ne  savaient  pas 
cent  dix  mots  de  français,  arrivèrent  cette  année  dans  le  pays. 
Ils  débarquèrent  le  jour  même  de  la  fête  d'Andelot  ;  c'était, 
sans  doute,  la  participation  qu'apportait  aux  réjouissances 
ocales  la  maison  Himmelsbach.  » 


1 


ÉTABLISSEMENTS    INDUSTRIELS    ALLEMANDS         273 

sans  se  gêner.  Il  ferait  beau  voir  qu'une  telle  orga- 
nisation, composée  de  topographes  et  d'arpenteurs 
français,  fonctionnât  en  Allemagne,  sur  les  lignes 
de  mobilisation  qui  font,  comme  on  le  sait,  la  préoc- 
cupation constante  de  nos  voisins. 

Les  Himmelsbach  avaient,  aux  environs  d'Ande- 
lot,  une  grande  usine  pour  injecter  au  sulfate  et  à  la 
créosote  les  traverses  façonnées  par  eux.  Le  gouver- 
nement avait  accepté  ces  étrangers  comme  fournis- 
seurs exclusifs  de  VOuest-Etat  et  mis  à  leur  disposi- 
tion, par  traité,  les  quais  militaires  d'Andelot  et  de 
Rimaucourt  et  les  gares  de  Manois  et  de  Saint-Bliyil... 
Il  serait  intéressant  de  connaître  les  termes  de  ce 
traité  et  les  noms  des  personnages  qui  avaient  appuyé 
les  Himmelsbach  auprès  du  gouvernement.  Depuis 
le  tapage  fait  autour  de  cette  effarante  et  scandaleuse 
concession  et  de  l'encombrement  des  quais  militaires, 
Himmelsbach  a  loué  des  champs  à  côté  des  gares, 
ynais  les  quais  étaient,  il  y  a  encore  quelques  mois, 
couverts  de  traverses  et  de  hois  en  grume.  Il  faut 
donc  que  les  protecteurs  de  Himmelsbach  soient  bien 
influents  pour  que  ce  Badois  n'ait  pas  immédiatement 
débarrassé  nos  quais  militaires.  Ajoutons  que  les 
juifs  pullulent  dans  la  Haute-Marne  et  sont  en  train 
d'accaparer  littéralement  le  département. 

Ces  renseignements  avaient  été  publiés  dans 
V Action  Française  quotidienne  du  14  octobre  1911,  et 
quelque  temps  après  on  pouvait  lire,  dans  le  journal 
Le  Bois,  sous  le  titre  «  Avis  au  commerce  »,  la  note 
suivante  : 

On  annonce  que  la  maison  allemande  Himmelsbach 
frères  va  vendre  son  usine  de  créosotage  et  d'impré- 
gnation des  bois  sise  à  Gudmont  (Haute-Marne),  à  son 
représentant  à  Paris,  M.  Paradis,  lequel  forme  à  cet 


274  l'avant-guerre 

effet  une  société  en  commandite  par  actions  sous  la  rai- 
son sociale  «  Société  d'exploitation  forestière  et  d'im- 
prégnation des  bois  Paradis  et  C'^  ». 


Les  Badois  Himmelsbach,  sentant  la  situation  inte- 
nable, passaient  donc  la  main.  Néanmoins,  avant 
de  se  réjouir  de  cette  victoire  du  nationalisme  fran- 
çais sur  l'espionnage  juif-allemand,  il  importe  de  se 
méfier.  S'agit-il  d'une  fin  de  système,  d'un  renonce- 
ment, ou  d'une  transformation  pure  et  simple  de 
Himmelsbach  en  Paradis  ? 

Quant  à  Tancienne  usine  d'agglomérés  de  Charle- 
ville,  qui,  nous  l'avons  vu,  surplombe  la  ligne  Charle- 
ville-Hirson  et  que  Himmelsbach  devait  transformer 
en  usine  de  créosotage,  elle  n'a  jamais  fonctionné. 

Lorsque  le  Badois  Himmelsbach  eut  a  créosoter 

DES  TRAVERSES    POUR   LES  CHEMINS  DE    FER  DE  l'EsT  

ce  qui  d'ailleurs  est  un  comble  !  —  il  le  fit  non  pas 
à  son  usine  de  Charleville,  mais  bien  à  celle  de 
Nouzon,  QUI  COMMANDE  LA  LIGNE  Chavleville-Givet , 
Cette  usine  de  Nouzon  est  aujourd'hui  transportée  à 
Dijon. 

Nul  ne  refusera  au  Badois  Himmelsbach  le  choix 
judicieux  de  ses  emplacements. 

Himmelsbach  continue  d'ailleurs  à  s'oiïrir  le  luxe 
d'une  usine  inutilisée  à  Charleville.  Il  paie  toujours 
ses  contributions.  On  affirme  même  —  mais  ceci 
reste  à  vérifier  —  qu'il  paye  une  redevance  annuelle 
à  l'octroi.  Or,  il  ne  peut  pas  prétendre  que  cette 
usine  inutile  en  France  lui  serve  à  acquérir  le  droit 
de  fournir  une  administration,  puisqu'il  possède  déjà 
celle  de  Dijon  (autrefois  à  Nouzon).  Enfin,  et 
j'appelle  sur  ce  point  l'attention  des  autorités  compé- 
tentes, je  veux  dire  des  autorités  militaires,  l'usine 


ÉTABLISSEMENTS    INDUSTRIELS   ALLEMANDS         275 

HiMMELSBACH  COMMANDANT  LA  LIGNE  CharleVllle-Hir- 
SOn,  COMPORTE  CINQ  OU  SIX  IMMENSES  RESERVOIRS,  NA- 
GUÈRE REMPLIS  DE  MATIÈRES  INFLAMMABLES  ET  EXPLO- 
SIBLES   ET    QUI  POURRAIENT  BIEN  l'ÊTRE    ENCORE.  Cette 

situation  étrange  rappelle  ainsi  celle  de  la  gare  de 
Délie,  soumise  à  la  fantaisie  pétrolifère  d'une  compa- 
gnie autrichienne.  Il  y  a  quelques  années,  une  péti- 
tion des  habitants  de  ce  quartier  de  Charlevillef  si- 
gnalant le  danger,  fut  déposée  à  la  Préfecture.  Inu- 
tile d'ajouter  que  la  Préfecture  la  mit  aussitôt  au 
panier. 

La  ligne  de  chemin  de  fer  de  Charleville-Longwy 
vers  Nancy  doit  servir,  en  temps  de  mobilisation, 
dans  un  sens  ou  dans  l'autre,  à  un  transport  intense 
de  troupes,  selon  les  nécessités  et  circonstances  de  la 
première  attaque. 

Il  y  avait  jadis  à  Douzy  une  sucrerie  construite  en 
1867,  par  un  Belge,  M.  L...,  excellent  homme,  très 
travailleur,  qui,  plus  tard,  se  fît  naturaliser.  Parsuite 
du  manque  de  main-d'œuvre,  l'agriculture  de  la 
région  se  transforma;  les  pâturages  et  céréales  suc- 
cédèrent à  la  betterave.  La  sucrerie  dut  liquider  en 
1903.  Le  fils  du  fondateur  racheta  les  terrains  propres 
à  la  culture,  tandis  que  les  bâtiments  nus  de  l'usine, 

AINSI     QUE    LE     RACCORD     A     LA    VOIE     FERREE,     FURENT 

vendus  A  MM.  FiCHTEL  ET  Sachs,  Kugellagerprœci- 
siONS  fabrik,  a  Schweinfurt  (Bavière).  Ceci  se 
passait  au  printemps  de  1907. 

Notons  immédiatement  que  les  bâtiments  de  l'ex- 
sucrerie  ne  sont  séparés  de  la  voie  ^ferrée  que  par  la 
largeur  de  la  route  nationale  (Paris-Metz),  qu'ils  sont 
à  cent  mètres  de  la  gare  et  à  proximité  de  nombreux 
petits  ouvrages  d'art  (trois  ponts  à  moins  de 
200  mètres). 


276  l'avant-guerre 

En  1908,  plusieurs  caisses  lourdes  et  demeurées 
mystérieuses  arrivèrent  à  l'usine.  Des  charpentiers 
requis  furent  même  obligés  de  construire  des  chariots 
ad  hoc  pour  les  amener  dans  les  bâtiments.  Un 
peintre  fut  chargé  de  les  tapisser  de  papier,  afm  d'em- 
pêcher la  poussière  d'y  pénétrer. 

En  1910,  un  ingénieur  allemand  vint,  muni  des 
plans  d'une  nouvelle  usine,  fit  ostensiblement  effectuer 
des  sondages,  sous  prétexte  de  prospecter  la  nature 
du  sol,  encore  qu'on  la  lui  eût  indiquée.  Il  avait  an- 
noncé son  retour  comme  imminent.  Cependant,  aucune 
suite  ne  fut  donnée  à  ces  travaux. 

Entre  temps,  l'école  d'aviation  de  Sommer  fonc- 
tionnait à  Douzy;  on  y  faisait  l'essai  de  nouveaux 
aéroplanes  militaires.  L'ingénieur  allemand  utilisait 
ses  nombreux  loisirs  à  suivre  ces  essais  et  à  excur- 
sionner  soUtairement  dans  les  environs.  On  le  vit 
prendre  des  notes  et  de  multiples  photographies. 
Vers  la  même  époque,  une  baronne  (?)  allemande, 
accompagnée  d'une  automobile,  faisait  aux  offi- 
ciers aviateurs  maintes  avances,  accueillies  fraîche- 
ment. 

M.  Fichtel,  commanditaire  de  la  société,  est  mort 
aujourd'hui,  mais  la  raison  sociale  continue.  II  n'est 
jamais  répondu  aux  lettres  adressées  à  Schweinfurt. 
Vu  la  belle  situation  industrielle  de  Douzy,  des  ingé- 
nieurs français  ont  fait  aux  Allemands  des  proposi- 
tions de  rachat  très  avantageuses.  Les  Allemands 
n'ont  même  pas  daigné  entrer  en  pourparlers.  Ils  ne 
consentent  à  louer  leur  usine  à  aucun  prix.  Les 
parties  habitables  sont  concédées  gratuitement  ou  à 
un  prix  dérisoire,  à  titre  précaire  avec  clause  d'éva- 
cuation immédiate  sur  la  demande  du  propriétaire. 
Ils  paient  sans  discuter  et  même  avec  gratification 


ÉTABLISSEMENTS   INDUSTRIELS   ALLEMANDS         277 

les  rares  ouvriers  qu'ils  emploient  pour  le  transport 
de  leurs  lourdes  caisses  mystérieuses.  Ils  ont  con- 
servé un  abonnement  téléphonique  dont  on  ne  voit 
pas  bien  l'utilité.  Ils  acquittent  rubis  sur  Tongle  leurs 
contributions.  On  en  conclut  qu'ils  ont  une  raison  de 
première  importance  pour  conserver  ces  bâtiments  et 
y  immobiliser  des  capitaux  improductifs. 

En  dehors  de  son  importance  stratégique  quant  à 
la  voie  ferrée,  l'usine  en  question  commande  deux 
routes  vers  Bouillon  et  la  Belgique. 

Nous  avons  ainsi  rapidement  énuméré  quelques- 
unes  des  principales  forteresses  industrielles  alle- 
mandes installées  sur  notre  sol  et  dont  la  position,  au 
point  de  vue  stratégique,  présente  incontestablement 
de  très  graves  inconvénients  pour  la  Défense  Natio- 
nale. 

Il  ne  viendrait  à  l'esprit  de  personne  qu'une  situa- 
tion semblable  pût  exister  chez  nos  susceptibles  voi- 
sins ;  ils  auraient  vite  fait  de  faire  déménager  l'in- 
dustriel français  assez  hardi  pour  aller  s'installer 
près  d'une  gare  importante,  d'un  pont,  etc 

Toutefois,  si  nous  nous  bornions  à  l'énumération 
précédente,  on  n'aurait  qu'un  aperçu  fort  incomplet 
de  la  situation  qui  nous  est  faite  par  les  opérations 
allemandes  d'Avant-Guerre. 

Aussi  devons-nous  maintenant  relever  certaines 
fermes  allemandes  qui  nous  ont  été  signalées  dans 
cette  région  comme  resserrant  les  mailles  de  l'immense 
filet  jeté  par  l'ennemi  sur  notre  frontière  de  l'Est. 
L'énumération  de  ces  fermes  n'a  donné  lieu  à  aucune 
protestation  de  la  part  des  intéressés,  lors  de  sa  publi- 
cation réitérée  dans  V Action  Française.  Nous  accueil- 
lerions néanmoins  volontiers  toute  réclamation  même 
tardive   à  ce  sujet,   à  condition  qu'elle  fiit  accom- 


278  l'avant-guerre 

pagnée  de  témoignages  positifs.  Car  il  est  trop  facile 
de  se  dire  «  annexé  »  alors  qu'on  est  en  réalité  d'ori- 
gine et  de  sentiment  allemands.  Beaucoup  des 
fermiers  en  question  jouent  volontiers  de  cette  équi- 
voque. 


CHAPITRE  III 


LES  FERMES  ALLEMANDES  DANS  L'EST 


Ces  fermes  seraient  pour  l'ennemi  des  centres  de 
ravitaillement  tout  indiqués.  Les  Allemands  —  plus 
ou  moins  grimés  en  annexés  —  qui  les  occupent 
feraient  dès  la  première  alerte  et  à  n'importe  quel 
prix  la  razzia  des  bestiaux,  fourrages,  denrées,  appro- 
visionnements de  la  contrée.  De  plus,  les  valets  de 
ferme,  à  défaut  des  fermiers  eux-mêmes,  devien- 
draient d'admirables  guides  pour  les  éclaireurs  prus- 
siens. Ils  connaissent  tous  les  petits  chemins,  les 
abris,  les  creux,  les  bois,  les  taillis,  les  haies, 
cachettes  et  obstacles  précieux  à  repérer. 

Il  n'y  a  pas  que  la  nationalité  de  ces  fermiers 
qui  doive  attirer  l'attention  des  Français  vigilants 
et  nous  avons  des  renseignements  bien  curieux 
sur  certains  d'entre  eux  qui  occupent  des  fermes  de 
l'Est,  fermes  bien  situées,  quoique  d'ailleurs  d'un 
pauvre  rapport,  les  payant  au  quadruple  de  leur 
valeur  et  recevant  à  certaines  dates,  en  cas  de  mau- 
vaises affaires,  d'importants,  de  mystérieux  subsides  •. 

1.  On  m'a  cité  une  ferme  près  de  la  frontière,  arrivée  à  fin 


280  l'avant-guerre 

Les  fermes  allemandes  se  multiplient  surtout,  ce 
qui  est  très  caractéristique,  dans  la  région  impor- 
tante appelée  la  Woëvre,  entre  la  Meuse  et  la  Mo- 
selle, jalonnant  une  route  d'invasion  qui  va  de  Metz 
à  Saint-Mihiel  et  Lérouville. 

Avant  de  dénombrer,  d'une  façon  forcément  incom- 
plète, ces  fermes  de  la  Woëvre,  nous  en  citerons 
quelques-unes  dans  le  Châlonnais,  région  également 
des  plus  exposées  au  point  de  vue  militaire. 


1°  Da?is  le  Châlonnais. 

A  Coolus,  à  4  kilomères  de  Châlons,  siège  du 
iîorps  d'armée,  en  bordure  de  la  ligne  du  chemin  de 
fer  Paris-Nancy- A vricourt,  par  Toul,  située  sur  une 
hauteur  qui  domine  la  ligne,  se  trouve  la  ferme 
Beuzard,  occupée  par  des  Allemands.  Ladite  ferme 
est  en  outre  à  100  mètres  d'un  petit  pont  (tablier  mé- 
tallique) sur  le  ruisseau  la  CoolCy  que  franchit  la  voie 
ferrée.  Si  ce  pont  saute,  la  mobilisation  est  en- 
travée. 

Dans  la  région  de  Sainte-Menehould,  le  long  de  la 
ligne  Châlons-Batilly-Metz    par    Verdun,  plusieurs 

de  bail,  louée  jusqu'alors  trots  mille  fraiics,  qui  a  été  louée 
aussitôt  par  un  Allemand,  au  prix  de  cinq  mille  francs.  Le 
cas  n'est  pas  isolé.  Nos  voisins  attachent,  en  ce  moment,  une 
importance  capitale  à  ces  domaines,  généralement  bien  placés, 
qui  deviendront,  au  jour  de  la  mobilisation,  autant  de  fortins 
allemands  en  terre  française,  où  s'instruisent,  en  attendant  cette 
heure  critique,  des  guides  et  des  éclaireurs  de  premier  choix. 
Certains  de  nos  forts  —  très  importants — ne  sont  occupés  que 
par  cinq  ou  six  hommes  !  Or  l'envahissement  allemand  de 
fermes  voisines  permettrait  en  outre  à  l'ennemi  d'occuper  ces 
forts  avant  que  la  mobilisation  ait  pu  renforcer  leurs  postes. 


LES    FERMES    ALLEMANDES    DANS    l'eST  281 

fermes  sont  occupées  par  des  Allemands.  A  CernoUy 
à  15  kilomètres  de  Châlons,  le  château  et  la  ferme, 
précédemment  propriété  de  la  famille  de  P...,  sont 
aujourd'hui  au  pouvoir  des  Allemands. 

A  propos  da  Châlonnais  et  de  la  région  de  Sainte- 
Menehould,  on  nous  a  écrit  : 

«  Ils  sont  légion  maintenant,  dans  cette  contrée, 
les  villages  où.  lentement,  systématiquement,  patiem 
ment,  s'installent  de  véritables  colonies  allemandes  ; 
j'entends  des  familles  d'Allemands  qui  savent  à  peine 
baragouiner  trois  ou  quatre  mots  de  notre  langue,  qui 
rachètent  les  fermes  disponibles,  qui  vivent  absolu- 
ment à  part,  forment  un  monde  fermé,  où  aucun  de 
nos  paysans  n'a  le  droit  de  pénétrer.  Je  ne  parle  pas 
de  leur  morgue  et  de  leur  insolence.  Je  suis  persuadé 
que  ces  envahissements  partiels  ne  sont  que  la  réalisa- 
tion d'un  vaste  plan  d'ensemble  et,  au  surplus,  que 
plusieurs  de  ces  gens-là  sont  subventionnés.  Ils  arri- 
vent toujours  à  point,  au  moment  précis,  admirable- 
ment renseignés  sur  les  avantages  et  les  inconvénients 
des  combinaisons  qu'ils  se  font  proposer.  » 

Quant  aux  valets  de  ferme  suspects  : 

«  Ils  arrivent,  parlant  très  durement,  mais  assez 
correctement  le  français.  Ils  paraissent  même  trop 
distingués.  D'ailleurs,  ce  sont  des  modèles  d'honnê- 
teté. Laborieux,  toujours  empressés,  ils  vivent  à 
part,  eux  aussi,  taciturnes,  ne  communiquant  leurs 
observations  à  personne,  paraissant  étudier,  exami- 
ner quelque  chose.  Les  dimanches  et  jours  fériés, 
ils  vont  seuls  par  monts  et  par  vaux.  On  les  surprend 
à  recueillir  des  notes,  faire  de  la  photographie,  aux 
alentours  des  ouvrages  militaires,  des  travaux  d'art. 
Quelquefois,  quand  l'attention  est  éveillée,  l'homme 


282  l'avant-guerre 

disparaît  par   une   nuit  sombre,    sans  même    avoir 
touché  sa  payeK  » 


2°  Fermes  de  la  Woëvre. 

Nous  avons  dit  que  la  Woëvre  est  une  vaste  plaine 
s'étendant  entre  la  Meuse  et  la  Moselle.  C'est  surtout 
un  immense  champ  clos,  bien  connu  de  tous  les  mi- 
litaires, promis  aux  premiers  grands  combats  de  la 
guerre  de  demain. 

Cette  région,  admirablement  pittoresque,  acci- 
dentée, vallonnée,  forestière,  parcourue  par  des 
«  rupts  »  ou  ruisseaux  d'un  aspect  riant,  est  désignée 
comme  un  des  établissements  principaux  de  notre 
couverture.  Depuis  quelques  années  une  lente  infiltra- 
tion allemande  s'y  produit.  Les  fermes  tombent  une 
à  une  aux  mains  de  l'ennemi.  Celui-ci  ne  les  choisit 
pas  au  hasard.  Il  les  lui  faut  spacieuses  et  bien 
situées. 

Nous  ne  pouvons  mieux  faire  que  reproduire  les 
lignes  suivantes,  extraites  encore  d'un  article  du 
général  Maitrot,  publié  par  VÉcho  de  Paris  sous  ce 
titre  «  Questions  de  frontière  ». 

Cet  article  a  trait  à  l'occupation  des  fermes  de  la 
Woëvre  par  les  Allemands: 

Les  Allemands  trouveront  dans  la  Woëvre  tous  les 
guides  dont  ils  auront  besoin;  ce  sont  leurs  nationaux 
qui  s'y  sont  fixés,  avec  le  consentement  des  autorités 
locales. 

1.  On  me  signale  au  dernier  moment  comme  allemandes, 
dans  la  région  de  Sainte- M enehould,  les  fermes  de  Remicourt, 
de  La  Basse,  de  Vannoult-les-Dames  et  de  Saint-Jean-decant- 
Possesse. 


LES   FERMES    ALLEMANDES    DANS    l'eST  283 

J'ai  déjà  signalé  le  fait  à  maintes  reprises.  Oui,  la 
Woëvre  est  pleine  d'espions,  installés  à  demeure,  et 
qui  "  attendent  l'armée  allemande  ».  Je  pourrais  citer 
plusieurs  grandes  fermes  du  pays  occupées  par  des  fa- 
milles allemandes  qui  n'ont  de  cultivateur  que  le  nom. 
Par  un  hasard  singulier,  toutes  ces  fermes  sont  situées 
sur  des  points  admirablement  choisis  ;  plateaux  élevés 
dominant  la  région,  embranchements  de  routes,  grande 
clairière  dans  une  forêt. 

Certain  jour  de  l'année  1910,  je  chassais  dans  les 
bois  de...  Le  soir  venu,  je  regagnais  le  rendez-vous 
avec  mon  porte-carnier,  paysan  des  environs,  et  je  lui 
parlais  de  la  ferme  de  X...,  située  à  l'extrême  frontière 
et  à  proximité  de  laquelle  j'étiis  passé  plusieurs  fois 
dans  le  courant  de  la  journée.  Et  comme  je  lui  deman- 
dais quel  en  était  le  tenancier,  il  me  répondit  :  «  Un 
officier  allemand  !  »  Je  fis  un  haut-le-corps  et  il  ajouta  : 
«  Oui,  mon  général,  un  officier  allemand,  pas  de  l'ac- 
tive, sans  doute,  mais  un  homme  qui  a  servi,  on  le 
voit  bien  à  sa  tournure.  D'ailleurs,  regardez  les  champs, 
tous  en  friche;  ça,  un  fermier,  un  cultivateur?  Allons 
donc!  Il  est  plus  souvent  à  Metz  qu'ici.  » 

Je  fis  cette  réflexion  :  «  Pourquoi  a-t-on  laissé  cet 
homme  s'installer  dans  cette  ferme? La  mairie,  la  pré- 
fecture ne  savent  donc  rien?  »  Alors  une  réponse 
conçue  en  termes  énergiques  que  je  me  dispense  de 
rapporter. 

Cette  situation  n'est  pas  particulière  à  la  Woëvre  : 
toute  la  région  avoisinant  nos  frontières  de  l'Est  et  du 
Nord  est  infestée  d'espions,  et  toujours  on  les  trouve 
gités  aux  bons  endroits  près  des  places  fortes,  à  proxi- 
mité des  ponts,  des  tunnels,  des  ouvrages  d'art  impor- 
tants, qu'ils  ont  certainement  pour  mission  de  saboter 
quand  ils  en  recevront  l'ordre,  de  façon  à  ralentir  notre 
concentration  en  arrêtant  la  marche  de  nos  trains. 

Le  ministère  de  la  Guerre  français  a  été  cent  fois 
prévenu  de  ce  qui  se  tramait  sur  un  des  points  les 
plus  importants  du  territoire.  N'ai-je  pas  eu  roccasion 
de  lire  récemment  un  ouvrage  fort  intéressant,  une 


284  l'avant-guerre 

de  ces  vues  d'avenir  comparables  aux  éclairs  qui 
sillonnent  la  nue  avant  l'orage,  intitulé  La  Bataille  de 
la  Woëvre.  Mais  le  ministère  de  la  Guerre  français 
sous  André,  sous  feu  Berteaux,  sous  Messimy,  s'occu- 
pait beaucoup  moins  des  dangers  qui  menacent  la 
Woëvre  que  des  opinions  politiques  et  des  convictions 
religieuses  du  corps  des  officiers.  Au  lieu  de  dresser 
la  liste  des  fermes  allemandes  de  la  frontière,  ces 
messieurs  mettaient  à  jour  Corinthe  et  Carthage,  les 

GRANDS  LIVRES  DE  LA  DELATION,  AUSSITÔT  TRANSMIS 
d'ailleurs  au  grand  ÉTAT- MAJOR  ALLEMAND,  PAR  LES 
SOINS     DE     l'agence      ScHIMMELPFENG,     2,      BOULEVARD 

Montmartre,  a  Paris. 

L'enquête  que  nous  avons  entreprise  sur  l'acquisi- 
tion des  fermes  dans  la  région  de  l'Est,  au  voisinage 
de  la  frontière,  par  notre  ennemi,  est  difficile,  car  les 
Allemands  —  répétons-le  —  se  donnent  en  général 
comme  des  annexés  plus  ou  moins  naturalisés. 

Un  des  nombreux  patriotes  qui  m'a  renseigné  sur 
cette  région  m'écrivait  : 

«  Je  suis  ici  à  deux  pas  de  la  ligne  de  la  Meuse, 
sous  le  canon  du  camp  des  Romains,  près  du  pont  de 
Bislée,  qui  fut  saboté,  l'an  dernier,  par  des  mains 

MANIFESTEMENT   ALLEMANDES,  AU   MOMENT   DE   l'aFFAIRE 

d'Agadir.  On  peut  voir  encore  aujourd'hui,  à  deux 
cents  mètres  de  ce  pont,  un  drapeau  allemand  des- 
siné sur  une  borne  kilométrique  du  chemin  dehalage. . . 
Nous  sommes  infestés  de  métèques,  contrebandiers, 
marchands  de  peaux  de  biques,  romanichels  de  toute 
couleur  et  de  toute  farine  qui  paraissent  beaucoup 
plus  soucieux  d'examiner  le  terrain  et  de  supputer 
nos  ressources  que  de  débiter  leurs  marchandises. 
Saint-Mihiel  est  enjuivé  depuis  longtemps...  On 
m'assure  que  les  fours  à  chaux  de  Dompcevrin,  près 


LES    FERMES    ALLEMANDES    DANS    l'eST  285 

Saint-Mihiel,  sont  aux  mains  d'actionnaires  alle- 
mands, dont  le  principal  demeurerait  à  Knûttange- 
Hûtten.  » 

Pour  en  revenir  à  ces  fermes,  quand  l'officier  ou 
le  sous-officier  qui  les  a  acquises,  quelquefois  au  triple 
de  leur  valeur,  se  sent  signalé  et  brûlé,  il  les  revend 
avec  perte  et  transporte  ailleurs  son  réduit. 

C'est  ainsi  que  la  ferme  de  Montplaisir,  au-dessus 
de  Thiaucourt  {25  hectares),  dont  la  masse  sombre  se 
voit  à  dix  lieues  à  la  ronde,  appartenait,  jusqu'à  ces 
derniers  temps,  à  un  prétendu  Luxembourgeois  des 
plus  suspects.  Comme  le  scandale  était  un  peu  fort,  il 
passa  la  main  à  un  Français.  Ce  cas  est  malheureuse- 
ment isolé. 

Au  sud  de  Gorze,  sur  le  long  plateau  boisé  qui 
longe  la  frontière,  entre  Arnaville  et  Chambley,  on 
nous  a  signalé  deux  grosses  fermes,  des  plus  impor- 
tantes, entourées  de  maigres  champs.  Elles  sont 
toutes  deux  aux  mains  d'Allemands  qui  ne  vont  à  la 
poste  qu'à  Gorze  en  territoire  annexé. 

Sur  le  plateau  de  la  rive  droite  du  rupt  de  Mad, 
entre  Pagny-sur-Moselle  et  Thiaucourt,  se  trouvent 
les  trois  fermes  bien  connues  de  La  Grange-en-Haije, 
de  Bouleuvre  et  de  Sainte- Marie.  Elles  sont  tenues 
par  des  fermiers  soit  allemands,  soit  annexés,  qui  y 
emploient  en  tout  cas  la  main-d'œuvre  allemande. 
En  temps  de  guerre,  les  troupes  allemandes  trouve- 
raient, dans  ces  manœuvres,  des  guides  tout  indiqués 
et  sûrs  pour  les  conduire  la  nuit,  les-  yeux  fermés,  à 
travers  ces  longs  rideaux  de  bois,  impénétrables  et 
fangeux,  qui  barrent  la  mi-Woëvre  du  nord  au  sud. 

Sur  la  route  de  Chambley*,  une  belle  ferme  com- 

1.  A  Chambley,   un    sujet  berlinois    du    nom   de  Kratz    a 


286  l'avant-guerre 

mande  une  partie  de  la  position  du  défilé  de  Saint- 
Benoit.  Allez  causer  avec  le  propriétaire.  Vous  serez 
vite  édifiés  sur  la  nationalité  des  fermiers. 

Si  vous  continuez  jusqu'à  Vigneulles,  où  débouche 
la  trouée  de  Spada,  au  pied  des  côtes,  à  un  endroit 
où  l'on  peut  atteindre  à  couvert  les  hauts  de  la  Meuse, 
se  trouve,  à  la  lisière  nord  des  bois  de  Creue,  la 
ferme  de  Val-en-Bois.  C'est  encore  une  famille  par- 
lant allemand  qu'elle  abrite. 

Plus  au  sud,  à  la  lisière  ouest  des  bois  de  la  Belle- 
Ozière,  une  famille  allemande  possède  la  ferme  très 
importante  de  Buxières-au-Bais.  Cette  ferme  com- 
mande, outre  un  grand  nombre  de  passages  qu'il  me 
semble  inutile  de  spécifier,  la  route  de  Buxières  à 
Heudicourt  et  la  route  d'Heudicourt  à  Nousard.  Je 
donne  ces  détails  précis  pour  les  officiers  en  particu- 
lier qui  voudront  bien  les  vérifier,  comme  je  l'ai  fait 
moi-même,  sur  les  quatre  cartes  d'état-major  de  la 
région  de  Commercy.  Une  de  celles-ci  manquait,  il  y 
a  quelques  mois,  mais  je  pense  qu'elle  est  aujourd'hui 
remplacée. 

Depuis  plusieurs  mois,  la  ferme  du  Griot,  sur  la 
route  stratégique  entre  Chaillou  et  Heudicourt,  est 
occupée  par  une  famille  que  l'on  dit  allemande.  Le 
pire,  c'est  que  le  réseau  se  resserre,  et  qu'on  pourra 
bientôt  dresser  une  carte  des  fermes  allemandes  de 
la  Woëvre  qui  montrera  aux  plus  aveugles  le  plan 
d'investissement  de  l'ennemi. 

loué  la  pèche  des  étangs  de  Saint-Benoît,  do  la  Chaussée,  de 
la  Parroi,  de  Doncourt,  et  en  général  de  tous  les  étangs  de  la 
région.  Cela  lui  donnera  toutes  les  facilités  pour  se  documen- 
ter minutieusement  sur  les  points  intéressants  de  la  topo,2:ra- 
phie  régionale.  Kratz  a  fait  construire  à  Chambley  de  vastes 
réservoirs  où  le  poisson  attend  son  départ  en  wagons  spé- 
ciaux pour  l'Allemagne. 


LES    FERMES    ALLEMANDES    DANS    l'eST  287 

La  ferme  de  Mévaucourt. 

En  plein  camp  des  forts  de  Verdun^  exactement  au 
nord  des  forts  de  Douaumont  et  de  Vaux,  se  trouve  la 
ferme  de  Méraucourt  que  la  rumeur  publique  préten- 
dit longtemps  appartenir  à  l'empereur  d'Allemagne 
sous  le  couvert  d'une  personne  interposée.  Depuis  le 
fait  a  été  formellement  contesté  et  l'on  conçoit  com- 
bien il  est  difficile  en  pareille  matière  de  se  recon- 
naître au  milieu  des  affirmations  contradictoires  qui 
parviennent  à  l'enquêteur  de  tous  côtés. 

Ce  qui  est  notoire  c'est  qu'à  la  suite  d'une  enquête 
tenue  fort  secrète,  —  mais  pas  si  secrète  que  les  con- 
clusions ne  nous  en  soient  parvenues  —  le  fermier  de 
Méraucourt  fut  l'objet  d'un  arrêté  d'expulsion.  La 
Sûreté  générale  avait  eu  la  main  forcée  par  l'autorité 
militaire  française. 

Or,  sur  une  simple  démarche  auprès  du  ministre 
de  l'Intérieur,  cet  arrêté  d'expulsion  fut  rapporté. 

Certains  journaux  de  l'Est,  et  notamment  le  Petit 
Montmédie7i,  ayant  reproduit  cette  information,  le 
Courrier  de  la  Meuse  ajoutait,  sous  la  signature  de 
son  rédacteur  en  chef  : 

Méraucourt  est  un  écart  de  la  commune  de  Bezon- 
vaux  du  canton  de  Charny.  Cette  ferme  est  située  à 
proximité  des  forts  de  Tavannes,  de  Douaumont  et  des 
principaux  ouvrages  de  la  défense  de  Fleury  et  de  Sou- 
ville. 

M.  Bidon,  qui  l'habite  avec  son  père,  est,  en  effet,  un 
Allemand  très  distingué  et  qui  semble  de  pure  race.  Le 
service  de  la  Sûreté  me  disait  récemment  que  jamais 
ce  monsieur  n'écrit  on  Allemagne,  ce  sont  ses  sœurs 
qui  font  constamment  le  voyage  entre  Metz  et  Eix- 
Abaucourt  et  lui  servent  sans  doute  de  facteurs. 


l'avant-guerre 

Au  dernier  banquet  de  la  Société  d'Agriculture  à 
Verdun,  je  me  trouvais  à  côté  de  ces  deux  messieurs 
Bidon  qui  échangèrent  ensemble  leurs  impressions  sur 
les  convives,  à  plusieurs  reprises  en  allemand,  si  bien 
que  je  jugeai  utile  moi-même  d'ajouter  au  dessert  quel- 
ques réflexions  en  la  même  langue  à  leur  adresse,  ce 
qui  n'eût  point  l'air  de  leur  plaire. 

Je  me  demande,  sans  pouvoir  comprendre,  pour 
quelles  raisons  secrètes  la  Société  d Agriculture  iu^Qa^ 
bon  de  donner,  à  ces  MM.  Bidon,  son  premier  prix 
d'améliorations  culturales,  le  13  octobre  dernier.  Ces 
sujets  de  Guillaume  sont  depuis  très  peu  de  temps  sur 
cette  ferme.  En  tout  cas,  la  mesure  a  été  très  commen- 
tée par  tous  les  bons  Français  qui  m'entouraient  ce 
jour-là  à  Verdun. 

A  quoi  le  mystérieux  fermier  de  Méraucourt  ré- 
pondit par  la  lettre  suivante,  qu'il  importe  de  lire 
avec  soin,  elle  en  vaut  la  peine  : 

Méraucourt^  le  5  novembre  1912. 

Monsieur  Malou, 

directeur  du  Courrier  de  la  Meuse, 
16,  place  Chevert,  Verdun. 

Monsieur, 

Dans  le  numéro  de  votre  journal  du  2  novembre  1912, 
première  page,  4^  et  5«  colonnes,  vous  reproduisez  un 
article  de  V Action  Française  et  du  Petit  Montmédien, 
dans  lequel  vous  prétendez  que  : 

1°  La  ferme  de  Méraucourt  appartient  à  l'empereur 
Guillaume  II  ; 

2°  Que  cette  ferme  est  gérée  par  un  officier  allemand 
en  activité  de  service  ; 

S**  Que  mes  sœurs  font  constamment  le  voyage  entre 
Eix-Abaucourt  et  Metz,  et  me  servent  de  facteurs  dans 
un  service  d'espionnage  ; 

4°  Que  j'ai  été  l'objet  d'un  arrêté  d'expulsion  rapporté 
sur  les  instances  de  l'ambassade  d'Allemagne  ; 


LES    FERMES    ALLEMANDES    DANS    l'eST  289 

5°  Que  mon  père  et  moi  sommes  des  Allemands  dis- 
tingués et  de  pure  race. 

Je  pourrais  m'adresser  à  la  justice  française  pour 
obtenir  contre  vous  une  condamnation  à  des  dommages- 
intérêts  pour  votre  article  dilïamatoire.  Mais  cet  article 
est  rempli  de  telles  erreurs  et  inexactitudes  que  sa  por- 
tée en  tombe  d'elle-même. 

Que  M.  Léon  Daudet,  un  polémiste  ardent  et  pas- 
sionné, écrive  de  telles  bêtises  à  mon  sujet,  cela  m'im- 
porte peu  !  Mais  qu'un  journaliste  local,  qui  devrait 
connaître  les  gens  et  les  choses  de  son  pays,  reproduise 
ces  bêtises,  sans  les  contrôler,  cela  dépasse  les  bornes 
de  l'information  sérieuse. 
Permettez-moi  de  vous  dire  que  : 
!*•  La  ferme  de  Méraucourt  n'appartient  point  à  l'em- 
pereur d'Allemagne,  mais  à  un  citoyen  français  honora- 
blement connu  à  Verdun  :  M.  Jules  Sponville,  proprié- 
taire à  Vaux-devaut-Damloup,  dont  je  ne  suis  que  le 
fermier  ; 

2°  Je  ne  suis  point  oflîcier  prussien  et  n'ai  jamais  servi 
dans  l'armée  allemande,  même  en  qualité  de  simple 
soldat.  Je  vous  mets  au  défi  de  prouver  le  contraire  ; 

3''  Mon  père  et  toute  ma  famille  habitent  Metz,  et  si 
mes  sœurs  viennent  à  tour  de  rôle  à  Méraucourt,  c'est 
parce  que  je  suis  célibataire  et  qu'elles  viennent  faire 
mon  ménage  et  m'aider  dans  la  gestion  d'une  ferme  de 
200  hectares  comme  celle  de  Méraucourt  ; 

4°  Si  fai  été  V objet  d'un  arrêté  d'expulsion,  cest  à 
la  suite  de  renseignements  erronés  donnés  sur  mon 
compte  à  la  Sûreté  générale.  Il  m'a  suffi  d'une  simple 
démarche  personnelle,  sans  le  secours  de  V ambassade 
d'Allemagne,  au  m,inistère  de  V  Intérieur  français,  pour 
faire  rapporter  purement  et  simplement  cet  arrête 
d'expulsion. 

A  V examen  des  renseignements  et  du  dossier  que  Je 
lui  ai  transmis,  le  ministère  de  Vbitérieur  a  reconnu 
qu'il  avait  été  trompé  par  des  renseignements  erronés 
et  tendancieux  sur  mon  compte  provenant  de  concur- 
rents intéressés  ; 

5**  Si  je  ne  suis  point  Français  de  nationalité,  je  le 
suis  de  cœur.  Mon  père  est  né  à  Sierck  (Alsace-Lor- 

10 


290  l'avant-guerre 

raine)  en  1850,  et  si,  au  lendemain  de  la  guerre,  il  est 
resté  en  Lorraine  annexée,  c'est  que  des  intérêts  maté- 
riels et  pécuniaires  considérables  ne  lui  ont  point  per- 
mis une  émigration  en  France  qu'il  désirait  vivement. 

Aujourd'hui,  tous  les  Français  intelligents,  et  avec 
eux  Maurice  Barrés,  reconnaissent  que  les  Alsaciens- 
Lorrains  commirent  une  grosse  faute,  au  lendemain  de 
70,  en  éinigrant  en  France,  et  qu'il  aurait  mieux  valu 
maintenir  les  traditions  françaises  et  s'opposer  à  la 
germanisation  à  outrance  dont  la  France  est  victime  en 
Alsace-Lorraine. 

Alsacien-Lorrain  !  voilà  ce  que  je  suis,  avec  toute  ma 
famille,  Monsieur!  et  il  est  profondément  regrettable 
de  voir  un  journaliste  français  traiter  des  Alsaciens- 
Lorrains  d'Allemands  distingués  et  de  pure  race.  J'ai 
perdu  la  nationalité  française  à  la  suite  de  la  guerre 
de  1870  et  les  Français  devraient  être  les  seuls  à  ne 
point  le  reprocher  à  leurs  frères  d'Alsace-Lorraine  et 
à  ne  point  leur  adresser  gratuitement  de  telles  in- 
jures. 

Je  suis  venu  à  Méraucourt  pour  y  gagner  ma  vie  et 
non  pour  y  faire  de  l'espionnage. 

Si,  au  lieu  de  ramasser  dans  votre  journal  des  potins 
et  des  ragots,  vous  aviez  pris  la  peine  de  faire  sur  mon 
compte  une  enquête  sérieuse,  vous  sauriez  que  Je  m'oc- 
cupe en  ce  moment  de  rassembler  les  papiers  qui  me 
sont  nécessaires  pour  demander  aux  autorités  compé- 
tentes ma  réintégration  dans  la  nationalité  française. 

Mais  il  ne  me  plaît  point,  pour  le  moment,  de  me 
défendre  plus  avant  contre  des  accusations  aussi  gros- 
sières et  aussi  injustifiées  et  je  vous  somme  d'insérer, 
conformément  à  la  loi,  ma  réponse  dans  le  plus  pro- 
chain numéro  de  votre  journal  aux  lieu  et  place  de 
l'article  dans  lequel  vous  m'avez  si  légèrement  accusé. 

Veuillez  agréer,  Monsieur,  mes  salutations. 

Alphonse  BmoN. 

Je  ferai  d'abord  remarquer  à  M.  Bidon  qu'il  est 
bien  mal  venu  à  invoquer  la  thèse  de  Barrés  puis- 
qu'il  fait   précisément    tout   le    contraire,   puisqu'il 


LES   FERMES   ALLEMANDES    DANS   l'eST  291 

occupe  une  ferme  en  France  au  lieu  de  demeurer  en 
Lorraine  annexée. 

Mais,  en  outre,  il  est  clair  que,  si  Tempereur  alle- 
mand avait  acquis  une  ferme  en  France,  c'eût  été 
sous  un  prête-nom  et  qu'il  ne  serait  pas  venu  en  per- 
sonne à  Verdun  signer  chez  le  notaire. 

Enfin,  il  reste  acquis,  de  l'aveu  même  de  M.  Bidon  : 

1«  Qu'il  n'est  pas  Français; 

2®  Qu'il  a  été  l'objet  d'un  arrêté  d'expulsion; 

3®  Que  ledit  arrêté  a  été  rapporté. 

Les  explications  de  M.  Bidon  au  sujet  de  cet  arrêté 
d'expulsion  sont  embarrassées,  confuses  et  obscures. 
S'il  s'était  contenté  de  labourer  son  champ,  la  Sûreté 
générale  n'aurait  pas  eu  à  s'occuper  de  lui.  D'autre 
part,  il  fera  difficilement  croire  qu'une  mesure  aussi 
grave  qu'un  arrêté  d'expulsion  ait  été  rapportée  sur 
une  simple  démarche  de  sa  part  au  ministère.  Il  s'est 
sûrement  fait  appuyer.  Pourquoi  ne  donne-t-il  pas 
les  noms  de  ses  protecteurs? 

Enfin,  il  est  au  moins  singulier  que  M.  Bidon 
éprouve  tout  à  coup,  après  un  si  long  temps  écoulé, 
le  besoin  de  demander  aux  autorités  compétentes  sa 
réintégration  dans  la  nationalité  française  et  que 
cette  demande  coïncide  avec  nos  révélations  concer- 
nant la  ferme  de  Méraucourt. 

La  lumière  devra  être  faite  sur  tous  ces  points. 

Cette  question  de  la  ferme  de  Méraucourt  a  eu  son 
écho  à  la  Société  d'Agriculture  de-  Verdun,  ainsi 
qu'en  fait  foi  l'entrefilet  suivant  paru  dans  le  Courrier 
de  la  Meuse  : 

Discussion  très  vive  à  la  Société  d'agriculture  ce 
matin   mardi   à  dix   heures   à   propos  d'une  let*-re  de 


292  l'avant-guerre 

M.  Letrique,  de  Watronville,  demandant  à  la  Société 
d'exclure  de  son  sein  les  étrangers.  Cette  motion  vise 
évidemment  le  cas  Bidon  et  passionne  de  suite  les  mem- 
bres présents. 

M.  Lieutaud  expose  les  avantages  et  les  services 
rendus  à  l'agriculture  par  les  cultivateurs  belges  dans 
notre  région  et,  avec  le  jury  mis  en  cause  pour  le  prix 
des  améliorations  culturales  attribué  à  M.  Bidon,  dé- 
fend les  étrangers. 

M.  Malou  riposte  aussitôt  qu'il  ne  s'agit  pas  du  tout 
d'exclure  nos  amis  les  Belges,  mais  les  Allemands  et 
que  Ton  peut  très  bien  faire  des  catégories  parmi  les 
étrangers.  M.  Delandre,  maire  de  Gincrey  et  M.  Hen- 
nequin,  l'aimable  fermier  de  Renonvaux,  près  d'Etain, 
appuient  énergiquement  le  dire  de  M.  Malou. 

M.  Lecourtier  intervient  avec  plusieurs  autres  mem- 
bres en  faveur  de  M.  Bidon  et  dit  quHlfaut  s'en  pren- 
dre aux  parrains  de  ce  membre. 

M.  Lieutaud  dit  que  l'on  ne  peut  créer  des  règle- 
ments nouveaux  sans  modifier  les  statuts. 

Enfin  tout  le  monde  se  met  d'accord  pour  décider 
qu'au  mois  de  mai,  on  proposera  la  modification  du 
règlement,  afin  que  les  étrangers  ne  soient  pas  admis 
dans  la  Société  avant  un  an  de  présence  dans  l'ar- 
rondissement, ajln  qu'on  les  connaisse.  On  invite  en- 
suite les  parrains  à  être  très  circonspects  dans  le  patro- 
nage qu'ils  accordent  quelquefois  bien  à  la  légère 
et  on  prie  les  membres  de  réclamer  le  scrutin  secret 
quand  ils  le  veulent,  pour  l'élection  d'un  candidat. 

De  ce  compte  rendu  on  peut  facilement  conclure 
combien  les  déclarations  de  M.  Bidon  ont  paru  peu 
convaincantes  à  ses  collègues  de  la  Société  d'Agricul- 
ture. 

Au  dire  d'un  journal  républicain  local,  à  la  date  du 
1"  décembre  dernier,  la  police  tolérait,  à  Verdun, 
165  sujets  allemands  des  deux  sexes  établis  en  ville  ! 
Sans  préjudice  des  juifs,  naturalisés  et  nomades  qui 
fourmillent  dans  la  région. 


LES    FERMES   ALLEMANDES    DANS    l'EST  293 

L'on  m'écrit  à  ce  sujet  : 

«  ...  Quantité  d'étrangers  s'installent  ainsi  comme 
fermiers  le  long  de  la  frontière,  et  tous  se  disent  na- 
tifs du  Luxembourg.  Ces  individus  sont  tous  en  rela- 
tions; jamais  ils  ne  s'écrivent,  et  c'est  en  voiture 
qu'ils  se  rendent  visite.  Comme  exploitants,  ils  ne 
sont  nullement  des  lumières  et,  bien  qu'ils  fassent 
tous  de  maigres  récoltes,  ils  paient  bien  et  vivent 
encore  mieux...  Il  n'y  a  aucun  doute,  la  plupart  de 
ces  fermiers  sont  des  espions,  et  il  est  urgent  que  les 
secteurs  des  camps  retranchés  soient  occupés  en 
temps  de  paix  par  les  troupes  de  forteresse,  afin  d'é- 
viter le  sabotage  des  points  stratégiques  importants 
(lignes  télégraphiques  aériennes  et  souterraines),  à 
la  première  heure  de  la  mobilisation.  » 

Mes  correspondants  s'accordent  à  me  dénoncer  des 
conciliabules  fréquents,  entre  ces  fermiers  d'Avant- 
Guerre.  Même  depuis  quelque  temps,  ils  préside- 
raient la  nuit  à  des  échanges  de  signaux  optiques. 

Il  faut  bien  reconnaître,  du  reste,  que  cette  occu- 
pation du  sol  français  dans  cette  région  de  la  Woëvre 
est  singulièrement  facilitée  par  l'exode  des  autoch- 
tones. Les  habitants  abandonnent  peu  à  peu  ces  ter- 
res occupées  jadis  par  leurs  ancêtres.  C'est  un  des 
pires  effets  de  la  centralisation  républicaine.  Elle 
fait  le  vide  dans  les  campagnes  et  l'étranger  en  pro- 
fite pour  venir  s'installer  chez  nous. 

Un  de  nos  amis  qui  a  fait  l'automne  dernier  un 
stage  militaire  dans  cette  région  m'écrivait  : 

«  Durant  l'été  de  cette  année,  nous  n'avons  guère 
manœuvré  qu'en  Woëvre  :  nombreuses  manœuvres 
de  un  jour,  manœuvre  de  trois  jours,  en  avant  du 
mont  See,  manœuvre  de  trois  jours,  contre  Toul, 
vers  Minorville  et  Tremblecourt  ;  enfin  manœuvres 


294  l'avant-guerre 

d'automne,  à  la  frontière  même,  vers  Briey,  Batilly, 
Mars-la-Tour,  Chambley.  Dans  toute  cette  région, 
la  terre  est  à  qui  veut  la  prendre.  A  Limey,  où  nous 
avions  cantonné  un  jour,  la  vieille  femme  chez  la- 
quelle j'étais  logé  me  disait  : 

«  Un  tiers  du  village  est  complètement  abandonné  ; 
un  autre  tiers  n'est  habité  que  par  des  gens  de  mon 
âge,  sans  enfants.  L'autre  tiers  tient  encore  debout. 
Depuis  deux  ans,  il  n'y  a  pas  eu  de  naissance  dans 
ce  village.  Dès  que  les  jeunes  gens  atteignent  dix- 
huit  ans,  ils  s'en  vont  aux  mines.  » 

«  Notez  que  le  fait  est  général  dans  toute  la 
Woëvre,  sauf  peut-être  sous  les  côtes,  où  les  villages 
vivent  encore  à  peu  près  de  la  vigne.    Alors,   on 

VEND,  ET  vous  SAVEZ  QUI  EST  ACHETEUR. 

«  A  Monaville,  à  quinze  kilomètres  à  l'est  d'Etain, 
je  causai  avec  le  propriétaire  qui  me  logeait.  J'ai 
quarante  hectares,  tne  disait-il,  je  m'en  occupe  seul 
avec  ma  fem,me,  mais  je  ne  sais  si  je  pourrai  aller 
longtemps  comm,e  cela,  et  il  faudra  que  je  vende.  La 
plus  vieille  maison  du  village,  que  l'on  appelle  en- 
core «  le  château  »,  est  occupée  par  des  Allemands 
et  leurs  domestiques,  allemands,  bien  entendu.  Une 
ferme  très  importante,  qui  se  trouve  sur  la  route 
de  Chambley  â  Gorze^  m'a  été  signalée  comme  occu- 
pée par  des  Allemands.  Je  n'ai  pu  toutefois  vérifier 
le  fait...  » 

La  ville  de  Saint-Mihiel  est  entre  les  mains  des 
juifs.  Le  maire  est  un  nommé  Phassmann.  Tous  les 
bouchers,  ou  presque,  sont  juifs.  Le  commerce  est 
réparti  entre  deux  tribus  juives,  qui  louent  aussi  des 
meubles  à  l'année,  au  mois,  à  la  semaine.  Un  certain 
M...  a  fait  le  trust  des  logements.  Pour  louer,  tout  of- 


LES    FERMES    ALLEMANDES    DANS    l'eST  295 

ficier  de  la  garnison  doit  avoir  affaire  à  lui,  directe- 
ment ou  indirectement. 

Mais  continuons  notre  énumération. 

La  ferme  allemande  de  Saint- Barthélémy  était 
située  aux  environs  du  fort  de  la  Chaume  et  du  fort  du 
Regret.  Non  loin  de  là,  les  fours  à  chaux  d'Haudain- 
ville  appartiendraient  à  une  compagnie  allemande. 
Leurs  produits,  en  tout  cas,  sont  expédiés  en  Alle- 
magne, généralement  par  la  gare  d'Amanvilliers. 

On  sait  que,  dans  la  nuit  du  26  novembre  dernier, 
eut  lieu,  à,  Arraucourt,  une  alerte  bizarre  et  encore  mal 
expliquée  de  mobilisation.  Or,  cette  alerte  coïncida 
avec  un  certain  nombre  d'épisodes,  incendies  de 
fermes,  disparitions  de  fermiers  très  caractéris- 
tiques. 

C'est  ainsi  que  la  ferme  de  Saint-Barthélémy ,  que 
nous  venons  de  signaler,  fut  détruite  par  le  feu.  Le 
25  novembre,  à  huit  heures  du  soir,  l'alarme  était 
donnée  à  Verdun.  Comme  il  n'y  avait  pas  d'eau,  tout 
fut  brûlé.  La  quantité  anormale  des  foyers  d'incendie 
fait  qu'on  a  arrêté  le  patron  de  la  ferme,  nommé 
Vendick  et  son  domestique  du  nom  de  Daïhiès.  Ven- 
dick  est  d'origine  luxembourgeoise  (?),  il  était  à  la 
ferme  depuis  peu  de  temps. 

Faute  de  preuves,  Vendick  ainsi  que  son  domes- 
tique furent  relâchés. 

Dans  cette  même  nuit  du  26  novembre,  un  des  plus 
gros  fermiers  de  Villers-la-Montagne,  village  de  huit 
cents  habitants,  situé  à  dix  kilomètres  de  Longwy- 
Haut,  sur  la  route  nationale  de  Longwy  à  Met!:  et  à 
six  kilomètres  de  la  frontière,  fermier  allemand  ex- 
ploitant une  ferme  modèle  appartenant  à  un  Fran- 
çais de  la  localité,  a  passé  la  frontii^re  avec  tous 
SES  biens,  ses  troupeaux  et  ses  dix-huit  chevaux. 


296  l'avant-guerre 

Ajoutons  que  cet  Allemand  est  sous-officier  de  la 
landwehr.  Les  autorités,  afin  de  pallier  le  fait,  ont 
raconté  qu'il  avait  pris  la  fuite  pour  éviter  une  saisie 
imminente. 

Mais  son  départ  aurait-il  eu  lieu  sans  l'alerte  du 
mois  de  novembre?  N'avait-il  pas  été  renseigné  ?  Le 
certain,  c'est  que  cette  coïncidence  a  vivement  ému 
les  autorités  de  la  région.  On  n'avait  pas  encore  de 
nouvelle  de  ce  fugitif  le  5  décembre  dernier.  Le  plus 
ennuyé  dans  cette  affaire  serait  le  propriétaire  de  la 
ferme,  un  fort  brave  homme,  proche  parent  de  l'ex- 
ministre  Lebrun,  auquel  son  fermier  devait,  dit-on, 
une  grosse  somme. 

Le  fermier  allemand  de  Montmeuse  aurait  égale- 
ment disparu  et  serait  recherché  par  la  maré- 
chaussée. 

Cette  ferme  est  située  entre  Bislée  et  Saint-Mihiel, 
à  cinq  cents  mètres  du  quartier  du  12^  chasseurs  à 
cheval.  Ses  fermiers  ne  travaillaient  guère  et  ve- 
naient chaque  jour  à  Saint-Mihiel  chercher  des  jour- 
naux de  toute  sorte. 

Une  lettre  datée  du  10  décembre  dernier,  et  venant 
de  la  frontière,  m'a  rapporté  qu'Allondrelle,  village 
situé  au  nord  de  Longuyon,  près  de  la  frontière 
belge,  faillit  avoir  son  alerte  comme  Arraucourt  et 
dans  la  même  nuit.  L'erreur  venait  d'un  receveur 
des  postes,  lequel  téléphona  à  l'officier  des  douanes 
d'Allondrelle  que  la  guerre  était  déclarée.  Ce  dernier 
heureusement  tint  conseil  avec  le  maire,  et  l'on  dé- 
cida d'avertir  simplement  les  hommes  mobilisables 
d'avoir  à  se  tenir  prêts  à  partir,  en  attendant  confir- 
mation officielle  de  la  mobilisation.  Cet  incident 
prouve  l'insuffisance  de  préparation  des  fonction- 
naires de  l'administration  des  P.  T.  T.  à  l'éventualité 


LES    FERMES    ALLEMANDES    DANS    l'eST  297 

d'une  guerre,  ou  du  moins  aux  mesures  de  précaution 
qui  peuvent  la  précéder. 

Mon  éminent  ami  de  Boisfleury  a  signalé,  dans 
V Action  Française,  le  contre-coup  immédiat  provoqué 
chez  les  Allemands,  par  notre  mobilisation  partielle. 
Voici  sur  ce  point  un  nouveau  détail  :  à  AmanviUiers, 
frontière  allemande,  sur  la  ligne  de  Conflans  à  Metz, 
nos  adversaires  éventuels  avaient  dirigé,  avec  une 
remarquable  célérité,  outre  une  cinquantaine  de 
gendarmes,  un  assez  fort  contingent  de  troupes  et  de 
l'artillerie.  De  plus,  sur  toutes  les  routes,  la  gendar- 
merie allemande  questionnait  avidement  les  gens 
venant  de  France. 

Il  y  eut  là  un  ensemble  de  faits  qui  décidèrent 
le  ministère  de  la  Guerre,  par  l'intermédiaire  de 
i'Etat-Major  du  6®  corps,  à  ordonner  à  la  gendarmerie 
locale — je  citerai  notamment  les  trois  cantons  de 
Longwy,  de  Longuyon  et  à^Audun-le- Roman  —  de 
s'informer  des  Allemands  suspects   exerçant  les 

PROFESSIONS    de    FERMIERS,     INDUSTRIELS,    INGÉNIEURS, 

entrepreneurs,  CONTREMAITRES,  ETC.  Il  011  fut  si- 
gnalé un  grand  nombre.  En  voici  un  de  plus,  qui 
prouvera  à  l'autorité  militaire  que  nous  sommes 
exactement  renseignés  et  qu'il  est  grandement  temps 
pour  elle  d'ouvrir,  comme  on  dit,  l'œil  et  le  bon. 

Il  s'agit  d'un  entrepreneur  de  camionnage,  — j'ai 
entre  les  mains  son  dossier  complet,  —  protégé  du 
maire  juif  d'une  ville  importante  de  garnison  dans 
l'Est.  Cet  individu  s'est  fait  naturaliser  à  trente-six 
ans,  après  avoir  accompli,  en  A-llemagne,  toutes  ses 
périodes  d'instruction  militaire.  C'est  exactement,  on 
s'en  souvient,  le  cas  de  Lucien  Baumann,  des  Grands 
Moulins  de  Corheil.  Ce  camionneur  est  le  fils  d'un 
financier    allemand    qui    fit  de   mauvaises  affaires. 


298  l'avant-guerre 

Lui-même  ne  vit  que  d'expédients.  Il  demeurk  tout 
PRÈS  d'un  pont,   dont  l'importance  stratégique  est 

CONSIDÉRABLE,  DANS  LA  MÊME  MALSON  QUE  DEUX  OFFI- 
CIERS FRANÇAIS,  qui  feront  bien  aussi  de  se  méfier, 
si  ces  lignes  leur  tombent  sous  les  yeux.  Il  est  l'in- 
time ami  du  propriétaire  d'un  château  des  environs, 
sur  lequel  on  me  communique  par  ailleurs  des  ren- 
seignements fort  impressionnants.  Il  a  plusieurs 
frères  officiers  dans  l'armée  allemande.  Avant  d'ha- 
biter LA  VILLE  DE  GARNISON  EN  QUESTION,  NOTRE 
HOMME  OCCUPAIT  UNE  FERME  DE  LA  WoËVRK.  Muuie  dc 

ce  signalement,  l'autorité  militaire  n'aura  pas  beau- 
coup de  mal  à  découvrir  de  qui  je  veux  parler  et  à 
faire  son  devoir. 


Autres  fermes  allemandes. 

La  ferme  de  VAinérique,  située  entre  ChonviUe  et 
LérouDille,  à  deux  kilomètres  du  154^  d'infanterie, 
serait  occupée  par  des  étrangers. 

Seraient  allemandes  aussi  les  fermes  de  Bricourt 
et  de  Bnchaunaud,  situées  à  4  kilomètres  du  fort  de 
Liouville  et  à  3  kilomètres  de  la  batterie  d'Apremont. 
On  y  garderait  toujours  deux  récoltes  de  grains. 
Seraient-elles  destinées  au  ravitaillement  de  l'enva- 
hisseur? 

L'année  dernière  un  officier  français,  allant  en 
reconnaissance  de  trois  jours  aux  environs  de  Mars- 
la-Tow\  coucha  dans  deux  fermes,  sous  le  portrait 
de  Frédéric-Guillaume  et  de  Guillaume  II!  Comme  il 
demandait  au  fils  d'un  de  ces  fermiers  ce  que  sa 
famille  et  lui  feraient  en  cas  de  mobilisation  :  «  Nous 


LES    FERxVIES    ALLEMANDES    DANS    l'eST  299 

rentrerions  en  Allemagne  »,  répondit  sans  hésiter  ce 
petit  soldat  d'Avant-Guerre. 

Un  de  mes  correspondants  attire  mon  attention  sur 
la  situation  toute  particulière  du  château-ferme  de 
Martincourt,  situé,  celui-ci,  en  pays  annexé,  mais  à 
une  portée  de  fusil  de  la  frontière  et  de  [ki  foyêt 
de  Parroy  {consulter  la  carte  cV état-major).  Martin- 
court  appartient  à  un  propriétaire  prussien  qui  y 
entretient,  comme  cultivateurs  (?)  des  vétérans  de 
l'armée  allemande  parmi  lesquels  des  sous-offi- 
ciERS,  AU  nombre  d'une  TRENTAINE.  Ces  vétérans  cir- 
culent fréquemment  et  librement  dans  le  pays  fran- 
çais et  notamment  en  forêt  de  Parroy.  Ils  seront,  en 
cas  de  guerre,  d'excellents  guides  à  travers  ces  bois 
très  marécageux,  imjyraticables  sans  leur  concours  à 
une  armée  d'invasion. 

Or,  la  forêt  de  Parroy  permet  d'arriver  jusqu'à 
Lunéville,  en  deux  heures,  achevai,  et  de  surprendre 
cette  importante  garnison  (2^  division  indépendante 
de  cavalerie^  2^  bataillon  de  chasseurs).  La  connais- 
sance de  cette  forêt  permet  en  outre  d'amener  des 
troupes,  au  besoin  de  l'artillerie  de  siège,  à  deux 
kilomètres  nord-est  du  fort  de  Manonvillery  lequel 
couvre  notre  voie  ferrée  à' Avricourt-Nancy  et  cons- 
titue le  seul  ouvrage  avancé  à  l'est  de  Toul. 

Quelqu'un,  dont  l'intelligence  et  l'activité  égalent  le 
patriotisme,  m'écrivait  au  sujet  de  tous  ces  suspects  : 

Qu'en  fera-t-on  au  moment  de  la  mobilisation  ? 

J'estime  qu'il  sera  à  peu  près  impossible  à  nos  gen- 
darmes de  les  arrêter  à  temps  ou  de  les  expulser.  A  ce 
moment,  en  effet,  les  gendarmes  auront  à  s'occuper  de 
quantité  de  choses.  Il  leur  faudra  d'abord  porter  dans 
toutes  les  communes  les  affiches  de  la  mobilisation  et 
en  coller  un  certain  nombre  eux-mêmes.  Et  l'invasion 
des  troupes  allemandes  se  fera  peut-être  si  rapidement. 


300  l'avant-guerre 

sur  certains  points,  qu'ils  en  auront  à  peine  le  temps. 
Alors,  que  deviendront  les  suspects?  C'est  un  premier 
problème  à  résoudre. 

Et  il  y  en  a  un  second:  que  fera-t-on  de  la  masse  des 
étrangers  non  suspects,  dont  un  grand  nombre  demeu- 
rera certainement  sur  place?  Je  crois  que  la  présence 
d'une  quantité  d'étrangers  sans  travail  et  bientôt  sans 
pain  pourra  devenir  fort  dangereuse  pour  les  popula- 
tions indigènes. 

C'est  bien  mon  avis,  et  je  transmets  la  question  à 
M.  le  Ministre  de  la  Guerre,  afin  qu'il  en  fasse  son 
profit.  Ces  études  sur  l'espionnage  juif-allemand  ont 
un  but  suprême  qui  est  le  renversement  d'un  régime 
de  trahison  :  mais  elles  ont  aussi  une  portée  immé- 
diate, qui  est  la  sauvegarde,  en  cas  de  guerre,  de 
certains  points  vitaux,  essentiels.  Mes  correspon- 
dants le  comprennent  à  merveille.  Eux  et  moi,  leur 
modeste  porte-parole,  faisons  de  notre  mieux  notre 
devoir.   Au  Ministre  de   la   Guerre  de  faire  le  sien. 


CONCLUSION 


Me  voici  arrivé  au  terme,  non  de  l'exposé  de  toute 
r  Avant-Guerre  allemande  en  France,  certes,  mais  delà 
première  partie  de  cet  exposé.  Jusqu'à  ce  jour  les  écri- 
vains patriotes,  civils  ou  militaires,  qui  avaient  traité 
ce  grave  sujet,  étaient  demeurés  dans  des  généralités 
intéressantes,  peu  capables   cependant  de  soulever 
ropinion.  C'est  pourquoi  j'ai  cru  nécessaire  de  citer 
les  noms  et  les  faits,  d'être  aussi  concret  que  possible. 
11  est  très  possible  que,  malgré  ma  vigilance,  quel- 
ques erreurs  de  détail  se  soient  glissées  dans  cet  amas 
de  documents  que  j'accumule  depuis  le  mois  de  sep- 
tembre   1911    et    qui    ont    été   publiés    successive- 
ment dans  l'Action  Françaûe  quotidienne.  Il  est  éga- 
ment  possible  que  ces  révélations  aient  amené  ici  et 
là  des   transformations   de    l'entreprise  allemande, 
soit  que  certaines  des  sociétés  citées  aient  renforcé 
leurs  masques  par  prudence,  soit  que  sur  quelques 
points  l'envahisseur  ait  reculé  et  cédé  la  place  à  l'au- 
tochtone. Non  seulement  j'accepte  par  avance,  mais 
encore  je   sollicite  toutes  les  rectifications  dûment 


302  l'avant-guerre 

motivées  et  dont  il  sera  tenu  compte  dans  les  éditions 
ultérieures.  Je  préviens  toutefois  les  protestataires 
que  je  contrôlerai  rigoureusement  leurs  dires  et  réfé- 
rences, car  il  est  sous  la  République  plus  d'une  façon 
de  se  prétendre  français  alors  qu'on  est  bel  et  bien  juif 
et  métèque.  Enfin  je  ferai  remarquer  qu'au  cours 
d'une  campagne  de  dix-huit  mois  je  n'ai  pas  recueilli 
plus  de  deux  ou  trois  démentis  catégoriques,  s'il 
m'est  parvenu,  directement  ou  indirectement,  une 
demi-douzaine  de  protestations  d'ailleurs  confuses  et 
embarrassées,  scrupuleusement  reproduites  dans  ce 
volume. 

Après  une  longue  période  de  silence,  la  presse  pari- 
sienne —  asservie  par  tant  de  contraintes  —  a  dû  faire 
écho  à  nos  révélations,  alors  que  la  presse  provin- 
ciale, beaucoup  plus  libre,  les  accueillait  et  les  com- 
mentait dès  le  début.  Quelques  journaux  tentaient, 
sur  le  terrain  purement  commercial  et  industriel,  une 
diversion  qui  devait  bientôt  échouer  de  la  façon  la 
plus  piteuse.  Cette  «  guerre  aux  poupées  »  —  ainsi  bap- 
tisée à  cause  de  la  part  démesurée  faite  à  l'importation 
des  jouets  germaniques  —  ne  doit  pas  nous  détourner 
de  l'Avant-Guerre,  pas  plus  qu'il  n'est  permis  aux 
enfants  tapageurs  d'interrompre  la  conversation  des 
grandes  personnes.  Il  s'agit  ici  non  d'un  thème  de 
polémique,  mais  d'une  question  vitale. 

Je  ne  reviens  pas  sur  rinstallalion  de  la  Répu- 
blique en  France,  à  la  suite  de  nos  désastres  de 
1870-1871  par  la  volonté  du  prince  de  Bismarck,  ni 
sur  le  parallélisme  de  la  politique  anti-cléricale,  pour- 
suivie chez  nous  par  Gambetta,  et  du  Kulturkampf. 
Les  travaux  de  nos  amis  Jacques  Bainville  et  Marie 
de  Roux  ont  fait  la  lumière  sur  cette  question.  Il 
suffit  de  s'y  reporter.  Je  n'insiste  pas  davantage  sur 


CONCLUSION  303 

la  période  de  tâtonnements,  de  sursauts  nationalistes, 
de  dérivation  coloniale  et  de  petits  abandons  qui 
va  de  1871  à  1896,  à  la  veille  de  l'affaire  Dreyfus. 

A  partir  de  l'affaire  Dreyfus,  de  l'assaut  de  trahison 
du  peuple  juif  et  de  la  suppression  du  bureau  des 
RENSEIGNEMENTS,  —  but  avoué  de  la  campagne 
dreyfusarde,  —  les  Allemands  ont  estimé  qu'ils 
n'avaient  plus  à  se  gêner.  Ils  avaient,  au  ministère 
DE  l'Intérieur,  un  homme  a  eux,  Jacques  Grumbach, 

CE  QUI  EXPLIQUE,  d'aPRÈS  LES  PLUS  RECENTES  STA- 
TISTIQUES, QUE   LE   NOMBRE  DES    NATURALISÉS    AIT  PASSÉ 

DE  38.000,  EN  1896,  A  120.000,  en  1911.  Les  Allemands 
avaient  à  la  Chambre  et  au  Sénat  un  groupe  de 
politiciens  français  tout  dévoués  à  leurs  entreprises, 
ce  que  j'ai  appelé  le  clan  des  Ya.  Ils  tenaient,  ils 
tiennent  encore  pour  des  raisons  demeurées  mysté- 
rieuses, un  certain  nombre  d'organes  de  pressse.  Bref, 
uniquement  bridés  dans  la  République  de  Bismarck- 
Gambetta  (1871-1897)  par  l'élément  militaire  français, 
ils  avaient  réussi,  grâce  à  la  complicité  juive,  à 
basculer  complètement  cet  élément  militaire  dans  la 
République  Bismarck-Dreyfus  (1897-1912).  Les  voies 
étaient  libres,  les  ministères  ouverts,  les  pots-de-vin 
aussi.  Il  n'y  avait  qu'à  acheter  et  à  marcher. 

L'immense  essor  commercial,  industriel,  écono- 
mique de  l'empire  allemand  était  là.  Il  était  facile  de 
l'utiliser.  Un  des  plus  grands  et  des  plus  clairvoyants 
journalistes  français,  le  plus  clairvoyant  de  tous,  quant 
à  la  politique  extérieure,  notre  ami  Jacques  Bainville, 
a  maintes  fois  signalé  la  misère  de^ l'argument  fondé 
sur  la  prétendue  infériorité  financière  de  l'Allemagne. 
En  dépit  de  notre  bas  de  laine,  absurdement  évoqué 
et  invoqué  par  les  libéraux  et  les  conservateurs,  c'est 
la  finance  allemande  qui,  par  des  voies  obliques  et 


304  l'avant-guerre 

même  en  utilisant  le  marché  français  [ —  la  collabo- 
ration Tliyssen-Le  Châtelier  en  est  le  plus  récent 
exemple  — ],  a  soutenu  de  toutes  ses  forces  les  entre- 
prises allemandes  dans  notre  pays.  Elle  a  fait  tous 
les  sacrifices  nécessaires.  Elle  a  acheté  et  corrompu 
ceux  qu'il  fallait  acheter  et  corrompre,  dans  ce  monde 
taré  des  politiciens  républicains  où  tout  est  à  l'encan. 
Là  où  le  pot-de-vin  ne  marchait  pas,  c'est  le  jeton  de 
présence,  ce  pot-de-vin  déguisé,  qui  a  fonctionné.  Notre 
sous-sol,  notre  sol,  nos  nœuds  vitaux  ont  été  conquis 
ainsi  en  quatorze  ans,  à  la  muette  et  par  échelons.  Le 
courtier  de  publicité  allemand  est  un  des  plus  habiles 
du  globe  ;  et  la  diplomatie  allemande  le  soutenait, 
comme  c'était  son  devoir,  de  ses  froncements  de 
sourcils,  quand  le  défroncement  de  la  bourse  ne  suf- 
fisait pas. 

L'Allemagne  s'est  installée  ainsi,  sans  coup  férir, 
principalement  : 

—  En  Normandie,  où  elle  tient  partiellement 
Cherbourg,  où,  demain,  elle  aura  le  port  de  Diélette 
et  le  port  de  Caen,  où  ses  enclaves  sont  déjà  nom- 
breuses. 

—  Dans  la  vallée  de  l'Oise,  où  ses  établissements, 
usines,  hangars,  dépôts,  ne  se  comptent  plus. 

—  Dans  la  région  du  Nord,  à  Douai  et  environs, 
notamment. 

—  Dans  la  région  de  l'Est,  Lorraine  et  Champagne. 

—  Dans  les  environs  immédiats,  dans  la  grande 
banlieue  et  la  banlieue  de  Paris. 

—  Sur  les  bords  de  la  Méditerranée,  parages  de 
Toulon,  d'Hyères  et  de  Nice. 

Je  rappelle,  à  ce  sujet,  que  les  deux  centres  d'es- 
pionnage effectif  allemand  sont  Bruxelles  et  la  prin- 
cipauté de  Monaco.  Le  prince  de    Monaco   est   un 


CONCLUSION  305 

agent  allemand  {intervention  dans  V Affaire  Dreyfus 
et  la  loi  de  Séparation). 

De  ses  forteresses  et  enclaves  industrielles  et  com- 
merciales en  France,  installées  autant  que  possible 
aux  nœuds  vitaux,  aux  points  stratégiques,  l'Allema- 
gne a  essaimé  dans  nos  ports  {cotnpagnies  allemandes 
de  navigation),  dans  nos  forts  {charbon  allemand, 
wagonnets  allemands),  dans  nos  campagnes  {com^pa- 
gnies  d'automobiles  judéo- allemandes),  dans  notre 
réseau  électrique  et  de  télégraphie  sans  fil  {Allge- 
meine  Electricitàts  Gesellschaft) ,  dans  notre  minoterie 
{trust  des  Moulins  de  Corbeil  et  d^ailleurs,  par  Lucien 
Baumann),  dans  nos  parcs  d'aérostation  militaires 
{VElektron,  à  La  Motte- Breuilj,  dans  tous  les  budgets 
locaux,  départements,  arrondissements,  communes 
{agence  d'espionyiage  Schimmelpfeng  et  ses  simi- 
laires) . 

Une  fois  installée,  munie,  équipée  de  la  sorte, 
l'Allemagne  s'est  dit  : 

ft  Si  la  paix  continue,  je  fortifie  et  j'augmente  mes 
«  prises.  J'exproprie  peu  à  peu,  en  France  même,  le 
«  Français  de  ce  qui  a  fait  autrefois  sa  richesse  et  sa 
«  grandeur.  Je  lui  impose  mon  état-major  d'ingé- 
a  nieurs  et  de  techniciens,  campés  aux  bons  endroits, 
ft  qui  me  renseignent  et  sont  prêts  à  agir. 

«  Si  la  guerre  éclate,  c'est  la  perturbation  automa- 
«  tique,  par  abstention  ou  par  sabotage,  d'un  grand 
«  nombre  de  services  publics  chez  mon  adversaire. 
«  Lucien  Baumann  affame  Paris.  Orenstein  et 
«  Koppel,  Hansen  et  Neuerburg,  les  mines  de  la 
«  Houve  éteignent  les  forts  de  l'Est.  Une  légion  d'of- 
«  ficiers  chimistes,  d'officiers  électriciens,  d'officiers 
«  aviateurs  allemands  détraquent  les  voies  de  com. 
ce  munication,  font  sauteries  viaducs  et  les  aqueducs, 

H 


306  l'avant-guerre 

«  crèvent  les  dirigeables.  Le  décret  de  mobilisation 
«  allemande  mobilisera  du  même  coup  tous  les  bons 
<(  serviteurs  de  l'Allemagne  qui  travaillent  en 
«  France,  aux  postes  dangereux,  à  la  gloire  alle- 
«  mande.  Il  y  aura  sans  doute  du  déchet,  car  les 
ft  choses  humaines  ne  marchent  pas  toujours  comire 
((  un  grand  état-major  et  un  empereur  prévoyant  les 
«  ont  conçues.  Cette  première  guerre,  sur  les  travaux 
«  d'art  et  les  ressources  économiques,  n'en  sera  pas 
(f  moins  un  fameux  atout.  » 

En  cas  de  défaite  de  la  France,  tout  ce  peuple  d'Al- 
lemands, vivant  en  France  et  vivant  sur  la  France,  se 
trouverait  ensuite  tout  porté  pour  germaniser  à  fond 
un  pays  dont  il  connaît  et  emploie  les  ressources,  où 
cohabiteraient  désormais  deux  races  :  la  vaincue, 
c'est-à-dire  nous  ;  la  victorieuse  c'est-à-dire  l'allemande, 
avec  le  juif  comme  compère  et  garde -chiourme  :  le 
juif  qui,  depuis  1870-71,  qu'il  s'appelle  Alfred  Dreyfus, 
Rothschild,  Ullmo,  Emile  Weyl,  Joseph  Reinach, 
Jacques  Grumbach,  Berthold  Frischauer,  Grùnebau- 
Ballin,  Cahen,  Kohn,  Kahn,  Pereire,  Camondo,  Bam- 
berger,  Merzbach,  etc.,  etc.,  n'a  jamais  cessé  de 
servir  l'intérêt  allemand. 

C'est  afin  de  contribuer,  dans  la  mesure  de  mes 
forces,  à  éviter  un  pareil  désastre  que  j'ai  écrit  le 
présent  ouvrage.  Il  aura  une  suite,  s'il  plaît  à  Dieu. 

Quelques-uns,  voulant  donner  à  leur  silence  une 
raison  décente,  m'ont  accusé  de  jeter  Talarme,  de 
semer  le  doute  dans  les  cœurs,  à  la  veille  d'une  confla- 
gration qui  apparaît  de  jour  en  jour  moins  évitable. 
Est-il  besoin  de  me  défendre  contre  un  reproche  aussi 
absurde?  Reprocherait- on  de  jeter  l'alarme  à  l'éclai- 
reur  qui  explore  la  région  où  tout  à  l'heure  on  se 
battra,  signale  les  embuscades  et  les  pièges  et  permet 


CONCLUSION  307 

ainsi  de  les  déjouer?  La  vérité  est  que  tout  républicain 
a  senti  la  force  et  la  portée  d'un  réquisitoire  fondé  sur 
des  faits  visibles  et  tangibles.  Le  républicain  de  bonne 
foi  s'est  tu,  cherchant  à  sortir  sans  trop  de  dégâts  de 
l'alternative  inéluctable  :  Patrie  ou  République.  Le 
républicain  de  mauvaise  foi  s'est  jeté  dans  la  première 
impasse  venue. 

D'autres  ont  murmuré  :  «  Exagération chauvi- 
nisme étroit.  .  .nécessités  financières  et  industrielles.  » 
Un  avenir  prochain  montrera  aux  plus  récalcitrants 
si  j'ai  exagéré  le  mal,  dont  chacun  peut  contrôler  dans 
sa  sphère  les  effrayants  progrès ...  Je  ne  connais  pas 
de  nécessité  industrielle  ou  financière,  qui  doive  nous 
obliger  à  contribuer  de  notre  fer  et  de  notre  or  à 
l'armement  intensif  de  nos  mauvais  voisins  de  l'Est. 
Il  est  insupportable  de  songer  que,  par  le  jeu  combiné 
de  la  coulisse  juive,  de  la  Bourse  de  Paris,  et  de 
quelques  sociétés  d'exploitation  minière,  les  deux  mé- 
taux de  notre  futur  asservissement  sont  livrés  en  propor- 
tions énormes  à  notre  ennemi  éventuel.  Il  est  criminel 
que  le  fer  français  serve  à  fondre  les  canons,  les  obus, 
les  mitrailleuses,  les  coques  de  cuirassés  de  l'armée 
et  de  la  marine  allemandes  ! 

Aux  Français  avertis,  de  juger,  maintenant^  s'ils 
veulent  conserver  un  régime  qui  a  instauré  cette 
trahison  et  qui  entend  la  continuer.  Car  la  plus 
effarante  réponse  à  mes  accusations  a  été  faite  par 
M.  Joseph  Caillaux,  livreur  du  Congo  à  l'Allemagne 
en  pleine  paix,  par  M.  Caillaux  ex-président  du  Conseil, 
déclarant  sans  sourciller  qu'il  entendait,  pour  la 
première  fois,  parler  de  l'installation  de  Diélette!  Ces 
chefs  de  l'Etat  républicain  seraient  ainsi  capables  de 
livrer,  sans  s'en  apercevoir,  une  nouvelle  province 
au  roi  de  Prusse. 


308  l'avant-guerre 

Quant  aux  quelques  rares  Français  qui,  ayant  partie 
liée  avec  l'industrie  allemande,  ont  essayé  d'infirmer 
ma  campagne  au  nom  de  leurs  intérêts  personnels,  ils 
sont  assez  punis  par  l'aveu  public  qu'ils  ont  dû  faire 
de  leur  attitude.  Je  les  abandonne  à  leur  inconscience 
ou  à  leurs  remords.  Leur  excuse,  c'est  que  jusqu'au 
coup  de  tonnerre  de  1905  —  alerte  de  Tanger  —  ils 
avaient  pu  croire  bénévolement  à  un  rapprochement 
entre  les  deux  pays,  rapprochement  que  rendent  dif- 
ficile la  spoliation,  l'expropriation  de  70-71,  un  natu- 
rel antagonisme  de  race,  la  concurrence  économique 
et  que  rendent  impossible  la  faiblesse  et  la  disconti- 
nuité inhérentes  à  notre  constitution.  Ces  esprits 
faibles  n'ont  pas  compris  que  nous  ne  pouvions  vivre 
en  paix  durable  avec  l'Allemagne  sous  la  Républi- 
que, qu'en  scellant  notre  abaissement  historique, 
qu'en  acceptant  une  situation  de  vassalité. 

L'étranger  de  l'intérieur,  le  juif  s'est  tu.  Il  n'avait 
pas  autre  chose  à  faire  en  attendant  son  châtiment. 
Fourrier  de  l'Allemagne  il  est  demeuré  dans  son  rôle 
ethnique,  qui  consiste  à  trahir  le  vaincu  au  bénéfice 
du  victorieux.  Issue  du  clairvoyant  génie  de  notre 
maître  à  tous,  Charles  Maurras,  mon  étude  très  im- 
parfaite sur  l'Avant-Guerre  continue  à  sa  façon  la 
France  Juive  du  grand  Drumont  et  en  constitue  en 
quelque  sorte  le  corollaire.  Le  lecteur  se  rendra  compte 
que  la  trahison  d'Alfred  Dreyfus,  mise  en  œuvre  par 
Joseph  Reinach,  allait  encore  plus  loin  qu'on  ne  l'i- 
maginait, qu'elle  fut  le  signe  de  la  livraison  de  notre 
pays  à  l'Allemand  par  une  horde  orientale  et  le  point 
de  départ  d'un  des  envahissements  les  plus  auda- 
cieux, les  plus  méthodiques,  qu'aient  connus  les 
temps  dits  civilisés.  L'Avant-Guerre,  s'il  en  était 
besoin,  justifierait  l'antisémitisme  comme  une  néces- 


CONCLUSION 


309 


site  de  la  Défense  Nationale.  Rappelez-vous  le  mot  de 
Bismarck:  «  Pourquoi  donc  aurait  été  créé  le  juif,  si 
ce  n'est  pour  servir  d'espion?  » 

Je  remercie  de  tout  cœur  les  nombreux  collabora- 
teurs anonymes,  ou  connus  de  moi,  qui  ont  bien 
voulu  me  seconder  dans  ma  tâche.  Sans  eux,  sans 
leur  zèle  incessant  et  minutieux,  je  n'aurais  pu  mener 
à  bien  mon  dessein  d'avertir  mes  compatriotes  et  de 
les  mettre  en  garde.  Militaires  de  tout  grade,  prêtres, 
employés  et  voyageurs  de  commerce,  chefs  d'indus- 
trie, marins,  mineurs,  fermiers,  forestiers,  électri- 
ciens, que  tous  trouvent  ici  l'expression  de  ma  recon- 
naissance émue.  Ils  m'ont  prouvé,  par  leur  ardeur, 
la  survivance  de  cette  énergie  française  qui,  demain, 
sous  l'égide  indispensable  du  Roi,  étonnera  le  monde. 
Grâce  à  eux,  j'ai  senti  la  flamme  et  vu  danser  la  vic- 
toire dans  son  reflet.  Je  dois  une  mention  spéciale  à 
mes  nobles  amis  les  camelots  du  Roi,  toujours  au 
premier  rang  pour  le  service  de  la  Patrie.  Mais  ils 
m'en  voudraient  d'insister. 

En  terminant,  je  m'excuse  encore  d'avoir  été  for- 
cément incomplet. 

C'est  ainsi  que  je  n'ai  pas  même  fait  allusion  dans 
ce  premier  volume  à  un  espionnage  d'approvisionne- 
ment qui  demeure,  en  prévision  de  l'envahissement 
des  campagnes  françaises,  une  des  grosses  préoccu- 
pations et  des  plus  secrètes  de  notre  ennemi.  Si  les 
événements  nous  en  laissent  le  temps,  j'espère  pro- 
chainement compléter  cette  lacune^  Je  ne  désespère 
pas  de  pouvoir  dresser,  d'ici  quelques  mois,  un  plan 
de  l'Avant-Guerre  en  France  qui  ne  devra  pas  être 
fort  différent  de  celui  que  recèlent  les  arcanes  du 
Grand  État-Major  allemand  à  Berlin. 

FIN. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


Avant-Propos vu 

Première  partie 
LES  AUXILIAIRES  DE  L'AVANT-GUERRE 

Chapitre  L  —  Le  juif  Jacques  Grumbach,  Fonc- 
tionnaire du  gouvernement  allemand  au  minis- 
tère de  l'Intérieur  français •.        3 

Chapitre  IL  —  L'Agence  Schimmelpfeng 8 

Chapitre  III.  —  Lucien  Baumann 33 

Les  Grands  Moulins  de  Corbeil  dits  «  Petite  Prusse  »  et  le 
juif-allemand  Lucien  Baumann. 

Deuxième  partie 

LA  DÉFENSE  NATIONALE  TRIBUTAIRE  DE 
L'INDUSTRIE  ALLEMANDE 

Chapitre  L  —  Dans  nos  forts  de  l'Est,  le  char- 
bon ET  l'outillage  SONT  FOURNIS  PAR  DES  ALLE- 
MANDS       61 

Chapitre  IL  —  Notre  aéronautique  est  tribu- 
taire de  l'Allemagne  pour  la  fourniture  de 
l'hydrogène  de   nos   dirigeables  bt   celle   des 


312  TABLE    DES    MATIERES 


f  _     » 


APPAREILS  DE  TELEGRAPHIE  SANS  FIL  DE  NOS  AERO- 
PLANES      82 

Chapitre  IIL  —  Nos  cotons-poudres  et  l'Allema- 
gne       107 

Chapitre  IV.  —  Les  Messageries  départemen- 
tales PAR  automobiles 114 

Troisième  partie 
LA  NORMANDIE  ENVAHIE 

Chapitre  I.  —  Généralités 127 

Chapitre  IL  —  Exploitation  des  mines  de  fer  de 

Normandie  par  l'Industrie  allemande 136 

Chapitre  III.  —  Le  port  de  Diélette 155 

Chapitre  IV.   —  Les  hauts  fourneaux  et  aciéries 

DE  Caen  (Association  Thyssen-Le  Chatelier)  . . .     174 
Chapitre    V.    —   L'Envahissement    commence   en 
Bretagne,  dans  la  Loire-Inférieure  et  sur  cer- 
tains points  de  la  côte  {Manche  et  Méditerra- 
née)      194 

Quatrième  partie 

LES  POINTS  STRATÉGIQUES 
Leur  occupation  par  les  sujets  de  Guillaume  II. 

Chapitre  I.  —  Généralités 215 

Chapitre  IL  —  Les  Allemands  occupent  de  véri- 
tables forteresses  industrielles,  dans  le  Cen- 
tre,   le   Nord,   l'Est   et    le  Nord-Est    de    la 

France 225 

Chapitre  IIL  —  Les  fermes  allemandes  dans 
l'Est 279 

Conclusion 301 


Imprimerie  spéciale  de  la  Nouvelle  Librairie  Nationale. 


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DC 


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3  9097  00348212  3 

Daudet,  Léon, 


1913. 


L'abant-( 

juerre; 

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Bourr/et,  Maurice  Barrés,  Henri  Vc 
Moreau,  Ch.  Le  Go  f fie,  Henrij  Bor\ 
Bainville,    Louis   Dimier,    Léon   de 
Copin-Albancelli,   Arnavielle,    Amo\ 
L.  III  :  Jides  Lemaitre  et  son  ami. — 
TJoeuments  divers.  —  Lettre  de  rallii 
Tauxier.  —  Dictateur  et  roi,  etc. 
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